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Introduction

L’interrogatoire de suspects est une méthode d’enquête utilisée quotidiennement pour résoudre des délits et obtenir de précieux renseignements criminels (Inbau, Reid, Buckley et Jayne, 2001 ; Kassin et al., 2007 ; Meissner, Surmon-Böhr, Oleszkiewicz et Alison, 2017). Dans les dossiers d’enquête où il n’y a pas ou peu de preuves matérielles, les aveux de l’auteur d’un crime représentent un élément crucial au bon déroulement de l’enquête. Ces aveux permettent bien souvent, lorsqu’ils sont authentiques, de corroborer des faits et des éléments présents sur la scène de crime et d’accuser l’auteur d’un crime (Baldwin, 1993 ; Inbau et al., 2001 ; Phillips et Brown, 1998). Sans aveux, un grand nombre de crimes (jusqu’à un tiers d’entre eux, selon certains auteurs) ne serait pas résolu (Baldwin et McConville, 1980 ; Cassell, 1996 ; Leo, 1996 ; McConville, 1993 ; Stephenson et Moston, 1994 ; St-Yves et Meissner, 2014). La confession aurait même un poids plus important dans la prise de décision des jurés que le témoignage d’un témoin ou des preuves physiques (Appleby, Hasel et Kassin, 2013 ; Kassin et Neumann, 1997). À cet effet, la littérature permet de voir qu’entre 40 % et 60 % des suspects avouent leurs crimes lors d’un interrogatoire de police (voir Cassell et Hayman, 1998 ; Deslauriers-Varin, Lussier et St-Yves, 2011 ; Leo, 1996 ; Moston et Stephenson, 1994 ; Pearse, Gudjonsson, Clare et Rutter, 1998 ; Phillips et Brown, 1998), les études plus récentes suggérant un taux de près de 45 % chez les contrevenants, tous types de délits confondus. Ces études permettent de comprendre que la confession n’est pas un phénomène rare en cours d’interrogatoire, mais qu’il existe un équilibre fragile entre ce qui favorisera et ce qui ne favorisera pas la confession d’un individu dans ce contexte particulier.

Les facteurs explicatifs de la confession en contexte d’interrogatoire policier

Toute personne interrogée par la police pour un crime qu’elle a commis se retrouvera dans un processus décisionnel très complexe : devrais-je parler ou garder le silence ? Dire (toute) la vérité ou mentir (en partie) ? Une confession va-t-elle aider ou nuire à ma défense ? Ce processus décisionnel complexe, qui commence avant même l’interrogatoire, sera influencé par une variété de facteurs et diverses sources de pression provenant, notamment, du suspect lui-même et de ses compréhension et connaissance du système de justice, de complices potentiels et des enquêteurs (Gudjonsson, 2003).

Bien que l’interrogatoire policier ait été un sujet plus vastement étudié au cours de la dernière décennie, il demeure somme tout peu exploré par les chercheurs, particulièrement en criminologie. La position scientifique reste principalement orientée vers les risques associés à certaines pratiques suggestives, voire coercitives, notamment le risque de fausses confessions. Des études scientifiques sont publiées, majoritairement avec de petits échantillons d’interrogatoires policiers ou, suivant un devis expérimental, auprès d’étudiants ou enquêteurs (p. ex. : Horgan, Russano, Meissner et Evans, 2012 ; Sandham, Dando, Bull et Ormerod, 2020 ; Wachi et al., 2018). De plus, la plupart d’entre elles visent à mieux comprendre et analyser un aspect ou un groupe de facteurs particuliers. Il n’existe donc, encore à ce jour, que peu d’études scientifiques empiriques rigoureuses qui aient examiné les facteurs, et les interactions entre ceux-ci, qui favorisent ou non la confession d’un crime en contexte d’interrogatoire. Qui plus est, la compréhension de la hiérarchisation de ces facteurs. Il est cependant possible, à la lecture des ouvrages recensés sur le sujet, de constater que la confession en contexte d’interrogatoire policier, aussi plus récemment connu sous le terme d’entrevue d’enquête auprès de suspects, a fait l’objet de trois grandes vagues de recherche[2]. Dans la première vague, de nature plus théorique, les études ont surtout tenté de mieux expliquer ce qui peut motiver ou non un individu à avouer son crime. Différents modèles explicatifs ont ainsi vu le jour. Tout d’abord, relevant des théories psychanalytiques de la personnalité, des auteurs ont proposé que la confession soit en fait le résultat de conflits internes (p. ex. : la culpabilité) propres à l’individu (Berggren, 1975 ; Horowitz, 1956 ; Reik, 1959). Certains auteurs ont plutôt eu recours aux principes de l’approche du choix rationnel (Hilgendorf et Irving, 1981 ; Jayne, 1986 ; Yang, Guyll et Madon, 2017), suggérant que la confession résultait d’un calcul coûts-bénéfices, et d’autres ont souligné l’importance de considérer les facteurs criminogènes et ceux reliés au crime commis dans la décision d’un suspect d’avouer (p. ex. : le degré de connaissance du suspect des procédures policières ; Gudjonsson, 1992). Bien que les modèles diffèrent à certains égards, ils tendent tous, tel qu’il est mentionné par Beauregard, Deslauriers-Varin et St-Yves (2010), à prendre en compte un certain nombre de préoccupations centrales : 1) la résistance et la tromperie du suspect et le besoin de recourir à la manipulation psychologique pour surmonter ces comportements ; 2) les facteurs influençant la prise de décision du suspect pendant l’interrogatoire ; 3) les conflits internes (c.-à-d. la culpabilité) du suspect ; 4) les liens entre les caractéristiques du suspect et les faits en cause ; et 5) les événements précédant l’interrogatoire et leurs conséquences perçues. En somme, ces modèles théoriques laissent supposer que les caractéristiques individuelles (p. ex. : âge, capital social), les facteurs criminogènes (p. ex. : les antécédents criminels de l’individu) et le contexte de l’interrogatoire (p. ex. : présence de culpabilité, durée de l’interrogatoire et conditions dans lesquelles il est mené, attitude et comportement des policiers) pourraient tous jouer un rôle dans la décision d’un suspect de confesser son crime lors d’un interrogatoire policier.

Dans la deuxième vague de recherche, ayant majoritairement eu lieu dans les années 1990 et 2000, les chercheurs se sont mis à la tâche de valider empiriquement les explications et motivations mises de l’avant par ces modèles théoriques. Au fil des différentes études sur le sujet, la recherche a su mettre en lumière que la confession était effectivement associée de façon significative à plusieurs facteurs individuels, délictuels et situationnels/contextuels, dont l’âge du suspect (p. ex. : Pearse et al., 1998 ; Viljoen, Klaver et Roesch, 2005), son statut parental et civil (p. ex. : Gudjonsson, 2003), le type de crime commis et sa gravité (p. ex. : Phillips et Brown, 1998 ; Sigurdsson et Gudjonsson, 1994), la présence d’antécédents criminels (p. ex. : Pearse et al., 1998 ; Snook, Brooks et Bull, 2015), l’état d’intoxication (p. ex. : Pearse et al., 1998 ; Sigurdsson et Gudjonsson, 1994), le sentiment de culpabilité (p. ex. : Gudjonsson et Sigurdsson, 1999 ; Gudjonsson, Sigurdsson et Einarsson, 2004), le profil de personnalité du suspect (Beauregard et al., 2010 ; St-Yves, 2002), le recours ou non à un avocat (p. ex. : Leo, 1996 ; Moston, Stephenson et Williamson, 1992 ; Snook et al., 2015 ; Stephenson et Moston, 1994), et la qualité de la preuve détenue par les policiers (p. ex. : Gudjonsson et Petursson, 1991 ; Moston et al., 1992 ; Phillips et Brown, 1998). Bien que ces études présentent parfois des résultats contradictoires, il est possible d’en dégager que les individus plus jeunes, plus vulnérables et influençables, sans enfant, qui ne sont pas mariés ou en relation stable, qui n’ont pas d’antécédents criminels, qui ont commis un crime de gravité moindre, qui ressentent de la culpabilité face aux gestes commis, qui étaient sous l’influence de l’alcool ou autre substance désinhibante, qui n’ont pas eu recours à un avocat et qui font face à des éléments de preuves importants, sont plus portés à confesser le crime qui leur est reproché lors d’un interrogatoire policier. Les résultats de ces études antérieures suggèrent que les facteurs situationnels pèsent particulièrement lourd dans la décision du suspect de le confesser ou non en contexte d’interrogatoire (p. ex. : Deslauriers-Varin, Beauregard et Wong, 2011 ; Deslauriers-Varin, Lussier et al., 2011 ; Moston et al., 1992).

Au sujet des facteurs situationnels, certains auteurs ont toutefois affirmé, par le passé, que les stratégies et techniques d’interrogatoire employées par les policiers en interrogatoire n’avaient que très peu d’impact sur le taux de confession des suspects (voir Baldwin, 1993 ; Moston et Stephenson, 1994). Ils avançaient que la décision des suspects de confesser ou non leur crime serait en effet prise dès le début de l’interrogatoire et les chances que le suspect change d’avis en cours de route seraient ainsi peu probables. La décision de faire des aveux serait donc plus une question de choix personnel que le résultat des techniques utilisées par les policiers tout au long de l’interrogatoire. Toutefois, selon d’autres auteurs, ces techniques permettent au contraire de persuader ou de disposer le suspect à faire des aveux, même si celui-ci avait, au départ, l’intention de nier les faits (Inbau et al., 2001 ; Jayne, 1986 ; Leo, 1996 ; Macdonald et Michaud, 1987 ; Pearse et Gudjonsson, 1999 ; Sigurdsson et Gujdonsson, 1994). Dans une des seules études menées sur le changement de décision des suspects en contexte d’interrogatoire, et une des seules basées sur des données autorapportées, Deslauriers-Varin, Beauregard et al., 2011, ont observé que près de 21 % (n = 45) des détenus de leur échantillon avaient changé leur décision initiale de confesser ou non leur crime à la suite de l’interrogatoire policier. La moitié (49 %) d’entre eux avait l’intention de confesser le crime avant l’interrogatoire, mais a malgré tout décidé de ne pas le faire à ce moment-là et l’autre moitié (51 %), au contraire, n’avait pas l’intention de passer aux aveux avant l’interrogatoire policier et a, au cours de ce dernier, finalement confessé le crime reproché. Ces résultats permettent de croire que le processus décisionnel peut être influencé dans les deux sens, autant positivement que négativement, et que les facteurs situationnels en place lors de l’interrogatoire ont un rôle crucial dans ce processus décisionnel.

Vu leur influence marquée, il n’est pas surprenant de constater que la troisième vague de recherche, ayant eu lieu au cours de la dernière décennie, a majoritairement visé à analyser plus en profondeur l’influence des facteurs situationnels et contextuels, particulièrement l’effet des techniques d’interrogatoire et le contexte relationnel dans lequel il a lieu. Outre l’importance de la preuve, considérée comme l’un des facteurs les plus influents (p. ex. : Brimbal et Luke, 2019 ; Deslauriers-Varin, Beauregard et al., 2011 ; Moston et Engelberg, 2011), et la façon dont cette preuve est présentée (p. ex. : strategic use of evidence ; Clemens, Knieps et Tekin, 2020 ; Granhag, Strömwall, Willén et Hartwig, 2013), les études s’inscrivant dans cette troisième vague de recherche sur l’interrogatoire policier permettent de comprendre que les suspects sont plus portés à passer aux aveux et collaborer avec la police lorsque l’interrogatoire est mené dans un contexte relationnel caractérisé par le respect, l’écoute et l’empathie (p. ex. : Kebbell, Alison, Hurren et Mazerolle, 2010 ; Snook et al., 2015 ; St-Yves et Kebbell, 2018 ; St-Yves et Meissner, 2014 ; Wachi et al., 2014 ; Westera et Kebbell, 2014), plutôt que par la domination, l’humiliation et l’affrontement (p. ex. : Alison, Alison, Noone, Elntib et Christiansen, 2013 ; Holmberg et Christianson, 2002). Plus particulièrement, le recours à des techniques précises qui favorisent l’établissement d’une relation de confiance entre l’enquêteur et le suspect (questions ouvertes, démonstration d’empathie) plutôt que des techniques coercitives et accusatrices (p. ex. : questions négatives et répétitives, maximisation), augmentent les chances d’obtenir la collaboration du suspect (p. ex. : une confession) et l’obtention d’informations incriminantes ou contributives à l’enquête (Goodman-Delahunty et Martschuk, 2018 ; Leahy-Harland et Bull, 2017 ; Meissner et al., 2014 ; Soukara, Bull, Vrij, Turner et Cherryman, 2009). Plus récemment, des chercheurs ont aussi analysé l’influence de l’environnement physique sur la décision d’avouer ou non son crime. Leurs résultats indiquent qu’un environnement non coercitif et dans lequel l’individu se sent à l’aise favorise la coopération et l’obtention d’informations fiables (Goodman-Delahunty et Martschuk, 2018 ; Hoogesteyn, Meijer, Vrij et Merckelbach, 2018). L’attitude des policiers, la relation en place entre le suspect et ceux-ci, et l’environnement dans lequel a lieu l’interrogatoire contribueraient donc tous au bon déroulement d’un interrogatoire et à l’obtention d’une collaboration et d’une confession. Les études restent cependant silencieuses quant à l’influence de la perception qu’a l’individu de la police sur sa décision de passer aux aveux et de collaborer avec celle-ci lors de l’interrogatoire.

Les obstacles à la confession en contexte d’interrogatoire policier

Très peu d’informations existent sur la non-confession en contexte d’interrogatoire. En effet, la presque totalité des études antérieures, voyant la non-confession comme le simple revers de la confession, a surtout examiné les facteurs explicatifs de la confession, sans chercher à mieux comprendre ceux qui pourraient être spécifiques à la non-confession. Jayne (1986) proposa un modèle pour tenter de clarifier ce qui rendait la technique Reid − modèle d’interrogatoire policier encore controversé aujourd’hui, bien qu’il soit encore très utilisé (Snook, Eastwood, Stinson, Tedeschini et House, 2010 ; St-Yves et Meissner, 2014) − si performante pour l’obtention d’un aveu. Selon cet auteur (Jayne, 1986), deux types de conséquences nuiraient à l’aveu : 1) les conséquences réelles, soit les pertes concrètes encourues par l’individu (perte de liberté, perte d’emploi, divorce, etc.) ; 2) les conséquences personnelles, qui renvoient ici à l’atteinte de l’estime de soi et à l’intégrité de l’individu interrogé (la perte de réputation, etc.). Gudjonsson (2003), un des premiers et rares chercheurs à avoir empiriquement abordé le phénomène de la non-confession en contexte d’interrogatoire policier, résume cinq conséquences principales qui peuvent faire obstacle au processus de confession et, donc, faire en sorte que le suspect nie avoir commis le crime reproché[3] : 1) la peur des sanctions légales. Plus précisément, la peur de l’emprisonnement et l’idée d’avoir un casier judiciaire sont des conséquences négatives importantes qui incitent le suspect interrogé à ne pas faire d’aveux. Le suspect préférera alors ne rien dire, plutôt que de s’avouer coupable ; 2) la perte de réputation : l’interrogé peut appréhender une éventuelle confession par crainte de ce que les gens de son entourage penseront de lui. Plus la personne aura un statut social élevé, plus cette peur jouera un rôle inhibiteur dans le processus d’aveu ; 3) le rejet de l’inacceptable : pour certains, les actes qu’ils ont eux-mêmes commis leur apparaissent répréhensibles. Les mécanismes naturels de défense que possède l’humain, tels que le déni, serviront alors à faire « oublier » au suspect les gestes commis ou, à tout le moins, à atténuer son sentiment de responsabilité ; 4) la peur d’affecter ou de nuire à ses proches : l’individu interrogé peut voir dans la confession une source de douleurs pour ses proches qui auront à porter le poids de ses gestes. Il est en effet possible de constater que les familles des suspects font souvent l’objet de stigmatisation de la part de leur entourage (Gudjonsson, 2003) ; 5) la peur de représailles. L’aveu d’un crime peut parfois mettre en lumière l’implication de tierces personnes. Le suspect avouant le crime reproché peut alors avoir peur d’éventuelles représailles de la part de celles-ci. Malgré l’importance et la pertinence de ces obstacles, il paraît toutefois logique de croire que des motivations et des facteurs distincts sont responsables de la décision d’un suspect de ne pas collaborer ou avouer en contexte d’interrogatoire policier. Une première étude préliminaire menée par Bergeron et Deslauriers-Varin (2020), la seule étude empirique ayant porté exclusivement sur la non-confession et les profils décisionnels (latents) de non-confesseurs semble d’ailleurs appuyer cette idée.

Bien que plusieurs études aient à ce jour tenté de trouver les facteurs explicatifs d’une confession, la grande majorité d’entre elles ont examiné l’influence de facteurs spécifiques en utilisant une approche « par variable » pour tenter de prédire la confession du suspect (p. ex. : Deslauriers-Varin, Beauregard et al., 2011 ; Snook et al., 2015). Cette approche met cependant l’accent sur la présence et l’effet de certains facteurs déterminants dans le processus décisionnel de confession, aux dépens de l’examen de combinaisons de facteurs présents simultanément à un moment donné au cours de ce processus. En d’autres termes, l’approche traditionnelle tente ainsi d’établir un profil type ou « moyen » des individus plus à même de confesser leur crime lorsque tel ou tel facteur est présent. Ces méthodes ne mettent donc pas en valeur toute la nuance potentiellement présente quant aux profils décisionnels et ne laissent pas place à l’émergence de différentes combinaisons de facteurs associés à des chances plus ou moins élevées de passer aux aveux ou non. Ces études, bien que très informatives, ne permettent pas non plus de hiérarchiser l’importance particulière, dans le processus décisionnel, de certains groupes de facteurs, pas plus que de connaître la façon dont ces facteurs interagissent entre eux et la façon dont cette interaction peut venir influencer, globalement, la décision du suspect de confesser ou non son crime lors d’un interrogatoire policier. La seule étude recensée sur le sujet utilisant une approche par profil est celle de Beauregard et al. (2010) auprès d’un échantillon de délinquants sexuels. Malgré son importance, cette étude a donc surtout analysé des facteurs explicatifs propres à ce type particulier de délit (p. ex. : âge de la victime, lien avec la victime, niveau de force utilisée) plutôt que des facteurs explicatifs de la confession de façon générale.

But de l’étude

À l’aide d’analyses d’arbres décisionnels, la présente étude vise à combler cette lacune scientifique en examinant les avantages d’une approche « profil » pour étudier et mieux saisir la complexité du passage aux aveux en contexte d’interrogatoire. Les arbres décisionnels sont conçus pour détecter les effets d’interaction significatifs entre certains facteurs et informent sur la meilleure façon de les combiner pour une prédiction optimale. Plus précisément, les chercheurs en sciences sociales ont utilisé ces techniques parce qu’elles permettent d’identifier des sous-groupes mutuellement exclusifs et exhaustifs dont les membres présentent des caractéristiques individuelles particulières renseignant sur les probabilités plus ou moins élevées d’un élément à prédire (telle la récidive criminelle, par exemple ; Silver et Chow-Martin, 2002 ; Steadman et al., 2000). Grâce à ces analyses, la présente étude explorera ainsi les interactions potentielles entre les facteurs précédemment caractérisés comme étant déterminants dans la décision du suspect de confesser ou non son crime et permettra, par conséquent, de révéler différents profils/combinaisons de facteurs, ou processus décisionnels, qui seront associés à une probabilité plus ou moins élevée de confession de la part du suspect[4]. Cette étude mettra ainsi en lumière des profils/combinaisons de facteurs potentiellement propres, d’un côté, aux confesseurs, et, de l’autre, aux non-confesseurs. Cette analyse permettant aussi la hiérarchisation des facteurs explicatifs aidera d’autant plus à comprendre le poids particulier qu’ont certains de ces facteurs explicatifs dans le processus décisionnel. Différents groupes de facteurs seront ainsi examinés : 1) facteurs sociodémographiques du suspect (p. ex. : âge, statut parental) ; 2) facteurs délictuels (p. ex. : antécédents criminels, gravité du délit commis) ; 3) facteurs situationnels prenant place lors de l’interrogatoire (p. ex. : perception de la preuve, recours aux services d’un avocat) ; et 4) facteurs cognitifs justificatifs (p. ex. : intoxication au moment des faits, pressions internes, peur des sanctions légales). Ce dernier sous-groupe de facteurs fait référence, comme rapporté par les participants eux-mêmes, à l’importance que certains éléments contextuels ont pu ou non avoir dans leur prise de décision lors de l’interrogatoire. Cet aspect, rarement examiné dans les études antérieures, puisque peu d’entre elles étaient basées sur des données autorévélées, ajoute au côté novateur de la recherche. En rassemblant tous ces sous-groupes de facteurs, la présence de profils décisionnels sera examinée, ainsi que l’influence de ces profils sur le taux de confession du délit reproché lors de l’interrogatoire. À la lumière des connaissances actuelles sur le sujet, la présente étude avance que la décision de confesser ou non un crime lors d’un interrogatoire de police est avant tout influencée par ce qui se passe durant l’interrogatoire et la façon dont le suspect perçoit cette situation (relation avec le policer, facteurs contextuels et situationnels), beaucoup plus que par des éléments plus statiques ou ayant eu lieu avant celui-ci (par ex. : facteurs sociodémographiques, le délit commis). Il est aussi énoncé que des profils de facteurs distincts seront identifiés pour les confesseurs et les non-confesseurs.

Méthodologie

Échantillon

La présente étude est basée sur un échantillon de 221 hommes adultes francophones recrutés parmi les détenus du Centre régional de réception, un pénitencier à sécurité maximale de la province de Québec, au Canada. Au Canada, toutes les personnes condamnées à une peine fédérale de plus de deux ans sont envoyées à ce pénitencier, au tout début de leur sentence, pour environ six semaines, à des fins de classification (c.-à-d. évaluation de leur niveau de risque et de leurs besoins en matière de programmes de traitement). L’étude repose plus particulièrement sur les données autorévélées qui ont été colligées, dans le cadre d’une étude originale menée par l’auteure, au cours de trois visites effectuées au pénitencier en 2005 (avril, juin, septembre)[5]. Les participants ont été rassemblés dans une grande salle en groupes d’environ 15 à 20 personnes afin de leur expliquer le but de la recherche. Les détenus qui ont accepté d’y participer ont ensuite répondu à des questions quant à l’interrogatoire policier ayant conduit à leur incarcération actuelle. Le taux de participation global pour cette étude autorévélée était très bon (77,7 %) et l’échantillon de participants représentait 65 % du nombre total de détenus admis dans ce pénitencier au cours de la période d’étude.

Procédures

L’étude originale sur laquelle s’appuie la présente recherche a été approuvée par le Comité d’éthique du Service correctionnel du Canada et le Comité d’éthique de l’Université de Montréal. Au moment des rencontres, chaque participant a signé un formulaire de consentement indiquant que les informations recueillies seraient utilisées uniquement à des fins de recherche et que leur participation (ou non) à l’étude n’aurait aucune conséquence ni sur leur séjour au pénitencier ni sur l’évaluation de leur niveau de risque. Tous les participants à l’étude devaient remplir différents questionnaires en lien avec : 1) leurs caractéristiques sociodémographiques ; 2) leurs antécédents criminels ; 3) les caractéristiques du crime pour lequel ils ont été reconnus coupables et se trouvaient en détention ; 4) les facteurs associés au contexte de leur dernier interrogatoire, pour ce crime ; et 5) les motifs et facteurs ayant favorisé leur confession ou leur non-confession lors de ce dernier interrogatoire. La rencontre et la réponse aux questionnaires ont été réalisées suivant un format papier-crayon et ont duré de 20 à 30 minutes. Pour des fins de triangulation, les données officielles contenues dans les dossiers institutionnels ont été colligées pour le tiers des participants à l’étude (34,3 % ; n = 70), sélectionnés de façon aléatoire. La fidélité a été calculée pour ce sous-échantillon en utilisant l’alpha de Krippendorff (Hayes et Krippendorff, 2007) pour chacune des variables dont l’information figurait dans lesdits dossiers. Les coefficients obtenus variaient de 0,55 à 1,00, avec une moyenne de 0,81, ce qui suggère une très bonne fidélité globale des données autorévélées. Des analyses ont également été menées séparément avec les données officielles et celles autorévélées, et aucune différence significative n’a été trouvée entre les deux. Par conséquent, la présente étude est basée uniquement sur les données autorévélées qui ont été colligées.

Lors de l’étude originale sur laquelle repose la présente étude, une traduction française (Blais, Lachance et Richer, 1991) de la version courte (20 items, vrais ou faux ; Strahan et Gerbasi, 1972) de l’échelle de désirabilité sociale de Marlowe-Crowne (Crowne et Marlowe, 1960) a été utilisée. Pour des raisons de logistique et de parcimonie, cette échelle a été distribuée et administrée à plus de la moitié de l’échantillon (n = 126, 54,8 %). Elle permettait d’évaluer, compte tenu de la nature autorévélée de l’étude, dans quelle mesure les informations fournies par les détenus pouvaient refléter une tendance individuelle à donner des réponses désirables sur le plan social. Les analyses effectuées entre les variables à l’étude et le score obtenu à cette échelle permettent de croire que ce n’était pas le cas[6].

Variables et mesures à l’étude

Variable dépendante

Confession. Chaque participant devait mentionner, à l’aide des questionnaires, s’il avait ou non confessé le crime reproché lors de son dernier interrogatoire (0 = non-confession ; 1 = confession). Les aveux/la confession réfèrent ici à la reconnaissance par le contrevenant, lors de son interrogatoire, de sa responsabilité et de sa culpabilité pour le crime répertorié. Sur les 221 participants à l’étude, 45 % (n = 100) ont déclaré avoir avoué leur crime à la police (confesseurs), tandis que 55 % ont déclaré ne pas l’avoir reconnu (non-confesseurs ; n = 121).

Variables indépendantes

Facteurs sociodémographiques. Se basant sur les facteurs déterminants de la confession mis de l’avant dans les études antérieures, trois facteurs sociodémographiques mesurant différentes caractéristiques du participant au moment de l’interrogatoire ont été inclus dans la présente étude : 1) Âge ; 2) État matrimonial (0 = Célibataire ; 1 = En relation) ; 3) Statut parental (0 = N’a pas d’enfant ; 1 = A des enfants). L’âge moyen des participants à l’étude était de 34,6 ans (ÉT = 10,6, étendue = 18-74 ans), un peu plus de 60 % (61,1 %) d’entre eux étaient célibataires au moment de l’interrogatoire et près de 58 % (57,5 %) avaient au moins un enfant.

Facteurs délictuels. Toujours en se basant sur les résultats d’études antérieures, des informations concernant le nombre de condamnations antérieures du participant au moment de l’interrogatoire (0 = Aucune condamnation antérieure, 18,1 % ; 1 = Une condamnation antérieure, 13,0 % ; 2 = Deux condamnations antérieures et plus, 69,0 %) et la gravité du délit commis ont été incluses dans l’étude. Afin de mesurer la gravité du crime pour lequel les participants avaient été récemment arrêtés, interrogés et condamnés, une échelle créée par Blumstein, Cohen, Roth et Visher (1986) et adaptée au Code criminel du Canada a été utilisée. Cette échelle de gravité comporte 12 points ; un score plus élevé indiquant un crime plus grave. Aux fins de codage, seule l’infraction la plus grave a été retenue. La distribution de fréquence des scores sur cette échelle était la suivante : (12) homicide, 6,5 % ; (11) agression sexuelle, 13,8 % ; (10) vol qualifié, 23,5 % ; (9) enlèvement, séquestration, 0,5 % ; (8) voies de fait, 10,1 % ; (7) incendie criminel, incendie, 2,3 % ; (6) introduction par effraction, 18,4 % ; (5) vol d’automobile, 0,5 % ; (4) infractions liées à la drogue, 20,3 % ; (3) fraude, 1,8 % ; (2) vol, 2,3 % ; (1) vandalisme, 0,0 %. L’échantillon était ainsi principalement composé de multirécidivistes et le score moyen sur l’échelle de gravité était de 7,7 (ÉT = 2,9 ; plage : 2–12), reflétant un crime de nature plutôt grave en moyenne.

Facteurs situationnels/contextuels. Trois éléments reliés aux facteurs contextualisant l’interrogatoire ayant eu lieu, et précédemment définis comme influençant la confession du suspect, ont été inclus dans la présente étude : 1) Perception par le suspect de l’importance des preuves contre lui au moment de l’étude[7] (0 = faible / assez faible ; 1 = forte / assez forte)[8] ; 2) Recours à des conseils juridiques/à un avocat (0 = Non ; 1 = Oui) ; 3) Présence de sentiments de culpabilité et de remords chez le suspect durant l’interrogatoire, comme rapporté par le participant lui-même (0 = Non ; 1 = Un peu ; 2 = Beaucoup). Un peu plus de la moitié des détenus ayant participé à l’étude ont déclaré comme fortes / assez fortes les preuves détenues contre eux (56,5 %) et la majorité d’entre eux ont recouru aux services d’un avocat (66,0 %) et disait ressentir de la culpabilité face aux gestes commis (63,1 %).

Facteurs cognitifs justificatifs. Sur les questionnaires à remplir, les participants devaient indiquer le poids qu’avaient eu certains facteurs spécifiques dans leur décision d’avouer, ou non, le crime reproché lors de leur interrogatoire. Les facteurs justificatifs utilisés dans ces questionnaires ont été inspirés par le Gudjonsson Confession Questionnaire-Revised (GCQ-R ; Gudjonsson et Sigurdsson, 1999), basé sur les facteurs cognitifs facilitant ou nuisant au processus de confession. Il est important de noter qu’au moment de l’étude initiale, aucune étude n’avait encore décrit les motivations sous-jacentes à la non-confession du crime (voir cependant Bergeron et Deslauriers-Varin, 2020, plus récemment). Dans le but de combler cette lacune, un questionnaire fut ainsi développé afin d’explorer ces motivations et justifications auprès des non-confesseurs. À l’aide de deux questionnaires, selon qu’ils aient ou non confessé, les participants devaient ainsi déterminer le poids ou l’influence de ces différents facteurs (« À quel point [le facteur] a eu une influence sur votre décision de confesser/de ne pas confesser le crime lors de l’interrogatoire ») selon une échelle de Likert de sept points allant de Pas du tout (1 et 2) à Énormément (6 et 7), avec les points centraux 3, 4 et 5 représentant le terme Assez. Ces items aux questionnaires furent ensuite regroupés par « thèmes » de facteurs justificatifs afin de permettre la comparaison entre les facteurs justificatifs mentionnés par les confesseurs et ceux mentionnés par les non-confesseurs. À des fins statistiques, cette échelle fut ensuite recodée en trois catégories (0 = Pas du tout ; 1 = Assez ; 2 = Énormément) puisque les réponses à ces échelles n’était pas normalement distribuée. Cette procédure permettait ainsi de limiter l’influence des valeurs extrêmes et du manque de variance des données, tout en gardant la notion de poids/d’importance des facteurs, essentielle à la présente étude. Neuf thèmes de facteurs justificatifs, mesurés autant auprès des confesseurs que des non-confesseurs ont ainsi été retenus dans le cadre de la présente étude : 1) Peur des conséquences ou des sanctions légales (p. ex. : dossier judiciaire, emprisonnement) ; 2) Peur des conséquences personnelles (p. ex. : peur de perdre son emploi, perte d’argent) ; 3) Famille et êtres chers (p. ex. : peur de perdre des êtres chers ; conséquences négatives pour les proches) ; 4) Réputation et image de soi (p. ex. : peur du jugement des autres, peur de « perdre la face ») ; 5) Pressions internes (p. ex. : besoin d’en parler, de se libérer, regret) ; 6) Confusion (p. ex. : trop perturbé, hésitant, confus ou « mêlé » face à la situation) ; 7) Intoxication (p. ex. : intoxiqué lors de la commission du délit ou lors de l’interrogatoire) ; 8) Complice et peur de représailles (p. ex. : pour protéger un complice, par peur de représailles potentielles) ; 9) Police (p. ex. : peur, pression, méfiance, attitude des policiers).

Analyses

Dans un premier temps, après avoir déterminé une série de variables associées à la confession lors d’interrogatoires policiers, sur la base de la littérature antérieure, des analyses bivariées ont été menées pour déterminer quels facteurs parmi les quatre groupes (individuels, délictuels, contextuels et justificatifs) ont un effet significatif sur la décision finale du suspect (c.-à-d. le dénouement de l’interrogatoire – confession/non confession). Bien que la présentation de ces analyses bivariées soit intéressante, les limites présentes lorsque de simples relations bivariées sont considérées dans le cadre d’un phénomène complexe tel que la confession sont évidentes. C’est pourquoi, dans un deuxième temps, des analyses d’arbres décisionnels ont été effectuées afin d’observer la façon dont ces facteurs interagissent et les combinaisons ou profils de facteurs déterminants existants, et leur influence sur le dénouement de l’interrogatoire.

Les analyses d’arbres de décision, ou arbres décisionnels, impliquent une procédure itérative à chaque branche de l’arbre, en commençant avec le prédicteur ayant la plus forte association avec le résultat prévu. Ces analyses permettent donc de facilement visualiser la hiérarchisation des facteurs examinés selon leur importance. Ce faisant, le processus itératif permet d’identifier les noeuds, les branches/embranchement et les feuilles. Il existe trois types de noeuds (p. ex. : Song et Lu, 2015) : a) les noeuds « racines », représentant la subdivision initiale de tous les sujets en deux sous-ensembles ou plus ; b) les noeuds terminaux, aussi appelés « feuilles », se rapportent au résultat final d’une combinaison de décisions ; c) les noeuds internes, qui sont tous les autres noeuds qui relient la racine au noeud terminal. Les feuilles permettent ainsi de déterminer la présence de sous-groupes, ou profils, tels qu’ils sont définis par leur ensemble respectif de prédicteurs. Les analyses d’arbres décisionnels présentent plusieurs avantages par rapport aux méthodes statistiques traditionnelles (p. ex. : régression). Entre autres, il s’agit d’analyses de type non paramétrique qui fournissent une représentation graphique visuellement simple et facile à interpréter. Elles permettent aussi d’examiner la structure hiérarchique de prédiction par l’analyse simultanée d’un grand nombre de prédicteurs/facteurs catégoriels et continus. Dans le cas des facteurs catégoriels ou continus, l’analyse d’arbres décisionnels peut, sur la base d’une recherche exhaustive de toutes les possibilités, déterminer où le « fractionnement » de cette variable est optimal, sans égard aux modalités prédéterminées. Il existe plusieurs techniques, ou algorithmes, d’analyse d’arbres décisionnels, avec leurs forces et leurs limites respectives. À des fins de comparaison, la technique de classification Chi-squared Automatic Interaction Detector (CHAID ; Kass, 1980) et celle de Classification and Regression Trees (C&RT ou CART ; Breiman, Freidman, Olshen et Stone, 1984), les deux méthodes les plus fréquemment utilisées, l’ont été pour la présente étude.

La technique de classification CHAID permet la construction d’un arbre décisionnel en divisant à plusieurs reprises l’échantillon entier en sous-ensembles (ou noeuds) à l’aide de variables prédictives qui identifient le mieux le critère (c.-à-d. le résultat prévu, ici : confession/non-confession ; Ture, Tokatli et Kurt, 2009). Cette technique utilise une méthode de partitionnement récursif pour déterminer les sous-groupes homogènes par rapport au résultat prévu. Cette technique, qui comporte une série d’étapes, commence tout d’abord par trouver la meilleure partition pour chaque prédicteur. À chaque étape de l’analyse, toutes les paires de valeurs/catégories de toutes les variables prédictives sont examinées indépendamment, la relation la plus forte étant utilisée pour générer un noeud. Les catégories, ou modalités, d’une variable sont fusionnées en une seule catégorie si elles ne renseignent pas sur le résultat prévu. La technique CHAID peut ainsi diviser l’échantillon à plusieurs reprises en deux sous-ensembles ou plus, qui sont ensuite analysés indépendamment pour produire d’autres sous-groupes. Cette technique teste l’indépendance à l’aide d’un tableau de contingence et d’un test du chi carré (X2) pour déterminer si le fractionnement de l’échantillon dans un noeud génère une prédiction statistiquement significative. Un problème possible avec CHAID, cependant, est le risque de surajustement des données et, donc, de produire des solutions trop adaptées à l’échantillon utilisé, permettant donc difficilement la généralisation de ces solutions pour d’autres échantillons.

Afin de tenir compte de cette possibilité de surajustement des données, l’algorithme C&RT a donc également été utilisé dans la présente étude. La technique C&RT est une procédure de partitionnement récursif binaire qui, comme CHAID, peut gérer à la fois des variables nominales/catégorielles et continues. Comme la méthode précédente, l’arbre atteint sa taille maximale lorsqu’il n’y a plus de division possible. L’arbre de décision est ensuite élagué, noeud par noeud, en supprimant ceux qui contribuent moins aux performances globales du modèle. La méthode C&RT implique donc l’élagage de l’arbre décisionnel pour supprimer les noeuds qui peuvent montrer peu de puissance statistique et pour justement limiter les problèmes de surajustement. Pour ce faire, le fractionnement est basé sur l’indice de Gini, qui est la somme des proportions au carré des catégories analysées. La méthode C&RT maximise l’identification des sous-groupes homogènes, ce qui, dans le contexte de l’étude, signifie que cette technique vise à déterminer un sous-groupe composé uniquement de confesseurs et un sous-groupe composé uniquement de non-confesseurs.

Toutes les analyses statistiques ont été effectuées à l’aide de SPSS 26.0. Les analyses ont été effectuées avec les critères suivants : a) détection automatique de la profondeur maximale de l’arbre ; et b) nombre minimal de cas fixé à 50 pour les noeuds parents (racines) et 25 pour les noeuds enfants (internes) vu la nature exploratoire de l’étude et afin d’assurer un nombre suffisant d’interactions dans le modèle final. Tous les facteurs testés à l’étape 1, significatifs ou non, ont été utilisés dans le modèle afin de permettre l’émergence d’effets potentiels d’interaction[9]. Les méthodes CHAID et C&RT utilisées pour la présente étude ont généré des résultats identiques. À des fins de parcimonie, seul le modèle CHAID est présenté ici. Des analyses de coefficient d’aire sous la courbe ROC ont aussi été réalisées avec le modèle final. Elles permettent d’évaluer la sensibilité (sensitivity ; c’est-à-dire la capacité à identifier correctement les confesseurs) et la spécificité (specificity ; c’est-à-dire la capacité à identifier correctement les non-confesseurs) des modèles testés. Le coefficient d’aire sous la courbe est un score variant de 0,00 à 1,00 ; un score de 1,00 reflète une discrimination/classification parfaite, tandis qu’un score de 0,50 indique que le modèle de prédiction n’est pas plus apte à discriminer les confesseurs des non-confesseurs que le hasard seul.

Résultats

Comparaison de groupes : confesseurs / non-confesseurs

Les analyses bivariées préliminaires (Tableau 1) permettent de constater que les confesseurs et les non-confesseurs ne différaient pas significativement sur aucun des trois facteurs sociodémographiques retenus (c.-à-d. âge, état matrimonial et statut parental). Pour ce qui est des facteurs délictuels, une seule différence significative fut constatée entre ces deux groupes : les confesseurs (χ = 8,2 ; ÉT = 2,8) sont plus susceptibles que les non-confesseurs (χ = 7,3 ; ÉT = 3,0) d’avoir commis un crime plus grave [t (199) = 2,17, p < 0,05, Eta = 0,29]. La grande majorité des différences significatives observées entre ces deux groupes a trait aux facteurs situationnels et justificatifs. D’abord, pour ce qui est des facteurs situationnels, une différence significative a été observée pour les trois facteurs retenus. En comparaison de ceux qui n’ont pas confessé lors de l’interrogatoire, les confesseurs sont : 1) plus susceptibles de rapporter que les preuves détenues contre eux étaient fortes ou assez importantes (69,4 % c. 54,2 % ; χ2 (1) = 12,16, p < 0,01, Phi = 0,24) ; 2) moins susceptibles de recourir aux services d’un avocat (54,6 % c. 75,7 % ; χ2 (1) = 10,36, p < 0,01, Phi = 0,22) ; et 3) plus susceptibles de rapporter avoir ressenti beaucoup de remords et de culpabilité lors de l’interrogatoire (72,9 % c. 55,1 % ; χ2 (2) = 7,73, p < 0,05, V de Cramer = 0,19). Finalement, pour ce qui est des facteurs justificatifs, des différences (marginalement) significatives furent observées pour six des neuf facteurs. De façon générale, les résultats nous permettent de déterminer les facteurs cognitifs qui font obstacle au processus de confession en contexte d’interrogatoire policier. En effet, les non-confesseurs, comparativement aux confesseurs, étaient significativement plus susceptibles de rapporter que la peur de sanctions légales (36,1 % c. 18,6 % ; χ2 (2) = 8,40, p < 0,05, V de Cramer = 0,20), la peur de conséquences personnelles (43,2 % c. 11,7 % ; χ2 (2) = 32,21, p < 0,001, V de Cramer = 0,39), la (perte de) réputation (39,5 % c. 25,8 % ; χ2 (2) = 4,56, p < 0,10, V de Cramer = 0,15) et les policiers (méfiance, peur, attitude des policiers ; 71,8 % c. 21,6 % ; χ2 (2) = 54,62, p < 0,001, V de Cramer = 0,19) avaient eu Énormément de poids dans leur décision de ne pas confesser leur crime. À l’opposé, les confesseurs étaient significativement plus susceptibles de rapporter que les pressions internes ressenties (35,8 % c. 26,3 % ; χ2 (2) = 4,73, p < 0,10, V de Cramer = 0,15) et l’intoxication lors du délit ou de l’interrogatoire (50,0 % c. 32,2 % ; χ2 (2) = 8,68, p < 0,01, V de Cramer = 0,20) avaient Énormément joué un rôle dans leur décision de confesser.

Tableau 1

Comparaisons des confesseurs et des non-confesseurs aux différents facteurs

Comparaisons des confesseurs et des non-confesseurs aux différents facteurs

Tableau 1 (suite)

Comparaisons des confesseurs et des non-confesseurs aux différents facteurs

Note : + p < 0,10 ; *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001.

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Profils de facteurs décisionnels et effets d’interaction

La Figure 1 présente les résultats du modèle CHAID effectué avec toutes les variables à l’étude. Les analyses d’arbres décisionnels effectuées ont permis d’identifier des effets d’interaction et des processus/profils décisionnels très spécifiques. Plus précisément, trois facteurs contextuels ont été déterminés comme des facteurs décisifs dans la décision du suspect d’avouer ou non : les policiers (attitude, pression, peur), la perception de l’importance de la preuve détenue et le recours à un avocat. À la suite de l’analyse du modèle final d’arbre décisionnel, il apparaît ainsi que des effets d’interaction sont présents entre le facteur Police, facteur explicatif/prédicteur le plus important du modèle, et les deux autres facteurs, séparément. En effet, en fonction du niveau d’importance qu’a eu le rapport avec la police lors de l’interrogatoire, soit la perception de la qualité de la preuve, soit le recours à un avocat semblent respectivement favoriser la confession ou lui nuire. En d’autres mots, des effets d’interaction sont constatés entre, d’une part, les facteurs Police et la perception de la qualité de la preuve et, d’autre part, entre les facteurs Police et le fait de recourir ou non aux services d’un avocat.

Figure 1

Profils de processus décisionnels de confession et de non-confession à l’aide d’analyses d’arbres décisionnels CHAID

Profils de processus décisionnels de confession et de non-confession à l’aide d’analyses d’arbres décisionnels CHAID

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Plus particulièrement, les analyses effectuées permettent de mettre en lumière quatre profils de facteurs décisionnels différents : deux profils conduisant à une probabilité de confession plus élevée et deux profils conduisant, au contraire, à une probabilité plus élevée de non-confession. Sur la base de ces quatre profils, il est possible de constater d’un côté que, selon leur perception de l’importance de la preuve retenue contre eux, les suspects qui ont mentionné que la Police/leur rapport avec les policiers n’avait joué qu’un rôle limité dans leur décision présentaient une probabilité de passer aux aveux variant de 53,5 % (preuve faible/assez faible) à 80,3 % (preuve forte/assez forte). D’un autre côté, selon leur recours ou non à un avocat, les suspects qui ont mentionné que la Police/leur rapport avec les policiers avait joué un rôle important dans leur décision présentaient une probabilité de confession très faible variant de 13,5 % (recours à un avocat) à 36,8 % (non-recours à un avocat). Il est possible d’avancer que les suspects qui mentionnaient que la Police/leur rapport avec les policiers avait eu assez ou pas du tout à voir avec leur décision finale et qui considéraient la preuve détenue contre eux comme importante étaient les plus susceptibles de confesser durant l’interrogatoire (80,3 %). Au contraire, de façon encore plus marquée, les suspects qui rapportaient que la police/leur rapport avec la police avait énormément joué un rôle dans leur prise de décision et qui avaient recouru aux services d’un avocat étaient les plus susceptibles de ne pas confesser leur crime (86,5 %). Le modèle obtenu permet de classer correctement 72,7 % des non-confesseurs et 76,0 % des confesseurs, pour un pourcentage de bonne classification total de 74,2 %. Le coefficient d’aire sous la courbe ROC pour ce modèle final est de 0,80 (ÉT = 0,03 ; 95 % C.I. = 0,74 – 0,86), ce qui laisse sous-entendre une bonne prédiction de la confession en contexte d’interrogatoire policier.

Discussion

À la suite des analyses effectuées dans le cadre de la présente étude, il est possible de mettre en lumière quatre résultats principaux. Premièrement, les facteurs individuels et délictuels analysés se sont révélés avoir une influence très limitée sur la décision d’avouer ou non lors des interrogatoires de police. En fait, en dehors de la gravité du crime pour lequel les suspects furent arrêtés, interrogés et reconnus coupables, les facteurs situationnels et cognitifs en jeu pendant l’interrogatoire sont les seuls facteurs significativement associés à la décision finale du suspect de confesser ou non son crime. Ces résultats sont concordants avec ceux des études antérieures qui, de façon générale, indiquent que la décision de confesser ou non est prise indépendamment des caractéristiques sociodémographiques chez les suspects adultes et que les facteurs contextuels et ceux qui sont en place précisément lors de l’interrogatoire pèsent le plus lourdement dans la balance décisionnelle (voir St-Yves et Deslauriers-Varin, 2009). Ces facteurs situationnels (c.-à-d. qualité de la preuve et recours à un avocat), non sans surprise, ont déjà, à maintes reprises, été identifiés comme les plus déterminants dans la décision de confesser ou non le crime reproché (p. ex. : Brimbal et Luke, 2019 ; Leo, 1996 ; Moston et Engelberg, 2011 ; Snook et al., 2015). Le poids important des facteurs situationnels et cognitifs/justificatifs rappelle aussi, comme il est soulevé par Gudjonsson et Petursson (1991), que l’interrogatoire policier est beaucoup plus influencé par la perception de l’individu que par la réalité. Les facteurs subjectifs, tels que les éléments reliés à ce que l’individu perçoit et croit comme probable, influencent la décision prise lors de l’interrogatoire de façon plus importante que les probabilités objectives de ce qui arrivera réellement.

Deuxièmement, en lien avec le résultat précédent, les facteurs justifiant la prise de décision des suspects de confesser ou non leur crime lors de l’interrogatoire, et analysés dans la présente étude, apportent un élément nouveau afin de mieux comprendre les processus décisionnels chez les suspects. Il est bon de rappeler que ces facteurs furent très peu explorés jusqu’à présent et que très peu d’études sur la (non-)confession sont basées sur des données colligées auprès des suspects eux-mêmes. Qui plus est, les résultats de la présente étude, au niveau bivarié, permettent en réalité de mieux comprendre les facteurs justificatifs sous-jacents à la non-confession, chose très peu explorée dans les études empiriques menées jusqu’à présent. Les facteurs justificatifs de la non-confession identifiés dans la présente étude tendent à confirmer au moins trois des obstacles à la confession mis de l’avant par Jayne (1986) et Gudjonsson (2003) : la peur des sanctions légales, la peur des conséquences personnelles concrètes (p. ex. : emploi, salaire) et la perte potentielle de réputation. Cependant, ils mettent aussi en lumière le rôle primordial que jouent certains facteurs et éléments, comme l’ont rapporté les suspects eux-mêmes, qui n’avaient pas été explicitement et empiriquement associés à la non-confession/aux obstacles à la confession dans les modèles antérieurs : par exemple, le rôle des policiers.

À cet égard, et troisièmement, les deux méthodes d’arbres décisionnels utilisées ont déterminé le facteur Police (attitude, méfiance, peur face à celle-ci, pression ressentie de sa part) comme le plus déterminant dans sa décision d’avouer ou non, au-delà de la perception de la force des preuves que la police avait contre lui et du recours à un avocat ; deux facteurs considérés jusqu’ici parmi les plus importants prédicteurs d’une confession (voir St-Yves et Deslauriers-Varin, 2009). Bien que ce résultat ne permette pas de comprendre avec finesse ce qui, dans ce thème Police explique précisément la prise de décision (la peur des policiers et de leur réaction ? La pression ressentie ? La méfiance envers les policiers ?), il est possible d’émettre certaines hypothèses en regard des études antérieures sur le sujet. En effet, les résultats des études récentes menées sur l’interrogatoire et les facteurs explicatifs de la confession mettent par exemple de l’avant que les suspects sont plus portés à avouer et à collaborer avec la police lorsque l’interrogatoire est mené dans un contexte relationnel caractérisé par le respect, l’écoute et l’empathie (p. ex. : Kebbell et al., 2010 ; Snook et al., 2015 ; St-Yves et Kebbell, 2018 ; St-Yves et Meissner, 2014 ; Wachi et al., 2014 ; Westera et Kebbell, 2014), plutôt que par la domination, l’humiliation et l’affrontement (p. ex. : Alison et al., 2013 ; Holmberg et Christianson, 2002). Qui plus est, en procédant avec empathie et respect, les risques de faux aveux, problème potentiellement important lors des interrogatoires policiers (voir Deslauriers-Varin, Bennell et Bergeron, 2018) semblent aussi limités (p. ex. : Narchet, Meissner et Russano, 2011). Les résultats de la présence étude mettent ainsi potentiellement en exergue la dimension relationnelle de l’interrogatoire et l’importance de développer un rapport ou une relation positive avec le suspect durant celui-ci. L’établissement d’un bon rapport avec l’interviewé, qui sera ainsi moins méfiant et dérangé par l’attitude des policiers à son égard, aura une incidence positive non seulement sur le déroulement de l’interrogatoire, mais aussi sur son résultat (voir Abbe et Brandon, 2013 ; Holmberg et Christianson, 2002 ; St-Yves, 2014 ; Vanderhallen, Vervaeke et Holmberg, 2011 ; Wachi et al., 2018). Tel qu’il est mentionné par St-Yves et Deslauriers-Varin (2019), construire une bonne relation avec le suspect, c’est être attentif à ses besoins et prendre le temps nécessaire pour qu’un climat de confiance et de confidences s’établisse. Cela favorise ainsi la communication et rend la quête d’informations plus facile. De la même façon, le recours à des stratégies précises qui favorisent l’établissement d’une relation de confiance entre l’enquêteur et le suspect (telles que l’utilisation de questions ouvertes, la démonstration d’empathie), plutôt qu’à des techniques coercitives et accusatrices, augmenteront les chances d’obtenir la collaboration du suspect et l’obtention d’informations incriminantes ou contributives à l’enquête (Goodman-Delahunty et Martschuk, 2018 ; Leahy-Harland et Bull, 2017 ; Meissner et al., 2014 ; Soukara et al., 2009). Bien que ce résultat ne soit pas surprenant et que le rôle de la police et l’importance du rapport positif entre policiers et suspects aient été mis de l’avant par les études antérieures, les analyses effectuées dans le cadre de la présente étude permettent non seulement de souligner l’importance de ce facteur, mais aussi, pour la première fois, de mettre en exergue le rôle de première place que jouent les policiers dans le processus décisionnel du suspect. À la manière de certains corps policiers au Québec et ailleurs dans le monde (St-Yves, 2014), cette pratique du développement d’un rapport positif et empathique avec le suspect devrait être d’autant plus encouragée et une formation, pour tout corps policier, devrait être disponible sur la manière de développer un tel rapport positif avec le suspect. En effet, bien que dans la plupart des corps policiers du Québec ou du Royaume-Uni cette pratique soit déjà répandue, ce n’est pas nécessairement le cas pour les corps policiers des autres provinces canadiennes ou ailleurs dans le monde (particulièrement aux États-Unis) où l’on recense encore parfois une forte adhérence au modèle d’interrogatoire Reid et aux pratiques d’interrogatoire parfois questionnables (voir Snook et al., 2020).

Finalement, et objectif essentiel de la présente étude, les analyses d’arbres décisionnels effectuées ont permis d’identifier des effets d’interaction et de mettre en valeur des profils et combinaisons de facteurs décisionnels très spécifiques. Plus précisément, trois facteurs contextuels ont été identifiés comme des facteurs décisifs dans la décision du suspect d’avouer ou non et, sur la base de ces facteurs combinés, quatre profils décisionnels différents conduisant soit à une probabilité plus élevée d’aveux (2 profils), soit à une probabilité plus élevée de non-confession (2 profils), ont été trouvés. En d’autres mots, et en lien avec les points précédemment discutés, des profils décisionnels différents furent observés afin d’expliquer, d’un côté, la confession et, de l’autre, la non-confession.

Du côté des non-confesseurs, il est possible de croire qu’une perception négative des policiers et le sentiment de méfiance et de pression que peut ressentir le suspect auront pour effet de le pousser à consulter un avocat afin d’assurer sa défense. À cet égard, les études empiriques antérieures ont unanimement constaté que les suspects qui demandent à consulter un avocat sont beaucoup moins susceptibles de confesser le crime reproché lors des interrogatoires policiers (p. ex. : Leo, 1996 ; Moston et al., 1992 ; Pearse et al., 1998 ; Phillips et Brown, 1998). La présence d’un avocat serait en fait, selon certaines études, le meilleur facteur pour prédire la non-confession du suspect en contexte d’interrogatoire policier (p. ex. : Gudjonsson, 2003 ; Pearse et al., 1998 ; Phillips et Brown, 1998). Cela peut s’expliquer par le simple fait que les avocats ont tendance à recommander à leurs clients de ne pas collaborer avec les enquêteurs de police afin d’éviter de faire des déclarations incriminantes, et ce, peu importe leur culpabilité réelle ou non.

Du côté des confesseurs, les résultats rappellent l’importance de la perception de la qualité de la preuve qu’aura le suspect. Ici encore, la perception du suspect de l’importance des preuves détenues contre lui a été soulignée à maintes reprises comme l’un des prédicteurs les plus importants de la confession (p. ex. : Brimbal et Luke, 2019 ; Leo, 1996 ; Moston et Engelberg, 2011 ; Gudjonsson et Petursson, 1991), ce qui explique d’ailleurs que les études plus récentes s’efforcent justement de mieux comprendre son rôle et de parfaire les connaissances empiriques à ce sujet (p. ex. : Clemens et al., 2020 ; Sandham et al., 2020). L’explication est encore une fois simple : lorsque les preuves semblent importantes, rien ne sert de nier et le suspect peut ainsi déterminer qu’il aura plus à gagner en collaborant avec les policiers et enquêteurs. Il est ainsi raisonnable de supposer que les stratégies et les capacités de l’enquêteur à convaincre le suspect, sur la base des preuves possédées contre lui, d’avouer son crime font partie intégrante du résultat de l’interrogatoire. À la vue de ce résultat, il pourrait paraître opportun de profiter du rôle pilier que joue la preuve. Comme mentionné dans les études antérieures sur le sujet, ce résultat soulève ainsi des préoccupations importantes quant à la façon de recourir et d’utiliser la preuve, de même qu’à la manipulation possible des preuves par les enquêteurs lors de l’interrogatoire des suspects ; une pratique controversée et encore légalement autorisée aux États-Unis, notamment (voir, entre autres, Khasin, 2009). Plus précisément, en modifiant, manipulant ou en gonflant les preuves, des faux aveux pourraient être plus susceptibles de se produire, particulièrement auprès de suspects plus vulnérables (p. ex. : sans expérience préalable du système de justice pénale, qui manquent de soutien social, qui n’invoquent pas leur droit légal de consulter un avocat ; voir Blair [2006] et les travaux de Kassin sur le sujet). Les interrogateurs de la police doivent ainsi être prudents face à cette possibilité d’influencer indûment, de façon volontaire ou non, la perception des preuves qu’aura le suspect et, donc, sa décision « éclairée » de confesser son crime. Les études récentes se penchant justement sur la façon dont la preuve est divulguée, au cours de l’interrogatoire, et sur l’influence de cette divulgation (p. ex. : Clemens et al., 2020 ; Granhag et al., 2013), peuvent ici être un bon outil pour sensibiliser les interrogateurs à ce sujet. Le développement d’un rapport positif avec le suspect, combiné avec des preuves solides présentées de façon stratégique tout au long de l’interrogatoire, crée donc le contexte le plus propice à l’obtention d’une confession et d’une collaboration de la part du suspect.

Limites

La présente étude n’est pas sans limites méthodologiques. Dans un premier temps, il est bon de rappeler les problèmes de surajustement (overfitting) associés aux analyses d’arbres décisionnels (c.-à-d. que l’arbre/le modèle ne commet aucune erreur sur l’échantillon utilisé pour son développement puisqu’il en épouse toutes les caractéristiques, mais qu’il n’est ainsi pas généralisable à un autre échantillon). Afin de remédier à cette situation, il est généralement recommandé de procéder à un partitionnement de l’échantillon total afin d’obtenir un échantillon d’apprentissage et souvent plusieurs autres pour des fins de validation. Toutefois, l’objectif principal de la présente étude n’était pas de proposer un modèle décisionnel de l’interrogatoire, mais bien plutôt de mettre en valeur l’apport des analyses d’arbres décisionnels pour faire l’analyse du processus décisionnel en contexte d’interrogatoire. Cet article est donc surtout de nature méthodologique dans son apport aux connaissances actuelles. Cette nuance semble importante puisque la nécessité ou l’apport de recourir à cet exercice de partitionnement et de validation des modèles obtenus n’apparaissent ainsi donc pas primordiaux et ne remettent pas en question l’objectif de la présente étude. Qui plus est, considérant l’échantillon restreint, il s’avérait peu réaliste de faire appel à une telle procédure. C’est d’ailleurs afin de compenser pour cette possibilité de surajustement des données, malgré la taille de l’échantillon, que l’algorithme C&RT a aussi été utilisé, produisant des résultats similaires.

Il faut également mentionner que la présente étude est de nature rétrospective et transversale et que, par conséquent, les informations autorévélées peuvent être biaisées. En effet, puisque les détenus répondent eux-mêmes aux questionnaires, les informations obtenues sont tirées de leurs souvenirs et perceptions propres face à l’interrogatoire passé et font donc appel à leur mémoire et à leur vécu. Or, la mémoire pouvant jouer des tours, il a peut-être été difficile pour certains participants de se souvenir parfaitement des raisons ayant influencé leur prise de décision (p. ex. : Sigurdsson et Gudjonsson, 1994)[10]. Cependant, puisque l’étude a été effectuée auprès d’individus nouvellement incarcérés, il est possible de croire que ce biais de mémoire potentiel a pu être limité. De plus, les données autorévélées ont été corroborées à l’aide des données officielles du dossier correctionnel du détenu et cette étape de corroboration suggère une bonne fidélité des données autorévélées amassées. En outre, la prévalence ou la possibilité de condamnations à tort n’a pas été examinée dans le cadre de cette étude, puisque cette problématique, bien qu’importante, ne faisait pas partie de la visée de cet article. Cependant, sans prétendre que des condamnations à tort n’étaient pas chose possible dans l’échantillon ciblé, il faut garder en tête que, contrairement à la majorité des études antérieures sur le sujet, les individus ayant participé à la présente étude ont tous été reconnus coupables et condamnés à une peine fédérale (deux ans et plus) dans un pénitencier canadien (plutôt que par l’analyse d’un échantillon d’interrogatoires policiers pour lesquels la culpabilité du suspect n’a pas encore nécessairement été reconnue formellement). Il est donc possible de croire que le potentiel de condamnation à tort est ainsi limité. Qui plus est, bien que certains de ces individus n’aient pas confessé leur crime, ils ont tout de même été reconnus coupables des gestes reprochés. Il est ainsi possible de croire que les preuves possédées contre eux étaient assez importantes et solides pour permettre la reconnaissance de culpabilité, même sans la présence d’une confession. Dans un même ordre d’idées, puisque l’étude est basée sur un échantillon qui comprend exclusivement des détenus fédéraux, la présente étude porte ainsi exclusivement sur des suspects qui ont été arrêtés, reconnus coupables et condamnés à une peine d’incarcération fédérale ; généralement des (multi)récidivistes ou des individus ayant commis un délit de gravité supérieure à la moyenne.

Dans un autre ordre d’idées, il est important de mettre en lumière qu’afin de pouvoir comparer les facteurs justificatifs mentionnés par les confesseurs et les non-confesseurs dans le cadre de cette étude, il a été nécessaire de procéder à l’agrégation des items par thèmes. Bien que cela n’enlève rien à l’objectif de cette étude particulière (soit mettre en valeur l’approche par arbres décisionnels), les résultats quant à l’influence de certains facteurs justificatifs n’ont donc pas pu être discutés avec précision et finesse afin de mieux comprendre leurs rouages et leur influence. L’étude ne permet donc pas, par exemple, de déterminer l’influence particulière de la perception préalable qu’avait l’individu de la police sur sa décision de confesser son crime et de collaborer avec elle lors de l’interrogatoire. Finalement, la présente étude n’a pas analysé l’influence des techniques utilisées par l’intervieweur pendant l’interrogatoire et destinées à obtenir une confession du suspect, ce qui pourrait expliquer le pourcentage de bonne classification du modèle avoisinant les 75 %. En effet, dans la lignée des études plus récentes, et considérant le rôle important que semblent jouer certaines techniques d’interrogatoire (p. ex. : Goodman-Delahunty et Martschuk, 2018 ; Leahy-Harland et Bull, 2017 ; Soukara et Bull, 2009), en analyser plus en détail leur poids dans le processus décisionnel des suspects, en questionnant directement ces derniers, pourrait s’avérer pertinent afin de mieux détailler les profils de combinaisons de facteurs en place lors de l’interrogatoire policier.

Conclusion

Les études antérieures ont majoritairement examiné les facteurs associés à la confession d’un suspect en contexte d’interrogatoire en utilisant une approche « par variable », négligeant ainsi la présence et l’importance de combinaisons de facteurs pouvant expliquer la confession ou la non-confession d’un suspect. La présente étude visait ainsi à combler cette lacune en examinant les avantages d’une approche « profil », à l’aide des analyses d’arbres décisionnels, pour analyser les facteurs explicatifs de la (non-)confession en contexte d’interrogatoire. Ce faisant, elle a permis d’identifier des combinaisons de facteurs décisionnels spécifiques conduisant soit à une probabilité plus élevée de non-confession, soit à une probabilité plus élevée de confession. Grâce à ces analyses, la hiérarchisation des facteurs explicatifs a permis de mieux comprendre le poids particulier qu’ont certains de ces facteurs explicatifs dans le processus décisionnel, ce qui apparaît d’autant plus pertinent et bénéfique dans le domaine de l’interrogatoire policier et de la confession. En plus de ces profils identifiés, la présente étude a ainsi également permis de souligner l’importance marquée des facteurs contextuels et cognitifs dans la décision du suspect de confesser ou non, mais aussi le rôle pivot de la police et des enquêteurs lors de l’interrogatoire (perception négative, méfiance, notamment) comme élément clé du déroulement et du dénouement de l’interrogatoire. Les conclusions de l’étude actuelle mettent ainsi en doute certaines techniques d’interrogatoire utilisées pour obtenir des aveux, qui peuvent en fait être contre-productives et conduire à la décision du suspect de ne pas avouer ou de vouloir consulter un avocat. En regard des études antérieures, une attitude plus positive du suspect envers les policiers, et des policiers envers le suspect, combinée avec des preuves importantes, sont plus susceptibles de créer un contexte propice à la collaboration et à la confession. Ces résultats soulignent et rappellent l’importance de l’enquête et de l’étape de préparation à l’interrogatoire pour l’accumulation de preuves fiables et solides contre le suspect, de même que l’intérêt de présenter ces preuves en tant que telles à ce dernier. Ils renforcent aussi l’importance du rôle qu’ont à jouer les policiers lors de l’interrogatoire et de la nécessité qu’ils soient conscientisés de l’influence majeure, positive ou négative qu’ils auront sur le déroulement et le dénouement de l’interrogatoire.