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Le présent ouvrage est le résultat d’une thèse de doctorat en théologie catholique de l’Université de Strasbourg soutenue en 2015. Ce travail, qui a reçu le prix de la Fondation de l’Université de Strasbourg, propose une articulation entre théologie et politique. Il se donne aussi comme objectif de saisir la relation entre l’Église et le politique en Afrique. En diagnostiquant l’échec du politique sur le continent africain, l’ouvrage affirme la nécessité d’une oeuvre sotériologique, d’où la contribution de l’Église. Autrement dit, comment faire en sorte que l’apport de l’Église soit une alternative digne de ce nom ? La réponse à une telle question passe par le repositionnement de « la décision théologique aux aurores de la modernité politique » (p. 22). Pour ce faire, plusieurs théories sont mises à contribution : les subaltern studies, la théologie moderne et la radical orthodoxy.

L’ouvrage est organisé autour de quatre parties de deux chapitres chacune. Dans un premier temps, l’auteur aborde les héritages politiques de l’empire colonial en mettant en exergue, à partir de l’exemple togolais, les conditions qui ont présidé à l’entrée des colonies dans la modernité. Il établit en plus les échecs successifs des rhétoriques de parti unique, d’unité nationale, de nationalisation, de révolution et d’impérialisme, symptomatiques de l’impasse des politiques développementalistes des États africains. Par la suite, l’héritage théologique et politique de l’Église est scruté. En prônant à tous vents une séparation entre le domaine de César et celui de la religion, on en arrive à une situation où César, non content de s’assurer du contrôle de sa chasse gardée, s’arroge un droit d’ingérence dans les affaires de l’Église. En troisième lieu, les tenants et aboutissants de sa théologie politique, définie comme une sortie de l’Église du confinement à elle imposée par « la philosophie politique, la théologie et la culture modernes » (p. 182), sont précisés en termes de dé-construction puis de re-construction. Dit autrement, il faut céder à César « sa religion », afin de prôner un christianisme sorti de la religion. Pour ce faire, il préconise une Église pleinement consciente du statut public de sa parole qui s’adresse à Dieu, d’où cette mise en relation entre le liturgique et le politique. Enfin, l’auteur envisage le récit propre de l’Église en tant que corps politique. Faisant ainsi, il adopte une double approche dans laquelle il saisit le politique autrement non sans le critiquer. C’est le paradigme liturgique qui lui sert de référence dans sa démarche de dé-coloniser le politique et de donner plus d’égards aux « manières alternatives de faire politique » (p. 439) par rapport à l’État.

Afin d’illustrer sa réflexion théologique, un dialogue est effectué avec certains auteurs littéraires africains comme Ousmane Sembène et Ferdinand Oyono qui ont su saisir le vécu quotidien des masses africaines. Il est intéressant de voir comment les figures de « Dieng » et « Méka » gardent encore aujourd’hui toute leur pertinence. Tandis que l’itinéraire de « Dieng » sert à illustrer la faillite de l’État africain post-colonial, celui de « Méka » est symptomatique de l’absence de lisibilité du message de l’Église dont la théologie est parfois dictée par les desiderata de l’État. Ces deux figures sont au coeur d’États africains et d’une Église africaine en quête de crédibilité.

En envisageant le rôle de l’Église en des termes politiques, on pourrait percevoir une vision novatrice de la théologie politique en Afrique. Quant à l’exemple togolais dont il se sert, on ressent chez lui un détachement, une distance, sinon une certaine ouverture, qui confèrent à son travail une audience plus large. Il ne s’agit en aucune manière d’une étude de cas. En plus, l’ouvrage s’appuie sur des références théoriques, méthodologiques et théologiques peu utilisées dans les théologies africaines. C’est une manière singulière d’aborder la théologie africaine, ce qui rompt avec les barrières parfois entretenues entre les théologies africaines et les théologies occidentales. Cette démarche est certes originale, mais ne fallait-il pas ancrer cette contribution théologique dans l’existant des théologies africaines afin de proposer une nouvelle théologie politique africaine à la lumière de ces appropriations théoriques ? Cette contribution est abondante en références ; mais on peut regretter qu’une contribution théologique de cette envergure n’inclut pas de bibliographie.