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Dans cet ouvrage, Girard et Brisson tentent de comprendre comment les identités se créent et se pérennisent dans un contexte de métissage culturel caractérisé par divers échanges entre les nations autochtones et les autres Canadiens ou Québécois.

L’ouvrage se décline en quatre parties. La première se concentre sur la politique d’alliance et de création des seigneuries mises en place sous le régime français et met l’emphase sur une alliance réalisée en 1603 par Samuel de Champlain et le lieutenant Gravé Du Pont avec les nations innues et leurs alliés à la pointe Saint-Mathieu (aujourd’hui la pointe aux Alouettes), à proximité de Tadoussac. La deuxième partie est consacrée au régime anglais jusqu’à la Loi des Indiens, soit de 1760 à 1876. Girard et Brisson font remarquer que la Proclamation royale de 1763 (laquelle introduit une nouvelle répartition géographique du territoire indien québécois) semble reconnaître les droits des peuples autochtones au Canada et qu’elle s’inscrit ainsi dans le sillon de l’Alliance de 1603. La Proclamation se présenterait ainsi comme l’assise de la politique de reconnaissance des droits des peuples autochtones par la Couronne anglaise.

Cependant, l’Acte de Québec de 1774, de même que l’Acte constitutionnel de 1791, demeurent muets sur le sort des peuples autochtones. C’est avec « l’Acte des Sauvages », ou la « Loi concernant les Sauvages » de 1876 que culmine ce mouvement : le territoire indien est usurpé par les gouvernements, des réserves exclusives (de juridiction fédérale) sont créées et un statut indien est mis en place. Les auteurs comparent les Lois des Indiens de 1850 à 1876 aux Codes Noirs qui régissaient les esclaves dans les colonies espagnoles des Caraïbes et de Louisiane :  l’Indien est considéré par la loi canadienne comme un individu mineur et sa vie est codifiée du berceau au tombeau.

La troisième partie de l’ouvrage présente l’idée qu’on assiste, à partir des années 1850, à une nouvelle politique indienne venant limiter l’accès au territoire et aux ressources. En effet, les auteurs mentionnent qu’au coeur du projet de bâtir un pays, les Canadiens anglais et français mettent l’emphase, à partir des années 1850, sur une législation qui fait la démonstration d’une vision de « l’indien comme être primitif » dans le but de justifier la mise en place d’une politique indienne discriminatoire. Il s’agit dorénavant de « qualifier pour disqualifier » les peuples autochtones. Dans la foulée de la Révolution tranquille, certains progrès en ce qui a trait aux peuples autochtones sont cependant notables, bien que lents. En 1973, la Cour supérieure du Québec reconnaît des droits aux Cris et aux Inuits et ordonne ainsi la suspension des travaux sur les chantiers hydroélectriques, ouvrant alors le chemin aux négociations et à la mise en place de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1975.

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage traite essentiellement de l’Alliance autochtone du Québec (AAQ). L’AAQ rassemble des personnes d’ascendance autochtone (soit des individus considérés « indiens sans statut » et inuits) dans le but de faire la promotion et la représentation de leurs intérêts. Les 42 bureaux locaux de l’AAQ disséminés dans diverses localités du Québec mettent en évidence l’étendue spatiale de la présence des indiens sans statut au Québec.

La force de cet ouvrage réside dans son accessibilité et sa clarté. Quiconque souhaite comprendre la réalité des peuples autochtones d’aujourd’hui trouvera dans la recherche de Girard et Brisson une perspective éclairante. L’ouvrage fait la lumière sur des événements clés et présente différents documents officiels qui démontrent la formation d’un discours participant à l’exclusion de ces peuples. L’importance accordée à la façon dont on qualifie les peuples autochtones enrichit l’ouvrage : les mots choisis pour définir « l’Autre » illustrent le positionnement à l’égard de ce dernier. Une telle approche permet de saisir l’évolution de la perception des peuples autochtones et les politiques associées à cette perception tant par la couronne française que britannique. Cependant, alors que la perspective autochtone quant à la relation entretenue avec le « Blanc » est présentée, il aurait été souhaitable que celle-ci soit davantage creusée pour permettre au lecteur de saisir plus profondément l’idée de coexistence de deux mondes évoluant parallèlement.

Certains éléments auraient gagné à être approchés davantage, notamment la Grande Paix de Montréal de 1701, qui est à peine abordée. Il aurait été également pertinent de traiter l’épisode des pensionnats autochtones. L’ouvrage de Girard et Brisson mérite une attention particulière pour qui souhaite remonter le fil de l’histoire quant à la relation entre les peuples autochtones et les autres Canadiens ou Québécois de 1603 à aujourd’hui. Le prisme proposé par les auteurs confère une perspective nuancée sur l’histoire tout en appuyant l’idée d’exclusion des peuples autochtones. Voilà une recherche nécessaire ouvrant la porte à la réflexion et appelée à s’inscrire dans le temps.