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Cette étude constitue le volume 36 de la collection « Ce que la Bible dit sur… », de la maison d’édition catholique française Nouvelle Cité, à la suite d’autres déjà parus portant par exemple sur Anges et démons (no 1), La violence (no 13), Le travail (no 35). Ce sont des livres brefs destinés au grand public, tous divisés en douze chapitres devant donner une idée de ce que dit la Bible, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, sur des thèmes particulièrement pertinents aujourd’hui.

Le bibliste Michel Quesnel était bien préparé pour un tel travail puisqu’il a consacré sa vie à l’enseignement de la Bible, particulièrement du Nouveau Testament, dans des institutions universitaires catholiques françaises. Il a d’ailleurs publié récemment un important et savant commentaire sur la première épître aux Corinthiens[1], après avoir rédigé de nombreux ouvrages de vulgarisation visant à mieux faire connaître la Bible à un vaste public[2].

Ce court volume ne peut épuiser la notion de la souffrance dans la Bible, question qui hante la conscience du monde contemporain. L’auteur lance avant tout le débat en s’appuyant sur de nombreuses citations bibliques, souvent assez longues, et établit quelques distinctions destinées à éviter les pièges d’une approche superficielle de l’Écriture ou d’une lecture faite sous l’angle d’un prisme religieux déformant comme le dolorisme, associée spécialement au XIXe siècle, pas si loin de nous. Ainsi par exemple distingue-t-il dès l’introduction entre le « malheur », mentionné 320 fois dans la Bible, et la « souffrance » mentionnée 77 fois.

MQ présente bien l’évolution de la représentation biblique de la souffrance, en soulignant qu’il faut rejeter l’idée marcionite d’un Dieu de colère de l’Ancien Testament qui s’opposerait au Dieu d’amour du Nouveau (p. 32-33 et p. 109) ; il insiste même sur le fait que les plus graves, les « souffrances célestes » et éternelles, sont principalement évoquées dans le Nouveau Testament (p. 109).

Retraçant une évolution d’ordre chronologique, les premiers chapitres portent sur le témoignage de l’Ancien Testament où l’on passe graduellement d’une souffrance collective et nationale, centrée sur le peuple d’Israël et le péché des ancêtres, à une souffrance et une responsabilité individuelles chez Jérémie et Ezéchiel, puis au malheur innocent chez Job et au martyre des frères Maccabées au IIe siècle avant Jésus Christ. On en arrive à comprendre que Dieu seul sauve du malheur par ses délégués, notamment Josué, qui porte le même nom hébreu que Jésus : Yeshoua’, « le Seigneur sauve » (p. 75).

Les derniers chapitres portent davantage sur le Nouveau Testament et l’auteur va un peu plus en profondeur et devient d’autant plus pertinent. Il montre que les souffrances peuvent être des « voies privilégiées de salut » (chapitre 9), comme on le voit dans le martyre des premiers disciples du Christ, Étienne et Jacques par exemple. Au chapitre 11, il s’attaque à la question de la plus grande des souffrances : celle, éternelle, de l’enfer. Jésus, note-t-il, parle en « paraboles inquiétantes » de la Géhenne et la fresque du jugement chez Matthieu n’est pas moins terrifiante, elle qui, à l’instar du livre de Sophonie, a pu inspirer des séquences liturgiques comme le Dies irae : « Allez-vous-en loin de moi, maudits, au feu éternel préparé pour le diable et ses anges. » (Mt 25,41) Il oppose cependant à la vision matthéenne la conception paulinienne d’une récapitulation de la création, sorte de salut universel – pouvant tourner éventuellement en apocatastase origénienne – qu’il croit percevoir dans la première épître aux Corinthiens : « comme tous meurent en Adam, en Christ tous recevront la vie (…) Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort » (1 Co 15,22.26). Il soutient que « le diable et ses anges » (Mt 25,41) seront justement anéantis à la fin des temps, donnant l’espérance d’une totale réconciliation finale.

Cette dernière question mériterait bien des précisions et des débats ; elle pourrait constituer une quaestio disputata aux multiples arguments. L’auteur ne peut qu’esquisser une solution provisoire que le caractère limité de la collection ne permet pas d’élaborer. C’est un aspect assez désagréable du livre, qui ne signale que les références à la Bible, sans autres indications d’ordre bibliographique, comme celles qui, à la fin du volume ou des différents chapitres, auraient facilité l’approfondissement de plusieurs questions tranchées un peu rapidement par l’auteur.

Oeuvre d’un bon pédagogue possédant la maîtrise de la matière, surtout sous l’aspect néotestamentaire, cette étude, qui ne verse aucunement dans le jargon exégétique, pourrait être utile pour une première approche de la question de la souffrance et servir par exemple d’ouvrage de référence pour des groupes d’études bibliques.