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La fermeture de quelques facultés de théologie au Québec n’est pas sans effet sur la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Dans le cadre de cet essai, on me demande de dire brièvement comment les déplacements survenus dans les différents centres de théologie du Québec ont interpellé la Faculté de théologie et de sciences religieuses dans son projet théologique. Plus précisément, on me demande ce que cette conjoncture implique pour notre projet théologique. Quels sont les effets tantôt positifs, tantôt négatifs, de la recomposition survenue ? Les risques, défis et opportunités qui se présentent ? Finalement, on me demande si la théologie est appelée à se déplacer, se transformer, à court, moyen ou long terme. Comment l’équipe de notre institution aborde-t-elle ces questions, le cas échéant ? Je ne répondrai pas de manière détaillée et complète à chacune des questions que l’on m’a soumises, mais elles constitueront l’inspiration sous-jacente à ma réflexion.

Je commencerai par dire que, contrairement à ce que l’on peut croire, la fermeture de facultés de théologie n’est jamais une bonne nouvelle pour les facultés qui demeurent. On pourrait croire qu’une certaine rationalisation dans l’offre a un effet positif en regroupant les étudiants dans les centres qui tiennent. Cette lecture me semble beaucoup trop à courte vue, se fixant sur la question de la répartition des étudiants dans une offre qui s’élargit ou se restreint. Or, il me semble qu’il ne suffit pas d’examiner la circulation des étudiants entre les institutions qui offrent des formations en théologie. Il faut surtout considérer la diminution de la demande de certaines formations et le rétrécissement de l’espace occupé par la discipline théologique au Québec. En d’autres termes, il ne suffit pas de se demander comment on répartit entre les facultés les étudiants qui souhaitent une formation théologique. Il faut surtout regarder la place qu’occupe la discipline théologique dans les universités. Le problème capital est la faiblesse de la demande d’une certaine formation théologique actuellement au Québec, le déplacement ou l’évolution de la demande et la diversification de la demande. C’est à cela que j’accorde le plus d’importance et ce sont ces éléments que j’interroge quand il s’agit de penser le devenir de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. En d’autres termes, son projet théologique n’est pas déterminé par ce qui arrive de bon ou de moins bon aux autres, mais par les demandes qui nous sont faites de la part de personnes ou de groupes qui attendent de notre part une formation en théologie. J’y reviendrai après avoir présenté ce qui m’apparaît être l’effet global le plus clairement manifeste à ce jour de la disparition des facultés de théologie au Québec.

I. L’effet global sur la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval de la fermeture de facultés de théologie au Québec

L’effet global de la fermeture de facultés de théologie au Québec est d’affaiblir la discipline et non d’augmenter la fréquentation des centres qui ont tenu, ce dernier effet étant vraiment marginal puisqu’il y a peu de transferts d’étudiants en provenance d’autres centres vers notre Faculté. L’affaiblissement de la discipline comporte principalement deux volets : le fait de ne plus avoir de partenaires ou d’interlocuteurs au Québec et le fait de nous rendre plus vulnérable en face des partisans de la disparition de la théologie au Québec. Je traiterai de ces deux aspects qui sont bien ressentis.

1. Le manque d’interlocuteurs

De manière à illustrer mon propos par un cas concret, je réfléchirai à partir d’un exemple que je connais bien, la théologie pratique. À mon sens, dans l’univers de la théologie postconciliaire de la francophonie canadienne, la théologie pratique occupe une place à part. On peut affirmer, sans mépriser les évolutions que connaissent également les autres disciplines de la théologie (exégèse, théologie systématique, théologie morale, etc.), que son développement est sans équivalent. Sur le plan international, la théologie pratique francophone canadienne a fourni une contribution importante et s’est imposée. Tout cela a reposé sur des équipes fournies et solides dans plusieurs centres universitaires, en particulier, mais pas seulement, à Québec, Montréal et Ottawa. Ce développement exceptionnel a reposé également sur des interactions importantes entre les membres de ces équipes. Cette collaboration interuniversitaire s’est cristallisée dans la création du Groupe de recherche en études pastorales (GREP) en 1983. Ce collectif réunissait chaque année théologiens canadiens et étrangers[1] intéressés à la théologie pratique jusqu’en 1994[2]. La mise en réseau des chercheurs et des institutions permettait à la réflexion de s’affiner et nourrissait les participants. Pas étonnant que ce soit à Québec, en 1991, qu’ait pris naissance l’idée de fonder la Société internationale de théologie pratique (1992).

Stimulées par ces collaborations, ces équipes formuleront des projets originaux et audacieux, notamment le projet de praxéologie pastorale à Montréal[3] et le projet de théologie pratique à Québec[4]. Il faudrait ajouter trois autres centres, Chicoutimi, Sherbrooke et Trois-Rivières. En effet, ces groupes développent d’importants projets de recherche subventionnée[5] et mettent sur pied trois collections : les « Cahiers d’études pastorales » (Fides et Université de Montréal[6]), « Théologies pratiques » (lancée en 1990 et associée à Novalis à partir de 1995, et qui prend par la suite une envolée internationale), et « Pastorale et vie » (Paulines). À Ottawa (Saint-Paul), un groupe de chercheurs anime la revue Études pastorales/Pastoral Studies[7].

L’importante contribution de la théologie pratique québécoise est manifeste lorsque l’on consulte les Actes du premier congrès de la Société internationale de théologie pratique (Lausanne, 1992)[8]. En tout, 21 Canadiens participent à ce premier congrès, contre 10 Français (Paris, Lyon, Strasbourg), 3 Suisses et 1 Belge[9]. Tel était le portrait de la théologie pratique en 1992. Il est bien différent aujourd’hui.

Rien de cela n’aurait été possible sans la présence d’équipes dans plusieurs centres théologiques au Québec et sans la collaboration entre chercheurs de plusieurs facultés. La fermeture de départements ou de facultés, d’abord ceux rattachés à l’Université du Québec, à Chicoutimi et à Trois-Rivières, ensuite d’autres centres universitaires, à Sherbrooke et à Montréal, a affaibli la discipline et, surtout, elle a réduit les collaborations et la dynamique d’interlocution qui avait permis à la théologie pratique d’émerger. Cela me fait conclure que l’effet global le plus important que l’on ressent à la suite de la fermeture de ces centres, c’est l’affaiblissement de l’effervescence scientifique au Québec dans le domaine de la théologie. Ce n’est pas seulement le cas en théologie pratique. Les sociétés savantes, qu’il s’agisse de l’Association catholique d’études bibliques au Canada (ACÉBAC) ou de la Société canadienne de théologie, ont subi le contrecoup de ces fermetures en série. La seule manière de compenser la perte d’interactions entre collègues de diverses universités a été de développer des relations internationales.

2. La vulnérabilité accrue de la Faculté restante dans une université publique et pluraliste

Quand les centres de théologie tombent les uns après les autres, ceux qui espèrent voir un jour la disparition de la théologie dans les universités publiques du Québec se prennent à rêver. Il n’en reste qu’un, soupirent-ils. Il est indubitable que la réduction de la surface de la théologie dans les universités publiques la rend plus vulnérable, surtout en période de réduction du financement des universités et de discussions sur l’effacement de la religion dans l’espace public. La théologie ne va plus de soi et, devant son retrait progressif, là où elle demeure, on peut plus facilement en venir à se questionner sur sa nécessité ou sur l’opportunité de la conserver. Lorsque les universités manquent de moyens et que toutes les facultés sont aux abois, la tentation est grande, pour une faculté à qui l’on demande des sacrifices, de regarder chez le voisin et de rêver, avec envie, de s’approprier ses moyens. Au caractère idéologique de la lutte contre la théologie dans l’université publique, s’ajoute donc le facteur financier ou les intérêts financiers. Les ressources qu’on y consacre ne pourraient-elles pas être mieux utilisées ailleurs ? Enfin, quand les églises disparaissent et que les paroisses implosent, on finit par croire que, tôt ou tard, ce qui semble un reliquat du passé est appelé à disparaître. La théologie ne peut plus revendiquer son titre de faculté fondatrice d’une université. Liée à la religion, à moins qu’elle ne parvienne à renouveler son projet et à en faire valoir l’actualité, elle risque d’être considérée comme un artefact du passé, plutôt qu’appartenir à un phénomène vivant qui compte encore dans la société.

Je dois dire que les membres de la direction de l’Université Laval, précédente et actuelle, n’ont pas dans leur carton le projet de réduire le nombre des facultés et soutiennent la Faculté de théologie et de sciences religieuses. L’hostilité à l’égard de la théologie ne se perçoit pas dans les différents organismes de l’Université Laval.

II. La fragmentation de la demande

Je reprends maintenant la question de la demande, question qui me semble cruciale. Afin de décloisonner un peu la discussion, je renvoie d’abord au débat récent sur l’avenir de la théologie universitaire aux États-Unis[10]. Bien qu’elle se pratique dans des universités privées, sa situation semble un peu comparable à celle que l’on rencontre au Québec. Selon Michael Hollerich, l’un des protagonistes de cette discussion, même aux États-Unis, que je considère comme un pays où la place de la religion est plus importante qu’au Québec, l’avenir de la théologie universitaire n’est pas assuré. Elle l’est, d’après lui, dans les grandes universités catholiques, comme Boston College ou Notre Dame, et dans les Divinity School des grandes universités publiques non confessionnelles, par exemple Yale, Chicago ou Duke. Toutes les autres facultés, dans les petites universités catholiques (régionales) seraient d’après lui menacées.

Deux facteurs peuvent expliquer selon lui cette situation : l’épuisement d’un type ou d’une forme de théologie qui a émergé dans la foulée du concile Vatican II et dans les années 1960 ; et l’apparition d’une nouvelle génération d’étudiants. Il insiste surtout sur le deuxième facteur, bien que les deux choses aillent ensemble. Il résume ainsi sa pensée : « From the younger generation’s perspective, we can look and sound like generic, dying, irrelevant mainline Protestantism shading toward nothingism. »

Je me demande s’il n’y a pas une évolution symétrique au Québec, en ce sens qu’une forme de théologie, qui a émergé dans les années 1960, dans le sillage de Vatican II et de la Révolution tranquille, est aujourd’hui épuisée et ne parle plus à une nouvelle génération. Globalement, le réseau des facultés de théologie qui se délite aujourd’hui s’est construit dans la foulée de Vatican II, au cours des années 1960-1970. Auparavant, les facultés de théologie existantes (Laval, Montréal et Sherbrooke) étaient des grands séminaires ou des scolasticats magnifiés, et elles étaient inscrites dans des universités catholiques. La réforme des programmes (1967-1968) de théologie exigée par le concile Vatican II, et qui marque la fin d’une forme de théologie, a été conduite à la fin des années 1960 dans ce climat social, culturel et ecclésial effervescent, marqué par la Révolution tranquille et le concile Vatican II. Au même moment émergent les deux grandes universités publiques francophones actuelles (Montréal et Laval) redéfinissant le rapport entre l’Église et l’État, de même que la tutelle de l’Église sur les universités et la théologie. Cette redéfinition se fait grâce à la renaissance d’universités catholiques qui modifient leur statut juridique et deviennent des universités publiques, à charte. Ce mouvement coïncide avec l’arrivée massive de religieuses et des laïques en théologie, la diversification des programmes (notamment en catéchèse et en pastorale, et le développement de programmes de « recyclage »). Enfin, tout cela s’accompagne de la constitution de départements de théologie en région (Chicoutimi, Rimouski et Trois-Rivières), sur le socle des grands séminaires existants, dans le nouveau réseau de l’Université du Québec. Tout cela marque un nouveau départ de l’enseignement de la théologie au Québec et une nouvelle étape de son histoire. À mon sens, c’est cette phase de l’histoire de la théologie au Québec qui s’achève aujourd’hui, processus progressif, à l’oeuvre depuis les quinze dernières années. Depuis cette nouvelle impulsion de la fin des années 1960, on avait poursuivi sur cette lancée en faisant évoluer cette forme de théologie et son orientation, mais sans rupture substantielle ou sans renouvellement en profondeur.

Deux phénomènes peuvent être observés. D’une part, il y a de moins en moins de demandeurs pour cette forme de théologie ou pour de la théologie tout court. Cela tient en partie à un facteur générationnel, comme l’indique Hollerich. Les « nouveaux catholiques » (ou une frange d’entre eux), et souvent leur hiérarchie, peuvent être méfiants à l’égard de cette forme de théologie libérale qui est soupçonnée, souvent sans autre examen et surtout sans distinction, de crypto-protestante et de nihiliste. Je dis, en partie, car il ne faut pas négliger le fait, peut-être plus massif encore, qu’il y a de moins en moins de jeunes catholiques en quête d’une formation théologique. Cela a conduit à une diminution importante des cohortes d’étudiants en théologie. Ce phénomène s’observe, avec des variations naturellement (quant à l’ampleur du phénomène et quant à la périodisation), dans tous les centres de théologie au Québec. Ce phénomène n’est pas nouveau. Il s’est installé progressivement dans l’environnement dans lequel évolue l’enseignement de la théologie au Québec. Cependant, à l’époque où les universités étaient prospères et bien financées, ce phénomène ne parvenait pas à miner les bases des facultés et la forme de théologie développée aux lendemains du concile Vatican II pouvait poursuivre sa route sans être ennuyée.

La situation se complique avec, d’une part, les coupures dans les budgets des universités québécoises et la remise en cause de l’opportunité d’offrir des programmes de théologie dans les universités publiques, phénomène qui arrive à peu près en même temps que l’effondrement de l’Église catholique au Québec[11]. Ces deux phénomènes, concurrents, ont conduit à l’examen des programmes de théologie par la Commission des universités sur les programmes (CUP) de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) en 1997. Mené dans une période de compressions budgétaires, cet exercice avait pour objectif de rationaliser l’offre multiple des formations universitaires en théologie. La CREPUQ croyait que le secteur de la théologie constituait un bon exemple d’un domaine d’enseignement où l’on avait inutilement multiplié les programmes et les institutions de formation[12]. L’enseignement universitaire de la théologie — et on ne trouve pas d’équivalent dans d’autres secteurs — fut donc soumis à une analyse par une sous-commission sectorielle composée des représentants des établissements universitaires qui enseignent dans ce champ d’étude.

En prenant appui sur divers indicateurs quantitatifs (le nombre et la diversité des programmes de formation et leur fréquentation, la taille des corps professoraux, le nombre d’établissements et leur localisation, etc.), sans développer une réflexion sur l’université et l’apport des divers savoirs à l’université et à la société, les conclusions de l’étude de la sous-commission et l’évolution des règles de financement des universités, à qui l’on exigeait des contrats de performance[13], devaient fournir pour longtemps les paramètres à partir desquels il fallait évaluer ce secteur et elles devaient également en déterminer l’évolution. On connaît la suite de l’histoire.

Devant ce fait, chacun a essayé de tirer son épingle du jeu. Des centres sont tombés, sans que cela ne crée beaucoup d’émotion (Trois-Rivières, Chicoutimi et Rimouski). D’autres ont été fragilisés avant de devoir redéfinir en profondeur leurs programmes de formation et leur inscription institutionnelle. C’est le cas, récemment, aux universités de Sherbrooke, McGill et de Montréal, où la théologie a connu d’importantes évolutions institutionnelles, les facultés étant appelées à fermer, les professeurs et les programmes restants étant rattachés à d’autres entités administratives.

Devant ces faits contradictoires (la nécessité d’avoir des étudiants, l’obligation de donner des gages à une frange intellectuelle qui conçoit mal que l’université offre des programmes de théologie, l’attente d’une théologie étroitement confessionnelle de la part de certains étudiants et de certains responsables religieux, la diminution des ressources qui limitait la capacité d’offrir des programmes complets), les facultés étaient devant la quadrature du cercle. Les évolutions, à l’intérieur du modèle ou du paradigme développé dans le sillage de Vatican II, ont conduit à des ruptures récentes. En effet, à trop l’étirer dans plusieurs directions, l’élastique finit par se rompre. Des essais audacieux — je pense en le disant au développement de programmes en études du religieux contemporain à l’Université de Sherbrooke — ont conduit à des réorientations qui sont peut-être, on le verra, annonciatrices de ce que sera l’enseignement du religieux ou de la spiritualité dans les universités publiques dans les années à venir.

III. Construire un avenir

Venons-en à la question qui m’est posée : l’effet, sur la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval des déplacements institutionnels récents dans les universités publiques (Sherbrooke, McGill, Montréal). Lorsque l’on se propose de donner un avenir à la théologie dans une université publique comme l’Université Laval, on ne peut se rabattre sur des solutions universelles. Québec n’est pas Paris, ni Montréal, ni Tübingen, ni Sherbrooke. Il y a une histoire particulière de la théologie à Québec où elle s’enseigne depuis 1667, ce qui est unique au Canada, voire en Amérique du Nord. L’histoire récente de la théologie à Québec est également différente de celle vécue à Montréal, par exemple[14]. Le chemin que l’on poursuit à l’Université Laval ne se veut pas une réaction à ce qui arrive ailleurs, mais une recherche qui tente de développer une pratique théologique qui corresponde le plus possible à notre situation. Elle veut d’abord honorer les demandes diversifiées des étudiants en matière de formation théologique. Nous souhaitons développer une théologie critique certes, dans la tradition catholique, mais sans être étroitement identitaire ou réduite à un discours idéologique, et qui comporte une dimension et une ouverture oecuméniques. De plus, puisqu’il y a d’autres demandes à honorer, qui ne sont pas de l’ordre de la théologie, il nous faut y être attentif et y répondre en étant soucieux de distinguer les propositions et les méthodes et de veiller à la clarté épistémologique.

La pratique de la théologie se fait en contexte et une faculté doit être enracinée dans son milieu (ecclésial, religieux, social et culturel). Il s’agit là, à mon sens, de deux autres clés qu’il faut joindre à son trousseau. Les liens avec l’Église locale — l’Église étant conçue ici dans sa plénitude et sans réduction aux clercs — doivent être nourris et entretenus. Une faculté qui s’est isolée du milieu dans lequel elle s’inscrit, qui s’est progressivement détachée du milieu ecclésial et qui n’est pas soucieuse de son contexte ne trouvera pas de soutien aux heures difficiles.

Une faculté évolue dans le milieu universitaire. Elle doit contribuer au projet de l’université, y participer, être présente, etc. Cette règle vaut pour toutes les facultés, mais de manière spéciale, peut-être, pour la théologie. On doit être conscient de son apport et de sa contribution. Autrement, on ne tiendra pas à la conserver. L’inscription d’une faculté de théologie et de sciences religieuses à l’université est capitale. Il faut que cette faculté porte, pour sa part, le projet de l’université, y souscrive et y contribue. L’enjeu est la participation constante au devenir de l’université (et pas seulement d’une faculté), à ses orientations, à ses projets, à son excellence, à son rayonnement et à sa renommée.

Certes, les contraintes financières demeurent, comme le défi du recrutement. En cela, la théologie partage le même sort que les humanités ou que les sciences humaines et sociales. Elle a à affronter ces défis avec créativité et vision. Une faculté qui ne se renouvelle pas, dans son corps professoral, ses étudiants, ses programmes et ses pratiques, est une faculté condamnée à brève échéance. Ses programmes doivent évoluer en fonction des évolutions de la discipline, de la demande sociale et des besoins de son milieu, et des questions et des préoccupations des demandeurs. Il faut se demander « par qui sommes-nous attendus ? ». Qui, aujourd’hui, demande quelque chose à la théologie et attend de sa part une contribution. Non seulement il y a une nouvelle génération de demandeurs, mais cette nouvelle génération a d’autres requêtes. Une théologie qui ne ferait que poursuivre le projet théologique élaboré au lendemain du Concile ne serait pas en mesure d’entrer en dialogue avec cette nouvelle génération.

Au-delà de l’attention à ces grands paramètres (l’inscription dans son environnement social, la participation au projet universitaire et l’attention aux nouvelles requêtes), plus concrètement et au jour le jour, donner un avenir à une faculté, c’est avant tout veiller au renouvellement du corps professoral. Un ancien recteur m’avait dit qu’il s’agissait là de la décision la plus importante que l’on prenait. Il ne s’agit pas simplement de remplacer les postes devenus vacants. Il s’agit, lors des recrutements, de donner une orientation à la faculté, par la définition des postes à doter. On ne fait pas que remplacer des professeurs. Une faculté construit, à travers eux, son projet et son avenir.

On parle souvent, probablement abusivement, des trois « inter » : l’interdisciplinarité, l’international, l’interuniversitaire. Pour une faculté de théologie, j’ajouterais l’interconfessionnel et l’interreligieux. On n’y échappe pas, à moins de vouloir régresser et de nous installer dans un passé révolu. Toutefois, il ne s’agit pas de se saouler de paroles magiques et incantatoires. Ici aussi il faut faire de vrais choix et définir ses orientations, au-delà des modes et des opportunités. Il faut développer des convictions profondes, bien ancrées ; être persuadés que l’ouverture à l’autre nous enrichit. Il ne s’agit pas de devenir une discipline hybride, mal définie, à l’identité molle. À ce chapitre, la cohabitation harmonieuse de la théologie et des sciences des religions depuis plus de quarante ans a été un lieu d’apprentissage exceptionnel. Il ne s’agit pas non plus d’une ouverture confessionnelle dépourvue d’enracinements profonds dans sa propre tradition. Il s’agit plutôt d’entrer en dialogue avec des interlocuteurs, de nous laisser questionner, mais aussi d’apporter un point de vue original et une contribution authentique. De plus, il s’agit de donner un signe fort du dialogue possible dans une société qui préfère souvent l’exclusion et la polémique. Dans ce contexte, les relations internationales, vécues d’abord concrètement en classe, iront au-delà de l’Europe, pour se tourner davantage vers l’Afrique, l’Amérique latine et l’Orient.

Le développement des études avancées et de la recherche, en particulier de la recherche subventionnée, est l’un des vecteurs de développement d’une faculté si elle veut être de calibre mondial. C’est l’espace qui permettra la réalisation de l’interdisciplinarité, du travail interuniversitaire et, également, de la construction de réseaux internationaux.

Conclusion

Au Japon, vingt-six universités viennent d’annoncer qu’elles s’apprêtaient à fermer sous peu les portes de leurs départements de sciences humaines et sociales. Et dix-sept d’entre elles n’accepteront plus d’étudiants dès la rentrée 2016. Une décision qui fait suite à une lettre envoyée en juin 2015 par le ministère de l’Enseignement supérieur japonais aux universités publiques du pays, révèle le quotidien The Yomiuri Shimbun. Hakubun Shimomura, le ministre de l’Éducation nationale, y expliquait la nécessité d’« accélérer la suppression » de ces départements pour les « transformer » en enseignements plus utiles aux besoins de la société et de l’économie[15].

La crise des humanités en Occident est autant une menace pour la théologie qu’elle représente sa voie d’avenir. Une société qui réduit l’université à dispenser un enseignement utile pour l’économie prépare à moyen terme une demande accrue pour la philosophie, la théologie, l’histoire, l’anthropologie, les lettres et la musique. Ce modèle d’université va vite s’épuiser. Dans l’intervalle, il ne s’agit pas simplement de résister et de durer. La théologie doit se distinguer en posant des questions que d’autres ne posent pas.