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1. Introduction

L’écriture est une activité cognitive exigeante pour les élèves du primaire (Berninger, Fuller et Whitaker, 1996) qui doivent gérer le geste moteur en plus des conventions orthographiques et rédactionnelles. La compétence à écrire se développe lentement et plusieurs élèves peinent à atteindre les exigences minimales en écriture comme en témoignent les résultats aux épreuves ministérielles : 20,6 % des élèves québécois⋅es échouent à l’épreuve obligatoire d’écriture en 6e année du primaire et le tiers de celles⋅ceux qui réussissent obtiennent entre 60 % et 69 %, un résultat avoisinant la note de passage (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2012). Cette situation est préoccupante considérant l’importance de l’écriture pour l’ensemble des apprentissages.

Ces difficultés concernant les apprentissages se répercutent sur le plan motivationnel. Les élèves qui éprouvent des difficultés en écriture entretiennent généralement une motivation à écrire plus faible que leurs pairs plus performants (Graham, Berninger et Fan, 2007 ; Pajares et Valiante, 1997). Même chez les scripteurrice⋅s qui n’éprouvent pas de difficulté, l’écriture n’est pas perçue comme une activité très motivante. Un sondage mené auprès de plus de 3000 élèves du primaire et du secondaire indique que 55 % d’entre elles⋅eux avouent ne pas aimer écrire (Clark et Dugdale, 2009). On observe de plus que la motivation à écrire diminue tout au long du primaire (Archambault, Eccles et Vida, 2010 ; Pajares, Johnson et Usher, 2007).

Ces constats soulèvent un questionnement quant au soutien à offrir aux élèves. À des degrés divers, les jeunes sont en contact avec les outils numériques dans leur vie personnelle (Alava et Morales, 2015 ; Collin, Karsenti, Ndimubandi et Saffari, 2016 ; Dauphin, 2012) et le milieu scolaire tente progressivement d’emprunter cette voie pour favoriser la motivation et l’apprentissage de l’écriture chez ces natifves du numérique (Octobre, 2009). Cette avenue ouvre toutefois le débat sur les avantages des outils numériques, tels que le clavier, pour apprendre à écrire et sur la place à lui accorder en comparaison avec le crayon (Karavanidou, 2017).

Les études québécoises sur l’utilisation du numérique en classe révèlent un réel engouement des élèves pour les technologies et fournissent des indications prometteuses sur leur potentiel pour soutenir la compétence à écrire (Collin, Karsenti et Dumouchel, 2012 ; Karsenti, Collin, Dupuis, Villeneuve, Dumouchel et Robin, 2012 ; Karsenti, Chouinard, Falardeau, Gauthier, Noël-Gaudreault, Poellhuber, Raby et Beaucher, 2015 ; Thériault, Allaire et Gagnon, 2017). Ces études ont permis de documenter les stratégies d’utilisation de certains outils numériques par les élèves et les enseignant⋅e⋅s du primaire et de sonder leurs perceptions respectives quant aux avantages du numérique pour écrire. Toutefois, elles ont été réalisées pour la plupart auprès de population ciblée (milieu défavorisé, école privée, etc.) ou dans des contextes particuliers d’enseignement où le numérique détient une place privilégiée (classe-portable, projet d’écriture sur blogue), ce qui ne permet pas aisément de distinguer l’impact de la modalité d’écriture de l’impact du projet, de l’enseignant⋅e qui le conduit ou du contexte. De plus, dans la plupart des études, l’écriture manuscrite n’est pas directement comparée à l’écriture sur clavier.

Les élèves du primaire sont-elles⋅ils plus motivé⋅e⋅s et compétent⋅e⋅s pour écrire au clavier ou au crayon ? Cette question de recherche mérite d’être abordée. Sur le plan social, elle permet d’obtenir des données aptes à guider les enseignant⋅e⋅s et les différent⋅e⋅s acteur⋅rice⋅s du milieu de l’éducation quant à l’utilisation des appareils numériques dans les écoles (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2018). Sur le plan scientifique, les données actuelles quant aux performances en écriture avec ces deux modalités ne font pas consensus (Wollscheid, Sjaastad et Tømte, 2016). Une des pistes avancées pour poursuivre les recherches consiste à considérer différents indicateurs de la performance et à mieux distinguer les différents groupes d’âge chez les élèves du primaire. Cette réflexion vaut également pour la motivation à écrire qui a fait l’objet de peu de recherches comparant les conditions clavier et crayon au primaire auprès d’échantillons francophones. Étant donné l’importance des changements qui surviennent chez les élèves au cours du primaire, dont l’amélioration notable de la compétence à écrire (Troia, Harbaugh, Shankland, Wolbers et Lawrence, 2013), la perception de l’activité d’écriture passant d’une activité graphique proche du dessin à une activité communicationnelle complexe (Knudson, 1995) et la diminution de la motivation pour l’écriture (Archambault et coll., 2010 ; Pajares et coll., 2007), il apparait pertinent et nécessaire d’évaluer ces deux aspects (motivation et performance) et de comparer l’écriture au clavier et au crayon d’élèves des trois cycles pour bien identifier la nature des bénéfices liés à ces deux outils d’écriture.

La présente étude s’inscrit dans une approche psychopédagogique du numérique en éducation et vise à fournir « une lecture » des performances et de la motivation à écrire des élèves avec ces deux modalités d’écriture. Loin de prétendre régler la question des outils pour écrire, cette lecture participe, en parallèle avec des approches didactique ou sociocritique (Collin, Guichon et Ntébutsé, 2015), à mieux comprendre l’apport du numérique en éducation.

2. Contexte théorique

2.1 La motivation à écrire

La motivation à écrire est évaluée par différents indicateurs qui dépendent de la façon dont la motivation est conceptualisée (Carré et Fenouillet, 2009) et qui permettent de dresser le profil motivationnel des élèves. Le sentiment d’autoefficacité personnelle que ressent l’élève vis-à-vis des tâches d’écriture, l’intérêt et la valeur qu’elle⋅il leur accorde, son attitude et ses buts d’apprentissage face à l’écriture sont des indicateurs fréquemment utilisés pour mesurer la motivation à écrire au primaire (Bouffard, Vezeau et Simard, 2006 ; Troia, Harbaugh, Shankland, Wolbers et Lawrence, 2013).

Le modèle théorique de la motivation à écrire de Boscolo (2009), qui partage une parenté conceptuelle avec le modèle de la motivation scolaire de Viau (2009) et les travaux des chercheurse⋅s qui s’intéressent spécifiquement à l’écriture au primaire (Troia, Shankland et Wolbers, 2012), est pris comme appui dans cette étude. La motivation à écrire s’y décline en deux composantes. On compte, d’une part, les perceptions de compétence qui réfèrent à l’évaluation que fait l’élève de sa capacité à bien performer dans un domaine ou de réussir une tâche qui lui est proposée. Pour Boscolo (2009), les perceptions de compétence comprennent le sentiment de compétence général face à l’écriture (l’élève se sent compétent⋅e pour s’exprimer à l’écrit) et le sentiment d’autoefficacité quant aux habiletés spécifiques sollicitées par l’écriture (l’élève se sent bon⋅ne pour orthographier correctement les mots ou conjuguer les verbes, ou bien performer dans une tâche donnée).

D’autre part, la motivation à écrire dépendrait aussi des perceptions à l’égard de la tâche. Deuxième composante du modèle, ces perceptions concernent les croyances de l’élève envers la tâche d’écriture en elle-même, son utilité, sa pertinence et l’intérêt qu’elle comporte (Boscolo, 2009 ; Boscolo et Gelati, 2013). Pour Boscolo, ces perceptions comprennent : l’intérêt de l’élève pour l’écriture (l’élève est attiré⋅e par l’écriture, aime écrire) et la valeur qu’elle⋅il lui accorde (l’élève considère que l’écriture est importante, utile pour réussir à l’école et à l’extérieur de l’école).

La plupart des études ayant pour objectif de comparer la motivation à écrire d’élèves du primaire avec les deux modalités d’écriture (crayon et clavier) ont conclu que la motivation était plus élevée avec le clavier (Beer-Tocker, Huel et Richer, 1991 ; Beck et Fetherston, 2003 ; MacArthur et Graham, 1987). Toutefois, ces études reposent sur des échantillons de moins de 15 élèves et l’évaluation de la motivation s’appuie sur un seul indicateur (pour la plupart, l’intérêt ou la préférence pour une modalité). Une seule étude, peu récente (MacArthur et Graham, 1987), a pris en compte les deux catégories d’indicateurs retenus par Boscolo (perception de compétence et perception envers la tâche). Les 11 élèves en difficulté de 5e et 6e année qui y ont participé n’ont montré aucune préférence pour l’une ou l’autre des modalités d’écriture. Dans un échantillon plus important de 106 élèves en difficulté, l’attitude envers l’écriture n’était pas plus favorable à l’une ou l’autre des deux modalités (Lewis, Ashton, Haapa, Kieley et Fielden, 1998). De même, Van Leeuwen et Gabriel (2007) ont observé 13 élèves de 1re année en situation d’écriture avec le crayon et le clavier et ont conclu qu’elles⋅ils étaient aussi enthousiastes et concentré⋅e⋅s avec les deux modes d’écriture. Au Québec, Grégoire et Karsenti (2013) se sont aussi intéressés à cette question. L’objectif était de comparer la motivation de 264 élèves de secondaire 1 fréquentant une école privée dans deux conditions, écrire au clavier ou au crayon. La moitié du groupe rédigeait un texte narratif papier-crayon et l’autre réalisait la même tâche au clavier. La motivation était évaluée au début de l’étude (prétest) et à la fin des séances d’écriture (posttest) au moyen d’un questionnaire évaluant la motivation selon le modèle de Deci et Ryan (2002). Les résultats montrent que le groupe dans la condition manuscrite était moins motivé (amotivation) que le groupe dans la condition technologique (motivation intrinsèque plus élevée) au prétest comme au posttest.

En somme, les résultats des études recensées penchent majoritairement vers une motivation plus élevée pour l’écriture au clavier. Or, les études menées auprès d’élèves du primaire sont peu récentes et impliquent de petits échantillons dont la langue maternelle est l’anglais (sauf Beer-Tocker et coll., 1991). Il apparait donc nécessaire d’investiguer la motivation à écrire d’élèves du primaire de langue française et de procéder à des comparaisons crayon-clavier qui tablent sur les différents indicateurs reconnus pour rendre compte de la motivation à écrire (Troia et coll., 2012).

2.2 La performance en écriture

Apprendre à écrire exige de développer plusieurs habiletés (graphomotrices, orthographiques, rédactionnelles) que l’élève déploie lorsqu’elle⋅il produit un texte (Alamargot et Fayol, 2009 ; McCutchen, 2011). Le niveau de développement de ces habiletés – elles-mêmes constitutives de la compétence à écrire – peut être estimé par la performance en écriture, c’est-à-dire par la qualité des productions écrites de l’élève, qui se décline selon différents indicateurs (dont certains contribuent à la précision linguistique : par exemple, syntaxe, ponctuation, orthographe ; et d’autres à l’aisance linguistique : par exemple, nombre de mots (Germain, Netten et Séguin, 2004). Le modèle de Berninger et Swanson (1994) met l’accent sur la complexité que revêt l’apprentissage de l’écriture pour les jeunes scripteur⋅rice⋅s et sur l’interaction entre les diverses habiletés requises pour écrire. Ainsi, les habiletés graphomotrices (estimée par la vitesse d’écriture) et orthographiques, qu’elles soient développées avec le crayon ou au clavier, influencent la qualité des productions écrites et agissent comme une contrainte importante lors de l’activité d’écriture tant qu’elles ne sont pas automatisées (Christensen, 2005 ; Fayol et Miret, 2005 ; Morin, Lavoie et Montésinos-Gelet, 2012). En ce sens, et comme le suggère la théorie capacitaire (McCutchen, 1996, 2011), les élèves en mesure de produire les lettres et les mots efficacement auront davantage de disponibilité attentionnelle pour gérer des éléments plus complexes relatifs à la rédaction d’un texte (Medwell et Wray, 2007).

L’usage du clavier semble modifier en plusieurs points l’écriture d’un texte et le déploiement des ressources attentionnelles des jeunes scripteur⋅rice⋅s. Alors qu’avec le crayon, l’élève doit tracer chacune des lettres qu’elle⋅il désire écrire, avec le clavier l’élève n’a qu’à appuyer sur une touche (Mangen et Velay, 2010 ; Velay et Longcamp, 2005). À cet égard, l’usage du clavier pourrait contribuer à diminuer la charge cognitive, car le geste moteur est plus simple à exécuter, laissant davantage de ressources pour gérer d’autres aspects de l’écriture. Par contre, l’écriture sur clavier doit aussi être automatisée (Berninger, Abbott, Augsburger et Garcia, 2009). Celles⋅ceux qui ne maitrisent pas la dactylographie traitent l’écriture des mots lettre par lettre, fixent le clavier en écrivant et produisent de longs segments de texte avant de vérifier à l’écran ce qu’elles⋅ils ont écrit. Cette façon de faire ralentit la vitesse d’écriture et consomme une grande part des ressources cognitives, limitant la qualité des textes produits (Johansson, Wengelin, Johansson et Holmqvist, 2010). D’autres travaux suggèrent que l’écriture manuscrite comporterait des avantages pour les jeunes scripteur⋅rice⋅s qui dépassent ceux liés à l’automatisation et qui seraient plutôt associés aux traces neurologiques laissées par le geste moteur requis pour écrire au crayon (Mangen et Balsvik, 2016). Ainsi, avec un niveau d’automatisation similaire, des élèves du préscolaire entrainé⋅e⋅s au clavier reconnaissent moins facilement des lettres qui leur sont présentées que leurs pairs entrainés avec le crayon (Longcamp, Zerbato-Poudou et Velay, 2005). Les élèves plus âgé⋅e⋅s peuvent pour leur part bénéficier des différentes fonctionnalités qu’offre l’ordinateur. Par exemple, elles⋅ils ont la possibilité de déplacer du texte et de choisir l’orthographe d’un mot grâce à des propositions faites par le correcteur (Karsenti et Collin, 2013), ce qui facilite la rédaction.

Certaines études qui ont comparé les performances en écriture avec le crayon et le clavier ont montré que les textes écrits avec l’ordinateur étaient plus longs, contenaient davantage de détails et présentaient un vocabulaire plus riche (Barrera, Rule et Diemart, 2001 ; Beck et Fetherston, 2003 ; Collins, Hwang, Zheng et Warschauer, 2013 ; Keetley, 1995). D’autres études ont plutôt constaté que les élèves du primaire produisaient des textes plus longs et de qualité supérieure à la main (Berninger et coll., 2009 ; Connelly, Gee et Walsh, 2007 ; Crook et Bennett, 2007), alors que d’autres (Cramer et Smith, 2002 ; Dybdahl et Shaw, 1997 ; Joram, Woodruff, Bryson et Lindsay, 1992) n’ont observé aucune différence entre les productions manuscrites et à l’ordinateur. Cette absence de consensus fait écho à l’analyse que d’autres font des recherches menées sur ce thème dans les écrits scientifiques anglophones (Wollscheid, Sjaastad, et Tømte, 2016). Au Québec, Collin et ses collaborateurs (2012) ont comparé la qualité des textes écrits à la main et sur ordinateur par un groupe d’élèves du 3e cycle du primaire, à qui l’on avait fourni des ordinateurs portables en début d’année. Bien que les indicateurs de performance recueillis n’aient pas été soumis à des analyses statistiques, le pourcentage d’erreurs d’orthographe commises dans les textes écrits à l’ordinateur semble nettement plus faible que celui des textes manuscrits, ce qui n’est pas aussi clair pour les indicateurs liés à la grammaire.

Pour l’instant, les recherches réalisées ne permettent pas de déterminer clairement quel outil est le plus avantageux pour soutenir la compétence et la motivation à écrire des élèves des trois cycles du primaire et sur quelles dimensions de la performance et de la motivation il existe des différences. La présente étude visait donc à documenter cet enjeu en comparant la motivation à écrire et les performances en écriture d’élèves de 2e, 4e et 6e année du primaire dans deux contextes : l’écriture manuscrite et l’écriture au clavier.

3. Méthodologie

La recherche adopte un plan quasi expérimental intrasujets où chaque élève était soumis⋅e aux deux conditions d’écriture (clavier, crayon).

3.1 Participant⋅e⋅s

Au total, 254 élèves de 2e, 4e et 6e année provenant de deux commissions scolaires du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie et réparti⋅e⋅s dans douze classes ont participé à l’étude : 74 en 2e année (39 garçons et 35 filles), 91 en 4e année (44 garçons et 47 filles) et 89 en 6e année (52 garçons et 37 filles). Afin de s’assurer que les milieux visités soient équivalents en termes d’intégration des technologies de l’information et de la communication (TIC) en classe, les enseignantes ont été contactées par téléphone et questionnées, entre autres, à propos du temps passé par leurs élèves à réaliser des activités d’écriture à l’ordinateur. Les douze enseignantes des classes choisies ont affirmé y consacrer entre une et deux heures par semaine. Notons que la majorité des classes que nous avons contactées n’avaient qu’un accès hebdomadaire au laboratoire informatique. Les écrits disponibles sur les pratiques des enseignant⋅e⋅s quant à l’usage des TIC pour écrire rapportent une fréquence assez similaire à celle de notre échantillon (Danvoye, 2007 ; Crête-D’Avignon, Dezutter et Larose, 2014 ; Karsenti, Goyer, Villeneuve et Raby, 2005).

3.2 Instrumentation

Tous les instruments ont fait l’objet d’une préexpérimentation auprès de 42 élèves de 3e et de 6e année qui ne faisaient pas partie de l’échantillon de la recherche, afin d’en vérifier la durée d’administration, le déroulement ainsi que la compréhension qu’en ont les élèves.

3.2.1 Performance en écriture

Production de mots. L’expérimentatrice présentait aux élèves une série d’images correspondant aux mots à écrire en les nommant, et ce, à deux reprises. Ensuite, une feuille (ou un fichier dans la condition clavier) avec les mêmes images était remise aux élèves qui devaient écrire un maximum de mots en trois minutes, en se souciant de l’orthographe. Aucun matériel de correction n’était mis à leur disposition (le correcteur automatique pour la tâche à l’ordinateur avait été désactivé).

Le nombre de mots et le choix des mots ont été modulés en fonction du niveau scolaire (30 mots en 2e année, 40 mots en 4e année et 50 mots en 6e année). Les mots ont été choisis à partir de la liste orthographique du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2014) et en fonction de leur pourcentage de réussite dans l’Échelle de l’acquisition de l’orthographe lexicale (Pothier et Pothier, 2004), afin d’éviter les mots trop faciles ou trop difficiles. Les mots retenus étaient associés à des pourcentages moyens de réussite de 55,6 % en 2e année, de 56,72 % en 4e année, et de 55,78 % en 6e année.

La tâche de production de mots fournissait deux indicateurs de performance : un score d’orthographe lexicale établi en calculant le pourcentage de mots bien orthographiés sur le nombre total de mots produits et un score de vitesse d’écriture (Albaret, Soppelsa, Danna et Kaiser, 2013), exprimé par le nombre de lettres produites dans le temps alloué et rendant compte de la fluidité graphomotrice. L’absence du correcteur et d’outils de référence est justifiée pour éviter l’interférence que produirait toute démarche de correction dans le score de vitesse d’écriture. Cela permet aussi d’obtenir un score « brut » de l’orthographe lexicale de l’élève, qui se distingue de celui qui a été tiré de la rédaction d’un texte où le correcteur était en fonction.

 

Production d’un texte narratif. Les élèves ont rédigé un texte racontant un « Voyage dans un pays imaginaire » ou une journée avec « Un pouvoir magique » (un thème par séance). Elles⋅ils avaient droit à tout le matériel de correction habituellement disponible (dictionnaires, référentiels de grammaire et correcteur automatique intégré au logiciel de traitement de texte). On invitait l’élève à déposer sur son bureau les outils de référence dont elle⋅il a besoin et les directives émises aidaient à la planification du récit en précisant les éléments-clés que peut comporter le texte (« Avant de commencer à écrire, pense à ton histoire : le pouvoir magique que tu choisis, les personnages de ton histoire, l’endroit où elle se passe, ce qui arrive durant cette journée et comment se termine ton histoire »). Les élèves étaient informé⋅e⋅s du temps alloué pour rédiger (20 minutes) et qu’elles⋅ils seraient avisé⋅es cinq minutes avant la fin pour se relire et corriger leurs fautes. Le temps alloué est similaire aux autres études utilisant un devis comparatif auprès d’élèves du primaire (Berninger et coll., 2009 : 10 minutes ; Connelly et coll., 2007 : 15 minutes).

Plusieurs indicateurs de performance ont été tirés du texte produit par l’élève : 1) le score d’orthographe lexicale (pourcentage de mots bien orthographiés sur le nombre total de mots écrits) ; 2) le score d’orthographe grammaticale (pourcentage de mots bien accordés sur le nombre total de mots pouvant être accordés) ; 3) le score de syntaxe (pourcentage de phrases bien structurées sur le nombre total de phrases produites) ; 4) le score d’erreur (pourcentage du nombre d’erreurs de toute nature produites − lexicales, grammaticales, de segmentation, de majuscules − sur le nombre de mots écrits) ; 5) le score de qualité globale (deux points pour la suffisance des idées, deux points pour l’adaptation à la situation d’écriture et deux points pour la cohérence textuelle, pour un maximum de 6 points) ; 6) la longueur des textes (nombre de mots composant le texte). L’ensemble des productions des élèves a été corrigé conjointement par deux évaluatrices, autres que les chercheuses.

3.2.2 Motivation à écrire

Un questionnaire comportant une échelle de réponses de type Likert a été conçu. Les items ont été tirés de questionnaires évaluant spécifiquement la motivation à écrire (Boscolo, Gelati et Galvan, 2012 ; Knudson, 1991 ; Piazza et Siebert, 2008 ; Troia et coll., 2013), ou la motivation scolaire (Eccles, Wigfield, Harold et Blumenfeld, 1993). Le questionnaire comprend 16 items, divisés en quatre sous-échelles (alphas de Cronbach de 0,66 à 0,91) qui correspondent aux quatre indicateurs de la motivation retenus : le sentiment de compétence (4 items), le sentiment d’autoefficacité (5 items), la valeur accordée à la tâche (3 items) et l’intérêt (4 items). L’expérimentatrice lisait chacune des questions à haute voix et les élèves répondaient sur le questionnaire en encerclant leur réponse parmi cinq choix, auxquels une valeur de 1 à 5 a été attribuée pour les analyses (« pas du tout d’accord » à « très d’accord »). Ces choix étaient imagés par des émoticônes. Deux questions préliminaires (qui ne correspondaient pas à des items du questionnaire) ont été posées aux élèves afin qu’elles⋅ils s’exercent à répondre.

3.3 Déroulement

Les élèves ont été rencontré⋅e⋅s à deux reprises (à une semaine d’intervalle), une fois en classe et une autre fois au laboratoire informatique de l’école (ordre contrebalancé). Aucun entrainement n’a été donné aux élèves relativement à l’écriture au clavier afin d’avoir un portrait des compétences des élèves en fonction des pratiques actuelles dans les classes. Chaque séance suivait la séquence en trois temps suivante, quel que soit le mode d’écriture utilisé : la production de mots (3 minutes), la production du texte narratif (20 minutes) et la passation du questionnaire de motivation (10 minutes). Durant les deux tâches d’écriture, réalisées individuellement, aucune aide n’était fournie aux élèves, sauf en cas d’un souci relié au matériel informatique (« bogue », perte d’un fichier Word, etc.) ou d’un bris de matériel (mine de crayon cassée, etc.). Une pause d’environ 15 minutes (récréation) était accordée entre les tâches d’écriture et la passation du questionnaire de motivation.

3.4 Considérations éthiques

L’étude a reçu l’aval du Comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Rimouski. La recherche a été présentée dans chaque école visitée. Les directions d’école ont donné leur accord verbal pour y participer et les enseignantes des classes retenues ont signé un formulaire de consentement qui en expliquait le déroulement. Un formulaire de consentement a aussi été signé par les parents des élèves participant à l’étude. Le formulaire présentait l’objectif de la recherche, la nature de la participation de leur enfant, les risques et les bénéfices encourus et offrait la possibilité au parent de mettre fin à la participation de son enfant en tout temps. Afin de préserver l’anonymat des participant⋅e⋅s, un numéro leur a été attribué. Des fiches résumant la recherche et ses résultats ont été remises à chaque école participante.

3.5 Méthode d’analyse des données

Les données recueillies ont été soumises à des analyses statistiques réalisées avec SPSS. Les scores moyens obtenus par les élèves d’un niveau scolaire dans les conditions clavier/crayon ont été soumis à des tests t pour échantillons appariés. Pour chaque indicateur de performance ou de motivation, les différences dont le seuil est moindre que 0,05 ont été considérées significatives. Le nombre de données soumises à la comparaison varie selon l’indicateur. En effet, certain⋅es participant⋅es étaient absent⋅e⋅s lors d’une des deux séances ou n’ont pu obtenir de score pour un indicateur particulier (par exemple, les élèves qui ont écrit des mots sans faire de phrases dans la production de texte n’ont pas obtenu de score de syntaxe, puisque le score 0 pour cet indicateur est réservé aux élèves qui ont écrit des phrases, mais dont aucune n’est correctement structurée). Pour chaque indicateur, le nombre d’élèves sur lesquel⋅le⋅s les analyses ont porté sera indiqué dans les tableaux présentant les résultats.

4. Résultats

4.1 Motivation à écrire

En 2e année, il n’y a pas de différence significative pour trois des quatre indicateurs de la motivation. Les moyennes obtenues pour le sentiment de compétence, le sentiment d’autoefficacité et la valeur accordée à la tâche sont statistiquement équivalentes qu’il s’agisse de l’écriture au clavier ou au crayon (tableau 1). Seul le score d’intérêt est significativement plus élevé pour l’écriture au clavier (t(62) = 3,57, p < 0,05).

Tableau 1

Scores moyens (et écarts-types) obtenus aux indicateurs de motivation

Scores moyens (et écarts-types) obtenus aux indicateurs de motivation

*p < 0,05

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En 4e année, les perceptions des élèves traduisent un sentiment d’autoefficacité (t(82) = 2,97, p < 0,05) et un intérêt (t(82) = 4,51, p < 0,05) plus élevés envers l’écriture au clavier. Ces dernier⋅ère⋅s accordent toutefois une plus grande valeur (t(82) = 3,62, p < 0,05) à l’écriture avec le crayon. À ce niveau, la modalité d’écriture n’affecte pas le sentiment de compétence en écriture.

Enfin, la motivation des élèves de 6e année semble globalement plus élevée envers l’écriture au clavier. Les scores rendant compte du sentiment d’autoefficacité (t(83) = 3,88, p < 0,05), du sentiment de compétence (t(83) = 1,96, p = 0,05) et de l’intérêt de l’élève (t(83) = 12,15, p < 0,05) sont plus élevés dans cette condition d’écriture. Seule la valeur accordée est plus élevée pour l’écriture manuscrite (t(83) = 5,09, p < 0,05).

4.2 Performance en écriture

Le tableau 2 présente les scores moyens obtenus à tous les indicateurs de performance, ainsi que les résultats aux tests t.

Tableau 2

Scores moyens (et écarts-types) obtenus aux indicateurs de performance

Scores moyens (et écarts-types) obtenus aux indicateurs de performance

*p < 0,05

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En 2e année, les scores sont soit plus élevés avec le crayon ou statistiquement équivalents avec les deux modes d’écriture. Lors de la production de mots, les élèves ont écrit deux fois plus de lettres (t(61) = 12,36, p < 0,05) et ont obtenu un score d’orthographe lexicale significativement plus élevé (t(61) = 3,93, p < 0,05) avec le crayon. Dans la tâche de production de texte, elles⋅ils ont produit des textes plus longs au crayon (t(63) = 7,78, p < 0,05), mais équivalents avec les deux modalités quant à l’orthographe (lexicale et grammaticale), la syntaxe et le pourcentage d’erreur. Enfin, la qualité globale des textes (suffisance des idées, cohérence textuelle et adaptation à la situation d’écriture) est supérieure avec le crayon (t(59) = 4,85, p < 0,05).

Les élèves de 4e année ont écrit plus rapidement (t(77) = 12,99, p < 0,05) et ont fait moins d’erreurs lexicales (t(77) = 4,90, p < 0,05) avec le crayon lors de la production de mots. Elles⋅ils ont aussi produit des textes significativement plus longs (t(81) = 3,27, p < 0,05) et de meilleure qualité globale (t(80) = 3,35, p < 0,05) avec le crayon. Toutefois, contrairement aux élèves de 2e année, elles⋅ils ont fait moins d’erreurs lexicales (t(80) = 3,45, p < 0,05) dans leur texte en écrivant au clavier. Il n’y a aucune différence significative entre les moyennes obtenues avec les deux modalités d’écriture pour le score d’erreurs ou sur le plan de la grammaire et de la syntaxe des phrases.

Dans la tâche de production de mots, les élèves de 6e année ont écrit plus rapidement (t(79) = 10,12, p < 0,05) et ont fait moins d’erreurs d’orthographe lexicale avec le crayon (t(79) = 2,86, p < 0,05). Par contre, lors de la tâche de rédaction de texte, elles⋅ils ont obtenu un score d’orthographe lexicale plus élevé (t(81) = 2,31, p < 0,05) et fait moins d’erreurs de tous genres (t(81) = 2,03, p < 0,05) à l’aide du clavier. De plus, à ce niveau scolaire, la modalité d’écriture n’a aucun impact sur la longueur des textes produits. La syntaxe des phrases et la qualité globale du texte sont toutefois meilleures avec le crayon (respectivement t(81) = 2,32, p < 0,05 et t(81) = 2,93, p < 0,05).

5. Discussion

L’étude, qui visait à comparer la motivation à écrire et les performances en écriture chez des élèves du primaire selon qu’elles⋅ils écrivent au crayon ou au clavier, contribue de manière originale aux connaissances actuelles.

 

Motivation. Premièrement, les résultats concernant la motivation confirment les perceptions des enseignants⋅e⋅s quant à l’intérêt des élèves du primaire pour écrire avec un support numérique (Collin, Karsenti et Dumouchel, 2012 ; Karsenti et coll., 2012, 2015), mais vont au-delà des résultats existants en montrant que cet intérêt vaut pour le simple clavier (pas seulement pour le portable en utilisation continue : Collin et coll., 2012 ; Karsenti et Collin, 2013 ; Karsenti et coll., 2015) et qu’il caractérise les élèves des trois cycles du primaire. Il semble donc qu’un matériel peu élaboré sur le plan technologique suffise pour intéresser l’élève à l’écriture. Le devis comparatif de la présente étude a de plus permis de vérifier que cet intérêt pour l’écriture numérique résiste à la comparaison avec la condition manuscrite, ce qu’aucune autre étude québécoise n’avait fait.

Le modèle de la motivation à écrire de Boscolo (2009) nous semble particulièrement fécond. D’une part, les indicateurs qu’il propose traduiraient mieux les perceptions des scripteur⋅rice⋅s et leur motivation devant le défi de l’écriture que ne le font les différentes déclinaisons de la motivation selon la théorie de l’autodétermination (voir Boscolo et Gelati [2013] pour un argumentaire). On peut certes trouver des parentés entre l’intérêt pour la tâche d’écriture chez Boscolo et la motivation intrinsèque de la théorie de l’autodétermination (ou entre la valeur accordée à la tâche d’écriture chez l’un et la motivation extrinsèque chez l’autre), mais il s’agit là de similarités de surface qui ne tiennent pas compte des processus psychologiques en jeu dans la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2002 ; Vallerand et coll., 2009). Considérant les difficultés observées chez les jeunes scripteur⋅rice⋅s du primaire à différencier les déclinaisons du continuum intrinsèque/extrinsèque (Guay, Chanal, Ratelle, Marsh, Larose et Boivin, 2010), le modèle de Boscolo pourrait se révéler particulièrement pertinent pour l’étude de la motivation à écrire au primaire. D’autre part, les indicateurs retenus ont permis de dépasser la seule question de l’intérêt et donc de compléter les résultats des études comparatives (crayon-clavier) antérieures, en nuançant l’apport du clavier sur la motivation des élèves des différents niveaux scolaires. En 2e année, la valeur accordée par l’élève à la tâche d’écriture, son sentiment d’autoefficacité et son sentiment de compétence à écrire ne sont pas différents selon la modalité d’écriture. En 4e et en 6e année par contre, le sentiment d’autoefficacité ressenti (facilité à écrire les mots sans faute, capacité à ponctuer ou à corriger le texte) est plus élevé avec le clavier qu’avec le crayon. Chez les élèves de 6e année, l’avantage du clavier s’étend au sentiment de compétence globale en écriture (facilité à écrire, sentiment d’être compétent pour rédiger des textes). Des résultats antérieurs montrant que les élèves ont l’impression de faire moins de fautes avec le traitement de texte (Karsenti et Collin, 2013 ; Karsenti et coll., 2015) indiquent une piste qui pourrait expliquer cette évolution des perceptions de compétence. Dans la présente étude, les élèves de 4e et 6e année rencontré⋅e⋅s ont, de fait, obtenu de meilleurs scores d’orthographe lexicale au clavier lors de la production de texte où le correcteur automatique était en fonction et les élèves de 6e année y ont fait moins d’erreurs de toutes catégories que dans la condition manuscrite. Il est possible que la capacité manifestée par ces élèves à utiliser le correcteur intégré au logiciel de traitement de texte contribue à leurs perceptions de compétence et donc à leur motivation. Ces résultats soulignent l’importance de l’erreur dans le développement du sentiment de compétence à écrire chez l’élève et de la plus grande contrôlabilité qu’offrent les outils de correction automatique à cet égard. Rappelons que la contrôlabilité est au coeur de plusieurs théories de la motivation (voir, par exemple, la théorie de l’attribution [Gosling, 2009] ou la notion d’agentivité chez Bandura [2009]).

Un seul indicateur de motivation a obtenu des scores plus élevés avec le crayon. Les élèves de 4e et de 6e année ont accordé une plus grande valeur à l’écriture manuscrite qu’à l’écriture tapuscrite. Dans les classes visitées, le fait que l’enseignement de l’écriture se fasse principalement avec le crayon et que la compétence à écrire soit évaluée par cette même modalité lors des examens ministériels de fin de cycle (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2012) pourrait en partie expliquer cette perception des élèves. Une telle assimilation par l’élève des pratiques utilisées (et donc valorisées) dans son milieu scolaire a déjà été observée : les élèves qui évoluent dans des classes où l’intégration pédagogique des technologies de l'information et de la communication est élevée accordent une plus grande valeur aux tâches réalisées à l’ordinateur que celles⋅ceux qui évoluent en contexte d’intégration moindre (Karsenti et coll., 2005). Malgré ce constat, les pratiques évaluatives reposant sur l’écriture manuscrite semblent néanmoins à conserver pour l’instant. Une vaste étude états-unienne réalisée auprès de plus de 10 000 élèves de 4e année indique que seul⋅e⋅s les élèves les plus performante⋅s en écriture démontrent pleinement leur compétence à écrire lorsqu’elles⋅ils utilisent le clavier (White, Kim, Chen et Liu, 2015). Nos propres résultats sur la performance en écriture suggèrent que la situation des élèves québécois⋅es pourrait être similaire.

 

Performance. Les résultats obtenus suggèrent que la performance en écriture au primaire est plus élevée avec le crayon qu’avec le clavier. Ce constat renforce les conclusions des relevés de la documentation scientifique (Wollscheid, Sjaastad et Tømte, 2016 ; Williams et Beam, 2019) qui laissent entrevoir que l’utilisation d’un environnement numérique pour écrire pourrait favoriser l’écriture en collaboration et soutenir certains aspects du processus d’écriture (par exemple : explicitation des étapes à faire lors de la rédaction dans certains logiciels, utilisation d’environnements multimodaux pour soutenir la trame narrative, identification des erreurs et rétroactions in situ, aide à exploiter le caractère itératif de l’écriture), mais où les études comparatives avec le crayon concluent généralement à de meilleures productions scripturales avec la modalité manuscrite. Ainsi, l’étude a permis de vérifier que, pour différents indicateurs de la performance, les résultats obtenus auprès d’un échantillon d’élèves francophones sont généralement similaires à ceux obtenus dans la documentation auprès d’échantillons anglophones. L’analyse approfondie des résultats obtenus permet toutefois de nuancer la compréhension qu’on a des avantages respectifs des modalités manuscrite et tapuscrite, en précisant les facteurs susceptibles d’expliquer la diversité des résultats dans l’ensemble de la documentation. Parmi ces facteurs, notons : la présence ou non du correcteur, le niveau scolaire des élèves, le niveau d’intégration des TIC en classe, le soutien à l’écriture et le type de devis sur lequel repose les études s’intéressant au numérique pour écrire.

Ainsi, nos résultats rejoignent les données empiriques disponibles selon lesquelles le score orthographique est plus élevé avec le clavier chez des élèves de la 4e année à la 6e année (Collin et coll., 2012 ; D’Odorico et Zammuner, 1993) ou du secondaire (Grégoire, 2012), mais qu’il est comparable avec les deux modalités chez des élèves de 2e année (Berninger, Abbott, Rogan, Reed, Abbott et Brooks, 1998). Par contre, nos résultats montrent aussi que lorsque le correcteur n’est pas en fonction (production de mots), les élèves de 4e et 6e année obtiennent de meilleurs scores d’orthographe lexicale avec le crayon, et ce, pour les mêmes mots. Cette meilleure mémorisation de l’orthographe du mot lorsque l’élève l’écrit au crayon pourrait être liée au geste moteur de l’écriture manuscrite qui laisse une trace mémorielle procédurale (Mangen et Balsvik, 2016). Plusieurs travaux en neurosciences suggèrent que l’expérience motrice participerait à une meilleure reconnaissance et catégorisation des lettres (James et Engelhardt, 2012 ; Keysey et James, 2013 ; Longcamp, Zerbato-Poudou et Velay, 2005 ; Mangen et Velay, 2010) qui favoriseraient la compétence à écrire. Nos résultats suggèrent que les deux modalités d’écriture pourraient offrir des avantages différents pour l’enseignement : le crayon permettrait aux élèves de s’approprier progressivement les conventions de l’écrit et de les mémoriser, alors que le clavier et ses outils de correction les aideraient à faire moins de fautes, nourrissant dès lors leurs perceptions de compétences qui, conjuguées à l’intérêt suscité par l’écriture au clavier, contribueraient à leur motivation à écrire. Cet avantage « affectif » du clavier pour écrire n’est pas à dédaigner puisqu’au primaire, la motivation contribuerait aux performances en écriture plutôt que l’inverse (Graham et coll., 2007). Par ailleurs, sur le plan de la recherche, la distance entre les perceptions de compétence des jeunes scripteur⋅rice⋅s et leurs réelles performances en écriture, observée aussi par d’autres chercheur⋅se⋅s (Burke et Cisek, 2006), invite à poursuivre l’évaluation conjointe des dimensions affectives et cognitives de l’écriture.

Outre l’orthographe lexicale en 4e et 6e année (et le nombre d’erreurs chez les 6e année) dans la condition avec correcteur, aucun des indicateurs de performance n’a été plus élevé avec le clavier. Les élèves ont écrit plus rapidement et ont rédigé des textes de meilleure qualité et plus longs avec le crayon (sauf en 6e année où la longueur des textes était équivalente dans les deux conditions, ce qui suggère qu’à ce niveau, la performance au clavier se rapproche de celle au crayon). D’autres ont aussi constaté que la vitesse d’écriture d’élèves des trois cycles du primaire était plus élevée avec le crayon (Berninger et coll., 2009 : n = 225 ; Connelly et coll., 2007 : n = 300 ; Crook et Bennett, 2007 : n = 72) tout comme la longueur (Berninger et coll., 2009) et la qualité des textes produits (Connelly et coll., 2007). Les études qui ont rapporté des performances plus élevées avec le clavier ont été réalisées auprès de petits échantillons et sont soit peu récentes ou comportent des lacunes méthodologiques qui restreignent la portée des résultats (Barrera et coll., 2001 ; Beck et Fetherston, 2003 ; Keetley, 1995 ; Jones, 1994 ; Genlott et Grönlund, 2013 ; Wollscheid, Sjaastad, Tømte et Løver, 2016). L’étude comparative de Collins et ses collaborateur⋅rice⋅s (2013) fait toutefois exception. Les élèves de 5e et 6e année des quatre écoles soumises à la condition clavier ont écrit des textes plus longs et de meilleure qualité que les élèves de même niveau des trois écoles soumises à la condition papier-crayon. Or, les élèves de la condition clavier ont bénéficié d’un portable muni de logiciels de soutien à l’écriture toute l’année.

Certains facteurs, constituant des pistes à explorer dans les recherches futures, pourraient expliquer la disparité entre les résultats de Collins et ses collaborateur⋅rice⋅s (2013) et ceux de la présente étude. L’un d’entre eux concerne le niveau d’intégration des TIC en classe. Les performances plus élevées de nos participant⋅e⋅s dans la condition manuscrite pourraient en effet être tributaires du niveau d’intégration des TIC dans leur classe (entre 1 et 2 heures de pratique d’écriture par semaine au clavier), qui peut faire en sorte que l’écriture sur clavier ait été moins automatisée que l’écriture manuscrite. Cette hypothèse qui constitue une limite de la présente étude reste toutefois à vérifier, car Crook et Bennett (2007) ont observé comme nous une écriture manuscrite plus rapide et fluide chez des élèves de 2e, 4e et 6e année qui détenaient pourtant une longue expérience d’utilisation du clavier et bénéficiaient d’un enseignement intégrant les TIC dans la plupart des activités de la classe, depuis le début de leur scolarisation.

Le temps alloué pour écrire le texte (20 minutes) pourrait également être en cause. Les chercheur⋅se⋅s qui, comme nous, ont observé de meilleures performances au crayon plutôt qu’au clavier (Berninger et coll., 2009 ; Connelly et coll., 2007) ont alloué entre 10 et 15 minutes aux élèves pour rédiger leur texte dans chaque condition (clavier/crayon), alors que les élèves dans l’étude de Collins et ses collaborateur⋅rice⋅s (2013) ont eu 40 minutes pour le faire. D’autres recherches sont nécessaires pour examiner l’incidence du temps alloué aux élèves sur la qualité des textes produits dans les deux conditions.

Enfin, l’équivalence du soutien à l’écriture est un autre facteur qui aurait avantage à être investigué. Dans Collins et ses collaborateurrice⋅s (2013), non seulement les élèves dans les deux conditions formaient deux groupes indépendants (dont l’équivalence n’a pas été démontrée), mais les applications numériques d’aide à l’écriture utilisées par les élèves de la condition portable pendant toute l’année leur ont permis (de l’avis même des auteur⋅e⋅s de l’étude) de bénéficier de rétroactions sur leurs écrits plus fréquentes et détaillées que leurs pairs de la condition manuscrite. Dans la présente étude, où les performances en écriture étaient considérées comme un « portrait » des habiletés à écrire à un moment donné, les élèves n’ont bénéficié d’aucun soutien lors des productions écrites.

L’équivalence du soutien reçu dans les deux conditions, que ce soit par l’enseignant⋅e ou par le biais d’outils numériques, mérite certainement une attention particulière dans les devis comparatifs si l’on veut mieux comprendre l’apport des technologies dans l’apprentissage de l’écriture. Les études s’appuyant sur un devis pré/postintervention (en condition numérique seulement) et impliquant un encadrement particulièrement soutenu de la part de l’enseignant⋅e présentent des résultats qui confirment l’apport sensible du numérique sur les textes produits par les élèves (par exemple, Yamac et Ulusoy, 2016). Cependant, peu d’entre elles ont cherché à rendre les conditions de soutien équivalentes avec les deux modalités. Dans une étude qualitative, Sessions, Kang et Womack (2016) ont examiné l’effet d’une application iPad sur les textes d’élèves de 5e année, dont 15 étaient dans la condition iPad et 15 autres dans la condition papier-crayon. Dans les deux groupes, les enseignant⋅e⋅s accompagnaient leurs élèves pour qu’ellesils améliorent leur texte quant à la trame narrative et à l’inclusion de détails dans l’histoire rédigée. Au bout de neuf semaines, on a observé des améliorations similaires dans les deux groupes sur le plan de la quantité de détails dans les productions écrites, mais le groupe iPad avait davantage progressé dans sa capacité à produire un texte cohérent grâce aux applications utilisées pour séquencer la trame narrative.

Ces résultats illustrent bien la nécessité de poursuivre les recherches en s’intéressant autant à la modalité numérique que manuscrite et en identifiant le type de soutien offert sous les deux modalités. Des recherches sont également nécessaires pour mieux circonscrire l’effet à long terme de ces modalités sur l’écriture. La modalité tapuscrite permet-elle de mémoriser les conventions de l’écrit ? Les progrès réalisés avec une modalité sont-ils transférables à l’autre modalité ? Ces questions rendent compte de l’ampleur des défis pour la recherche sur les technologies de l'information et de la communication et l’écriture et appellent une réflexion quant aux finalités de l’apprentissage de l’écriture.

6. Conclusion

L’étude visait à comparer la performance en écriture et la motivation à écrire d’élèves de 2e, 4e et 6e année du primaire, selon qu’elles⋅ils écrivent au clavier ou au crayon. Les résultats obtenus contribuent aux connaissances actuelles en précisant les indicateurs de la performance et de la motivation qui, à différents moments du cheminement primaire, sont avantagés par l’une ou l’autre de ces modalités. Sur le plan de la motivation, les élèves des trois groupes ont montré un intérêt plus marqué pour l’écriture au clavier. En 4e et 6e année, les élèves ont accordé plus de valeur à l’écriture manuscrite, mais entretiennent des perceptions de compétence généralement plus positives à l’égard du clavier. Or, sur le plan de la performance, seule l’orthographe lexicale (lorsque le correcteur automatique est en fonction) est meilleure avec le clavier, ce qui suggère que les perceptions de compétence de l’élève seraient particulièrement influencées par la correction des erreurs « visibles par l’élève ». Le crayon présente un net avantage pour tous les indicateurs de performance (vitesse d’écriture, longueur et qualité des textes, score orthographique sans correcteur). Sur le plan de la pratique, les résultats invitent à utiliser le clavier pour susciter la motivation des élèves et leur perception de compétence et à privilégier l’usage du crayon pour soutenir l’automatisation des conventions de l’écrit et la qualité des textes. L’étude comporte certaines limites. Entre autres, les participant⋅e⋅s provenaient de classes où les élèves font une plus grande utilisation du crayon que du clavier. Comme l’utilisation des outils numériques en classe (conjointement avec le crayon) peut varier (Larose, Grenon, Pearson, Morin et Lenoir, 2004 ; Stockless, Villeneuve et Beaupré, 2018), une étude auprès d’élèves utilisant plus fréquemment le clavier pour écrire en classe est nécessaire pour compléter la présente étude. Des données sur l’expérience personnelle (hors école) des élèves (Collin et coll., 2016) en ce qui a trait à l’écriture numérique et manuscrite pourraient également être recueillies pour rendre compte de l’ensemble de leur expérience.

Enfin, la recherche devrait s’intéresser au soutien à l’écriture offert avec les deux modalités et contrôler les conditions méthodologiques dans les devis des études comparatives pour mieux comprendre l’apport relatif du numérique et de l’écriture manuscrite dans le développement des compétences en écriture et le maintien de la motivation à écrire au primaire.