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Délit sexuel à l’adolescence : quelles interventions ?

La délinquance sexuelle des mineurs a soulevé de nombreuses questions relatives au sens que l’on devait donner aux agirs sexuels de ces adolescents et aux interventions à mener. Par le passé, les comportements sexuels transgressifs étaient considérés comme des conduites exploratoires sexuelles inappropriées susceptibles de survenir lors du développement psychosexuel de l’adolescent, ils faisaient rarement l’objet de mesures sociojudiciaires (Tardif, Jacob et Quenneville, 2012). Actuellement, les études empiriques et cliniques ont montré que les profils et les trajectoires de délinquance des adolescents auteurs d’une infraction à caractère sexuel (AAICS) sont particulièrement hétérogènes, en termes de type d’activités délinquantes commises (sexuelles et non sexuelles), de profil de personnalité, d’antécédents de victimisation (Everhart Newman, Larsen, Thompson, Cyperski et Burkhart, 2018 ; Fox et DeLisi, 2018 ; Lussier et Blokland, 2014 ; Lussier, Van Den Berg, Bijleveld et Hendriks, 2012 ; Glowacz et Born, 2013 ; Glowacz et Camarda, 2017). Par ailleurs, dans la continuité des travaux de Moffitt (1993), les recherches ont relevé que la délinquance sexuelle et non sexuelle des AAICS se limitait le plus souvent à la période de l’adolescence (Lussier et al., 2012). Ces constats donnent à penser que les interventions menées auprès de ces adolescents devraient être non stigmatisantes et répondre aux besoins de chaque sujet à la suite d’une évaluation multidimensionnelle.

Cependant, au cours des dernières décennies, des programmes de traitement pour les AAICS se sont construits principalement sur la base de l’expérience, de la recherche et du traitement donné aux adultes délinquants sexuels. S’ils ont été adaptés aux adolescents, il n’en reste pas moins que certaines dimensions centrales au processus de maturation des adolescents n’ont pas été prises en compte (Hunter et Longo, 2004 ; Tardif et al., 2012). Les programmes habituels se fondent principalement sur le modèle de prévention de la récidive, le cycle de l’agression sexuelle (Murphy et Page, 2000 ; Ryan, Lane, Davis et Isaac, 1983) et le ciblage des risques et des besoins criminogènes (Gendreau, Little et Goggin, 1996 ; Polaschek, 2012). Il s’agit de programmes d’inspiration cognitivo-comportementale destinés avant tout à enseigner aux individus comment anticiper et gérer le problème de la rechute, tout en visant l’apprentissage et le maintien de nouveaux patterns comportementaux. L’accent a été mis dans ces programmes traditionnels sur l’identification des besoins criminogènes et des facteurs dynamiques empiriquement associés à la récidive. Toutefois, ces interventions centrées sur le délit et les déficits du sujet peuvent s’avérer limitatives et comporter, entre autres, le risque de stigmatisation pour les justiciables. Il a été ensuite envisagé au sein des pratiques d’évaluation et d’intervention d’introduire les facteurs de protection considérés comme soutenant le désistement de la délinquance sexuelle (De Vries Robbé, Mann, Maruna et Thornton, 2015 ; Maruna et LeBel, 2003). Le GLM apporte une perspective complémentaire en visant non seulement la réduction des risques à partir des besoins criminogènes, mais également la promotion de la réalisation prosociale des besoins humains fondamentaux. Göbbels, Ward et Willis (2012) considèrent que la désistance est plus probable lorsque les justiciables sont capables de gérer leurs risques et d’atteindre les besoins fondamentaux d’une manière prosociale et personnellement significative.

Désistance et délinquance sexuelle

Le concept de désistance propose un nouveau paradigme tant pour l’évaluation que pour l’intervention, en mettant l’accent sur les processus qui soutiennent chez un individu le retour progressif à une vie conforme aux normes sociales. L’approche fondée sur la désistance se centre sur les processus de changement qui président à toute trajectoire de vie de l’individu, à ses possibilités de réorientation et à ses transitions identitaires et sociales. Enjeu majeur lorsque l’on sait que la délinquance sexuelle, plus que d’autres délinquances, met en doute la capacité du jeune à changer, comme si la transgression dans le domaine sexuel était plus que tout autre fait fusionnée à l’identité du sujet, étiqueté et affiché comme « violeur ou pédophile ». L’identité est de fait un concept clé de la désistance en recherche et en clinique (King, 2013 ; Maruna, 2001 ; Paternoster et Bushway, 2009). Penser la désistance va amener l’intervenant psychosociojudiciaire à placer l’identité comme axe de travail principal en faveur d’un abandon progressif des comportements délinquants. Le professionnel devra dès lors se soucier de créer des opportunités de transformations identitaires permettant au jeune de quitter ses identités négatives, activées au travers des comportements délinquants, afin d’expérimenter des situations d’identité positive, reconnues et validées par son environnement et la société plus largement (Glowacz, 2015 ; Nugent et Schinkel, 2016).

Les études sur la désistance ont mis en évidence les interactions complexes de facteurs externes (changements sur le plan structurel et social) et facteurs internes (changements des pensées, des croyances, de la conscience de soi…). Sans développer les avancées majeures sur le plan des modèles de la désistance, il nous semble intéressant de mentionner deux leviers de désistance pouvant être soutenus dans le cadre de l’intervention (Harris, 2017 ; McAlinden, Farmer et Maruna, 2017). Tout d’abord l’agentivité, elle réfère à la capacité d’agir, au sentiment d’auto-efficacité et de reprise de contrôle, se retrouvant davantage chez les sujets désistants que chez les persistants (Farmer, Beech et Ward, 2012 ; Healy, 2013, 2014). L’agentivité serait intimement associée à la projection d’une nouvelle identité et à la capacité d’imaginer un soi futur constructif favorable à la poursuite d’objectifs partiellement atteignables (Farmer, McAlinden et Maruna, 2015). Un second levier de désistance est l’espoir d’une vie meilleure, l’optimisme des sujets : l’arrêt des conduites délinquantes est favorisé lorsque les personnes croient en elles et cultivent l’espoir d’une vie meilleure (Puglia et Glowacz, 2018).

Précisons toutefois qu’il n’existe pas de programmes d’interventions prescriptifs et standardisés en matière de désistance, mais des interventions orientées sur la désistance. Elles ont pour spécificités de ne pas être focalisées sur « les risques » mais sur les forces mobilisables chez le sujet en vue de sa réinsertion, et sur la reconnaissance par les intervenants et l’environnement du jeune, des efforts et progrès qu’il met en oeuvre (King, 2013 ; Mohammed, 2012 ; Stoll et Jendly, 2018). Elles se retrouvent dans le concept de désistement assisté s’intéressant à la manière dont les interventions formelles et informelles peuvent soutenir le processus de sortie de la délinquance. En mobilisant les ressources et les compétences du justiciable et en posant un regard optimiste et non jugeant sur lui, ces interventions favoriseraient une ouverture vers « d’autres soi possibles » et en même temps une remise en question de l’identité délinquante, soutenant le processus de sortie de la délinquance (F.-Dufour, Villeneuve et Perron, 2018). Les « contenus » de l’intervention ne sont pas les seuls éléments en jeu dans le désistement assisté, la relation entre le justiciable et l’intervenant se trouve au coeur du processus. L’idée en soi n’est pas nouvelle. Il a été montré que la qualité de la relation est aussi importante que la nature du programme d’intervention destiné aux justiciables et qu’elle influence négativement la commission de nouvelles infractions (Burnett et McNeill, 2005 ; Kennealy, Skeem, Manchak et Eno Louden, 2012). Ainsi, une relation professionnelle chaleureuse, respectueuse et empathique, basée sur l’authenticité thérapeutique et une compréhension mutuelle de la nature du traitement aidera le justiciable à surmonter les obstacles rencontrés dans son processus de désistance et à se saisir des opportunités de changement (Kirkwood, 2016). Considérant qu’une relation de qualité soutient et renforce les changements prosociaux et l’identité prosociale, les études du désistement assisté mettent à l’avant-plan l’engagement et la responsabilité de l’intervenant envers le sujet et le suivi. Ceci rejoint une des bases conceptuelles et théoriques du GLM, modèle qui s’est développé principalement, mais pas uniquement, dans le domaine de la délinquance sexuelle, dont nous présenterons ci-dessous les fondements et les implications interventionnelles pour les illustrer ensuite par une étude de cas.

Good Lives Model et délinquance sexuelle

Le GLM est un modèle de réhabilitation humaniste, positiviste et écologique des délinquants sexuels (Ward, Mann et Gannon, 2007) centré sur l’identification des besoins humains fondamentaux et le développement des ressources internes et externes de la personne. Il permet de guider les interventions en fonction des caractéristiques et des circonstances de l’individu et de son environnement en fournissant un cadre conceptuel pour assurer les conditions nécessaires au développement d’un plan concret et réalisable pour la réhabilitation de la personne par des voies prosociales. Selon le GLM, la personne ayant commis un fait de délinquance (sexuelle) est animée comme toute autre personnes par des besoins humains fondamentaux qu’elle tente d’atteindre par des moyens concrets qui eux sont inadaptés. Dans cette optique, la délinquance (sexuelle) peut être comprise comme une stratégie inappropriée visant à répondre à un ou des besoins primaires légitimes. Dès lors, aider le justiciable à répondre de manière prosociale à ses besoins primaires et soutenir l’acquisition et le développement de ressources internes et externes vont favoriser son bien-être et, par conséquent, promouvoir le désistement du crime (Corneille et Devillers, 2017 ; Harris, Pedneault et Willis, 2019 ; Ward et Laws, 2010). Ward a défini onze besoins primaires (primary goods) qui peuvent évoluer en fonction du système de valeurs, des circonstances et du stade de vie de la personne. Les besoins secondaires (secondary goods), quant à eux, constituent des moyens concrets, conventionnels ou déviants, permettant d’accéder aux besoins primaires.

GLM et désistement assisté, des fondements en résonance ?

Les fondements du GLM et ceux de la désistance, reposent tous deux sur une conception positive du changement en se centrant sur les ressources de la personne plutôt que sur les risques (Mohammed, 2012 ; Ward et Laws, 2010). Le vécu subjectif de la personne, ses besoins et son identité sont au centre des processus de changement.

Autre fondement du GLM, le concept de responsabilité active. Il postule que le justiciable est acteur de sa réinsertion tout en précisant que les changements de l’individu dépendent aussi des opportunités rencontrées et créées au sein de la situation de prise de charge et du soutien social dont peut bénéficier l’individu. Lors des interventions, il sera question de mobiliser une responsabilité active permettant d’envisager, d’une part, les conséquences que le jeune peut relier au comportement délictueux pour lui, pour sa famille et son environnement social et, d’autre part, leur intégration dans un plan d’action reprenant les préoccupations de ses proches et de ce qui peut répondre à ses besoins. Comme le soulignent Ware et Mann (2012), le concept de responsabilité active est centré sur les objectifs futurs et un encouragement à des initiatives positives. Il est de nature à renforcer l’agentivité du jeune en lui donnant une place d’acteur, en lui permettant d’agir sur son parcours de vie, et son sentiment de maîtrise, dimension reconnue comme fondamentale dans les théories de la désistance (Liem et Richardson, 2014 ; Maruna, 2001 ; Puglia et Glowacz, 2018). Susciter une responsabilité passive, c’est-à-dire l’expression de remords et de culpabilité quant aux faits commis, est de nature à favoriser le développement d’un sentiment de honte stigmatisant, c’est-à-dire où l’image de soi n’est pas préservée, pouvant conduire à des sentiments dépressifs profonds et à de l’impuissance. Travailler à la responsabilité active favorise au contraire une honte réintégrative qui, elle, est de nature à encourager la désistance (Göbbels et al., 2012).

Du côté de l’intervenant, le GLM implique que le professionnel mobilise ses compétences théoriques et relationnelles en se montrant disponible, ouvert, empathique et en manifestant une attention positive en vue de l’activation des ressources de la personne et de son environnement (Corneille et Devillers, 2017). Cette perspective rejoint d’une certaine façon un principe du désistement assisté qui met en avant la qualité de la relation entre le justiciable et l’intervenant se jouant dans un processus dynamique, interactif et circulaire entre le jeune et son environnement (Kirkwood, 2016). Car si le désistement nécessite une remise en question et un changement de la part du justiciable, l’entourage doit également modifier le regard porté sur lui en reconnaissant et en valorisant ses changements. L’entourage, les intervenants de terrain et plus largement la société sont un miroir pour le justiciable (Maruna, LeBel, Naples et Mitchell, 2004). Eu égard à ces éléments, nous pouvons affirmer que le GLM intègre les concepts des théories du désistement assisté tout comme les interventions GLM se trouvent au service de la désistance. De manière tout à fait intéressante, les principes et outils du GLM ont été adaptés en vue d’interventions auprès d’AAICS.

Adaptation du GLM aux adolescents et cadre de l’intervention

La terminologie et les outils du GLM ont été adaptés par le service G-map (Print, 2013)[2] aux besoins spécifiques de la population adolescente, en intégrant dans le cadre de la prise en charge les systèmes gravitant autour du jeune (famille, soignants, réseau professionnel) en vue d’augmenter l’efficacité des interventions. La liste des besoins primaires a été revue et a abouti à celle de huit besoins humains fondamentaux (Adshead et al., 2013 ; Print, 2013).

  • M’amuser : renvoie à la pulsion humaine à s’engager dans des loisirs et à jouer.

  • Réalisation : concerne le désir humain pour atteindre un sentiment de maîtrise et d’accomplissement, par l’apprentissage, l’acquisition de nouvelles compétences.

  • Être ma propre personne : renvoie au désir humain d’être autonome et d’être un acteur efficace de changement personnel, être indépendant, prendre des décisions, développer un pouvoir d’agir et un sentiment de contrôle interne.

  • Avoir des personnes dans ma vie : désir humain de relation avec les autres, d’appartenir et de forger des liens étroits et affectueux avec les autres. Ce besoin englobe toutes les relations dans lesquelles un jeune atteint un sentiment d’affiliation, d’acceptation sociale et de proximité comme la famille, les pairs, les relations intimes et amoureuses.

  • Avoir un but et changer les choses : concerne le désir humain d’atteindre un sens et une signification qui se prolongent au-delà de l’individu, comme se conformer aux normes sociales, participer à une contribution positive.

  • Être en bonne santé : inclut l’apparence physique, le niveau d’hygiène, le niveau d’éducation sexuelle, les diagnostics formels. Pour la sphère santé, l’intervenant veillera à compléter les renseignements fournis par le jeune par des informations issues de rapports et des rencontres avec la famille :

    • Santé émotionnelle : concerne le besoin humain d’atteindre un sentiment de paix intérieure, d’équilibre émotionnel, de sécurité et de calme – ressources pour s’auto-apaiser, résilience comme la régulation émotionnelle, la santé mentale, le bien-être ;

    • Santé sexuelle : concerne les compétences sexuelles et la satisfaction ; peut inclure les connaissances sexuelles et le développement sexuel ;

    • Santé physique : concerne la propension humaine à atteindre le bien-être physique et s’étend à prendre soin de son corps – sommeil, bonne hygiène, sécurité physique, fonctionnement physique.

L’objectif de l’intervention GLM auprès des adolescents est d’offrir une structure de prise en charge qui permette de déterminer les besoins du jeune, de même que les ressources internes et externes pour les satisfaire (Fortune, 2018). Deux étapes sont entreprises dans le suivi, l’évaluation et le good life plan, même si dans la pratique, elles ne sont pas séquencées mais en constante circularité. L’évaluation commence par un travail avec le jeune en vue de la formulation du problème et de l’examen des hypothèses sur l’apparition et le maintien du comportement sexuel problématique.

La formulation du problème permet au jeune et à l’intervenant de considérer le problème sous un autre angle que celui du délit, de dépasser l’énoncé de l’ordonnance judiciaire du magistrat, en partant du point de vue du jeune. Elle constitue une étape cruciale, notamment dans un contexte d’aide contrainte et participe à l’élaboration d’une demande propre du jeune et à son engagement dans le suivi.

L’évaluation se poursuit par la détermination des besoins à partir d’entretiens semi-structurés visant à établir le Good Lives Plan (GLP). Il faut que les moyens envisagés pour atteindre leur good life soient adaptés à leur âge, qu’ils soient réalistes et qu’ils incorporent de petites étapes mesurables pour lesquelles ils peuvent faire rapidement l’expérience d’un sentiment de réalisation et de feed-back positif.

Suivi GLM d’un AAICS

Dans le cadre de cet article, nous présentons une étude de cas reprenant le suivi d’un AAICS intégrant les logiques et outils du G-map. Le suivi ordonné par mandat judiciaire s’est déroulé sur deux années, 2016-2017. À ce jour, le jeune n’a plus réitéré d’infractions (follow-up un an après la fin du suivi).

Cette présentation illustrera comment le dispositif et les interventions GLM permettent d’influencer positivement une dynamique d’abandon des comportements sexuels problématiques. L’analyse du suivi d’un seul sujet trouve sa pertinence en ce qu’il permet le développement des étapes des interventions GLM, les principes présentés pouvant être généralisés (Noor, 2008 ; Wylie et Griffin, 2013). Il s’agira à partir de cette vignette clinique de questionner tant la posture des intervenants que les outils proposés au jeune et à son système familial, soutenant l’engagement dans la prise en charge et l’amélioration des aptitudes au changement.

François a 15 ans lorsqu’il est orienté par le Tribunal de la famille pour des faits d’abus sexuels commis sur sa petite soeur de cinq ans (cinq situations d’abus sur une période de deux mois) et des attouchements sur un cousin de son âge (un fait isolé). La demande du juge est qu’il se remette en question, se responsabilise, prenne conscience de la gravité des faits et intègre les règles de vie en société. Le juge de la Jeunesse ordonne un suivi psychosexothérapeutique du jeune ainsi qu’un suivi psychothérapeutique des deux parents de François au sein d’un service spécialisé pour les faits d’abus sexuels intrafamiliaux. Le juge prescrit également des heures d’intérêt général ainsi que l’observance du respect des mesures par une déléguée du Service de protection judiciaire. Les mesures de suivi et de réalisation de prestations éducatives et philanthropiques sont consécutives à un placement de trois mois du jeune au sein d’un service fermé d’observation et d’orientation où le projet de retour en famille a été décidé.

Le couple parental est séparé, la mère a refait sa vie et a eu une enfant de sa seconde union, Léa, cinq ans, dont François a abusé sexuellement. François se rend un week-end sur deux chez son père. À la suite de la révélation des faits par Léa à sa mère, il a été décidé, au retour d’un week-end chez son père, que le jeune resterait chez ce dernier les jours où sa soeur devait se trouver chez sa mère. François est scolarisé en enseignement général. Depuis l’interpellation judiciaire, il subit du harcèlement sur les réseaux sociaux. Le père de son cousin, son cousin ainsi que le père de Léa (dont la mère est séparée) diffusent des contenus haineux et véhiculent le message que François est un pédophile. De l’âge de huit ans à neuf ans, il a subi des abus sexuels d’un cousin qui était de quatre ans son aîné.

Plan d’intervention GLM

Les étapes de l’intervention et leur logique sont exposées lors d’une première séance dédiée à l’engagement du jeune dans le suivi et à la prise de connaissance de son vécu et de son positionnement relativement aux mesures sociojudiciaires ordonnées par le Tribunal de la jeunesse. Quatre phases permettront de coconstruire le plan de suivi : prétraitement, évaluation, intervention et bilan.

1. La rencontre prétraitement

D’emblée, lors du premier entretien, le jeune exprime :

Tout le monde me dit que j’ai un problème, mais moi je me sens bien comme ça, j’ai juste eu un dérapage une fois avec ma petite soeur et du coup, tout le monde pense que je suis un pédophile, c’est important que je fasse mes heures ici avec vous, car je n’ai pas du tout envie de retourner en IPPJ (Institution publique de protection de la jeunesse pour les jeunes délinquants où il a séjourné en régime fermé).

La présentation que le jeune livre de lui, de ses attentes quant au traitement et de son rapport aux faits qui lui sont reprochés pourrait être considérée comme un obstacle à la mise en place d’une intervention. Dans la prise en charge GLM, il revient à l’intervenant de créer un contexte et une relation favorables à l’engagement du jeune en partant de ses positions initiales et de ses représentations, de ses blocages et de ses peurs. Les motivations de François sont associées à sa peur de retourner en IPPJ, sa souffrance relève de l’assimilation de son identité à celle d’un pédophile. Le refus d’être assimilé aux actes qu’il a commis apparaît comme une revendication latente du droit à exister sous une autre identité que l’étiquette qui lui a été assignée. Pour ce faire, il déploie des stratégies de minimisation qui peuvent être vues comme des mécanismes de neutralisation, mais aussi comme un besoin d’être vu autrement que comme un jeune délinquant sexuel et de protéger une image déjà lourdement entachée. Cette préoccupation ainsi exprimée est très fréquemment observée chez les AAICS redoutant d’être perçus comme des pédophiles.

Les interventions GLM, durant tout le suivi, sont guidées par le souci de délabellisation en vue d’une reconstruction identitaire positive. L’enjeu sera de susciter des motivations chez le jeune par rapport à un travail en vue d’un mieux-être, et de soutenir au sein de son entourage la croyance en ses capacités à changer (Maruna et al., 2004). Il est essentiel au départ de la prise en charge, de solliciter un accord minimal du jeune à rencontrer l’intervenant mandaté pour le suivi afin et de convenir ensemble d’objectifs communs à poursuivre.

2. Phase d’évaluation et ses objectifs

Quatre étapes sont suivies pour élaborer le plan d’intervention dans une dynamique de co-construction et d’implication du jeune :

Étape 1 : Définir le problème avec le jeune et partir de ce qu’il conçoit comme étant ses difficultés dans sa vie. Selon le jeune, les attouchements sur sa soeur et sur son cousin relèvent d’un écart de conduite du passé ; il affirme être certain que le « dérapage » ne se reproduira pas. Au fil de l’entretien, François pose le constat que les relations amoureuses sont insatisfaisantes et les relations en famille sont tendues et empruntes d’incompréhension et de tensions permanentes.

Étape 2 : Codéfinir des objectifs mesurables et appréciables à différents temps de la prise en charge. Des objectifs ont été définis par le jeune et l’intervenant autour de deux axes : optimaliser la qualité des relations familiales et les opportunités de relations amoureuses. La compréhension du contexte global dans lequel se sont produits les abus sexuels est un objectif complémentaire à ceux définis par le jeune.

Étape 3 : Examiner les besoins primaires et secondaires actuels (jusqu’à six mois précédant la prise en charge). L’investigation des besoins primaires et secondaires est menée dans des entretiens semi-directifs et à l’aide d’un guide de questions proposé par le G-map (traduit et adapté aux besoins de notre cadre d’intervention, Print, 2013 ; Print et O’Callaghan, 2004). Cette évaluation n’en est pas une du risque de récidive mais bien celle qui va tenir compte des risques, des facteurs de résilience et des forces. Le tableau ci-dessous présente un résumé non exhaustif des entretiens menés :

Tableau 1

Besoins primaires et secondaires

Besoins primaires et secondaires

Tableau 1 (suite)

Besoins primaires et secondaires

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Étape 4 : Examiner les besoins à l’époque de la période délictuelle. Lors de cette phase, sont explorés le contexte personnel et environnemental des faits, le modus operandi ainsi que le vécu du jeune au moment des faits. C’est à cette étape que sont étudiés les facteurs de risque dynamiques (utiles à la précision des besoins criminogènes) dont la réduction participe au développement des composantes psychologiques soutenant la désistance (Polaschek, 2016).

François exprime que les abus sexuels avec sa petite soeur et son cousin lui ont permis de combler le vide affectif qu’il ressentait à l’époque (avoir des personnes dans ma vie). Avec son cousin, il ressentait le plaisir d’être avec lui, de se sentir utile et compris (bonheur), de jouer et de passer de bons moments (amusement). Les moments partagés lui permettaient de se sentir heureux et d’apporter du positif (avoir un but et changer les choses) dans une vie qui lui paraissant insignifiante. Bien qu’animé par le besoin de protéger sa soeur, il ressent le besoin de se venger, à cause d’une place qui n’est pas investie ni reconnue, par sa soeur interposée, voulant de la sorte faire du mal à son père et à sa mère.

En synthèse, lors de l’exploration des besoins non satisfaits à l’époque des faits, le jeune reconnaît qu’il ne parvient pas à exprimer tous ses sentiments négatifs, qu’il ressent un vide intense et ne croit pas en l’avenir. Les conséquences principales étant un repli sur soi, de l’agressivité en famille et des difficultés scolaires par manque de sens dans sa vie, constaté dans le parcours en enseignement général.

Lors de l’exploration de ses besoins, il est relevé une absence totale d’étayage positif tant dans la sphère privée que sociale, une absence de stimulation affective de la part de ses familiers, un manque de capacité à se projeter dans un avenir porteur de sens avec, en corollaire, un sentiment d’affliction implicite.

Sur base de ce bilan, le plan de suivi a été coconstruit par François et le thérapeute. Un accord a été recherché sur le bilan des besoins, les buts et les moyens à déterminer pour répondre à ses besoins. Les phases d’intervention ont pu être élaborées comme suit.

3. Phases d’intervention – objectifs et moyens

Premièrement, se retrouver dans sa trajectoire, redonner du sens aux différents épisodes de sa vie en développant une différenciation des émotions par un récit de vie repris dans un travail d’historicisation.

Deuxièmement, accéder à ses besoins émotionnels par un travail axé sur l’exploration et la gestion des émotions, cognitions et états physiologiques. À partir de différentes situations du quotidien du jeune, un travail a été mené en vue d’une différenciation des pensées, états émotionnels et réactions physiologiques. L’accent mis en continu sur l’alliance thérapeutique a été essentiel afin de contraster avec les patterns relationnels que le jeune a toujours connus jusqu’alors. La négociation de la fréquence des entretiens, des étapes du suivi, de l’invitation des parents à certaines séances, de l’adaptation des objectifs au quotidien du jeune a été un axe décisif de la construction du plan de traitement. Les moyens pour réguler ses états émotionnels difficiles ont été renforcés par des séances de relaxation ponctuelle. Le jeune a pu se réapproprier certaines techniques de relaxation en vue de les utiliser en situation individuelle, notamment en lien avec ses troubles du sommeil.

Troisièmement, développer l’affirmation de soi et ouvrir sur des opportunités de construction d’une identité positive. Cet objectif passe notamment par la reconnaissance de sa détresse, de sa colère et de ses difficultés au sein de la famille mais aussi au sein du réseau d’intervention. L’accent a été également mis sur la détermination des moyens pour satisfaire ses besoins à partir de la création d’un espace où il pouvait être entendu. Un frein majeur a été « l’enfermement » des intervenants du réseau dans la croyance que François avait besoin de s’affilier à son père pour se construire, alors que François exprimait le besoin de maintenir une distance avec ce père perçu comme défaillant, non disponible et absorbé par ses préoccupations amoureuses et personnelles, ne pouvant de la sorte représenter pour lui une figure stable d’attachement. Lors des réunions avec les intervenants qui rencontraient la famille, le discours insistant prônant l’importance de relations privilégiées avec le père renforçait le vécu d’incompréhension du jeune et freinait son besoin d’autoréalisation et d’efficacité personnelle. Notre intervention a été de traduire les attentes des intervenants en objectifs nettement identifiables, connectés aux besoins de François qui pouvait s’exprimer et se constituer en tant que sujet reconnu dans son identité en construction.

Quatrièmement, définition d’un Good life plan qui intègre les trois phases précédentes ainsi que les actions concrètes et mesurables à réaliser par le jeune lui-même et l’ensemble des intervenants psychosociojudiciaires et familiaux.

Durant le suivi, l’intervenant est resté le garant du maintien du lien thérapeutique, devenant un référent sécurisant, apparaissant comme un tuteur de désistance. Le dispositif mis en place a d’emblée intégré les membres du système familial, non pas pour entreprendre une thérapie familiale, mais bien pour convoquer les ressources et les limites de la famille au profit de la désistance du jeune. Dans une perspective collaborative, plusieurs acteurs sociaux du réseau de la protection de la jeunesse, du réseau scolaire et social du jeune ont été mobilisés dans une réflexion et des actions de type GLM. Ce faisant, les interventions croisées ont permis de soutenir la transformation de l’image du jeune au sein du réseau social, transitant de celle du délinquant sexuel à celle d’un adolescent avec ses faiblesses, ses forces et ses besoins. À titre d’illustration, la réalisation des heures de prestations d’intérêt général s’est avérée très positive. Le jeune a été entendu dans son souhait de s’occuper des personnes âgées (besoin de se sentir utile). Le feed-back positif, émanant du service de prestations éducatives, quant à la régularité de ses présences, son écoute attentive des consignes des soins à prodiguer aux aînés, sa fiabilité et son sens des responsabilités a été transmis au jeune lors d’un entretien entre intervenants ainsi qu’en audience de cabinet chez le juge de la Jeunesse.

Il s’agissait là d’une première expérience de communication positive avec des intervenants initialement mandatés par rapport à l’infraction sexuelle et lui transmettant un feed-back positif sur ses compétences relationnelles et ses forces.

4. Le bilan de l’évolution et la préparation de l’après-traitement

À la fin du traitement, un bilan est établi avec François au cours duquel il reconnaît les ressources ayant été mobilisées en cours de suivi.

Les ressources internes

  • Une reconnaissance de la charge émotionnelle liée aux diverses situations d’adversité du jeune (abus sexuel subi et impossibilité de le dénoncer, divorce, manque d’attention perçu de la part des parents), de leur influence sur le façonnage de ses cognitions, représentations et émotions, et une capacité à réguler les affects négatifs du quotidien ;

  • Une prise de conscience des motivations au passage à l’acte (besoins secondaires) et une récognition des moyens adaptés pour répondre aux besoins primaires ;

  • Une capacité à sublimer les pulsions sexuelles et agressives vers des voies prosociales et épanouissantes ;

  • Un regard nuancé porté sur soi, partant de ses forces et faiblesses ;

  • Une définition d’un projet de vie, s’appuyant sur des perspectives concrètes liées à ses aspirations propres et non à celles de son entourage ;

  • Une réattribution par le jeune du désintérêt de son père comme étant lié à des carences de ce dernier et non pas à une incapacité du jeune à solliciter l’attention et l’amour de ses parents.

Les ressources externes

  • Une reconnaissance par l’autorité mandante de l’évolution positive du jeune lui a été verbalisée en audience de cabinet, devant ses parents et l’ensemble des intervenants psychosociaux ;

  • Le maintien du dispositif de suivi et du lien thérapeutique « quoi qu’il advienne », malgré sa tentative personnelle de le mettre à mal, lui a permis d’expérimenter un lien sécurisant et contenant.

Le follow-up un an après le suivi rend compte de l’insertion de François sur le plan social où un changement d’orientation vers une forme d’enseignement en alternance lui a permis de se réaliser dans un domaine qui lui plaît. Pendant son stage chez un patron, il a reçu un feed-back positif quant à son savoir-faire au service de la profession et à ses capacités relationnelles avec un patron et une clientèle, soulignant la bonne humeur et l’humour qui le caractérisent. Après un an et demi chez le même patron, une promesse d’engagement s’est concrétisée. Un ancrage dans une relation amoureuse stable lui renvoie son habileté non seulement à entreprendre une relation amoureuse mais aussi à la maintenir dans le temps. La reconnaissance par les intervenants judiciaires, psychosociaux et scolaires est venue marquer un élément essentiel de la désistance, à savoir la reconnaissance sociale du changement.

Discussion et conclusion

Cet article avait pour vocation de mettre en perspective les convergences des paradigmes de la désistance et du GLM, plaçant tous deux en leur centre « le délinquant », appréhendé non pas sous le prisme de sa dangerosité, mais comme un sujet en développement susceptible de transformations positives. De toute évidence, le GLM intègre des concepts de la désistance, notamment en se centrant sur les ressources plutôt que sur les risques, et en considérant l’individu comme acteur de son changement tout en reconnaissant le rôle de l’entourage et de la société dans le processus de changement. La détermination des besoins et le développement des moyens nécessaires à leur satisfaction comme cibles de traitement proposent pour le jeune des voies vers une vie plus épanouissante, porteuse de sens, contribuant à l’éloignement des risques de récidive et à la désistance. Le GLM vient créer une ouverture pour un désistement secondaire, en ce sens qu’il vient soutenir un changement identitaire et une modification comportementale chez le sujet (F-Dufour et al., 2018).

La présentation du suivi de François, mineur ayant commis un délit sexuel, a illustré très précisément les logiques et les axes d’intervention GLM. Un des atouts majeurs du travail GLM avec François a été d’offrir d’emblée un cadre « déstigmatisant », non jugeant et bienveillant en vue de l’exploration de son fonctionnement. Par une compréhension des besoins non comblés et sous-jacents au passage à l’acte, le suivi GLM a permis au jeune de se connecter à ses états émotionnels et d’apprendre à leur donner une issue positive. La connaissance de soi et la prise de conscience de ses processus internes soutenues dans le suivi constituent, ainsi que l’ont relevé des récentes recherches en délinquance sexuelle, de nouvelles ressources pour le sujet en vue de sa désistance (Harris et al., 2019). François a pu de la sorte accéder à l’idée que le recours aux comportements sexuels problématiques a été le moyen de répondre à divers besoins non exprimés, non reconnus et non satisfaits.

L’attention portée pendant tout le processus thérapeutique à la valorisation des ressources du jeune et à la création d’un lien thérapeute/patient a permis l’expérience d’un environnement sur lequel prendre appui, facilitant la construction d’un fonctionnement émotionnel plus adaptatif. Dans ce contexte d’alliance collaborative, le travail selon la logique GLM a favorisé une reprise de contrôle et des choix assumés par le jeune dans le cadre d’une acceptation d’une trajectoire de vie et d’une réalité certes pas facile mais auxquelles le jeune a pu donner un sens, levier d’un avenir qui lui corresponde, où il peut désormais prendre la place d’un sujet acteur de son devenir. Bien que le GLM propose un cadre à penser et à organiser les interventions au départ d’une priorisation des besoins et de la qualité de l’alliance thérapeutique, l’optique d’intervention partagée par la majorité des intervenants est restée la prévention de la récidive. Soulignons toutefois que la poursuite du travail, par le clinicien mandaté pour le suivi individuel du jeune orienté sur les besoins de ce dernier, a conduit les intervenants à modifier leurs convictions de départ de l’incapacité du jeune à construire son projet de vie à distance de ses parents, pour peu à peu reconnaître les effets positifs d’une centration sur les leviers d’agentivité du jeune, lui permettant ainsi d’accéder à une meilleure estime de lui et à un certain pouvoir de choix et de décision dans sa vie. Par ailleurs, les facteurs de risque ont été pris en compte par le clinicien comme point de vigilance à observer sur les obstacles qui peuvent se présenter sur le chemin de l’atteinte des besoins primaires et de la désistance. Le juge de la Jeunesse, quant à lui, a reconnu l’intérêt d’un travail articulé au départ des forces et besoins du jeune.

Au cours de ce suivi, il a été discuté en quoi les interventions GLM s’inscrivaient dans la logique du désistement assisté, par la délabellisation, la valorisation des ressources du jeune et la reprise du contrôle sur sa vie, ainsi que du soutien à l’agentivité. Outre l’importance accordée à la qualité de la relation thérapeutique, le GLM a permis de replacer la responsabilité de la réussite de la prise en charge non seulement sur le justiciable mais également sur le thérapeute qui doit rester le garant de conditions propices à l’accès et au maintien du jeune dans la thérapie.

Enfin, bien que cet article mette l’accent, dans la présentation du cas clinique, sur la prise en charge individuelle, il est à souligner que la richesse du GLM réside également dans sa faculté à permettre aux équipes pluridisciplinaires d’intégrer une gamme d’évaluations et d’informations diagnostiques, de connaissances professionnelles et de théories en une compréhension riche et cohérente de leurs usagers.

En conclusion, en tant qu’approche fondée sur les forces et les besoins pour comprendre et traiter les infractions sexuelles, le GLM propose un modèle de réhabilitation intégrant les paradigmes et fondements de la désistance. Les recherches sur la désistance en délinquance sexuelle des mineurs et sur les évaluations des dispositifs d’intervention GLM restent rares, elles devraient être encouragées et soutenues car elles présentent des approches innovantes et prometteuses.