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Introduction

L’ensemble des travaux récents sur le désistement du crime montre que des changements importants se produisent tant sur le plan agentiel (modification du script narratif, changements identitaires) que sur le plan structurel (modification des relations sociales, prise d’opportunités de changement). Le désistement est, en quelque sorte, le résultat d’un contexte situationnel dans lequel converge un ensemble de facteurs créant une dynamique propice à l’engagement et au changement de l’individu (Lloyd et Serin, 2012).

Une meilleure connaissance des facteurs et des circonstances qui mènent un individu à se désister pourrait générer des pistes d’intervention fiables et adaptées aux intervenants pour motiver et assister les personnes contrevenantes (Rex, 1999). De plus en plus d’études démontrent que, pour plusieurs individus, l’arrêt définitif des comportements criminels s’inscrit dans une dynamique d’aide et de soutien (King, 2013). Ainsi, la recherche sur le désistement assisté débouche sur des contributions pratiques prometteuses relatives au soutien pouvant être apporté aux personnes contrevenantes dans leurs efforts de réinsertion.

Les recherches sur le désistement assisté se sont majoritairement centrées sur des interventions dans un contexte correctionnel ou dans la période suivant un contact avec les autorités. La spécificité de la pratique et du rôle de l’intervention formelle et informelle dans ce type d’environnement a fait l’objet de plusieurs recherches (Bourgon et Guiterrez, 2013). Or, on sait peu de choses sur l’assistance qui soutient le désistement dans d’autres contextes ni sur les différentes déclinaisons qu’elle peut prendre selon les trajectoires criminelles. Sur la base de l’expérience subjective des personnes impliquées essentiellement dans une criminalité lucrative, cette étude veut explorer la manière dont le désistement assisté s’est articulé dans leur processus de désistement, le but étant d’examiner la présence de l’assistance dans de tels parcours de vie et de mieux cerner, le cas échéant, les moments où l’assistance est offerte et les formes qu’elle peut prendre. À cette fin, des récits de vie narratifs traceront les trajectoires des personnes recrutées dans la communauté.

Criminalité lucrative

Blumstein, Cohen et Farrington (1988) définissent la carrière criminelle comme une séquence longitudinale durant laquelle des crimes sont commis par un individu. Il existe un intérêt manifeste pour la compréhension des carrières criminelles de délinquants impliqués dans une criminalité lucrative puisque la majorité des crimes commis sont motivés par l’appât du gain (Uggen et Thompson, 2003). Au Canada en 2017, les crimes contre les biens et les infractions relatives aux drogues représentaient 60 % des crimes déclarés à la police (Statistique Canada, 2018). Les crimes lucratifs, économiques ou orientés vers le profit regroupent une vaste gamme d’actions. Certaines reposent sur l’usage de la force (p. ex. : braquage), d’autres misent sur la fraude (p. ex. : hameçonnage) et d’autres passent par des échanges sur un marché libre (p. ex. : revente de drogues). Certains de ces crimes font des victimes, d’autres sont consensuels entre le délinquant et son client (Naylor, 2003). Les crimes commis par une personne sont des épisodes interreliés de choix successifs poursuivant les mêmes fins (Hochstetler, 2002). Ainsi, les motifs qui incitent les délinquants à s’engager dans des crimes lucratifs pourraient avoir tendance à être similaires. Selon Naylor (2003), les crimes lucratifs sont motivés, du moins partiellement, par des intérêts mercantiles. Aussi, la finalité des activités criminelles expliquerait la décision des délinquants de cesser ou de poursuivre leurs activités illicites (Ouellet et Tremblay, 2014). Il apparaît pertinent dans une perspective d’intervention d’examiner les finalités qui motivent une telle implication.

La perspective du choix rationnel donne un cadre de référence pour comprendre les motifs derrière l’implication criminelle. L’approche du choix rationnel décrit le délinquant comme un acteur dirigé vers une fin qui évalue constamment les avantages et les inconvénients dans le processus de passage à l’acte (Becker, 1968). Les délinquants seraient des êtres rationnels essentiellement motivés par la recherche de bénéfices (Becker, 1968 ; Ehrlich, 1973 ; McCarthy, 2002). Naylor (2003) suggérait que la finalité anticipée derrière l’implication dans une criminalité lucrative ne se limitait pas à l’attrait financier de ces crimes : les travaux sur la réussite criminelle ont montré que les bénéfices du crime peuvent prendre différentes formes. Par exemple, elle s’expérimente à travers l’évitement des coûts, soit les expériences d’impunité (Kazemian, LeBlanc, Farrington et Pease, 2007 ; Ouellet et Bouchard, 2017), la perception de succès ou la confiance en ses capacités (Brezina et Topalli, 2012 ; Laferrière et Morselli, 2015 ; McCarthy et Hagan, 2001) ou même le statut ou la réputation dans les milieux criminels (Décary-Hétu et Dupont, 2013 ; Tremblay et Morselli, 2000).

Le délinquant est conscient des coûts et des bénéfices du crime et accepte délibérément d’y mettre un terme pour certains motifs (fatigue du mode de vie criminel, désir de ne plus avoir de démêlés avec la justice, de ne plus décevoir l’entourage, etc.) (Barry, 2013). Les récits de délinquance orientés vers le profit de Ouellet, Chouinard et Dubois (2020) ainsi que Vidal, Ouellet et Dubois (2020) ont montré que la détermination des bénéfices recherchés dans le crime permet une meilleure compréhension des éléments essentiels au maintien du désistement montrant que la réforme passe par la recherche de substitut aux finalités criminelles. La compréhension des finalités qui animent le passage à l’acte peut donc être utile aux interventions favorisant le désistement dans la mesure où elle pourrait offrir des pistes intéressantes sur les éléments susceptibles de favoriser la réinsertion sociale de ces délinquants.

Désistement assisté

De manière de plus en plus consensuelle, on conçoit le désistement du crime comme un processus graduel d’arrêt et de maintien à long terme de l’abstinence de comportements délictueux (Bushway, Piquero, Broidy, Cauffman et Mazerolle, 2001 ; Kazemian, 2016 ; Maruna, 2001). Maruna, Immarigeon et LeBel (2004) proposent que ce processus se déroule en deux phases : le désistement primaire correspond à l’arrêt, même temporaire, des comportements criminels, alors que le désistement secondaire consiste à maintenir cette abstinence et implique un changement identitaire. Selon McNeill (2016), le processus se complète avec le désistement tertiaire, soit la modification dans le sentiment d’appartenance de l’individu à sa communauté morale et politique.

De nombreuses études se sont intéressées à l’étiologie du désistement. Bien que cette question demeure complexe, la communauté scientifique tend à s’entendre sur l’idée qu’une multiplicité de facteurs et de mécanismes sont à considérer (Kazemian, 2016) et que le désistement est susceptible d’impliquer une combinaison de facteurs internes et externes à l’individu (Deane, Bracken et Morrissette, 2007 ; Serin et Lloyd, 2009). C’est dans cette influence possible d’éléments extrinsèques sur la sortie du crime que s’inscrit le désistement assisté.

Selon une publication récente, le désistement assisté pourrait se définir comme « toute intervention auprès d’une personne judiciarisée qui vise, directement ou indirectement, le maintien d’une abstinence du crime » (F.-Dufour, Villeneuve et Perron, 2018, p. 213). King (2013) serait le premier chercheur à avoir fait référence à ce concept dans son étude sur l’impact du suivi probatoire sur le processus de désistement. Il référait alors aux facteurs assistant les individus dans leur sortie du crime et à l’impact de différentes interventions du système judiciaire. Plusieurs travaux ont conclu que les interventions des agents de probation[3] peuvent avoir un impact positif sur le processus de désistement (Burnett et McNeill, 2005 ; Farrall, 2016 ; Farrall, Hunter, Sharpe et Calverley, 2014 ; McCulloch, 2005 ; Rex, 1999). Elles favorisent notamment la motivation, le développement personnel et la confiance en soi qui sont nécessaires au désistement (King, 2013). L’établissement d’une relation de confiance, la continuité et la cohérence dans l’intervention sont des éléments clés (Barry, 2007, 2013). La portée des interventions formelles comme la probation a toutefois des limites. La majorité des études présentent des résultats mixtes, où une portion non négligeable des participants n’associe pas la probation à une expérience positive. À ce sujet, Farrall (2016) souligne que les résultats négatifs de certaines études peuvent s’expliquer par un effet retardé des bienfaits de ces interventions. Une étude québécoise montre toutefois que la réceptivité aux interventions dans le cadre de l’emprisonnement avec sursis varie selon les parcours de désistement identifiés (F.-Dufour, 2015).

Dans ce contexte, des interventions dites informelles peuvent compléter l’assistance offerte aux personnes contrevenantes. D’une part, les interventions formelles de désistement assisté sont offertes par des professionnels responsables d’assurer la réinsertion sociale (agents des services correctionnels, agents de probation, conseillers en milieu carcéral) pour une population généralement contrainte (ex. : détenus, probationnaires) et d’autre part, les interventions informelles sont offertes par des intervenants communautaires, souvent bénévoles, qui interviennent auprès d’individus généralement volontaires (F.-Dufour et al., 2018). Selon Cheliotis, Jordanoska et Sekol (2014), ces interventions informelles sont plus flexibles et pourraient s’avérer plus appropriées à la promotion de la réforme personnelle que constitue le désistement du crime. Elles pourraient soutenir le désistement en favorisant le développement d’une nouvelle identité ainsi qu’une modification de la perception de soi et des autres (F.-Dufour et al., 2018). Toutefois, on ignore si les effets de ces programmes sont durables (F.-Dufour et al., 2018).

Les études montrent aussi que le soutien social est central à la réussite du processus (Cid et Martí, 2017 ; Martinez, 2009 ; Maruna, 2001). Pour certains, l’idée est que l’identité étant socialement construite et négociée, la réussite du désistement dépend alors de la perception que l’individu a de lui-même et de la manière dont il est perçu par les autres (Braithwaite, 1989 ; Maruna, Lebel, Mitchell et Naples, 2004 ; Maruna, Lebel, Naples et Mitchell, 2009). McNeill (2016) précise que la nouvelle identité doit être reconnue informellement (relations sociales) et formellement (lois et État). Or, on sait peu de choses sur l’assistance soutenant le désistement dans des contextes externes aux interventions structurées, notamment le rôle du réseau social dans le désistement assisté.

Les connaissances actuelles sur le désistement de la délinquance lucrative sont peu développées et semblent indiquer qu’une diversité de facteurs (individuels, contextuels et sociaux) est impliquée dans le processus menant à la sortie du crime. Des travaux récents montrent l’existence de parcours multiples menant au désistement où l’amorce et le maintien de l’abstinence sont modulés par de nombreux facteurs, dont les caractéristiques de la carrière criminelle antérieure, ainsi que le niveau de succès atteint dans le crime (Vidal et al., 2020). Néanmoins, aucune étude recensée ne s’est intéressée à la place de l’assistance dans le désistement de la criminalité lucrative.

Présente étude

L’absence d’une définition claire et qui fait consensus rend la définition conceptuelle du désistement assisté étendue et variable d’une étude à l’autre (F.-Dufour et al., 2018). La littérature actuelle s’est davantage concentrée sur l’effet de l’assistance dans un contexte particulier et n’a pas tenu compte des caractéristiques de la carrière criminelle. L’étude de Dubois et Ouellet (soumis pour publication) a montré que les défis de la réinsertion sociale étaient différents selon le type de délinquance, par exemple les personnes ayant commis une infraction sexuelle ne se heurtent pas aux mêmes obstacles que les autres. Il est donc possible de concevoir que les besoins et le type d’aide ou d’intervention favorisant le désistement diffèrent en fonction de la nature des crimes commis ou de l’importance de l’implication criminelle. La présente étude vise à explorer la présence de désistement assisté dans les trajectoires d’individus majoritairement impliqués dans une criminalité lucrative. En se basant sur la perception des participants, une exploration de la reconnaissance de l’assistance reçue dans le processus de désistement est d’abord proposée. Puis, l’intérêt est dirigé vers les différentes manifestations du désistement assisté, ainsi que les moments où intervient l’assistance dans ce processus.

Méthodologie

Les analyses du présent article sont le résultat de l’utilisation secondaire de données d’un autre projet de recherche, dont l’objectif était de reconstruire les trajectoires de vie d’individus ayant poursuivi une carrière criminelle lucrative pour mieux comprendre le processus de maintien à long terme du désistement criminel. Il visait plus spécifiquement à comprendre le sens et représenter le processus derrière le désistement du crime, et à examiner l’influence de la carrière criminelle passée sur le processus de désistement et de réinsertion sociale. Un intérêt particulier était dirigé vers l’incidence de la réussite criminelle sur le processus de désistement. Le désistement assisté n’était donc pas une thématique centrale dans ce projet, mais des questions complémentaires liées aux interventions et à l’aide reçues pouvaient être posées en cours d’entretien. Ces questions faisaient partie de la grille d’entretien utilisée (sous forme de relance possible), mais n’ont pas été systématiquement discutées.

Participants

Entre 2015 et 2017, 27 personnes s’étant désistées du crime résidant dans la province du Québec ont été rencontrées. Les entretiens planifiés, dont l’objectif principal était de permettre aux participants de « raconter leur histoire », duraient environ 2 heures et comprenaient un court questionnaire colligeant des informations sur les paramètres de la carrière criminelle passée. Trois critères ont été utilisés pour sélectionner les participants. Premièrement, ils devaient avoir mis fin à leur carrière criminelle au moins un an avant de participer à l’étude. Deuxièmement, ils devaient avoir eu une implication criminelle soutenue et régulière au cours de leur carrière criminelle en ayant été criminellement actifs sur une base quasi mensuelle durant au moins deux ans. Troisièmement, la plupart des crimes commis durant leur carrière criminelle devaient être des crimes lucratifs (p. ex. : vol qualifié, trafic de drogue, fraude, etc.).

Plusieurs stratégies de recrutement ont été utilisées. D’abord, le projet de recherche a été annoncé sur les réseaux sociaux (N = 11). Les participants ont également été sollicités par l’intermédiaire des partenaires de l’École de criminologie de l’Université de Montréal (milieux d’intervention et anciens étudiants, N = 9). Finalement, les participants rencontrés ont été utilisés comme source d’identification d’autres participants (N = 7), selon la technique d’échantillonnage en boule de neige.

Instruments et procédures

Avant de commencer les entretiens, un court questionnaire basé sur la méthode des calendriers d’histoire de vie a servi à collecter des informations détaillées sur l’ensemble de la carrière criminelle, et sur le contexte et les circonstances de vie. Les calendriers d’histoire de vie sont utilisés pour décrire les parcours individuels et délimiter les différentes trajectoires qui les composent. Cette méthode améliore notamment la qualité des données en aidant les participants à synchroniser visuellement et mentalement plusieurs types d’événements (Freedman, Thornton, Camburn, Alwin et Young-DeMarco, 1988). L’instrument développé dans ce projet fournissait aux participants des repères pour organiser et structurer leur histoire. L’instrument se divise par thèmes et couvre, sur une base annuelle, différentes trajectoires composant le parcours de vie des participants. En moyenne, 30 minutes étaient nécessaires pour remplir ce questionnaire. Les données des calendriers d’histoire de vie ont été principalement utilisées à des fins descriptives.

L’étude des récits de vie narratifs est une méthode qualitative visant à reconstruire l’expérience subjective du participant autour d’une identité narrative (Josselson et Lieblich, 1993 ; Maruna, 2001 ; McAdams, 1985). L’intérêt derrière cette méthode n’est pas dans la véracité des propos, mais dans le sens que l’individu attache à ces faits (Maruna, 2001). Les récits narratifs des participants permettent un regard rétrospectif sur le parcours de vie et sur le sens attribué aux événements passés. La consigne de départ était : « Au cours de l’entretien, j’aimerais que nous abordions les thèmes suivants : votre trajectoire/histoire de vie, votre parcours criminel, votre succès criminel, votre désistement, le maintien de votre désistement ainsi que les changements survenus dans votre vie. En ayant en tête les thèmes suivants, pouvez-vous me parler de votre vie jusqu’au moment où vous avez cessé vos activités criminelles ? » Une grille d’entretien contenait les thèmes principaux et secondaires à aborder : la trajectoire de vie générale, le parcours criminel, le succès criminel, le désistement du crime, le maintien du désistement et le changement d’identité (si mentionné lors de l’entretien).

Caractéristiques des participants

Les participants étaient principalement des hommes (92,6 %) âgés en moyenne de 38,4 ans. Tous étaient francophones. Ils étaient également principalement canadiens (92,6 %) et célibataires au moment de l’entretien (70,4 %). Quant au plus haut niveau d’études atteint, 25,9 % des participants n’avaient pas terminé leurs études secondaires, 14,8 % avaient un diplôme d’études secondaires, 37 %, un diplôme d’études professionnelles ou un diplôme d’études collégiales et 22,2 %, un diplôme universitaire. Près de 60 % des personnes de l’échantillon étaient célibataires et sans emploi pour plus de la moitié de leur vie adulte.

En ce qui a trait aux paramètres de la carrière criminelle (Tableau 1), les participants avaient en moyenne commencé leur implication dans le crime peu après leur 18e anniversaire. La durée moyenne de leur carrière criminelle était de 16 ans. Ils avaient commis en moyenne 2,5 types d’activités criminelles différentes au cours de leur carrière criminelle et une proportion importante des participants (29,6 %) s’étaient spécialisés dans un type de crime. La revente et la distribution de drogue (85,2 %), le vol (40,7 %), le cambriolage (29,6 %), le vol qualifié (25,9 %) et la fraude (22,2 %) constituaient les activités les plus courantes.

Les calendriers d’histoire de vie révèlent que les revenus générés par le crime sont considérables : les revenus totaux pour l’ensemble de la carrière criminelle des participants s’élevaient en moyenne à plus d’un million et demi de dollars (1 532 908,33 $). En considérant la durée des carrières, ceci équivaut à un revenu criminel annuel moyen de 126 422,87 $. Quant au parcours judiciaire, à l’exception d’un seul participant, l’ensemble des participants a fait l’objet d’au moins une arrestation, le nombre d’arrestations variant entre 1 et 25. La majorité (77,7 %) a été incarcérée et le nombre total d’années d’emprisonnement varie entre 1 et 31 ans.

TABLEAU 1

Description des caractéristiques de la carrière criminelle (C.C.) des participants

Description des caractéristiques de la carrière criminelle (C.C.) des participants

TABLEAU 1 (suite)

Description des caractéristiques de la carrière criminelle (C.C.) des participants

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Stratégie d’analyse

Une analyse de contenu thématique relativement à l’objet d’étude a été menée à partir des transcriptions des entretiens semi-directifs. Dans un premier temps, les entretiens ont été analysés individuellement pour déceler la présence ou l’absence d’assistance dans la trajectoire de désistement empruntée par l’individu. Les thèmes se liant à l’assistance et à leur importance ont été relevés puis extraits. À cette lecture verticale a été juxtaposée une lecture horizontale des données s’intéressant aux liens entre le vécu des différents participants. Pour optimiser l’analyse et réduire le biais, les auteurs ont analysé indépendamment une partie des transcriptions avant de comparer et d’affiner les thèmes pour trouver un consensus. Plus précisément, près de la moitié des transcriptions (N = 12) a été soumise à ce test de validité interjuge.

Résultats

Suivant la séquence des analyses, la reconnaissance du désistement assisté dans le discours des participants est ici abordée avant la manière dont s’organise l’assistance dans les processus menant à la sortie du crime.

Reconnaissance du désistement assisté

La reconnaissance de l’assistance dans le processus marquant la fin de la carrière criminelle est complexe et dépend essentiellement de la définition conceptuelle utilisée. La définition retenue dans cette étude se veut passablement souple : la présence d’assistance est avérée lorsque dans les récits de vie narratifs des participants, ceux-ci reconnaissent avoir eu de l’aide dans leur processus de désistement. L’assistance peut intervenir à plusieurs étapes de ce processus, mais doit également être considérée comme ayant eu un impact significatif sur l’abandon du crime et de son mode de vie. Le projet sur lequel se fonde cette étude n’abordait pas directement la question de l’assistance dans le processus de désistement, mais tous les participants ont abordé cette question à un moment ou un autre.

FIGURE 1

Prévalence du désistement assisté, statistiques descriptives de la carrière et de la réussite criminelle

Prévalence du désistement assisté, statistiques descriptives de la carrière et de la réussite criminelle

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La majorité des personnes rencontrées (70,4 %) conçoivent avoir reçu de l’assistance dans leur processus de désistement. Un peu moins du tiers des participants (29,6 %) indiquent ne pas avoir été aidés ou soutiennent que l’aide reçue n’était pas déterminante dans leur sortie du crime. Ces individus s’attribuent entièrement leur réussite vers un mode de vie prosocial, qui, selon eux, s’avère une décision personnelle. Plusieurs disent avoir effectué leur désistement seul lorsqu’ils ont été questionnés sur le rôle de personnes significatives ou de personnes clés dans leur désistement. La détermination à se prendre en main et à s’en sortir seul naît d’événements de vie marquants (p. ex. : une rechute dans la consommation, la victimisation d’un proche), ou s’appuie sur la confiance en ses propres compétences pour s’en sortir et se réinsérer socialement, ce qu’illustrent les deux extraits suivants :

Participant 1 (désisté depuis 3 ans)

Après ma dérape en Beauce, je vais me décider que c’est fini. Pis je vais me rendre à la terre à Jo pis je vais faire un sevrage là de moi-même, à sec. Là ce coup-là là, ce n’est pas de thérapies, pas de rien, pas de pilules, je ne veux rien, je ne veux rien savoir… Je vais souffrir, mais je vais me placer t’sais.

Participant 14 (désisté depuis 7 ans)

J’ai commencé à lire des livres en dedans et à m’informer, c’est là que je me suis dit quand je vais sortir de prison, je vais aller suivre mon cours de gestionnaire de construction, après l’Université, etc. Ben t’sais j’avais déjà fait des choix avant. Je pense que le désistement se fait un moment donné à force de voir le succès que tu peux avoir en tant que personne citoyenne.

Les travaux antérieurs réalisés avec ces données révèlent l’existence d’un lien étroit entre les caractéristiques de la carrière criminelle, le niveau de succès dans le crime et le processus de désistement (Ouellet et al., 2020 ; Vidal et al, 2020). Sur cette base, on peut présumer que les personnes contrevenantes ayant bénéficié d’une assistance peuvent être différentes des personnes contrevenantes qui n’y ont pas eu recours. Par exemple, ceux qui ont cherché ou obtenu de l’aide pourraient être les personnes impliquées plus intensément dans le crime et dont le processus de désistement est plus complexe vu leur enracinement dans un mode de vie criminel. À l’inverse, les personnes ayant connu du succès dans leurs activités criminelles (p. ex. : moins de contacts avec les autorités, meilleurs revenus criminels) bénéficieraient d’un plus grand capital humain et ces ressources (compétences transversales) pourraient faciliter la réinsertion sociale, rendant l’aide dans ce processus possiblement moins cruciale. Les données cumulées par le biais des calendriers d’histoire de vie permettent de s’intéresser à ces hypothèses et d’examiner l’existence de différences entre les deux groupes d’individus en regard des paramètres de la carrière criminelle et de la réussite criminelle (Figure 1). Bien que limitées par la taille de l’échantillon, les analyses bivariées réalisées ne révèlent aucune différence significative. Ces résultats incitent donc à examiner plus en profondeur le récit narratif des participants rencontrés pour mieux comprendre les raisons qui les ont poussés à cette demande d’aide et les formes que peut prendre l’assistance dans ces parcours de désistement.

Les formes d’assistance

Les analyses ont permis de s’intéresser aux différentes formes que prend l’assistance dans les processus de désistement examinés. Comme l’illustre la Figure 2, trois formes d’assistance ont été déterminées. Sur la base des définitions existantes (F.-Dufour et al., 2018), l’assistance pouvait prendre la forme d’interventions formelles ou informelles. Puisque certains facteurs semblaient s’écarter de la définition des interventions informelles généralement structurées discutées par F.-Dufour et al. (2018), il a été jugé pertinent d’ajouter une forme d’assistance informelle non structurée qui regroupe les autres facteurs ayant soutenu l’individu dans son processus de désistement. Pour chacune de ces formes, il a été possible d’observer le mécanisme par lequel les facteurs contribuent à l’amorce ou au maintien du désistement. Ce mécanisme peut être actif ou passif, et un même élément peut agir selon des mécanismes différents en fonction des individus. Par exemple, une mère peut être un acteur qui soutient activement le processus de changement par ses actions et ses encouragements (mécanisme actif), comme elle peut avoir un effet sur la décision de mettre fin à la carrière criminelle par sa simple présence (mécanisme passif).

FIGURE 2

Conceptualisation des formes et des mécanismes d’assistance

Conceptualisation des formes et des mécanismes d’assistance

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La première forme d’assistance est celle des interventions formelles de désistement assisté qui regroupent les interventions des intervenants au service du système correctionnel (agents de probation, conseillers en milieu carcéral, agents des services correctionnels) (F.-Dufour et al., 2018), soit des individus ayant un mandat légal envers sa clientèle. Certaines interventions ont activement assisté les participants dans leur désistement. Deux participants ont mentionné le soutien offert par une maison de transition et par un agent de probation.

Participant 6 (désisté depuis 2 ans)

Pis une maison de transition, c’est bon aussi… Parce que dans cette maison-là, tu as toutes les ressources qu’il te faut : tu as un agent de probation, tu as des psychologues, tu as tout. Pis eux autres, ils ont des contacts avec toutes les ressources. Fait que disons que tu te cherches un emploi, eux autres ils ont tous les contacts avec des agences de placement… […] Pis en maison de transition, inquiète-toi pas, ils te lâcheront pas. Ils vont être là pour que tu réussisses. Pis si tu ne réussis pas, ils vont te garder plus longtemps s’il faut.

Participant 13 (désisté depuis 1 an)

Mais j’ai pu vraiment mettre mes tripes sur la table avec ce gars-là [l’agent de probation], et ça, je le dis souvent, ce gars-là ne m’a jamais jugé, et on a été au-delà du programme.

Pour plusieurs participants, les interventions formelles ont agi de manière passive sur la décision de mettre fin à la carrière criminelle. L’arrestation ou l’incarcération s’est avérée un tournant dans les trajectoires de neuf participants. Pour certains, l’effet de ces interventions formelles a été très rapide : le contact avec le système judiciaire leur a fait prendre conscience des risques associés à leur mode de vie, et ce nouveau calcul coûts/bénéfices a remis en question leur implication criminelle. Dans d’autres cas, c’est plutôt l’intolérance à vivre en détention (p. ex. : conditions de détention, isolement, ennui) ou la longueur de la dernière condamnation qui a provoqué la réflexion. Parfois, la seule perspective d’une longue peine d’incarcération motive le maintien de l’abstinence du crime. Ces expériences directes de punition renvoient à une vision classique de la dissuasion spécifique telle que définie par Gibbs (1975) et Nagin (2013), soit l’effet de la sanction légale sur ceux qui l’ont subie.

Participant 6 (désisté depuis 2 ans)

Pis c’est après ça quand tu t’en vas en détention, quand tu arrives dans ta cellule le soir qu’il barre ta belle petite porte, là tu te dis : « J’ai tu le goût de revenir ici toute ma vie pis vivre ma vie toute ici ? » Faque c’est là que j’ai fait « ok, fuck off ». C’est terminé ce mode de vie là pour moi.

Participant 20 (désisté depuis 12 ans)

En dedans t’as des couvre-feux, t’as toute là. Tu ne fais à peu près rien en dedans. Au fédéral, t’as une cellule pis t’as la T.V. Là ils barrent les portes à 10 h jusqu’à 7 h du matin donc t’sais si t’es pas un dormeux, tu dors à minuit-1 h qu’est-ce que tu fais ? La T.V., c’toujours la même chose, donc tu réfléchis. Faque avec le temps ben tu te dis : « Ouin, si je continue, la peine va être plus lourde, j’vais avoir tel âge. » Toutes les choses viennent à l’esprit, t’sais les enfants, toutes ces choses-là.

La deuxième forme d’assistance est celle des interventions informelles de désistement assisté, soit les interventions structurées où l’intervenant n’a pas de responsabilité légale envers la réinsertion sociale (F.-Dufour et al., 2018). Pour huit participants, la participation à des programmes en milieu carcéral (intervention formelle) ou à des thérapies pour traiter des problèmes de toxicomanie et le recours aux ressources communautaires ont été des éléments soutenant le processus de désistement. Comme il s’agit de contextes d’intervention où l’individu est généralement volontaire, le mécanisme par lequel ces interventions soutiennent le désistement du crime est nécessairement actif. Ces interventions les ont aidés notamment à résoudre des problèmes de consommation souvent associés à la criminalité. Un participant expliquait comment les ressources en communauté l’ont aidé à maintenir son désistement :

Participant 22 (désisté depuis 4 ans)

Quand ça va pas bien, quand j’ai pas d’argent, quand je cherche un emploi pis que ça marche pas, pis j’ai pas d’argent, pis j’ai pas de linge, j’ai de la misère à me payer une paire de bas, j’ai de la misère à me payer un savon, ben là je combats, pis je trouve des alternatives, je vais voir des ressources, j’fais d’autres manoeuvres pour contrer ces pensées-là ou pour refaire de vols, ou le pattern, ou l’habitude du vol. T’sais en allant voir des ressources, ben ils m’aident avec du linge, ben ça s’est réglé. J’vais voir une autre ressource qui m’aide avec l’hygiène, des produits, c’est gratuit.

Il apparaît que pour certains individus ayant participé à plusieurs thérapies en toxicomanie, l’effet bénéfique de celles-ci ne s’est pas fait sentir dans l’immédiat, mais plutôt avec le temps. Une participante témoigne de la manière dont les thérapies l’ont aidée lorsqu’elle était déterminée à mettre fin à sa consommation :

Participante 10 (désisté depuis 6 ans)

Je me suis même fait une remise en question chez ma mère, quand je suis arrivée chez elle au départ et que je me suis fait hospitaliser pour mon bras, je me suis remise en question à plusieurs niveaux. Et j’ai fait une rétrospective de ma vie, ce qu’ils nous ont montré en thérapie que je n’avais pas vraiment faite encore sérieusement.

La troisième et dernière forme d’assistance est celle qui n’apparaissait pas chez F.-Dufour et al. (2018), soit les acteurs ou les institutions qui ont assisté les participants de manière informelle et non structurée. Il s’agit le plus souvent d’un membre de la famille (mère, père, frères et soeurs, cousin), d’un conjoint ou d’un camarade (incluant des codétenus ou coparticipants à des thérapies) qui offre un soutien moral/émotionnel (p. ex. : encouragement, reconnaissance des progrès) ou financier. Cette personne devient parfois une source de contrôle social informel en valorisant un mode de vie conventionnel. Dans certains cas, les membres de l’entourage ont offert un soutien pratique en accompagnant les participants dans leurs démarches de réinsertion, notamment dans la recherche d’un emploi. Le réseau social de différents participants de l’étude n’était pas en mesure d’offrir cette assistance. Néanmoins, un de ces participants a su remédier à cette situation :

Participant 18 (désisté depuis 8 ans)

J’ai dû éduquer ma famille pour qu’ils puissent me supporter correctement. J’ai dû mettre des mots et des notions dans leurs têtes pour qu’ils puissent comprendre comment me traiter là c’était, c’tait un dur labeur là, c’tait vraiment tough. […] Ben maintenant la famille me supporte mieux là. Ma mère est clairement à niveau-là. Elle a eu le dernier update pis elle fonctionne bien.

En plus de ce rôle actif, les relations familiales agissent de manière passive sur le désistement. Avoir une famille ou des enfants était mentionné comme un élément clé de la décision ou du maintien du désistement : les participants voulaient éviter de décevoir ou de faire souffrir les membres de leur entourage par leurs agissements.

Participant 12 (désisté depuis 1 an)

Ben oui c’est sûr, quand tu appelles ta mère à Noël et elle part à pleurer, tu vois ben que tu lui as fait de la peine… son gars en prison à Noël… Tu ne veux plus refaire vivre ça non plus… c’est pas mal dans les pour du pourquoi je ne suis pas retourné là-dedans. Le gros, c’est beaucoup la famille…

Participant 18 (désisté depuis 8 ans)

Pis quand j’ai sorti de prison, c’était toute la famille qui est venue me chercher. Y’avait ma mère, mes deux frères. […] Pis quand qu’ils sont venus me voir, la face qu’ils ont fait, surtout ma mère. J’me suis comme promis de pu jamais revoir cette face-là. Pu jamais genre. Pis là j’ai compris pourquoi genre faut pas profiter du monde parce qu’y a du monde qui t’aime quand même là t’sais. Pis là j’ai compris que j’avais déjà, j’sais pas mon équipe, là ma gang, t’sais.

D’autres facteurs ont eu un effet passif sur le désistement. L’accès à un programme d’éducation ou l’opportunité d’obtenir un emploi assurant un revenu légitime ont été déterminés comme des éléments clés permettant le désistement du crime. Comme dans le cas des relations familiales, l’idée est que ces facteurs soutiennent le désistement passivement, puisque ce sont des accomplissements que les participants perdraient s’ils choisissaient de recommencer leurs activités criminelles. Ils se maintiennent dans la légalité puisqu’ils ont désormais trop à perdre (emploi, logement, relations de qualité avec la famille).

Moment de l’assistance

Les analyses montrent que l’assistance peut intervenir dans l’amorce du processus de changement ou dans son maintien. D’une part, certains participants ont convenu que l’assistance est intervenue dans la décision de mettre fin aux activités criminelles (N = 15). D’autre part, l’assistance reçue est venue consolider la décision de se désister et soutenir le maintien de l’abstinence du crime (N = 11). Certains individus ont bénéficié d’une assistance à chacune de ces étapes (N = 7), alors que pour d’autres, elle n’est intervenue qu’à l’une d’elles (amorce N = 8 ; maintien N = 4). Par exemple, certains participants ont précisé que le choix de cesser les activités criminelles était entièrement personnel, et qu’ils ont su bénéficier d’une assistance non pas dans la décision de mettre fin à leur carrière, mais plutôt dans le cheminement nécessaire à la réalisation de cet objectif.

Il n’est pas possible d’associer de manière spécifique les différentes formes d’assistance aux étapes du processus de désistement. Toutefois, en ce qui a trait particulièrement à l’amorce, on constate que ce sont principalement les facteurs d’assistance informelle non structurée, à défaut des interventions formelles et informelles, qui ont un impact sur la décision de se désister. En effet, à l’exception du mécanisme passif des interventions formelles, aucune intervention n’est liée à la décision de mettre fin à sa carrière criminelle. Seule la dissuasion spécifique associée à l’intervention formelle passive a une influence sur la décision de cesser les activités criminelles. Que les interventions aient un pouvoir limité sur l’amorce du désistement rejoint certaines théories du désistement, dans la mesure où il semble que l’individu se doit d’être minimalement ouvert au changement afin d’être réceptif aux interventions de désistement assisté et en mesure de bénéficier de ces grappins à changement (Giordano, Cernkovich et Rudolph, 2002). À ce sujet, plusieurs participants avaient d’ailleurs cumulé différentes expériences d’interventions formelles ou informelles infructueuses dans leur trajectoire. Un participant motivé à tirer avantage de sa dernière détention expliquait que plusieurs facteurs avaient contribué à son ouverture au changement :

Participant 13 (désisté depuis 1 an)

Il y a comme un effet d’épuisement qui s’installe un moment donné. C’était ben le fun cette vie-là, mais c’est fatigant aussi… il y a la famille, mon frère qui a eu des enfants, j’ai manqué le mariage de ma soeur, celui de mon frère… J’ai manqué la naissance de mon neveu Alexandre. Faque tout ça mis ensemble fait que j’ai voulu changer, je suis allé voir mon agent de libération conditionnelle au centre régional de l’Assomption, et je lui ai dit que je ne savais pas à quel pénitencier tu vas m’envoyer, mais je suis influençable j’aime me geler, j’aime faire l’argent et j’aime le power trip, faque je ne sais pas où tu vas m’envoyer, mais il faut que je change.

En somme, il semble que le désistement assisté puisse prendre de nombreuses formes. Les résultats montrent également que ces formes d’assistance peuvent intervenir de manière passive ou active, ainsi qu’à des étapes différentes du processus de désistement. Il importe de souligner que l’aide jugée déterminante par les participants n’a pas un effet systématique ou symétrique, que les bienfaits reçus dépendent de l’individu, de son parcours et du moment de l’intervention. Par exemple, alors que l’incarcération avait un effet dissuasif pour certains, elle avait un effet criminogène pour d’autres.

Discussion

L’objectif de cette étude était d’examiner les perceptions d’individus impliqués dans une criminalité lucrative de l’assistance reçue dans leur processus de désistement. Tout d’abord, la reconnaissance de l’assistance a été inspectée, pour ensuite observer comment et quand cette assistance se manifestait dans les parcours de vie. Peu d’études empiriques ont étudié l’assistance reçue dans le processus de désistement de la façon dont le propose cette recherche. Premièrement, la majorité des études portant sur la fin des carrières criminelles sélectionnent leurs participants sur la base de critères relatifs au désistement, négligeant la nature et l’intensité de leur implication criminelle. Or, les caractéristiques de la carrière criminelle peuvent avoir une incidence sur le processus de désistement, le parcours suivi dans le crime peut faciliter ou compliquer la réinsertion sociale (Vidal et al., 2020). Le projet de recherche sur lequel se fonde cette étude a utilisé à la fois des critères relatifs au désistement et à la carrière criminelle dans la sélection des participants. Il s’agit donc d’un échantillon original de personnes contrevenantes, impliquées essentiellement dans une criminalité lucrative. Ainsi, les finalités poursuivies dans les activités criminelles tendent à s’apparenter entre ces personnes et les bénéfices recherchés sont utiles à la compréhension du processus de désistement. Deuxièmement, les participants rencontrés ont été recrutés à l’extérieur du cadre correctionnel. Cet éloignement donne accès à une vision élargie et plus nuancée de l’assistance associée au mandat judiciaire. Cela permet de contourner certains problèmes méthodologiques et, par exemple, de tenir compte de l’effet à long terme des programmes (Farrall, 2016). Troisièmement, la collecte n’étant pas initialement orientée vers le désistement assisté a permis d’examiner la prévalence de la reconnaissance, mais aussi l’importance de l’aide reçue dans le processus de désistement. Quatrièmement, la souplesse de la définition retenue du désistement assisté a ouvert la voie à l’observation de diverses manifestations de l’assistance.

Les aspects énoncés mettent en évidence l’intérêt du désistement assisté dans la compréhension du processus qui mène à la fin de la carrière criminelle et contribuent à mettre en contexte les résultats obtenus. Cette aide jugée déterminante au désistement est reconnue dans la majorité des trajectoires individuelles examinées. Les crimes lucratifs représentant la majorité des crimes dans nos sociétés et sachant qu’une petite proportion de délinquants « chroniques » serait responsable de près de 50 % à 70 % de la criminalité (p. ex. : Blumstein et al., 1988 ; Moffitt, Caspi, Harrington et Milne, 2002 ; Piquero, 2000 ; Wikström, 1985), la pertinence de comprendre les mécanismes qui mènent ces individus à se détourner du crime paraît prioritaire. Les analyses réalisées vont dans ce sens en montrant que l’assistance peut prendre différentes formes (intervention formelle, intervention informelle structurée, assistance informelle non structurée), qu’elle peut agir de deux manières (active ou passive) et qu’elle peut intervenir à différentes étapes du processus de désistement (à l’amorce ou au maintien de l’abstinence du crime). De plus, il ressort que ces formes, ces manières d’agir et le moment auquel l’assistance survient peuvent se combiner et se juxtaposer au sein des trajectoires individuelles.

En continuité avec la littérature, il semble que les interventions formelles peuvent assister les individus dans leur processus de désistement du crime (Burnett et McNeill, 2005 ; Farrall, 2016 ; Farrall et al., 2014 ; King, 2013 ; McCulloch, 2005 ; Rex, 1999), sans toutefois correspondre à tous les individus (F.-Dufour, 2015). Ciblant des besoins spécifiques, les interventions informelles ont pour plusieurs permis de mettre fin aux problématiques de consommation. Comme l’avait constaté Farrall (2016) dans le cadre de la probation, pour certains participants à cette étude, les effets des programmes ont pu être observés sur une longue période. Ce résultat combiné avec l’observation que les interventions structurées (formelles ou informelles) semblent avoir peu d’effet sur l’amorce du processus de désistement par rapport aux autres facteurs d’assistance implique qu’une disposition à vouloir changer est nécessaire pour que ces interventions puissent porter fruit. Les institutions de contrôle social informel (p. ex. : emploi) et les membres de l’entourage ayant un pouvoir bien plus grand dans la décision de se désister dans l’échantillon actuel, cela porte à croire que l’intervention auprès de populations moins disposées à changer aurait avantage à solliciter la contribution de ces acteurs afin de susciter la motivation au changement. Dans ses recommandations sur l’intervention centrée sur le désistement, McNeill (2009) aborde justement l’importance d’intégrer le développement du capital social dans le suivi probatoire.

Il semble ainsi que le désistement assisté peut mieux se comprendre à travers les théories du désistement qui voient une interaction entre l’individu et son environnement social. Selon la théorie de la transformation cognitive, le désistement se produit par le biais d’une interaction entre une modification dans l’ouverture au changement de l’individu et la présence d’opportunités ou de grappins à changement dans l’environnement (Giordano, 2016 ; Giordano et al., 2002). Les résultats abondent en ce sens dans la mesure où l’assistance, formelle, informelle ou d’une autre nature, correspond à ces opportunités de soutenir l’individu dans le changement menant au désistement du crime.

Les études réalisées sur le désistement assisté évoquent l’importance de l’évaluation préalable qui vise à implanter une stratégie d’intervention individualisée et adaptée à la personne contrevenante. McNeill (2003) expose la nécessité pour les intervenants de passer en revue l’histoire de vie des individus, leurs liens sociaux, motivations et perceptions du changement. Dans les faits, les réalités dans lesquelles s’opère le changement vers l’abstinence du crime sont encore plus complexes et n’incluent pas nécessairement une intervention directe d’une personne ou d’une institution comme en témoignent les présents résultats. Il importe donc de comprendre ce qui va faire en sorte que ces personnes vont être ouvertes ou réceptives au changement et disposées à recevoir de l’assistance (quel que soit son mécanisme d’action ou sa forme) afin d’agir avec efficacité.

Les données utilisées dans cette étude illustrent la pluralité des formes du processus de désistement. La première arrestation est dissuasive pour certaines personnes, alors que pour d’autres, ce sera le xième épisode d’incarcération qui le sera. Pour des individus, l’aide reçue dans de nombreuses thérapies ou programmes s’actualisera à rebours, alors que d’autres en retirent un effet immédiat. Les résultats mettent en évidence l’aspect dynamique derrière la réceptivité à l’assistance. Celle-ci nécessite la convergence et l’interaction de divers éléments : une personne contrevenante disposée, des circonstances de vie opportunes, ainsi que la forme d’assistance et un mécanisme d’action adaptés (Figure 3).

Figure 3

La dynamique derrière la réceptivité à l’assistance

La dynamique derrière la réceptivité à l’assistance

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Cette triangulation des éléments débute avec la personne. La réceptivité à l’assistance dépend donc de celle-ci, de son histoire de vie (antécédents, entourage, éducation, problème de consommation, etc.) (McNeill, 2003), mais aussi des détails de l’implication criminelle et plus particulièrement, des finalités poursuivies par les activités criminelles. Chez plusieurs des participants rencontrés dans cette étude, le désistement passe par une substitution des gratifications recherchées par le crime (pour des exemples plus concrets, voir Ouellet et al. [2020] ou Vidal et al. [2020]). Ils sont donc plus perméables à l’assistance qui leur procure un accès par d’autres moyens aux mêmes fins (p. ex. l’emploi pour les besoins financiers).

Les circonstances de vie ont également une incidence sur la réceptivité de l’individu à l’assistance. L’impact des circonstances de vie sur les transitions au sein des trajectoires criminelles a été démontré dans plusieurs travaux empiriques, dont certains visent la compréhension du désistement primaire (Metcalfe, Baker et Brady, 2019 ; Ouellet, 2019). Les résultats de la présente étude montrent que les circonstances de vie expliquent pourquoi les participants ont saisi l’aide offerte (p. ex. : fatigue du mode de vie criminelle, programmes d’aide vus comme une occupation pendant la détention). Les tournants relevés dans les récits de vie permettent également d’expliquer la réceptivité à l’assistance à un moment précis (p. ex. : l’arrestation qui dévoile le mode de vie à l’entourage). Ainsi, les transitions et les tournants, deux notions de la perspective des parcours de vie, sont nécessaires pour comprendre la réceptivité à l’assistance.

Finalement, les formes et les mécanismes d’assistance décrits doivent être adaptés aux besoins de la personne et être mis en place au moment opportun. La triangulation présentée fait écho au concept de « desistance by design » de Barry (2013) qui ne perçoit pas le désistement comme le simple résultat de coïncidences, mais qui le voit comme un processus impliquant de la négociation de la part de l’individu, qui doit faire des choix et prendre des décisions. Par ses choix, il est un acteur central de son désistement. Il est conscient des bénéfices de la délinquance et accepte délibérément d’y mettre un terme pour certaines raisons (Barry, 2013).

Certaines limites relatives aux données utilisées et à l’analyse réalisée doivent être considérées dans l’interprétation des résultats. La portée des résultats obtenus est limitée dans la mesure où cette recherche concerne la carrière criminelle d’un petit nombre de participants. Les résultats ne se prêtent pas à la généralisation. Le projet sur lequel se fonde cette étude n’étant pas spécifiquement orienté vers le désistement assisté, il est possible que les données sous-estiment l’assistance reçue. Enfin, les données sous-jacentes à cette étude dépendent de la mémoire des participants, et on peut présumer que les capacités de se remémorer les détails de l’implication criminelle, les circonstances et les tournants de la carrière criminelle varient d’un individu à l’autre.

Pour conclure, cette étude met en évidence la contribution pratique et théorique du concept du désistement assisté. Le désistement assisté permet d’améliorer la compréhension de la dynamique et des mécanismes derrière les étapes qui marquent la fin de la trajectoire criminelle et d’orienter l’intervention en réinsertion sociale.