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Introduction

La plupart des recherches sur le désistement du crime se concentrent sur les parcours de réussite, accordant ainsi moins d’attention à la fragilité du processus, soit aux périodes d’incertitude et d’ambivalence et, conséquemment, aux façons de soutenir les efforts de changement durant ces périodes (Halsey, Armstrong et Wright, 2017 ; Healy, 2012 ; King, 2014 ; Nugent et Schinkel, 2016). D’autre part, des études quantitatives ont permis de déterminer des pratiques d’intervention efficaces pour réduire la récidive, mais elles renseignent peu sur « comment ou pourquoi elles fonctionnent pour certaines personnes, mais pas pour d’autres [traduction libre] » (Maruna, 2015, p. 313). Bien que les acteurs du système de justice pénale et leurs interventions fassent partie intégrante du contexte dans lequel s’inscrit le désistement, la question demeure quant à leur rôle dans ce processus (Farrall, 2003 ; Maruna, 2015 ; McNeill, 2006 ; Weaver, 2016). Mieux comprendre les façons dont ce suivi peut soutenir le désistement contribuerait au développement d’approches novatrices, répondant à des impératifs scientifiques, théoriques, moraux et philosophiques de l’intervention avec les clientèles judiciarisées dans une optique de désistement assisté (Maruna, 2015 ; McNeill, Farrall, Lightowler et Maruna, 2012).

Désistement, récidive et désistement assisté

Le désistement du crime n’est pas l’absence de récidive. Ce processus débute par un arrêt des comportements criminels (absence de récidive), mais il se caractérise aussi par l’amorce de changements cognitifs et identitaires (désistement primaire) cohérents avec la personne que le justiciable souhaite devenir (par ex. : Farrall, 2002 ; Giordano, Cernkovich et Rudolph, 2002 ; Laub et Sampson, 2003 ; Maruna, 2001 ; Paternoster et Bushway, 2009), qui conduit au désistement secondaire, où les changements apportés sont tels que le désisteur se décrit comme un « ex » contrevenant (Maruna et Farrall, 2004). Cette transition vers une nouvelle identité (ou dans le discours narratif se rapportant à soi) est observée dans la plupart des recherches récentes sur le désistement (F.-Dufour, Brassard et Martel, 2015 ; Helfgott, Gunnison, Sumner, Collins et Rice, 2019 ; LeBel, Burnett, Maruna et Bushway, 2008 ; Maruna, 2001, 2020 ; Na et Paternoster, 2019 ; Paternoster et Bushway, 2009 ; Radcliffe et Hunter, 2016 ; Stevens, 2012 ; Stone, 2015), lui conférant un rôle central dans ce processus.

Le désistement peut aussi être compris comme le premier pas dans une démarche d’inclusion sociale (O’Sullivan, Hart et Healy, 2018), laquelle donne lieu au désistement tertiaire, défini comme le sentiment d’appartenance à une communauté et la reconnaissance de celle-ci des changements réalisés par les désisteurs (McNeill, 2014, 2016). L’accès à des opportunités apparaît essentiel pour permettre les changements (Barry, 2006 ; F.-Dufour et Brassard, 2014 ; Farrall, Shapland et Bottoms, 2010). Les processus structurels (voir Farrall, 2019), tout comme les processus sociaux-relationnels (McNeill, 2016 ; Weaver, 2016), illustrent le caractère relationnel du désistement. Considérer le désistement comme un processus social-relationnel soulève la question de savoir qui peut faciliter ces changements et comment, surtout lorsque l’on sait que les processus de désistement sont caractérisés par des remises en question et l’ambivalence (Bottoms et Shapland, 2011 ; Healy, 2012 ; King, 2014 ; Nugent et Schinkel, 2016) et que les interventions peuvent parfois entraîner le « déraillement » de ce ou ces processus (Halsey et al., 2017, p. 1050). S’engager (et demeurer engagé) dans un processus de désistement impliquerait – ou bénéficierait – d’une forme quelconque de soutien adapté selon les besoins des désisteurs en devenir (F.-Dufour et Brassard, 2014 ; King, 2014).

Les formes de désistement assisté

Les interventions qualifiées d’informelles (F.-Dufour, Villeneuve et Perron, 2018) sont généralement offertes par des bénévoles dans un contexte de participation volontaire (même en contexte carcéral). Elles peuvent soutenir les futurs désisteurs dans l’acquisition et le développement des habiletés et des ressources favorisant le développement d’une image positive de soi, d’un réseau de soutien prosocial, ainsi que de l’espoir d’un avenir meilleur (voir F.-Dufour et al., 2018). De façon générale, les intervenants « informels » ne sont pas soumis à des attentes spécifiques quant aux cibles de la récidive et n’ont pas le mandat de faire respecter la loi.

À l’inverse, les agents des services correctionnels, agents de probation et conseillers en milieu carcéral québécois ont le statut d’agents de la paix en vertu de la Loi sur le système correctionnel du Québec (2002, chapitre S-40.1). En plus de favoriser la réinsertion sociale des personnes qui leur sont confiées, ces intervenants ont le pouvoir d’exercer un « contrôle raisonnable, sécuritaire et humain » (c.24, a.1) pour exiger le respect des lois. Ces « agents formels » ont pour principale tâche d’évaluer et de gérer le risque de récidive, leur conférant ainsi une double fonction d’assistance et de contrôle (King, 2013). L’évaluation du risque de récidive se fait au cours d’entretiens cliniques et s’appuie sur des mesures psychométriques standardisées, surtout basées sur des événements et des comportements passés. Cette évaluation permet de déterminer des besoins criminogènes qui deviendront les cibles de l’intervention correctionnelle. Les interventions de nature cognitive-comportementale permettent ensuite de modifier les comportements et les pensées reconnus comme étant associés aux risques de récidive (Cortoni et Lafortune, 2009 ; Muncie, 2006 ; Robinson, 2016).

Les critiques du modèle du risque soulignent toutefois le poids accordé aux comportements passés pour prédire les comportements futurs. Combinées avec les évaluations actuarielles et les programmes standardisés, ces pratiques peuvent limiter les possibilités d’intervenir sur des problèmes considérés comme étant les plus importants par les justiciables (Lewis, 2016 ; McNeill, 2016 ; Robinson, 2016). Des auteurs proposent que les suivis pénaux s’inscrivent davantage dans une perspective de désistement et mettent l’accent sur le développement de la relation entre le justiciable et l’intervenant formel, laquelle paraît centrale, même dans un contexte de gestion du risque (Lewis, 2016 ; McNeill et al., 2012). Or, il reste fort à faire pour comprendre comment les interventions formelles peuvent influencer les processus de désistement (Farrall, 2016 ; Maruna, 2015), d’où la pertinence de réaliser une étude de la portée afin : 1) d’identifier comment les interventions formelles peuvent assister le désistement du crime, en vue de 2) faciliter le transfert des connaissances vers les milieux preneurs et 3) d’orienter la recherche subséquente sur le désistement assisté.

Méthodologie

Les études de la portée emploient une méthodologie systématique pour identifier, sélectionner et synthétiser les données empiriques dans un vaste champ d’étude, afin d’en présenter une synthèse (Arksey et O’Malley, 2005 ; Colquhoun et al., 2014 ; Davis, Drey et Gould, 2009). Ce ne sont pas des recensions systématiques des écrits, au sens où ces dernières se limitent habituellement à certains types de devis (souvent quantitatifs) ou à une question de recherche bien précise, alors que les études de la portée visent à clarifier des concepts dans un champ d’étude émergent ou encore à synthétiser les conclusions d’un vaste éventail d’études empiriques, plutôt que d’évaluer leurs qualités méthodologiques (Arksey et O’Malley, 2005 ; Davis et al., 2009 ; Levac, Colquhoun et O’Brien, 2010). Ainsi, le but des études de la portée n’est pas d’accorder un poids relatif aux conclusions empiriques, mais plutôt de faire une synthèse narrative ou descriptive de l’ensemble des données empiriques disponibles en vue de transférer ces connaissances vers les milieux preneurs (incluant les chercheurs). Cela dit, les études de la portée « exigent un haut niveau d’habiletés analytiques puisqu’il s’agit d’intégrer l’ensemble des connaissances disponibles dans une structure qui permet d’en apprécier les liens (qui dépassent la nature du devis employé) » (Arksey et O’Malley, 2005, p. 30).

La première étape de la présente étude a été de déterminer l’ensemble des connaissances disponibles sur le désistement assisté. En l’absence de définition claire et opérationnelle de ce concept, il a été défini comme toute intervention avec des adolescents ou des adultes contrevenants visant, directement ou indirectement, à maintenir leur abstention de la criminalité et à favoriser un changement identitaire ou dans leur script narratif. Les stratégies de recherche documentaire incluent la consultation : 1) de bases de données électroniques (PsycInfo, Criminal Justice Abstracts, Social Service Abstracts, Social Work Abstracts, COPAC, Dissertation Abstracts, Index of Social Sciences and Humanities Proceedings) ; 2) des publications gouvernementales publiées sur Internet (UK Home Office, Australian Institute of Criminology, National Criminal Justice Reference Service, Correctional Services of Canada) ; et 3) des listes de références des documents retenus au terme du processus de sélection. Les mots clés ont été utilisés selon différentes combinaisons : assisted desistance, desistance, offender transition, offender management, reintegration, correction, intervention, probation, rehabilitation, treatment, integration and recidivism prevention. Pour être inclus dans l’étude, les articles devaient avoir été publiés en anglais ou en français entre 1997 et 2019, présenter des données empiriques sur les impacts des interventions formelles (c’est-à-dire par des employés du système de justice) sur le désistement d’adolescents ou d’adultes contrevenants. La recherche documentaire a été menée de façon indépendante par les deux premières auteures entre octobre 2016 et février 2017, puis mise à jour en juin 2019 (couvrant ainsi 20 années de publications) et révisée en novembre 2019.

Figure 1

Diagramme de sélection des études

Diagramme de sélection des études

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La première recherche documentaire a permis de relever 1 476 sources. La mise à jour a permis d’en trouver 568 supplémentaires. La révision finale a mené à l’identification de 19 sources supplémentaires en ajoutant les mots clés recidivism prevention. Les coauteures ont donc compté 2 063 sources. Après le retrait des doublons, 1 370 sources ont été évaluées. La lecture du titre et du résumé a mené à l’exclusion de 1 205 d’entre elles. Puis, la lecture intégrale des 165 sources retenues a permis d’éliminer 141 d’entre elles qui ne correspondaient pas aux critères d’inclusion : 41 portaient sur des interventions informelles ; 35 sur la récidive uniquement ; 20 n’ont pas être repérées (par ex. : articles mal indexés) ; 21 ne portaient pas sur une intervention (par ex. : impact du casier judiciaire) ; 16 étaient de nature théorique[2] et 8 ne comptaient pas de justiciables parmi leur échantillon (par ex. : utilisateurs de drogues)[3], portant à 24 les sources correspondant aux critères d’inclusion. Finalement, l’analyse des références a permis d’ajouter deux sources supplémentaires, pour un total de 26 sources analysées.

Les données ont été extraites à l’aide d’une grille conçue expressément pour ce projet. Celle-ci regroupait le nom des auteurs, l’année de publication de l’article, le pays, le type d’intervention, le cadre conceptuel, la définition du désistement assisté (ou du crime, le cas échéant), une description de l’intervention, la population de l’étude, la méthodologie, les résultats de l’intervention et les limites de l’étude.

Les coauteurs ont ensuite procédé à une analyse descriptive des caractéristiques des études, puis à une analyse qualitative thématique des résultats rapportés dans les articles retenus (Arksey et O’Malley, 2005 ; Daudt, van Mossel et Scott, 2013 ; Levac et al., 2010), c’est-à-dire que les verbatims présentés dans les sources primaires ont été découpés et classés sous différents thèmes afin de pouvoir les interpréter. La prochaine section présente les résultats de ces analyses.

Résultats

Caractéristiques des études

Les 26 sources identifiées proviennent de 20 études distinctes, dont 3 ont été réalisées aux États-Unis, 2 au Canada et 1 en Belgique (Tableau 1). La majorité (n = 11) des 20 recherches ont été menées au Royaume-Uni (7 en Angleterre uniquement, 2 en Angleterre et au Pays de Galles, 2 en Écosse). La plupart des recherches portent sur le soutien offert en contexte de suivi pénal communautaire (n = 14), principalement en cours de suivi probatoire ou lors d’une période de liberté conditionnelle – incluant un sursis de sentence (n = 11). Les autres portent sur des services spécialisés destinés aux personnes contrevenantes dites à haut risque ou ayant commis une agression sexuelle (n = 2) et les travaux communautaires (n = 1). Ainsi, le désistement assisté en contexte carcéral est sous-exploré (n = 6) dans les sources retenues.

Toutes les recherches répertoriées présentent des résultats de l’analyse qualitative d’entrevues réalisées avec des désisteurs (n = 459 pour les 20 sources). Les données officielles (dossiers criminels, dossiers de suivi probatoire) sont utilisées pour corroborer les propos des participants quant à leur implication dans des activités criminelles ou l’absence de récidive (p. ex. : Farmer, McAlinden et Maruna, 2015 ; Farrall, 2002 ; Healy, 2012 ; Panuccio, Christian, Martinez et Sullivan, 2012). D’autres méthodes de collecte de données (carte du réseau social, observations, mesures psychométriques/quantitatives, entrevues avec les gestionnaires) fournissent des informations supplémentaires sur les contextes psychologiques et sociaux du désistement (p. ex. : Abrams et Terry, 2017 ; Blagden, Winder et Hames, 2016 ; Healy, 2012). Par contre, peu de sources rapportent avoir eu recours à la triangulation de plusieurs méthodes de données (p. ex. : Abrams et Terry, 2017 ; Farrall, 2002 ; Healy, 2012 ; Panuccio et al., 2012 ; Stevens, 2012).

Les hommes ont été surreprésentés dans les études disponibles. Huit d’entres elles ont des échantillons exclusivement masculins et dans les neuf études à échantillon mixte, les hommes représentent entre 58 % et 97 % des participants. Deux études portent uniquement sur l’expérience de femmes contrevenantes et le genre des participants n’est pas mentionné dans une étude. L’âge des participants est mentionné dans 15 des 20 sources retenues. Parmi celles-ci, six incluent seulement des jeunes adultes (entre 18 et 35 ans), alors que dans huit études, l’âge peut aller jusqu’à 80 ans. Une étude porte spécifiquement sur des adolescents contrevenants. Dans la plupart des études (n = 13), les participants ont commis des délits variés : contre la propriété, contre la personne (incluant les agressions sexuelles) reliés aux drogues et aux armes à feu. Les expériences de désistement assisté d’hommes assujettis à des programmes spécifiques aux crimes de nature sexuelle sont abordées dans quatre études. Les trois autres ne mentionnent pas le type de délit commis par les participants.

Résultats selon l’analyse thématique

L’analyse des données a permis de constater que les études ne portent pas toutes sur les mêmes phases du désistement. Pour en faciliter la synthèse, les résultats des études primaires sont présentés selon ces phases.

L’assistance formelle dans les phases initiales du désistement

De l’ensemble des sources analysées, huit portent sur les phases initiales du désistement (Abrams et Terry, 2017 ; Farrall, 2002 ; Healy, 2012 ; King, 2014 ; Mizel et Abrams, 2019 ; Panuccio et al., 2012 ; Radcliffe et Hunter, 2016 ; Rowe et Soppitt, 2014). Ces études sont généralement prospectives et longitudinales et observent, sur une plus courte période de temps, les changements qui se produisent sur le plan identitaire ou narratif et documentent les obstacles au désistement, ainsi que les éléments qui ont permis de les surmonter. D’autres études, de nature rétrospective, relatent des résultats en lien avec les phases initiales du désistement, bien qu’il ne s’agisse pas de leur objet spécifique. Elles montrent que des mécanismes complexes entrent en jeu durant ces phases, marquées par des perturbations dans la vie quotidienne, la perte de repères et une grande ambivalence (voir Healy, 2012 ; King, 2014). Cette phase peut même constituer un facteur de risque de victimisation pour les personnes incarcérées (Stevens, 2012 ; van Ginneken, 2016 ; Vanhooren, Leijssen et Dezutter, 2017). Ainsi, pour les justiciables, retourner à ses anciennes habitudes peut paraître moins difficile que de se désister (Halsey et al., 2017 ; Healy, 2012 ; King, 2014).

La mise en scène du changement

Sept études primaires s’intéressent aux façons dont les intervenants aident les justiciables à trouver des ouvertures dans la structure sociale qui leur permettront d’endosser des identités sociales facilitant le désistement lors de cette phase difficile (Abrams et Terry, 2017 ; Farrall, 2002 ; Halsey et al., 2017 ; McCulloch, 2005 ; Mizel et Abrams, 2019 ; Panuccio et al., 2012 ; Rex, 1999). Quatre recherches ont été réalisées sur ce même objet, mais de manière transversale et rétrospective, c’est-à-dire lorsque les changements identitaires et narratifs sont confirmés, en tentant de retracer comment les interventions formelles ont pu faciliter (ou non) ces changements (Barry, 2013 ; F.-Dufour et Brassard, 2014 ; Farmer et al., 2015 ; Harris, 2014). Mises ensemble, ces onze études illustrent que le désistement assisté peut reposer sur du « travail social », dont les effets se font sentir autant dans les circonstances de vie individuelles que sociales des justiciables. Par exemple, les désisteurs rapportent avoir eu besoin d’une aide concrète pour remplir des formulaires, se rendre à des rendez-vous chez leur médecin ou à des agences de services sociaux, en plus de chercher et saisir les opportunités et les ouvertures dans la structure sociale, comme les programmes de formation ou l’inscription à des activités de loisirs (Barry, 2013 ; F.-Dufour et Brassard, 2014 ; Farmer et al., 2015). Assister le désistement veut donc dire de passer à l’action pour surmonter les nombreux obstacles à l’intégration sociale (Barry, 2013 ; Farrall, 2002 ; Healy, 2012) plutôt que de seulement parler de ces enjeux (Farrall, 2002).

TABLEAU 1

Caractéristiques des études (n = 20)

Caractéristiques des études (n = 20)

TABLEAU 1 (suite)

Caractéristiques des études (n = 20)

TABLEAU 1 (suite)

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Caractéristiques des études (n = 20)

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Caractéristiques des études (n = 20)

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Durant les phases initiales du désistement, la structure imposée par le suivi pénal peut amener les justiciables à remettre en question leurs façons habituelles de penser, ce qui ouvre la porte aux transformations cognitives. Des personnes assujetties à une probation rapportent avoir appris à mieux se connaître, à modifier leurs attitudes et leurs valeurs, à prendre des décisions qui reflètent mieux leurs priorités (par ex. : être un bon parent) et à croire qu’elles pouvaient aspirer à un avenir meilleur (Healy, 2012 ; King, 2014) :

I could still kick off and attack anyone at any minute, but I know the consequences, I know I won’t stand to gain anything, and better information helps you make better decisions. That’s what it is, I’ve got better information.

King, 2014, p. 131

Les agents formels peuvent aussi procurer un sentiment de sécurité aux désisteurs lors de leur retour en communauté :

I was more scared getting out [than staying in]… It’s the whole learning process [all] over again. It’s so big out here, where [in prison] everything [was] so regimented and contained and you get so used to that, it’s really a culture shock… just to have a buffer zone like these guys… I don’t know what you would do without it…

Ricciardelli, 2018, p. 785

Les désisteurs soulignent aussi l’importance d’avoir leur mot à dire dans le choix des objectifs de l’intervention et la priorisation de ceux-ci (McCulloch, 2005) pour les aider à avoir l’impression qu’ils exercent un certain contrôle sur leur vie (Rex, 1999) et pour susciter l’espoir qu’ils peuvent développer les habiletés nécessaires pour améliorer leur situation (Barry, 2013 ; King, 2014) :

It makes me feel better being on probation, it keeps me out of crime. I do things like going down the job center. I know there aren’t any jobs but I still go. I want to get my life sorted out before it’s too late […]. [probation officer] tries talking to me, he makes me more confident. What he says, his advice makes me think I can do good things.

Rex, 1999, p. 376

Se centrer sur les besoins des désisteurs permet de donner un sens au travail de supervision et de construire une relation de confiance, qui sont essentiels au désistement assisté (Healy, 2012). Cela aide aussi à développer des stratégies pour soutenir le désistement qui sont basées sur les besoins spécifiques des désisteurs (King, 2014). En faisant leurs propres choix et en passant à l’action, ces derniers ont des opportunités de montrer des « signes de désistement » et, en retour, de voir ces changements reconnus par leur entourage, favorisant ainsi le désistement tertiaire. Il est intéressant de noter que l’intégration de sphères sociales positives, même lorsque ce n’est pas volontaire, peut présenter des opportunités de reconnaissance sociale et de changement (p. ex. : Barry, 2016 ; F.-Dufour et Brassard, 2014 ; King, 2014) :

I was back in school, and working. And in the course of things, I grew closer to certain people. My mother started to believe in me again. I didn’t want to spoil that ! The doorway [to crime] was now closed. With good people around you, you make sure that doorway is locked tight.

F.-Dufour et Brassard, 2014, p. 324

Équilibrer la surveillance et la réhabilitation

Selon les désisteurs assujettis à une probation, se centrer sur les problèmes sociaux est ce qui prime pour maintenir l’abstention. Par contre, les agents de probation expriment une ambivalence à cibler ces problèmes en raison de pressions organisationnelles (temps et ressources limités, charge de cas élevée) et des difficultés à réconcilier cette façon de faire avec la gestion du risque qui leur est imposée (McCulloch, 2005). Alors que les désisteurs se heurtent à plusieurs obstacles (par ex. : trouver un emploi et un logement, la pauvreté, la consommation abusive de substances psychoactives), les efforts de changement peuvent aussi être frustrés en l’absence d’opportunités d’avoir accès à des marqueurs de citoyenneté (p. ex. : Farrall, 2002 ; Halsey et al., 2017 ; King, 2014 ; Radcliffe et Hunter, 2016). Finalement, lorsque l’accent est mis sur la surveillance et le respect de l’ordonnance, cela peut inhiber les demandes d’aide par crainte de se trouver en position de bris de conditions (Halsey et al., 2017 ; Ricciardelli, 2018) :

[I said], “I need counselling. [Things are] starting to affect me,” when really what I wanted to say to her was, “I’ve started to use drugs again.” But I didn’t want to say that to my parole officer because she would have breached me [and] locked me up. And my partner’s pregnant [and it] would have left her with all the bills… And if I started to get that counselling it probably would have come out that … the drugs are an issue again. But I didn’t want to say it straight away because I didn’t want them to breach me.

Halsey et al., 2017, p. 1044

À l’inverse, les relations positives avec les agents formels peuvent servir de source de motivation importante :

I kind of did it for her [PO] because she put all her eggs in the basket and she put her neck on the line for me. She stood up, says I needed help and she’s willing to get me treatment. She did everything she could for me. I’ll always remember what she done for me.

Healy, 2012, p. 388

L’assistance formelle au carrefour des changements cognitifs et identitaires

Éventuellement, la plupart des désisteurs en devenir se retrouvent entre deux mondes : ils ne se perçoivent pas comme des citoyens ni comme des contrevenants (F.-Dufour et Brassard, 2014). L’aide formelle gagnerait donc à mettre l’accent sur la (re)construction des scripts narratifs afin de faciliter cette transition d’un monde à l’autre (Blagden et al., 2016 ; F.-Dufour et Brassard, 2014 ; Halsey et al., 2017 ; Harris, 2014 ; Panuccio et al., 2012 ; Radcliffe et Hunter, 2016 ; Ricciardelli, 2018 ; Stevens, 2012 ; van Ginneken, 2016 ; Vanhooren et al., 2017) :

There was one guard who took some time for me now and then. He asked me how I was doing and he was really interested in me. He gave me the feeling that I was still a human being. Afterwards I realized how important it is to take care of other people. Not for your own interest, but for the sake of others.

Vanhooren et al., 2017, p. 182

Le fait d’être soutenu dans ce moment d’ambivalence permet le développement d’une image positive de soi :

They just kept it real with me, that’s all I asked, just keep it real and they was the first type of counseling to keep it real, they cared […] once they earned my trust they were at the point where I would tell them certain things that I probably shouldn’t cause they could’ve went back or whatever, but they didn’t, so I build a trust, and then they would take me up in the morning, take me job hunting, just show me what’s open […] nobody where I’m from give you hope. Nobody, not the police, not your teachers, not your counselors, like it’s little things.

Panuccio et al., 2012, p. 152

Soutenir le désistement évoque ainsi une approche bienveillante (welfare-oriented) et une relation positive avec les agents formels, que les désisteurs viennent à considérer comme une source importante de soutien social (Barry, 2013 ; Bladgen et al., 2016 ; Healy, 2012 ; King, 2014). Une relation de qualité repose sur l’écoute active et sans jugement, et des intervenants authentiques, honnêtes et dignes de confiance (p. ex. : Barry, 2013 ; Blagden et al., 2016 ; Farmer et al., 2015 ; Farrall, 2002 ; Healy, 2012 ; Panuccio et al., 2012 ; Rex, 1999). Les qualités et les attitudes des agents formels joueraient donc un rôle important pour soutenir le désistement puisque c’est par le biais de cette relation que le désisteur en devenir (re)découvre sa valeur personnelle, ce qui lui permet de poursuivre un but en ayant le sentiment d’être quelqu’un d’important aux yeux d’autrui (Barry, 2013 ; Blagden et al., 2016 ; Healy, 2012 ; King, 2014 ; Mizel et Abrams, 2019 ; Panuccio et al., 2012 ; Vanhooren et al., 2017) :

I’ve changed loads since getting here. When I got here, yeah, I was bolshie, arrogant, but through being here, doing the courses I’ve changed… this officer was even saying to me how much I’ve changed and that when I first came in I was a bit like this and that and I was. It means a lot that he can see that, that they can see how much I’ve changed.

Blagden et al., 2016, p. 381

Interprétation des résultats

Les résultats de cette étude de la portée nous permettent de développer davantage le modèle de l’impact du suivi probatoire sur le désistement proposé par Farrall, Hunter, Sharpe et Calverley (2014). Tel qu’illustré à la Figure 2 (voir les lignes pointillées), les agents formels assistent au désistement si bien que le changement n’est pas uniquement le fruit de leurs interventions. Plutôt, ils guident les justiciables dans leur processus de désistement. Ainsi, les « opportunités de changement peuvent se présenter avant que tout désir de changement ne se manifeste et avoir tout de même un impact » (Farrall et al., 2014, p. 143) ou elles peuvent inciter les désisteurs à considérer entreprendre des changements (F.-Dufour et Brassard, 2014).

FIGURE 2

Le désistement assisté en contexte formel

Le désistement assisté en contexte formel
Adapté de Farrall et al., 2014

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L’importance des processus structurels-relationnels apparaît également sous la forme d’une pratique centrée sur le désistement. Celle-ci crée un environnement où les désisteurs se sentent en sécurité lorsque le suivi est de qualité, soit qu’il vise à travailler avec les désisteurs dans une approche bienveillante, à les aider/accompagner dans l’atteinte de buts qui sont importants pour eux, tout en les encourageant et en reconnaissant leurs efforts (signes de désistement), de façon à ce que davantage d’attention soit accordée aux actions positives plutôt qu’aux risques de non-respect des conditions (ou aux non-respects comme tels). Dans ce contexte, ils peuvent devenir des acteurs de changement, plutôt que des sujets passifs de contrôle pénal. Les opportunités offertes dans la structure sociale peuvent susciter la motivation à changer et des transformations cognitives menant à une vision positive de soi et de son avenir.

L’assistance formelle comme source de reconnaissance : vers le désistement tertiaire

Le concept de désistement tertiaire s’avère également pertinent pour comprendre les effets du désistement assisté. Bien qu’à ce jour aucune étude n’ait porté spécifiquement sur cet ultime stade de désistement, les résultats de l’étude de la portée montrent que le désistement tertiaire pourrait être un mécanisme sous-jacent aux efforts de changement pendant la période de désistement assisté (Figure 2). La qualité des rétroactions apparaît comme une partie intégrante du désistement assisté. Celles-ci sont cohérentes avec la définition de désistement tertiaire proposée par McNeill (2014, 2016). De telles pratiques donnent l’opportunité aux désisteurs de se percevoir comme des membres actifs de la société et les aident à surmonter les obstacles à leur intégration sociale. Souligner le désistement est une tâche qui revient aussi aux agents formels. Lorsque les désisteurs ne sont pas entièrement conscients des changements, parfois très subtils, qui prennent forme, les agents formels peuvent renforcer ces efforts en prenant le temps de les souligner. À cet égard, mettre l’accent sur le maintien de l’abstention des comportements criminels (c’est-à-dire l’absence de récidive) conduit souvent à accorder plus d’attention aux risques, laissant ainsi peu d’espace pour reconnaître les signes de désistement et soutenir le désistement tertiaire. Le justiciable, ne sachant pas par où commencer pour se désister, pourrait ainsi se retrouver pris à l’intérieur des phases initiales du désistement en raison des difficultés, de l’ambivalence ou des obstacles perçus comme insurmontables. De futures recherches devraient explorer et documenter les pratiques d’intervention formelles en contexte de désistement assisté pour mieux comprendre comment elles peuvent encourager le désistement tertiaire et contribuer aux efforts de désistement.

Pistes pour de futures recherches

Cette étude de la portée s’appuie sur des résultats de recherches menées principalement au Royaume-Uni. D’autres études sur le désistement assisté par des interventions formelles devraient être réalisées dans d’autres contextes, considérant les influences historiques, sociales et politiques sur les pratiques pénales (voir Robinson, 2016). À cet égard, notre compréhension du désistement assisté pourrait aussi être approfondie en s’intéressant au vécu d’autres acteurs impliqués dans le processus, comme les proches des désisteurs, les décideurs politiques et les agents de désistement formel (par ex. : agents de probation et de libération conditionnelle, agents correctionnels). D’autres recherches devraient aussi explorer les perceptions qu’ont les agents formels de la réhabilitation et de leur rôle, puisque cela peut avoir une influence sur la façon dont ils mènent leur suivi et sur l’aide qu’ils offrent (voir Healy, 2012). Davantage d’efforts doivent aussi être faits pour avoir accès à « l’architecture du désistement » (Farrall, 2019), soit les processus structurels et sociaux du désistement assisté, en se centrant plus particulièrement sur le désistement tertiaire.

L’analyse des caractéristiques des études souligne aussi l’importance de s’assurer de la crédibilité des prochaines recherches en portant une attention particulière aux stratégies d’échantillonnage et aux caractéristiques des échantillons afin de faciliter les comparaisons et de consolider les connaissances actuelles. Les recherches axées sur les différences dans les processus de désistement des hommes et des femmes sont de plus en plus nombreuses (voir Sharpe, 2015), mais les effets liés au genre sont équivoques (Farrall, 2019 ; Rodermond, Kruttschnitt, Slotboom et Bijleveld, 2015). Les prochaines recherches devraient explorer s’il existe de telles différences en contexte de désistement assisté. En outre, le processus de désistement varie selon l’âge des désisteurs (voir Laub et Boonstoppel, 2013) et les recherches suggèrent que la transition vers l’âge adulte se surimpose à ce processus déjà complexe (p. ex. : Abrams et Terry, 2017 ; Massoglia et Uggen, 2010). Cependant, comme la majorité des recherches recensées portent sur des populations adultes, d’autres études sont nécessaires pour explorer comment les différents stades et transitions au cours de la vie peuvent avoir une influence (ou non) sur les expériences de désistement assisté en contexte formel.

Une autre limite aux connaissances actuelles est que les recherches discutent rarement des impacts de la durée des carrières criminelles et des contacts antérieurs avec les acteurs du système de justice, qui sont pourtant connus pour augmenter la stigmatisation, la vulnérabilité et le désespoir (p. ex. : Maruna et Toch, 2005). Les recherches futures devraient aussi prendre en considération l’effet du temps sur les expériences rapportées, puisque plusieurs années peuvent s’écouler avant que l’on puisse constater les impacts du désistement assisté. Les devis rétrospectifs peuvent autant sous-estimer qu’exagérer ces impacts, mais semblent incontournables pour pouvoir les détecter. Trianguler les méthodes de collecte de données et diversifier les stratégies d’analyse pourraient représenter une avenue intéressante. Les études qualitatives sont utiles pour saisir les expériences de désistement assisté, mais une plus grande diversité de devis de recherche pourrait fournir un éclairage différent en combinant, par exemple, les résultats qualitatifs avec ceux obtenus par des questionnaires quantitatifs, ou en variant les façons de colliger les données. Les observations, les groupes de discussion et les analyses documentaires dans différents contextes (communauté ou milieu carcéral) et auprès de différents répondants (agents formels, proches significatifs) ou même en donnant plus de poids au récit des agents formels de désistement pourraient fournir un portrait plus complet des mécanismes complexes qui peuvent assister les efforts de désistement. Des recherches devraient aussi tâcher à cartographier ou faire l’inventaire des ressources disponibles pour les désisteurs et les agents formels, pour maximiser le succès de leurs efforts.

Conclusion

Cette étude de la portée a permis de constater que la recherche sur le désistement assisté est riche et fertile, si bien qu’il a été possible d’étayer davantage le modèle théorique du désistement assisté offert par Stephen Farrall et ses collaborateurs (2014). Il est espéré que cette synthèse des connaissances facilitera leur transfert vers les milieux de pratiques et que les limites relevées aux études primaires inspireront la recherche ultérieure. Ultimement, il est espéré que les résultats de cette étude de la portée seront réappropriés par les agents d’interventions formelles, soit en vue de modifier le cadre de leurs actions (c’est-à-dire revoir le modèle de gestion du risque) ou encore pour harmoniser davantage leur pratique avec les constats issus de la recherche menée auprès des utilisateurs de leurs services.