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Depuis près de trois décennies maintenant, l’historien québécois Denis Goulet poursuit sa patiente et utile mission consistant à écrire, une à une, l’histoire des institutions et des spécialités médicales du Québec. Dans ce nouvel opus, richement illustré, il se penche sur l’histoire de la Faculté de médecine de l’Université Laval. Comme à son habitude, Goulet y adopte une perspective à la fois chronologique et hagiographique. Il s’agit en effet pour lui, et pour la Faculté qui a commandité, financé et encadré la réalisation de l’ouvrage, de rendre hommage aux principaux acteurs qui ont contribué à son développement et d’insister, bien sûr, sur sa contribution à l’avancée des sciences médicales.

Après avoir précisé, dans un premier chapitre, le contexte d’apparition en 1845 de l’École de médecine de Québec, Goulet retrace, dans un deuxième, la naissance et l’organisation originelle de la Faculté de médecine de l’Université Laval, qui voit officiellement le jour en 1854 comme la première faculté de médecine francophone d’Amérique. Suivant la succession des décanats jusqu’à la fin du siècle, l’auteur précise l’évolution des enseignements, le coût des frais d’inscription ainsi que l’introduction, parfois rapide, parfois tardive, des nouveaux savoirs scientifiques. Dans le troisième chapitre, il fait de même pour les deux premières décennies du XXe siècle, s’intéressant notamment au développement de la médecine de laboratoire au sein de la faculté et à l’expansion progressive de cette dernière. Car il faut attendre la période 1920-1940 et les décanats d’Arthur Rousseau et de Calixte Daigneau, qui font l’objet du quatrième chapitre, pour assister à « un essor sans précédent » de la Faculté qui se « modernise », notamment grâce aux bourses d’Europe mises en place par le gouvernement provincial. Ces décennies marquent également l’ouverture de nouveaux lieux de soins dans la capitale, que ce soit l’Hôpital de l’Enfant-Jésus (1923), la Clinique Roy-Rousseau (1926) ou l’Hôpital Saint-Sacrement (1927). Les années 1940 à 1960, auxquelles Goulet consacre le cinquième chapitre, sont marquées par le bouleversement : les premières femmes sont diplômées à la Faculté qui, elle, déménage pour mieux s’agrandir, tandis que les premières formations postdoctorales y voient le jour.

Mais ce sont surtout les réformes des études de médecine et des statuts des étudiants qui font alors couler beaucoup d’encre, tandis que le centenaire de la Faculté approche déjà. Pourtant en 1957, les évaluations de l’American Association of Medical Colleges et de l’American Medical Association viennent refroidir les ardeurs : les deux institutions états-uniennes soulignent d’importantes lacunes dans la formation offerte par la Faculté. L’ouverture du nouveau pavillon Ferdinand-Vandry contribue à relancer le mouvement de modernisation. Ce dernier, contrairement à ce qui s’était passé au début du siècle où les bourses d’Europe favorisaient l’influence de la France, sera marqué par un virage vers le modèle américain. C’est l’objet du chapitre 6 qui décrit également la naissance d’une nouvelle rationalité administrative au sein de la Faculté ainsi qu’une nouvelle réforme des cursus et méthodes d’enseignement. La création en 1968 d’un centre hospitalier universitaire, le CHUL, vient couronner cette période faste.

Goulet interrompt ici le cours chronologique de l’ouvrage pour proposer, dans un septième chapitre, un retour en arrière sur soixante ans de développement de la recherche (1900-1960). À grands pas, l’historien y raconte le passage d’une science médicale produite par un chercheur isolé, à une science biomédicale fondée sur des équipes et un nouveau canon : l’essai randomisé. L’accent est surtout mis sur la biochimie, la physiologie et la pathologie. Dans le huitième chapitre, Goulet reprend le fil du temps pour expliciter les changements qu’a subis ou impulsés la Faculté entre 1970 et 2002 : l’entrée en scène de l’assurance-maladie, la naissance de la médecine familiale ou la syndicalisation des professeurs sont accompagnées de nouvelles réformes du cursus et de la pédagogie, au fil des décanats successifs.

Ces années sont également celles de l’essor de la recherche biomédicale, auquel Goulet consacre le neuvième chapitre de l’ouvrage. La réorganisation de la recherche scientifique au sein de la Faculté ainsi que des conditions sociales et politiques favorables favorisent l’émergence d’importants travaux en endocrinologie, cytopathologie, neurologie, cardiologie, pneumologie, hématologie, oncologie, ophtalmologie, infectiologie, puis génomique. Puis, à mesure qu’il avance dans les années, le chapitre se meut en une plaquette promotionnelle pour les différents centres de recherche qui font aujourd’hui la fierté de l’Université. Même chose avec les deux derniers chapitres respectivement consacrés à la Faculté de médecine dans le troisième millénaire et à la Faculté de médecine en 2017. C’est l’une des limites ou l’un des risques qu’il y a à produire sur commande des ouvrages historiques sur et en partenariat direct avec les institutions concernées.

Une chose est sûre, cet ouvrage, comme ceux que Goulet a produits précédemment, est utile. Par sa rigueur factuelle et sa précision événementielle, il se présente comme une ressource de choix pour les chercheur.e.s en histoire médicale ou institutionnelle québécoise. Les multiples encadrés, qui apportent des précisions sur les principaux acteurs de l’institution ou sur des événements singuliers, ainsi que les tableaux qui parsèment l’ouvrage mettent en évidence cette ambition pédagogique et cette volonté de s’imposer comme une ressource documentaire. De ce point de vue, le pari est réussi, du moins dans une certaine mesure. L’ampleur du terrain étudié nécessite en effet des coupes radicales qui tendent au final à produire une histoire en surface de l’institution traitée. On en apprend ainsi peu sur le développement des différents départements, voire rien quand il est question, par exemple, du département de psychiatrie.

C’est que l’ouvrage de Goulet s’appuie sur une recherche documentaire importante certes, mais déjà connue. Il ne s’engage en effet jamais dans des terrains inexplorés ou des points aveugles de l’histoire déjà produite, se contentant uniquement, mais avec brio, de synthétiser les connaissances déjà acquises en les complétant et les illustrant de documents d’archives rares ou nouveaux. C’est ce qui fait que les ouvrages de Goulet, et celui-ci ne fait pas exception, contribuent rarement à renouveler l’historiographie et les interprétations, parfois usées, des historiens du passé. À l’image de la représentation de la médecine qu’elle valorise, l’histoire de la médecine exercée par Goulet est une histoire strictement médicale, à tendance téléologique, aux accents hagiographiques voire positivistes et à construction plus cumulative que critique.