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L’ouvrage coordonné par Jean-Luc Moriceau et Richard Soparnot, est le résultat de la contribution de vingt-huit chercheurs français, québécois et brésiliens. Le sous-titre de l’ouvrage plante le décor sur ce qui constitue le livre. Vingt-neuf chapitres permettent tour à tour de questionner sa posture de chercheur puisque ce livre propose de « s’exposer, cheminer, réfléchir » et de s’arrêter sur « l’art de composer sa méthode ».

C’est tout autant un livre de méthodologie qu’un livre de témoignages de chercheurs en sciences de gestion qui offrent un retour reflexif. Au-delà de présentations des positionnements méthodologiques, l’intérêt de cet ouvrage réside dans la personnalisation des réflexions de chercheurs sur leurs pratiques. Vingt-huit chercheurs induisent une diversité de retours d’expérience, riches en pistes à explorer.

Constitué en deux parties, une première partie propose « quelques chemins d’exploration » et une deuxième partie donne à lire des « problématiques en chemin ». Le mot « chemin » dans ces titres de parties est utilisé pour positionner la recherche comme un chemin parcouru, semé de découvertes, de questionnements et de postures investies avec beaucoup de possibles. C’est aussi une invitation au cheminement au gré des vingt-neuf chapitres qui peuvent être lus du chapitre un au chapitre vingt-neuf, mais il peut se savourer au gré du hasard, ou en fonction d’une interpellation liée au titre du chapitre ou selon son auteur. Les auteurs de ce livre se sont fixé trois objectifs :

  • être un plaidoyer pour des méthodes qualitatives élargies qui proposent d’autres regards sur le management et les organisations ;

  • inviter tout chercheur à avoir un positionnement choisi et assumé de sa ou ses méthodes ;

  • reconnaître la place et la présence du chercheur dans sa recherche.

En introduction, deux premiers chapitres ouvrent le chemin, posent les balises de cette volonté.

« L’ouvrage propose ainsi un art de composer sa méthode qualitative. Une composition qui soit approche et exposition avant d’être prise de distance, qui soit cheminement et aventure de pensée avant d’être positionnement et qui soit audacieuse, réflexive et responsable avant d’être application d’un patron, d’un corps de règles figées. » (Moriceau et Soparnot, chapitre 1, p. 21)

Allard-Poesi revient sur les voies principales et les tournants de la recherche qualitative pour proposer de nouveaux itinéraires. « Ces éléments nous enjoignent à mieux réfléchir tant à la nature de nos pratiques de production de nos discours en tant que chercheurs qu’à leur objet. » (Allard-Poesi, chapitre 2, p. 41)

La première partie du livre comprend huit chapitres qui sont autant de directions vers des méthodes pour montrer une diversité des possibles. Cette partie invite à réfléchir à ce qui nous touche dans une recherche, à ce qu’est notre façon de faire et d’appréhender le monde. Moriceau montre les possibles d’une recherche autoethnographique et en quoi dans ce cas, le récit issu de ce type de recherche n’est pas neutre, mais au combien il peut être politique et critique. Adaptée « lorsque le chercheur a une implication personnelle et émotionnelle forte avec ce qu’il étudie » (Moriceau, chapitre 3, p. 64), ce type de recherche nécessite comme toute recherche un protocole rigoureux et cadré. Renard et al. (chapitre 4) reviennent sur l’approche de recherche en science du design à partir d’un exemple et d’un schéma conceptuel. Moriceau montre l’intérêt de toucher (par) l’expérience, donc d’interroger les affects parce que « dans l’affect ressenti ici et maintenant, c’est tous les contextes qui se signalent et insistent, qui se conjuguent et se donnent à penser » (Moriceau, chapitre 5, p. 85). Les méthodes art-based ouvrent sur l’approche esthétique des organisations. « Lorsque l’artiste intervient, des questions non explorées apparaissent, en lien avec les écarts de postures chercheur-artiste, consultant-artiste, artiste-manager. » (Mairesse, chapitre 6, p. 119) Des principes sont proposés afin de mettre au point nos propres méthodes basées sur l’art pour pratiquer l’art de la recherche en esthétique des organisations. Dans le chapitre 7, Périès explore le discours qui permet de saisir le politique et l’institution et dans le chapitre 8, Besson présente les méthodes projectives comme support à l’exploration des perceptions et des attitudes des individus en contexte professionnel. Les deux derniers chapitres de cette première partie ouvrent des chemins vers la conduite de projets de/dans « l’extrême » ou sur l’invisible. Toutes les voies proposées dans cette première partie nous amènent à considérer différentes approches de la recherche en fonction de notre façon d’appréhender la réalité observée.

« Il faut considérer comme illusoire l’idée d’une science qui est face à un monde d’objets bien définis, et qui les découvre un par un dans un mouvement allant vers toujours plus de précision et de savoir. » (Romelaer et Adrot, chapitre 10, p. 200)

La deuxième partie de l’ouvrage est constituée autour de cheminements sur la problématique en recherche, car c’est cela « qui nous force à penser, à inventer, à cheminer, à devenir » (p. 209). Comme dans la première partie, les auteurs ne cherchent pas à nous imposer une seule façon de voir et nous invitent à « plus de mouvement et moins de contrôle ; à moins de dogmatisme et plus de réflexivité. » (p. 210) Les trois sphères de la recherche : la voix du chercheur, le terrain choisi et la théorie mobilisée sont considérées comme trois éléments à aligner pour permettre une cohérence d’ensemble. Du chapitre 12 à 16, en montrant des méthodes bricolées pour, par exemple, s’adapter à la déficience et des grilles d’entretien abandonnées pour mieux rencontrer le terrain de recherche et des recherches nécessairement réorientées, nous envisageons alors la recherche comme un modèle flexible et réactif. Ces témoignages montrent que le chercheur ne serait pas hors-sol, mais « pris dans l’organisation et la société » et non pas comme un chercheur désincarné. « Chaque place modifie l’exposition au terrain et rend plus ou moins probable et aisée la possibilité d’être affecté(e), d’être étonné(e), d’être informé(e) par le terrain afin que la pensée soit mise en mouvement. » (p. 251)

Et c’est en étant présent dans (et pour) sa recherche qu’un chercheur peut s’exprimer et être une voix audible. C’est ainsi reconnaître que le chercheur à travers sa démarche, ses recherches, incarne actions et prises de position. Les chapitres 17 à 20 invitent à la réflexivité sur notre position dans nos recherches. Trouver sa place dans les recherches en fonction de ce que celles-ci peuvent nous renvoyer, de ce que nous avons vécu est un élément-clé pour tout chercheur. Réfléchir aux biais, aux résistances et aux possibles transferts sont autant d’éléments proposés. Et vient le temps de relier les terrains de recherche, les observations, les analyses à la théorie (chapitres 21 à 23). Nous sommes alors invités à penser comment dans une recherche, nous nous attachons à « non pas retrouver la théorie, mais à la mettre en mouvement, à déplacer la façon dont nous pensions une question pour ouvrir à de nouvelles théorisations à venir » (p. 282). Nous terminons par un questionnement sur le sens de l’écriture sur une recherche en rappelant que tout écrit est adressé et endosse une responsabilité. Un article, une communication s’adressent à une communauté et ces écrits auront une portée à ne pas sous-estimer puisque destinés à être repris, cités. Du chapitre 24 à 27, nous voyons que l’écrit adressé permet de restituer des réalités, demande à se faire d’une manière particulière pour être lu par les dirigeants, de porter un regard critique et de revenir sur des événements non terminés pour mieux les appréhender. La conclusion, composée des deux derniers chapitres, invite à « penser notre recherche et notre méthode à l’intérieur de leurs contextes sociaux, politiques et culturels » (p. 333).

L’originalité et la proposition de nouvelles pistes à explorer sont les maîtres mots de cet ouvrage méthodologique. Cependant, la rigueur et la validité des designs de recherche proposés sont aussi présentés et discutés afin de permettre à tout chercheur qui se laisserait tenter par une nouvelle façon d’explorer la réalité des organisations de pouvoir le faire. La proposition de méthodologies marginales, originales comme l’autoethnographie, l’exploration par les affects, l’inconscient, l’invisible ou les projets de l’extrême sont autant de moyens de se décentrer de ses pratiques pour mieux y revenir avec un regard neuf. Nous retiendrons les trois mouvements fondamentaux de la recherche qualitative : (s’)exposer, cheminer et réfléchir.

« Il s’agit moins d’apporter une brique à un supposé mur de la connaissance tout établi et immobile que de remettre en mouvement le savoir et notre pensée, de nous mettre à l’épreuve du réel qui advient et d’utiliser toutes les ressources à disposition pour tenter de comprendre. » (Moriceau, chapitre 29, p. 354)

En résumé, ce n’est pas un exposé froid, dogmatique, distancié et prescriptif de méthodologies à appliquer dans la recherche qualitative. En effet, ce livre est une offre de possibles, un accompagnement dans un cheminement réflexif de nos façons de faire et de penser en tant que chercheur.