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Apparus aux États-Unis au tournant du XXe siècle, les think tanks y connaissent depuis plus d’une quarantaine d’années un essor spectaculaire et y sont aujourd’hui des acteurs politiques de premier plan. Bien qu’elle soit difficile à quantifier, leur influence sur la politique américaine n’en demeure pas moins bien réelle. Elle est même parfois préoccupante lorsqu’on songe que plusieurs de ces instituts mènent des recherches fortement orientées sur le plan idéologique et ont des entrées dans les sphères les plus intimes du pouvoir. Devant le caractère incontournable du phénomène, on ne se surprend guère qu’une imposante littérature scientifique ait été produite à propos des think tanks aux États-Unis[1]. De nombreux chercheurs se sont intéressés en particulier à l’influence des instituts de recherche conservateurs, dont plusieurs des idées en matière de politique étrangère, de fiscalité et de politiques sociales semblent avoir colonisé le gouvernement américain depuis la présidence de Ronald Reagan (1981-1989). Or, s’il est indéniable que les idées promues par des think tanks conservateurs comme la Heritage Foundation, l’American Enterprise Institute, le Cato Institute, le Hudson Institute et la Hoover Institution ont été grandement diffusées dans la sphère publique américaine, on ne doit pourtant pas négliger l’importance des centres de recherche libéraux[2].

Dans cet article, nous nous intéressons plus spécifiquement à deux de ces think tanks progressistes, soit le Progressive Policy Institute (PPI), fondé en 1989, et le Center for American Progress (CAP), fondé en 2003. Pour chacun de ces centres de recherche, nous présentons le contexte, de même que les personnes qui sont derrière leur création, nous décrivons les moyens qu’ils ont mis en oeuvre pour faire leur place dans le marché américain des idées et nous montrons l’influence qu’ils ont eue auprès d’administrations démocrates. Nous montrons que la création de ces centres de recherche doit être appréhendée à travers le contexte politique qui prévaut alors aux États-Unis : le Progressive Policy Institute et le Center for American Progress surgissent à des moments où les idées conservatrices ont le vent dans les voiles. Ces think tanks libéraux ont ainsi pour raison d’être, dans un premier temps, de redonner leur place aux idées libérales et, dans un second temps, de proposer une feuille de route au Parti démocrate afin de reprendre le pouvoir à la Maison-Blanche.

Notre article se décline en quatre parties. La première partie permet de situer le phénomène des think tanks dans le contexte américain, de leur apparition lors de l’Ère progressiste jusqu’à l’émergence des think tanks conservateurs à partir des années 1970. Les deuxième et troisième parties sont consacrées à nos deux études de cas. Finalement, dans la quatrième partie, nous faisons une comparaison entre le PPI, la CAP et un think tank conservateur, la Heritage Foundation, en nous intéressant particulièrement à leur lien avec les partis politiques, à leur idéologie et à leur capacité de diffuser leurs recherches et leurs idées dans la sphère publique.

Le phénomène des think tanks aux États-Unis, de l’Ère progressiste à l’essor des think tanks conservateurs

Au départ, la vocation des think tanks était de faire le pont entre le monde universitaire et la classe politique[3]. Le politologue Andrew Rich les définit comme des organisations à but non lucratif qui mettent leur expertise et leurs idées à la disposition des décideurs politiques[4]. Ils peuvent être financés par une fondation, par des donations individuelles, par des subventions gouvernementales, par des contrats de recherche ou par un mélange de toutes ces sources[5]. S’il n’existe pas d’idéal-type du think tank[6], James McGann et Erik Johnson proposent néanmoins une typologie qui distingue ceux qui sont indépendants de ceux qui sont affiliés à une université, à un parti politique ou à un gouvernement[7]. La stabilité politique américaine, de même que la vitalité de la vie associative et du mécénat aux États-Unis, prédisposait ce pays à être un lieu propice à la création et à l’essor des think tanks[8]. La structure décentralisée du gouvernement américain[9] offre d’ailleurs de nombreuses « ouvertures » afin d’avoir un accès relativement aisé aux plus hautes sphères du pouvoir. À la manière des lobbyistes, les chercheurs des think tanks peuvent profiter d’innombrables points d’accès, notamment les 535 élus du Congrès et leur personnel, de même que les nombreux départements (ministères) et agences du gouvernement américain, qui comptent chacun sur une imposante bureaucratie dont la soif d’expertise est intarissable[10].

Les premiers think tanks américains sont créés lors des premières décennies du XXe siècle. Le Carnegie Endowment for International Peace est fondé en 1910 par l’industriel Andrew Carnegie, tandis que la Brookings Institution est créée en 1916 par le philanthrope Robert S. Brookings. Ils apparaissent à la fin de l’« Ère progressiste », qui va des années 1890 à la fin des années 1910 et qui est une période marquée par l’adoption d’une série de réformes politiques, économiques et sociales et caractérisée par une grande valorisation du positivisme[11]. Les réformateurs progressistes sont convaincus que la connaissance issue des sciences sociales, qui sont alors en plein développement, doit permettre de résoudre les problèmes auxquels la société américaine est confrontée[12]. Par la suite, les débuts de la Guerre froide entraînent la création de nombreux instituts de recherche spécialisés sur les questions de politique étrangère et de défense, dont la RAND Corporation[13] (1948) et le Hudson Institute (1961). Au cours des années 1960, des think tanks comme le Urban Institute (1968) sont créés pour s’attaquer aux problèmes sociaux comme la ségrégation et la pauvreté avec un financement du gouvernement fédéral. C’est toutefois au cours des années 1970 que le phénomène des think tanks commence véritablement à prendre de l’ampleur. Andrew Rich estime que leur nombre a plus que quadruplé aux États-Unis entre 1970 et 2005[14].

Aujourd’hui, les think tanks sont un élément incontournable de la vie politique américaine. D’aucuns affirment qu’ils ont depuis longtemps détrôné les universités en tant que principaux fournisseurs d’expertise auprès de la classe politique et des médias[15]. On estimait en 2015 que 1931 think tanks, soit près de 26 % des think tanks mondiaux, étaient établis aux États-Unis[16]. Washington constitue le coeur de cette constellation. Plus de 150 d’entre eux, dont la plupart des plus prestigieux[17], sont basés dans le district fédéral ou à proximité[18]. Cette situation n’a rien de fortuit, puisqu’elle permet d’avoir accès facilement aux lieux de pouvoir. C’est d’ailleurs à Washington que sont établis la plupart des think tanks conservateurs qui semblent dominer depuis plusieurs décennies la « guerre des idées » aux États-Unis. En effet, les années 1970 sont celles de l’explosion du nombre de think tanks, elles sont également celles de « l’effritement de la vocation technocratique et non partisane des think tanks américains[19] ». On assiste à l’émergence des « advocacy think tanks », dont les programmes de recherche sont articulés autour de la défense d’une idéologie[20]. Les conservateurs mènent la charge avec la création de la Heritage Foundation en 1973 et du Cato Institute en 1977. Il n’y a là rien de bien surprenant, dans la mesure où ces nouveaux instituts de recherche sont financés à l’origine par de richissimes bailleurs de fonds comme les magnats Joseph Coors (Heritage) et Charles Koch (Cato) qui souhaitent mener une contre-offensive intellectuelle conservatrice[21] contre le libéralisme, qui est l’idéologie dominante du gouvernement fédéral américain depuis les années 1930.

Du reste, les années 1970 sont celles où se met en place aux États-Unis la réaction conservatrice contre ce qui était perçu comme les excès du libéralisme et les désordres sociaux des années 1960. Longtemps relégué aux marges de la politique américaine, le conservatisme[22] effectue un retour en force au cours des années 1970 jusqu’à culminer avec l’élection de Reagan[23]. Un mouvement conservateur s’était certes mis en place dès les années 1950, mais celui-ci était essentiellement cantonné à des cercles intellectuels et peinait à trouver une résonance significative dans la sphère publique américaine[24]. Or, le contexte qui suit les années 1960, marqué notamment par la crise de l’État-providence, par la stagflation économique, par les scandales politiques (dont le Watergate), par le ressac à l’égard du mouvement des droits civils, par la perception d’un déclin des valeurs morales au sein de la société américaine et par l’impression d’un recul des États-Unis sur la scène mondiale, contribue au retour en grâce du conservatisme[25]. La « révolution conservatrice », pour reprendre l’oxymore de l’historien Lee Edwards[26], gagne des appuis à la fois au sein de la population et des élites. Rich identifie à ce propos quatre développements significatifs au cours des années 1970 : la mobilisation politique des grandes compagnies qui réclament des allégements réglementaires[27] et une réduction de leur fardeau fiscal ; l’avènement des intellectuels néoconservateurs, qui sont d’anciens gauchistes se positionnant en faveur d’une politique internationale musclée[28] ; la mobilisation des mouvements évangéliques et fondamentalistes chrétiens ; et finalement, l’essor de la pensée économique néoclassique[29]. C’est donc dans un contexte particulièrement favorable à leurs idées que les advocacy think tanks conservateurs font leur apparition. Le financement dont bénéficient les plus importants d’entre eux permet aux intellectuels conservateurs d’avoir accès à des ressources considérables pour faire des recherches et en diffuser les résultats. Les think tanks conservateurs contribuent par le fait même à la formation rapide d’une « contre-élite » conservatrice pour s’attaquer à ce qui reste du consensus libéral à Washington[30].

Les années 1970 ouvrent ainsi une période marquée par la domination des think tanks conservateurs dans le marché des idées à Washington. Cette domination est numérique d’abord, alors que les centres de recherche conservateurs sont plus nombreux que les centres libéraux : Rich parle d’une domination de deux pour un en 2005[31], tandis que McGann estime qu’en 2015, 20 % des think tanks américains ont une idéologie conservatrice, contre 13 % qui ont une idéologie libérale[32]. Au-delà de cette supériorité numérique, les think tanks conservateurs seraient simplement meilleurs lorsqu’il s’agit de promouvoir leurs idées. À l’inverse de plusieurs think tanks libéraux qui tentent avec plus ou moins de succès de préserver une apparence de neutralité, les conservateurs n’hésitent pas à embarquer de plain-pied dans la dynamique de la guerre des idées, quitte à afficher clairement leurs couleurs militantes[33]. La création de la Heritage Foundation en 1973 est emblématique d’une nouvelle dynamique marquée par la politisation des think tanks[34]. Non seulement s’impose-t-elle rapidement comme le vaisseau amiral de l’« armada intellectuelle[35] » conservatrice, mais elle révolutionne les façons de faire, en empruntant des méthodes qui appartiennent davantage aux groupes d’intérêts qu’aux instituts de recherche. Parmi diverses innovations, la Heritage crée la formule des « policy briefs », qui sont de courts documents résumant en quelques pages des questions politiques complexes et qui sont grandement appréciés des journalistes et des politiciens. En 1980, la Heritage frappe un grand coup lorsque son document intitulé Mandate for Leadership[36] est repris par l’équipe de transition de Ronald Reagan, qui en adopte la plupart des grandes orientations[37]. L’influence de la Heritage Foundation se fera d’ailleurs sentir également sur les administrations suivantes, républicaines comme démocrates[38]. C’est en s’inspirant des méthodes de la Heritage que les think tanks libéraux fondés dès la fin des années 1980 tenteront de pallier le retard accumulé par la gauche dans la guerre des idées[39].

Le Progressive Policy Institute : réinventer le libéralisme pour combattre le Reaganisme

La victoire écrasante de Ronald Reagan contre le président démocrate sortant Jimmy Carter en 1980 a convaincu plusieurs démocrates de la nécessité de revamper l’idéologie de leur parti afin d’éviter d’être perpétuellement cantonnés dans l’opposition[40]. Des démocrates de la Chambre des représentants créent ainsi au début des années 1980 le Committee on Party Effectiveness, dont l’objectif est de faire du Parti démocrate un parti plus centriste[41]. Après une autre défaite cuisante lors de l’élection présidentielle de 1984[42] au cours de laquelle les démocrates ont nommé un candidat libéral (Walter Mondale, l’ancien vice-président de Jimmy Carter), ces démocrates centristes qui se désignent désormais eux-mêmes sous l’appellation de « New Democrats » annoncent en février 1985 la création du Democratic Leadership Council (DLC). Bien qu’il ne s’agisse pas d’un organe officiel du Parti démocrate, le groupe est composé d’élus et d’opérateurs politiques issus de ce parti dont l’objectif est d’en influencer les orientations idéologiques[43]. Disposant dès le départ d’un généreux financement de la part de donateurs fortunés et de grandes compagnies favorables au conservatisme fiscal promu par les New Democrats[44], le DLC est rapidement en mesure de s’organiser afin d’accroître son influence à l’intérieur du Parti démocrate[45]. Après une autre défaite lors de l’élection de 1988 au cours de laquelle le candidat démocrate Michael Dukakis a dû se défendre de ne pas être un « liberal », les New Democrats deviennent convaincus que le parti doit se dissocier de ce terme et trouver une identité alternative[46]. C’est dans cet esprit qu’ils tentent de remettre en avant l’adjectif « progressive », tombé en désuétude au cours des années 1920 et qu’on trouve dans le nom du centre de recherche qu’ils créent en 1989, le Progressive Policy Institute, qui devient le refuge intellectuel des New Democrats[47].

Ce nouveau think tank est fondé par Will Marshall, un opérateur politique démocrate ayant auparavant contribué à la formation du DLC, dont il a été le directeur des politiques. Bien que le PPI tire son financement de sources indépendantes du Parti démocrate, ses liens avec celui-ci, et plus particulièrement avec le DLC, sont évidents. La création du Progressive Policy Institute a d’ailleurs été fortement encouragée par Al From, un autre opérateur politique démocrate qui est alors à la tête du DLC. La création d’un think tank qui est une sorte de « produit dérivé » du Democratic Leadership Council doit permettre d’avancer de nouvelles idées plus controversées en échappant aux contraintes internes du Parti démocrate[48]. Pour Marshall, il est plus que temps de sortir le parti de sa torpeur et c’est là la mission que se donne le PPI : « The [Democratic] Party has developed an allergy to new thinking. So we’ve yielded the initiative time after time to the right [...]. [There is] a striking opportunity to wrest the intellectual initiative from the right[49]. » Le PPI, comme le DLC, fait la promotion d’une « troisième voie » (third way) entre le conservatisme/capitalisme et le libéralisme/socialisme. Son objectif est d’adapter la tradition progressiste américaine de liberté individuelle et d’égalité des chances aux défis de l’ère postindustrielle[50].

Dès le départ, le PPI ne craint pas de remettre en question quelques-uns des principaux dogmes libéraux : le premier policy paper produit par le think tank prend position contre l’augmentation du salaire minimum désirée par de nombreux démocrates au Congrès. Son auteur, l’économiste Robert J. Shapiro, est également en faveur du libre-échange avec le Mexique et favorise des solutions de libre marché plutôt que des régulations étatiques pour lutter contre la pollution – ce qui ne l’empêche pas de se décrire comme un démocrate et un progressiste[51]. En ce sens, il n’est pas différent de ses collègues du PPI qui ne se définissent pas comme des conservateurs. Au contraire, inquiets des conséquences néfastes du Reaganisme sur la politique intérieure et extérieure des États-Unis, ils cherchent à imiter les méthodes des advocacy think tanks comme la Heritage afin de donner de la visibilité dans l’espace public à un contre-discours plus progressiste. Le Progressive Policy Institute est à cet égard le mieux organisé parmi les think tanks progressistes créés au cours de la seconde moitié des années 1980 avec le même objectif, dont le Center for National Policy et le Economic Policy Institute[52].

En termes de visibilité, le Progressive Policy Institute parvient rapidement à se tailler une place enviable au sein de la communauté intellectuelle washingtonienne. Une étude de R. Kent Weaver et Andrew Rich menée auprès de six journaux à tirage national montre qu’entre 1991 et 1997, il arrive au 8e rang pour le nombre de citations, avec 1156, loin derrière le Cato Institute (1837) et l’American Enterprise Institute (2723), mais pas trop loin derrière la Heritage Foundation (1318)[53]. C’est d’autant plus impressionnant que le PPI ne dispose que de modestes effectifs, avec seulement sept professionnels à temps plein en 1992, ce qui lui vaut d’être surnommé le « Mighty Mouse of the think tank world » par un journaliste du Washington Post[54]. Dès septembre 1989, deux de ses chercheurs font paraître une étude intitulée The Politics of Evasion, une charge à fond de train contre un Parti démocrate qui serait aux prises avec un déni de la réalité et ne réaliserait pas que sa plateforme politique héritée des années 1960 n’est plus en phase avec les aspirations d’une majorité d’Américains[55]. L’étude attire l’attention de plusieurs caciques du Parti démocrate, dont le gouverneur de l’Arkansas Bill Clinton, qui préside le DLC de 1990 à 1991. Lors des primaires démocrates de 1992, Clinton veut se positionner comme un « nouveau choix » pour les électeurs et un « champion de l’innovation[56] », ce qui entraîne un mariage naturel avec le PPI, qui mobilise ses ressources pour l’aider à remporter l’investiture démocrate, puis l’élection générale. De son côté, Clinton s’inspire fortement des idées du PPI, qu’il surnomme son « usine à idées » (idea mill)[57].

La victoire de Clinton contre le président sortant George H. Bush le 3 novembre 1992 permet aux démocrates de reprendre la Maison-Blanche après un purgatoire de 12 ans. Pour le PPI, c’est l’occasion de faire valoir ses idées dans les plus hautes sphères du pouvoir, un peu comme l’avait fait la Heritage Foundation à la suite de la victoire de Reagan en 1980. Suivant l’exemple du think tank conservateur et de son Mandate for Leadership publié en 1980, le PPI fait paraître en décembre 1992 Mandate for Change, un recueil de textes qui met en avant les principales idées défendues par ses chercheurs et présente ses recommandations à la nouvelle administration[58]. Deux chercheurs du PPI, Al From et Bruce Reed, sont « prêtés » à l’équipe de transition pour agir comme conseillers sur les questions de politique intérieure[59]. Quant à Robert J. Shapiro, qui agissait déjà comme conseiller sur les questions économiques lors de la campagne, il continue de conseiller le nouveau président et tente de le convaincre de la nécessité de lutter contre les déficits, ce qui sera d’ailleurs une des marques de commerce de la gestion clintonienne de l’économie[60].

L’influence du PPI sur l’administration Clinton demeure importante au cours du second mandat. En janvier 1997, le think tank fait paraître un nouveau livre de recommandations intitulé Building the Bridge[61]. La préface de ce second opuscule est signée par nul autre que le vice-président Al Gore, qui fut un des membres fondateurs du DLC et qui fait déjà figure de candidat présomptif pour les démocrates en 2000. Gore souligne d’ailleurs la grande proximité idéologique qui unit le PPI et l’administration Clinton : « Some of the ideas in this book are so much in line with the policies of the first term that it will not be surprising to see them adopted in a second term. » Le PPI intègre d’ailleurs en quelque sorte officiellement les rangs de l’administration quand son vice-président Robert J. Shapiro devient sous-secrétaire au Commerce pour les affaires économiques. En 1999, le think tank marque un grand coup avec l’organisation d’une conférence portant sur la troisième voie qui réunit, en plus du président Clinton, le chancelier allemand Gerhard Schröder, de même que les premiers ministres Tony Blair (Grande-Bretagne), Massimo D’Alema (Italie) et Wim Kok (Pays-Bas) pour discuter des fondements d’une gouvernance pour le XXIe siècle[62].

Le slogan du PPI « radically pragmatic » illustre bien la volonté de ce think tank de se distancer, du moins en apparence, du débat entre libéraux et conservateurs. L’énoncé de sa mission est clair à cet égard : « [The Progressive Policy Institute’s] mission is to create radically pragmatic ideas for moving America beyond ideological and partisan deadlock[63] ». Il n’en demeure pas moins que le PPI est un think tank dont les idées proches du centre-gauche sont essentiellement partagées par les démocrates modérés[64]. Son influence auprès de ce parti a toutefois quelque peu pâti au cours des dernières années, conséquence de la perte d’influence des New Democrats après la présidence de Bill Clinton, de la dissolution du Democratic Leadership Council en 2011[65], du virage à gauche entrepris par le Parti démocrate au cours de la dernière décennie et de la création en 2003 d’un nouveau think tank libéral qui en est venu à occuper une influence prépondérante dans les officines du Parti démocrate.

« Un think tank sur stéroïdes » : le Center for American Progress

Les élections de 2000 sont passées à l’histoire comme les plus serrées et parmi les plus controversées de l’histoire américaine. Ayant perdu le suffrage populaire national par un peu plus de 500 000 voix, le candidat républicain George W. Bush remporte néanmoins le Collège électoral grâce à une victoire in extremis (537 voix) en Floride. Cette victoire, confirmée par une décision de la Cour suprême qui interrompt le recomptage dans le Sunshine State, donne au nouveau président une légitimité douteuse, qui permet aux démocrates d’espérer priver Bush d’un second mandat en 2004. C’est sans compter sur les attentats du 11 septembre 2001, qui créent immédiatement un contexte favorable au 43e président des États-Unis et au Parti républicain, et particulièrement aux néoconservateurs qui ont les coudées franches pour mettre en place un programme politique qui inclut l’adoption rapide du USA PATRIOT ACT (octobre 2001) et le début des guerres en Afghanistan (octobre 2001) et en Irak (mars 2003)[66]. Les attentats prennent initialement de court les démocrates, qui peinent à organiser leur réponse face aux politiques de l’administration Bush[67]. Ils contribuent également à accentuer le virage à droite de la politique américaine qu’on observe au début des années 2000, période marquée notamment par l’essor des guerres culturelles qui mobilisent les conservateurs sociaux autour d’enjeux tels que l’accès à l’avortement, le mariage homosexuel, le suicide assisté et la recherche sur les cellules-souches[68]. C’est dans ce contexte qu’un groupe de démocrates choisit de se donner les moyens de remettre en avant des idées libérales, en pigeant abondamment dans le livre de jeu des principaux advocacy think tanks conservateurs. C’est dans cet esprit qu’est fondé le Center for American Progress en 2003.

L’objectif du CAP est de contrer la mouvance conservatrice, triomphante en ce début des années 2000, afin de rééquilibrer le débat national[69]. John Podesta, qui a auparavant été chef de cabinet de Bill Clinton, est le principal responsable de la fondation du CAP, dont il devient le premier président. Le nouveau think tank doit répondre à la demande exprimée par de nombreux progressistes d’avoir leur propre version de la Heritage Foundation, et c’est précisément cet objectif que Podesta a en tête pour son centre de recherche[70]. Lancé grâce à l’appui de grands donateurs dont le milliardaire George Soros, le CAP dispose initialement d’un budget annuel d’un million de dollars et de huit employés. En 2008, il compte 180 employés, a un budget annuel de 25 millions de dollars et est décrit comme le « gouvernement en exil » des experts politiques libéraux[71]. Sur le plan idéologique, le Center for American Progress se situe à gauche du PPI, mais partage avec ce dernier une position en faveur du libre-échange. De plus, en ces temps de l’après 11 septembre, le CAP adopte des positions modérées sur les questions de défense et de sécurité nationale, se refusant notamment à condamner en bloc l’utilisation de la force contre l’Irak[72]. Cela étant dit, il prend également acte de l’appétit croissant, chez de nombreux militants démocrates, pour un programme politique davantage ancré à gauche qui se détournerait du centrisme des années Clinton[73].

Dès sa fondation, la priorité du CAP est de s’assurer que les démocrates puissent reprendre la Maison-Blanche. Pour ce faire, ses chercheurs ont conscience qu’ils doivent être davantage comme les conservateurs lorsqu’il s’agit de faire la promotion agressive de leurs idées dans l’espace public, d’être un « think tank on steroids » pour reprendre l’expression employée par Podesta[74]. Conformément à cet objectif, le CAP s’assure d’avoir une opération média qui peut rivaliser avec celle des think tanks de droite, à commencer par la Heritage. Avant même que le CAP ait produit ses premières études, des contacts avaient été établis avec les grands médias pour leur offrir la présence d’experts pouvant adopter une perspective progressiste[75]. Le CAP est également derrière la création du site ThinkProgress, qui devient un des plus importants sites de nouvelles pour la gauche américaine. En 2004, le think tank prend fait et cause pour le démocrate John Kerry. Les chercheurs du CAP multiplient alors les présences dans les médias pour défendre les positions du sénateur du Massachusetts. S’inspirant des méthodes employées par la Heritage Foundation, le CAP se dote d’une équipe de communication nombreuse, professionnelle et bien rodée. Une infolettre virtuelle, Progress Report, permet par ailleurs au CAP de rejoindre un grand nombre d’Américains sur une base quotidienne tout au long de la campagne. La défaite de Kerry ne tempère pas l’enthousiasme du think tank, qui demeure actif lors du second mandat de Bush, en proposant à l’administration républicaine un plan de redéploiement stratégique en Irak[76] et en s’opposant catégoriquement au projet de privatisation de la sécurité sociale[77].

L’heure de gloire du Center for American Progress débute véritablement avec la candidature d’un jeune sénateur de l’Illinois du nom de Barack Obama qui choisit de briguer la présidence américaine lors de l’élection de 2008. Dès le début du cycle électoral, le CAP fournit des conseils et des informations à Obama, de même qu’à ses principaux adversaires dans la course pour l’investiture démocrate, la sénatrice Hillary Clinton (New York) et le sénateur John Edwards (Caroline du Nord). Une fois la nomination d’Obama confirmée, le CAP continue de jouer un rôle actif lors de la campagne, fournissant notes de recherches et arguments de débat à l’équipe d’Obama, en plus de mettre en place une solide opération médiatique afin d’apparaître dans le plus de médias possible pour défendre la candidature et les idées du candidat démocrate[78]. Alors que, lors de la période de transition précédant la présidence Clinton, le PPI avait dû rivaliser avec quelques autres think tanks progressistes (notamment le Economic Policy Institute et le Urban Institute)[79], le CAP est pratiquement seul en piste lors de la transition précédant l’investiture d’Obama. Podesta est nommé coprésident de l’équipe de transition et est accompagné de plusieurs autres membres du CAP qui occupent des postes influents au sein de cette équipe, dont celui de directeur des opérations et de conseiller juridique[80]. Tout comme la Heritage Foundation avec Reagan et le PPI avec Clinton, le CAP fait paraître au début de l’année 2009 un livre qui contient une série de recommandations pour la nouvelle administration[81]. L’empreinte du think tank demeure forte tout au long des deux mandats d’Obama. Avec la Hoover Institution et la Brookings Institution, le Center for American Progress est le think tank ayant le plus d’influence auprès de l’administration Obama sur toutes les questions d’ordre économique[82]. Au lendemain de la tuerie de l’école primaire Sandy Hook en décembre 2012, le CAP propose une série de recommandations concernant le contrôle des armes à feu qui sont en grande partie cooptées par Obama et le vice-président Joe Biden[83].

Par ailleurs, un véritable système de porte tournante s’installe entre la Maison-Blanche et le think tank. Plusieurs chercheurs quittent le CAP pour occuper des postes de premier plan à la Maison-Blanche[84], notamment Dennis McDonough, qui occupe le rôle de conseiller adjoint à la sécurité nationale d’Obama, puis de chef de cabinet du président lors de son second mandat. L’ancien leader de la majorité démocrate au Sénat Tom Daschle, qui travaillait au CAP depuis sa défaite électorale en 2004, vient bien près d’être nommé secrétaire à la Santé[85], mais doit se désister pour des questions d’impôts non payés. Son influence, de même que celle de plusieurs autres chercheurs du CAP, demeure néanmoins perceptible dans la grande réforme de l’assurance maladie entreprise par l’administration Obama qu’on en est vite venue à désigner sous le nom d’Obamacare[86]. À l’inverse, l’avocat Van Jones, qui avait été embauché en tant que conseiller pour la création d’emplois « verts », est poussé à la démission en septembre 2009 après une série de controverses, mais trouve un emploi cinq mois plus tard au CAP[87]. Don Berwick, un des principaux responsables de l’implantation d’Obamacare, prend le même chemin en 2012 lorsqu’il quitte l’administration pour rejoindre le centre de recherche en tant que chercheur senior[88]. D’autres chercheurs font carrément le lien entre les administrations Clinton et Obama via leur séjour au CAP. C’est le cas de Podesta, mais également de Jennifer Palmieri, une ancienne secrétaire de presse adjointe sous Clinton devenue par la suite vice-présidente aux communications du CAP avant de rallier en 2011 les rangs de l’administration Obama en tant que directrice adjointe des communications[89]. Neera Tanden offre sans doute le plus spectaculaire exemple d’aller-retour, elle qui a fait ses premières armes en tant que conseillère en politique intérieure pour Hillary Clinton lorsqu’elle était première dame, avant de s’impliquer dans la campagne au Sénat de cette dernière en 2000. Après avoir participé à la fondation du CAP en 2003, elle se joint à la campagne présidentielle d’Hillary Clinton en 2007, puis à l’équipe d’Obama lors de l’élection générale et des premières années à la Maison-Blanche avant de retourner au CAP, dont elle devient la deuxième directrice en 2011, succédant à John Podesta[90]. Tanden, tout comme Podesta et Palmieri, ont d’ailleurs été des membres importants de l’équipe de campagne d’Hillary Clinton en 2015-2016, ce qui laisse croire que le CAP aurait continué d’exercer une influence considérable auprès de la Maison-Blanche si Clinton l’avait emporté[91].

Le retour des républicains à la Maison-Blanche au terme de l’élection de 2016 marque la fin de cette période dorée pour le Center for American Progress. Le CAP demeure néanmoins un des plus influents think tanks de Washington et le plus important parmi les advocacy think tanks libéraux. Il peut toujours compter sur une imposante cohorte de chercheurs qui écrivent notamment sur l’environnement, l’accès aux soins de santé, la politique étrangère des États-Unis et tout autre sujet d’intérêt pour les Américains[92]. Étant donné ses liens forts avec les administrations Clinton et Obama, le CAP incarne les idées de l’establishment démocrate. Dans un contexte de résurgence d’un populisme de gauche, il risque cependant de se faire dépasser sur sa gauche par de nouveaux groupes de recherche qui prôneraient l’adoption de politiques plus radicales. À cet égard, on notera la création au début du mois de juin 2017 du Sanders Institute, un nouveau centre de recherche qui s’est donné pour mission de revitaliser la démocratie américaine grâce à des recherches portant sur des enjeux tels que l’environnement, les relations raciales et les inégalités économiques[93]. Ce nouvel institut a été fondé par Jane O’Meara Sanders, épouse du sénateur du Vermont Bernie Sanders au lendemain de sa campagne présidentielle de 2016. Tout comme le PPI et le CAP avant lui, le Sanders Institute apparaît dans un contexte politique marqué par une domination républicaine à Washington ; au terme des élections de 2016, le Parti républicain contrôle l’ensemble du gouvernement fédéral, tandis que le Parti démocrate a été relégué à une position de faiblesse inédite depuis les années 1920[94]. À l’instar de ses devanciers, le Sanders Institute suggère au Parti démocrate un certain nombre d’orientations politiques et lui propose une feuille de route pour reprendre du terrain perdu face au Parti républicain.

Le PPI, le CAP et la Heritage Foundation

La fondation du Progressive Policy Institute en 1989 et celle du Center for American Progress en 2003 répondaient à la même nécessité de rééquilibrer le discours public pour contrer la domination des think tanks de droite dans la sphère publique. C’est plus précisément le modèle des advocacy think tanks, ces centres de recherche ayant délaissé l’apparence de la recherche objective au profit de la promotion d’une idéologie, qui était dans la mire des Will Marshall et John Podesta. En tant que professionnels de la politique ayant longtemps travaillé pour le Parti démocrate, ceux-ci étaient bien placés pour constater l’influence qu’avait pu avoir un centre de recherche comme la vénérable Heritage Foundation sur le mouvement conservateur contemporain, et notamment sur le Parti républicain. Il n’y a donc pas lieu de se surprendre que la Heritage ait servi de modèle au moment de vouloir créer de nouveaux réservoirs d’idées pour revigorer le Parti démocrate.

Les trois think tanks sont en principe indépendants et reçoivent leur financement d’une grande variété de donateurs. Cela étant dit, il est indéniable qu’ils entretiennent des liens étroits avec les partis politiques. La Heritage gravite depuis plusieurs décennies dans l’entourage du Parti républicain et fournit régulièrement ses recommandations aux élus du Grand Old Party au Congrès et à la Maison-Blanche, en plus de les alimenter régulièrement de mémos politiques et de « talking points » à utiliser dans leurs communications politiques. En 2016-2017, un grand nombre de chercheurs de la Heritage ont été recrutés lors de la transition précédant l’arrivée au pouvoir du républicain Donald Trump, poursuivant une tradition entamée plus de 30 ans auparavent. Du côté du PPI, le lien avec le Parti démocrate est encore plus prononcé. Après tout, cet institut de recherche est en quelque sorte un « produit dérivé » du Democratic Leadership Council, un groupe créé en 1985 par des démocrates dans le but de recentrer les orientations idéologiques du parti pour le rendre plus viable lors des élections présidentielles. Le PPI demeure néanmoins indépendant du Parti démocrate, ce qui ne l’empêche pas d’avoir joué un rôle de premier plan lors de la campagne présidentielle de Bill Clinton, tout comme lors de la période de transition et de ses deux mandats. Finalement, en ce qui concerne le CAP, il s’est révélé le point de rencontre entre les anciens de l’administration Clinton et ceux (parfois les mêmes) qui allaient joindre les rangs de l’administration Obama par la suite.

L’affinité que partagent les trois centres de recherche résulte d’une affinité idéologique. Depuis la fin des années 1960, les deux grands partis politiques américains se sont polarisés idéologiquement, alors que le Parti républicain est devenu essentiellement un parti conservateur, tandis que le Parti démocrate est devenu le vaisseau politique exclusif du libéralisme. Rien de surprenant dès lors que la Heritage, fondée pour mettre en valeur des idées conservatrices, cultive une telle relation de proximité avec le Grand Old Party. Le cas du PPI est quelque peu différent. Son but n’est pas d’alimenter le libéralisme qui prédomine à l’intérieur du Parti démocrate, mais plutôt de convaincre les démocrates de souscrire à une troisième voie centriste, située entre le libéralisme et le conservatisme. De son côté, le CAP, malgré une certaine flexibilité idéologique, se situe à la gauche du PPI et prône un libéralisme qui cherche l’équilibre entre le souhaitable et le possible. En ce sens, le CAP cadrait parfaitement avec les orientations idéologiques de l’administration Obama.

Finalement, le nerf de la guerre, ce que le PPI et le CAP ont cherché à répliquer par rapport à la Heritage Foundation, c’est la capacité de diffuser des idées dans la sphère médiatique. Dans les années ayant suivi sa fondation, la Heritage a fait figure de pionnière parmi les think tanks en multipliant les innovations pour attirer l’attention sur les recherches de ses chercheurs. La création de Policy Briefs et la publication de livres de recommandations pour les nouvelles administrations présidentielles sont deux méthodes qui ont été reprises avec succès par le PPI et le CAP. La Heritage Foundation a également développé une opération médiatique de premier plan, qui permet encore aujourd’hui à ses chercheurs et à ses membres affiliés d’être présents dans les grands médias américains pour offrir une perspective conservatrice sur tous les enjeux. John Podesta a bien compris cette dimension de la guerre des idées et c’est pourquoi, dès sa fondation, le CAP a développé un département des communications efficaces et a tissé des liens avec les grands médias pour s’assurer qu’un point de vue progressiste puisse contredire la perspective conservatrice de la Heritage Foundation.

Conclusion

Les quatre dernières décennies ont été marquées par la montée fulgurante, aux États-Unis, du phénomène des think tanks. Non seulement ceux-ci se sont-ils multipliés, mais les plus prestigieux d’entre eux ont acquis une visibilité sans précédent dans la sphère médiatique, tout en s’approchant souvent des cercles les plus intimes du pouvoir. Ce changement va de pair avec une transformation qualitative de la fonction des think tanks, qui délaissent de plus en plus leur objectif d’objectivité scientifique pour se faire le relais d’une orientation idéologique. Ce sont les advocacy think tanks conservateurs, avec à leur tête la Heritage Foundation, qui ont lancé ce mouvement, permettant aux conservateurs de prendre une avance significative dans la guerre des idées à Washington. Si les idées des think tanks de droite comme la Heritage, mais également Cato, l’American Enterprise Institute et le Project for a New American Century, ont influencé grandement les politiques du gouvernement américain au cours des dernières décennies, on ne doit toutefois pas négliger l’impact de centres de recherche comme le Progressive Policy Institute ou le Center for American Progress. Nés en réaction à la montée du conservatisme, ces deux think tanks libéraux ont contribué à remettre le Parti démocrate sur les rails et à relancer le libéralisme aux États-Unis. Alors que les démocrates ont été évincés de la Maison-Blanche au terme des élections présidentielles de 2016, les think tanks libéraux de Washington fonctionnent à plein régime et servent de point de rencontre entre les vétérans des administrations Clinton et Obama et ceux qui constitueront la prochaine génération de penseurs libéraux à l’intérieur du Parti démocrate. Si le passé récent est garant de l’avenir, il y a tout lieu de penser que les contours de la prochaine administration démocrate sont en train de se dessiner à l’intérieur de ces centres de recherche.