Corps de l’article

Depuis les dernières décennies, de nouvelles organisations ont su, par diverses entreprises, s’insérer dans le feuilleton de nos controverses politiques. Variées, ingénieuses et provenant de tous les angles, les initiatives des think tanks ont marqué leur temps. Rien ne sert de chercher en profondeur pour dénicher celles qui ont fait mouche : Minutes du patrimoine, palmarès des écoles secondaires, ticket modérateur en santé, monorail à grande vitesse, compteur de la dette du Québec, journée de libération de l’impôt… Les démarches qui viennent d’être évoquées, qui sont toutes le fruit de think tanks canadiens, suffisent à prouver que ces organisations défendent des causes comme l’ont fait avant eux : les partis politiques, les lobbies, les mouvements sociaux, les intellectuels publics, etc.

Bien qu’ils fassent effectivement de la recherche, on ne trouvera que peu de think tanks, voire aucun, qui n’aient pas au moins un pied dans l’espace politique. Certaines organisations le font en tant qu’auxiliaires de recherche des gouvernements ou de la société civile. D’autres ont été créées pour perpétuer dans le temps les grands axes d’un héritage politique comme en témoignent, rien qu’au Canada, les Manning Centre, Broadbent Institute et Macdonald-Laurier Institute. Quant aux autres – l’Institut Fraser, l’Institut économique de Montréal, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, le Centre canadien de politiques alternatives – elles interviennent directement dans l’arène, à gauche comme à droite, dans le but d’influencer la forme des politiques publiques. Jeter un oeil sur les ambitions de leurs fondateurs comme s’y adonnent les articles de ce Bulletin d’histoire politique suffit aussi pour comprendre que les think tanks, surtout ceux qui sont les plus présents médiatiquement, incarnent à moult égards un renouvellement de l’agir politique et du militantisme par l’entremise de la recherche.

Même les think tanks les plus crédibles qui se tiennent généralement à l’écart des polémiques, qui montrent un degré de transparence des plus sain et qui se contentent de produire la recherche la plus solide qui soit n’échappent pas à la présente lecture[1]. Aujourd’hui, il n’est plus possible d’agir politiquement sans la recherche. Qu’ils soient des contractants de recherche ou de véritables machines au service de la guerre des idées, le constat reste le même : les think tanks agissent en territoire politique.

Où que l’on se trouve aujourd’hui, il n’est plus possible de traiter des controverses entourant les politiques publiques, du lobbying, des idéologies et de la sociologie des élites, sans aborder – que ce soit modérément, sinon frontalement – ces objets hétérodoxes que sont devenus les think tanks pour les sciences sociales. La pénétration du terme est même observable dans le langage courant comme en témoigne l’analyse N-Gram développée par l’équipe de Michel et Shen qui permet de mesurer la croissance de l’usage de mots ou d’expressions à l’intérieur d’un champ lexical d’une langue donnée en interrogeant plus de cinq millions de livres numérisés[2].

Ce numéro thématique du Bulletin d’histoire politique constitue à cet égard une confirmation de cette réalité. Il s’agit bel et bien de la première fois au Canada qu’une revue universitaire tente de cerner l’ombre et la lumière projetées par ces organisations. Les diverses contributions rassemblées entre ces pages illustrent à quel point ces entités, nées dans le terreau britannico-américain, ont essaimé leur modèle dans le monde entier. C’est bien de débordement ou de contagion dont il faut parler. Après avoir saturé les États-Unis où l’on en compte facilement plus d’un millier[3], les think tanks (ou laboratoires d’idée) sont apparus dans tous les pays développés et dans pratiquement tous les pays en développement. On en compte une centaine au Canada et maintenant une quinzaine au Québec. Même dans des régimes autoritaires comme la Chine, les think tanks sont apparus en force. On en dénombre désormais des centaines au service de l’État.

Figure 1

La croissance de l’utilisation du mot « think tank » dans la base de données anglophone de Google books (1950-2005)

La croissance de l’utilisation du mot « think tank » dans la base de données anglophone de Google books (1950-2005)

-> Voir la liste des figures

Cette fascinante prolifération des laboratoires d’idées partout là où l’État technocratique s’est édifié, qu’il soit démocratique ou non, met en évidence une même réalité : l’adaptation des idéologies au triomphe de la science et de l’information. Depuis trois siècles, bien avant l’apparition des think tanks, le progrès des sciences naturelles avait fait mal aux idéologies religieuses. La chose est telle qu’il n’est plus possible aujourd’hui pour un croyant – et même pour le pape – de parler de la nature comme il aurait pu le faire au Moyen Âge. En transformant à la fois le registre d’action et de langage des religions, les sciences naturelles ont ramené la religion sur terre.

Les sciences sociales qui ont connu leur ascension aux XIXe et XXe siècles ont eu un effet similaire sur les idéologies politiques. De nos jours, la volonté politique seule et nue ne suffit plus pour justifier une politique : elle doit être appuyée, au moins en apparence, par un langage scientifique et une production d’information. C’est dans ce contexte que la recherche auxiliaire et la recherche de combat des think tanks prennent tout leur sens.

Dans un monde où les partis politiques n’en finissent plus de se vider de leurs membres et où la participation électorale décline de manière tendancielle, les porteurs de projets politiques et d’idéologies ont investi un nouveau champ, la recherche hors université, devenue un marché où la demande s’exprime en milliards de dollars en Amérique du Nord, en Europe, en Asie.

Cette industrie dans laquelle pullule une véritable faune d’organisations doit être étudiée, non seulement pour observer la contribution de certains think tanks aux politiques publiques, ou pour leur capacité d’influence, mais aussi du point de vue des controverses auxquelles ils participent – lorsqu’ils n’en sont pas directement responsables.

Une définition non consensuelle

On ne saurait définir les think tanks par une simple traduction de l’anglais vers le français. Un « réservoir » ou un « char d’assaut » d’idées ne suffit en rien pour établir un concept opératoire capable de structurer un travail en sciences sociales. De plus, se référer aux noms qui servent à les identifier est d’autant plus périlleux. Outre le terme université dont l’usage est restreint par la loi, rien n’empêche quelque groupe que ce soit de se définir en tant qu’institut ou centre de recherche. Se limiter à ces termes pour recenser les think tanks d’un territoire entraînerait un sérieux problème d’amalgame où se confondraient des institutions d’État, des lobbies, des écoles des métiers et des think tanks.

Les vingt dernières années de recherche en science politique ont permis d’affûter la définition de ce que sont les think tanks, sans pour autant arriver à mettre fin aux désaccords entre auteurs. Parmi la diversité des positions en la matière, on peut en retenir deux principales. La première s’arrête à les présenter comme des pourvoyeurs de recherches, d’analyses et de conseils[4]. Cela mène, par exemple, James G. McGann à définir les think tanks comme des organisations s’adonnant à de la recherche sur les politiques publiques, d’où la popularité du terme policy institutes[5], souvent utilisé comme synonyme. Pour Diane Stone, c’est aussi par le rôle qu’elles remplissent en matière de politiques publiques et de recherche (analyser, critiquer, commenter et proposer) qu’il vaut mieux ancrer la définition de ce genre d’organisations[6]. D’autres auteurs comme Paul Dickson ont davantage insisté sur les critères morphologiques ou de structure, comme le fait d’être une organisation permanente, indépendante, non étatique et sans but lucratif[7].

Il serait erroné de donner tort intégralement à l’une ou l’autre de ces deux optiques. La plupart des auteurs contemporains comprennent que cette opposition ne doit pas dégénérer en guerre de tranchées. Il est possible de rassembler à la fois des éléments propres à la structure et à la raison d’être des think tanks.

Dans un esprit de synthèse, Stephen Boucher et Martine Royo ont élaboré une liste de critères permettant de distinguer les think tanks des autres organisations. D’abord, un think tank doit être un organisme permanent dont l’action se prolonge dans la durée et ne peut donc être le fruit d’une mobilisation sporadique ou spontanée comme ont pu l’incarner au Québec le Manifeste des lucides et celui des solidaires en 2005. Surtout, il doit être axé sur la proposition d’une « solution à des politiques publiques ». Ensuite, un think tank doit entretenir un personnel dédié à la recherche qui s’adonne à une production originale de réflexions, de rapports, de conseils qui sont destinés à être communiqués à la population et aux élites. Aussi, les think tanks ne doivent pas « accomplir des missions gouvernementales » et doivent « s’efforcer » de maintenir une indépendance intellectuelle et ne pas être « liés à des intérêts spécifiques ». De plus, ces organes ne doivent pas, toujours selon Boucher et Royo, décerner de diplômes ni faire de la formation leur principale activité. Enfin, le think tank doit être voué à une « certaine conception du bien public, par opposition aux organes à but uniquement commercial et lucratif »[8].

Malgré toutes ses qualités, cette définition – qui réussit mieux que les autres à illustrer la complexité de l’objet en question – ne saurait mettre fin aux débats, surtout en ce qui a trait au caractère « non étatique » que devraient respecter les think tanks pour être reconnus comme tels. En effet, expulser du champ des think tanks les organes créés par l’État qui accomplissent exactement le même travail que les laboratoires d’idées, mais dont le statut diffère, nous priverait de considérer l’ampleur du phénomène de la politisation de la recherche[9]. C’est pourquoi ce numéro du Bulletin d’histoire politique n’a pas voulu imposer une définition unique aux contributeurs de ce numéro. L’essor des think tanks en Chine, étudié par Gauthier Mouton, et l’histoire du Conseil du statut de la femme au Québec racontée par Chantal Maillé dans les pages qui suivent ne sont que d’autres démonstrations des missions politiques que l’on peut confier à des organisations de recherche.

Toutes ces nuances et divergences de point de vue qui viennent d’être évoquées illuminent, au fond, toute la difficulté à saisir clairement ce qu’est un think tank. Personne n’a, jusqu’ici, mieux identifié ce qui se trouve à la base de cette complexité que Frank Fisher[10], cité dans ce numéro par Julien Landry. Les think tanks sont des objets interstitiels qui tirent leurs ressources de tous les autres champs qui les entourent : politique, économique, environnemental, universitaire, etc. Peu de think tanks, en effet, survivraient longtemps sans la philanthropie, les dons de particuliers et d’entreprises ou sans les contrats des administrations publiques qui les irriguent. Cela permet de souligner qu’étudier les think tanks oblige à traiter du contexte qui a mené à leur apparition et surtout à poser la question : pourquoi les États, les partis, les donateurs et la société civile ont eu besoin de les inventer ?

Plus encore, un nombre croissant de fondations, de lobbies (comme le Conseil du patronat, la fondation David Suzuki, Greenpeace) et d’associations empruntent la voie de la recherche pour défendre leurs ambitions politiques et sociales. Comme cela a été démontré à plusieurs reprises, il y a expertisation généralisée du langage revendicateur et militant[11] – chez les environnementalistes, les groupes communautaires, chez divers groupes de pression et d’intérêt, etc. – et cela permet de considérer que l’essor des think tanks ne tire pas à sa fin et même qu’il y a une certaine « think-tankisation » du débat et de l’action politique.

Malgré toute la difficulté à les définir, une même vérité demeure : les think tanks – ou laboratoires d’idées – n’existaient pas, ils sont apparus et il n’est plus possible de les ignorer. Ils ont changé les données du monde et, en conséquence, méritent qu’on en fasse le récit un article à la fois.

Les contributions de ce numéro

Comme le démontre Gauthier Mouton, avec maintenant plus de six cents think tanks, la République populaire de Chine prouve qu’elle a été happée comme n’importe quel autre État par les enjeux politiques contemporains qui sont liés à la production et la diffusion d’information. La chose est en effet devenue vitale pour défendre sa place sur le podium des nations. Personne ne sera surpris de voir que, dans le pays de Xi Jinping, les laboratoires d’idées qui interviennent sur le plan national ou international sont tous harnachés aux intérêts du Parti communiste et des grands acteurs privés chinois comme le sont les journaux. Hormis à Hong Kong et Taïwan, les think tanks chinois se mettent au diapason des objectifs de l’État, dont le plus fondamental renvoie à la survie du régime.

Mais, les laboratoires d’idées émanant de l’État ne sont pas toujours des auxiliaires muets du pouvoir. Ils peuvent très bien manifester une posture critique et défier même les décisions de l’exécutif comme le démontre Chantal Maillé avec son étude de cas sur le Conseil du statut de la femme (CSF). En nommant, à plusieurs reprises, des directrices issues du mouvement des femmes, le CSF a su montrer à travers le temps qu’il refusait de servir de caution féministe pour toutes les initiatives des partis au pouvoir. Il reste que ce lien symbiotique entre le mouvement des femmes et la tête du CSF ne s’est pas bien perpétué comme Maillé le relate dans le récit qu’elle fait de ce rare laboratoire d’idées dans le monde exclusivement mis au service de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Les think tanks aux États-Unis

Traiter des think tanks dans le monde oblige à faire un détour dans le pays où ils sont apparus en premier et où ils dominent en nombre depuis maintenant plus d’un siècle. À ce sujet, qu’en est-il des think tanks aux États-Unis sous la gouverne d’un président qui s’est montré moult fois hostile envers la vérité, les journalistes et la recherche ? C’est sur cette question que s’est penché Donald E. Abelson – le seul universitaire canadien à avoir consacré sa carrière aux think tanks. En effet, comme ce dernier le rapporte, il serait risqué pour tout think tank soucieux de son image de collaborer avec Donald Trump et cela explique bien pourquoi même plusieurs think tanks situés à droite s’en tiennent loin. La chose se comprend aisément : leur crédibilité est en jeu. Or, cet exercice périlleux n’a pas empêché Héritage fondation de collaborer avec le 45e président ; perpétuant ainsi la tradition que ce think tank a développée avec le Parti républicain depuis la présidence de Ronald Reagan.

À l’inverse, comme le montre l’article de Christophe Roy-Cloutier, les think tanks progressistes liés au Parti démocrate ont su, à travers les décennies, s’institutionnaliser à partir des années 1980 pour répondre aux think tanks de combat conservateurs qui les avaient devancés d’une décennie. Tout cela démontre bien que les partis et le militantisme ne peuvent plus se passer de la contribution d’organes de recherche auxiliaires pour être efficaces dans leurs tentatives de persuasion de la population et des élites.

Toujours en ce qui concerne les États-Unis, la plupart des spécialistes des relations internationales savent que plusieurs des revues les plus prestigieuses, auxquelles participent énormément d’universitaires, sont détenues et administrées par des think tanks. C’est le cas en autre de Foreign Affairs, Foreign Policy et The National Interest, qui ont été analysées par Renaud Corbeil dans ce numéro. Comment les experts de ces revues ont-ils représenté l’URSS à la toute fin de la Guerre froide et au lendemain de l’effondrement du Bloc soviétique ? Nul ne peut croire que toute cette production littéraire et savante, qui compte une quantité de textes d’anthologies (Francis Fukuyama, Samuel Huntington, etc.) n’a pas été lue dans les officines du Pentagone, de la Maison-Blanche et ailleurs dans le monde. Tout cela illumine bien le fait que les think tanks forment des centres de gravité dans le complexe système de l’intelligentsia américaine des relations internationales.

Les think tanks Canada

Bien que le Canada soit un des pays où les think tanks sont le mieux établis, peu de recherches – mis à part celles d’Abelson – et seulement quelques thèses ont été produites à travers le temps sur ces objets. Avec quatre articles portant sur des think tanks canadiens constitués sous la forme d’OSBL, ce numéro du Bulletin d’histoire politique vient combler quelques lacunes en histoire politique.

Dans un exercice de synthèse ambitieux, Julien Landry fait le détail du processus d’intégration des think tanks dans le paysage canadien depuis 1985. Ces « sites d’intégration », qui prennent la forme de niches, montrent que les think tanks ne peuvent exister qu’à partir des ressources disponibles dans une communauté d’alliés dans la classe politique, économique ou philanthropique, sinon dans la société civile ; qu’il s’agisse des syndicats, des fondations, des groupes environnementaux, etc. Cet article illustre à quel point, les think tanks sont désormais essentiels aux complexes rouages qui existent dans les coalitions d’intérêts (coalition advocacies). Surtout, des chocs systémiques peuvent se transformer en terreau favorable à la prolifération des think tanks privés ou OSBL, comme ce fut le cas au début des années 1990, après la fermeture de plusieurs organes publics de recherche fédéraux comme le Conseil des sciences du Canada. L’externalisation de la recherche, pas seulement par le gouvernement fédéral, a favorisé la solidification de l’écosystème des think tanks canadiens qui a su répondre à la croissance de la demande pour la recherche auxiliaire des diverses administrations à travers le pays.

À travers son étude de cas, Félix Mathieu nous montre que, même si les ambitions de réformes constitutionnelles ne sont pas au programme des partis fédéraux depuis 20 ans, le sujet a été largement abordé par trois think tanks qui en ont fait un sujet d’importance. Plus d’une centaine de recherches ont été produites au XXIe siècle à l’Institut de recherche en politiques publiques, au Centre Mowatt en Ontario et à l’Idée fédérale. La situation peut en effet surprendre au sujet de ce thème pourtant remisé par la classe politique : des centaines de milliers de dollars ont été investis dans ce champ de recherche en deux décennies et ce sujet de réflexion a mené à une collaboration régulière entre think tanks et chercheurs universitaires. Tous les angles du fédéralisme ont été abordés : affaires autochtones, relations intergouvernementales, fiscalité, partage des pouvoirs, etc. Cette littérature, peu connue du grand public et peu diffusée hors des frontières de la recherche, illustre que les think tanks ne sont pas toujours des machines de guerre qui carbureraient aux polémiques et aux controverses. Tout un pan de leur recherche continue de naviguer en eaux calmes et hors des projecteurs.

Par ailleurs, il arrive souvent que les historiens et analystes politiques canadiens négligent de traiter des forces politiques de l’Ouest qui composent pourtant le tiers de la population du pays. Aussi dans une étude de cas, Frédéric Boily illustre que les think tanks sont aussi apparus en périphérie, bien au-delà du centre de la fédération, monopolisé par le Québec et l’Ontario depuis des décennies. La mise sur pied des think tanks que sont le Canada West Foundation et le Manning Centre met en lumière une même réalité : les porteurs de projets politiques et les défenseurs des intérêts de l’Ouest ont senti, eux aussi, le besoin d’emprunter le véhicule de la recherche et du réseautage afin de gagner en efficacité dans la concurrence des idées et des intérêts. Cela est d’autant plus vrai du Manning Centre qui sert, à quelques égards, de lieu « de création des leaders aptes à gouverner » ou de « sas de réflexion » pour la relève de l’élite conservatrice située à l’autre bout du pays, comme Frédéric Boily l’avance à l’intérieur de ce numéro.

Enfin, après s’être répandu aux États-Unis, au Canada anglophone et ailleurs dans le monde, Guillaume Lamy démontre dans son article que le Québec n’a pas été épargné pas le phénomène. On comptait sur ce territoire une quinzaine de think tanks OSBL en 2018, alors qu’ils n’étaient que six en 1995. Les budgets dont dispose cette industrie dépassent désormais ceux des partis politiques et rattrapent progressivement les sommes allouées aux professeurs par le Fonds de Recherche du Québec – Société et Culture. Surtout, et c’est bien là que se déploie tout l’intérêt de l’article, la plupart des fondateurs des think tanks ont un curriculum professionnel bien ancré dans l’engagement politique et en politique partisane. Bien qu’il existe en effet quelques think tanks issus d’initiatives universitaires qui se tiennent hors des polémiques, l’essentiel des think tanks québécois qui a surgi depuis le début du XXIe réitère les clivages idéologiques qui préexistaient ; qu’on songe à la polarisation gauche-droite, à l’identité, aux débats entre nationalistes et fédéralistes.

Il ne faudrait pas négliger, à la toute fin de ce numéro, une note de recherche également de Guillaume Lamy sur le développement des think tanks néolibéraux au Québec depuis 1995. Cet exercice de cartographie reprend celle élaborée 15 ans plutôt par Peter Greafe dans la revue Globe, qui a démontré l'existence d’un paysage néolibéral en construction. Depuis, non seulement les think tanks défendant ce paradigme ont doublé en nombre, mais ils ont aussi réussi à multiplier leur présence médiatique et leur production savante destinée au public et aux élites québécoises.

En terminant, qu’on parle de leur multiplication en Amérique du Nord ou ailleurs dans le monde, l’essor des think tanks montre qu’il n’est plus possible de faire de la politique, militante ou administrative, sans la recherche ; qu’il s’agisse de la recherche auxiliaire au service des gouvernements ou de la recherche-combat portée par des acteurs autonomes. Les think tanks tracent la signature du renouveau du modus operandi de l’agir politique à travers le monde.