Corps de l’article

Malgré son statut de puissance économique mondiale, le Brésil demeure l’un des États les plus inégalitaires de la planète, se classant 148e sur 158 pays selon le coefficient Gini. Les plus récentes estimations chiffrent à plus de 50 millions le nombre de Brésiliens et de Brésiliennes pauvres, soit l’équivalent de près de 25 % de la population (Institut brésilien de géographie et de statistique 2018). La région du Nordeste est la plus touchée : elle abrite à elle seule 25 millions de pauvres, dont 8 millions contraints de vivre dans l’extrême pauvreté (Ogier 2018)[2]. Et parmi les 10 % de personnes ayant le revenu le plus faible du pays, une écrasante majorité, nommément 78,5 % sont des afro-descendants ou métisses. Or ces populations sont aussi les plus touchées par le chômage, le faible accès aux services publics, l’inflation du prix des aliments, les logements insalubres et l’environnement dégradé. Pour survivre, plusieurs se tournent alors vers l’économie sociale et solidaire (ESS), organisée sous forme de coopératives, de mutuelles, d’associations ou de fondations. Contrairement au modèle économique capitaliste fondé sur la concurrence et le profit, ce sont plutôt les relations de collaboration et la gestion participative prônées par l’ESS qui façonnent l’environnement de travail et contribuent à la « production de lien social » (Richez-Battesti et Vallade 2017 : 1060).

Au coeur de cette économie alternative, l’agriculture urbaine et périurbaine (AUP), définie comme la culture de plantes (comestibles et non comestibles), la pêche ou l’élevage d’animaux dans la ville et ses environs (à un rayon de moins de 60 km) aux fins d’autoconsommation et de vente, apparaît comme une solution pragmatique à la pauvreté et à l’exclusion sociale (Dubbeling et autres 2009; Mougeot 2006; van Veenhuizen 2006). Pratiquée à l’échelle du pays, cette forme d’agriculture prend de l’ampleur dans le Nordeste brésilien, grâce au mouvement associatif de femmes luttant pour leurs droits à la terre et à l’eau. Toutefois, à la différence des travailleuses rurales brésiliennes qui suscitent un double intérêt médiatique (récemment illustré par la couverture internationale de la 6e Marcha das Margaridas[3]) et scientifique (Lacasse (2006), Falquet (2011), Martig (2014) et Prévost (2017), parmi d’autres), leurs consoeurs urbaines et périurbaines du Nordeste peinent à faire reconnaître leurs actions revendicatives sur la scène publique. Pourtant, comme je me propose de le montrer, ces femmes issues des groupes les plus marginalisés du Brésil cherchent à se constituer une identité commune autour de l’AUP pour rompre avec la stigmatisation et l’invisibilité, d’une part, et contribuer à l’émergence d’une société plus juste et égalitaire, d’autre part.

Dans les grandes régions métropolitaines, la forte densité de population et la reproduction sociale des inégalités font de la terre une denrée de plus en plus rare. Or l’accès à l’eau, aux intrants agricoles (engrais, crédit, formation) et aux services essentiels (électricité, services sociaux et sanitaires) est conditionné par l’accès aux droits fonciers. De là l’intérêt d’aborder cette problématique à l’aune du militantisme des femmes dont le quotidien est rythmé par l’action communautaire en rapport avec l’AUP. En particulier, il convient de se poser les questions suivantes :

  • Qui sont ces femmes et quels espaces et répertoires d’action utilisent-elles pour défendre, promouvoir et organiser leurs revendications?

  • De quels appuis et partenariats disposent-elles?

  • Quels sont les enjeux et les défis que rencontre leur mouvement depuis la destitution controversée de Dilma Rousseff[4] en 2016 jusqu’à l’élection, en décembre 2018, du candidat de l’extrême droite, Jair Bolsonaro[5]?

Outre une stratégie de verdissement comestible des grandes métropoles et de leurs municipalités satellites, la littérature tend à montrer que l’AUP peut se révéler un puissant levier d’émancipation des femmes. En témoignent les travaux d’Emmanuelle Faure, Corinne Luxembourg et Angélique Dupont (2018) en France, de Manon Boulianne (2001) au Québec, ainsi que d’Esther Ofei-Aboagye (1996), d’Alice Hovorka (2001) et de Rachel J. Slater (2001) en Afrique, pour ne citer que ceux-là. Toutefois, dans le Nordeste, ce sont surtout les stratégies d’appropriation de la terre menées dans le contexte d’actions collectives de développement rural plutôt qu’urbain-périurbain qui alimentent la réflexion (Bleil 2011; Burin des Roziers 2011; Massicotte 2014). À ces travaux s’ajoutent les analyses féministes sur l’agroécologie comme « instrument genré des luttes sociales » (Guétat-Bernard et Prévost 2016; Charlier et Demanche 2013; Siliprandi 2009) qui, bien qu’elles soient également campées dans des environnements ruraux, restent pertinentes pour mieux saisir l’action militante concertée des agricultrices urbaines et périurbaines (c’est le cas notamment de l’article de Prévost (2017)).

Le cadre conceptuel

La théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth (2004) offre un point d’entrée pour mieux saisir le militantisme dont il sera question dans mon texte, à savoir « des attitudes, des savoir-être et des savoir-faire » (Jetté 2017 : 28) ayant pour objet de défendre les intérêts de groupes d’agricultrices socialement défavorisées et historiquement opprimées. Selon cette théorie, l’estime sociale normative (ou reconnaissance) contribue à la production de l’identité individuelle et collective. De par sa dimension émotionnelle centrée sur l’estime de soi, la reconnaissance rend possible une relation empathique avec autrui essentielle à l’émergence de liens sociaux solidaires. Pour être performative, une telle estime doit dès lors être conditionnée par un travail de conscientisation permettant aux sujets opprimés de lutter contre les conditions structurelles à l’origine de cette oppression. Sur ce point, la théorie de l’autonomisation (empowerment) dans le sillage des féministes comme Srilatha Batliwala (1993 et 2007), Naila Kabeer (1994), Jo Rowlands (1995) et Magdalena León (1997) apporte un éclairage complémentaire en s’attachant au processus d’acquisition du pouvoir sur le plan individuel et collectif. Compris à la fois comme pouvoir sur soi et pouvoir relationnel (au sens d’« agir avec »), ce processus se distingue du pouvoir de domination qui s’exerce sur autrui. De plus, il ne peut se réduire à la vision instrumentale véhiculée par les institutions multilatérales qui en font un simple « vecteur d’autonomie individuelle » au service de la rationalité économique (Guétat-Bernard et Lapeyre 2017 : 6).

La sociologie tourainienne de l’« acteur » revisitée par Xavier Dunezat (1998) renforce ce cadre conceptuel en appréhendant les mouvements sociaux comme l’ensemble des rapports sociaux à la base d’une action collective concertée, protestataire et revendicative en vue de transformer l’ordre social existant. Pour parvenir au changement social, la mobilisation des actrices et des acteurs sociaux doit remplir trois conditions : 1) un principe d’identité, reconnaissable à la prise de conscience liée à l’identité des protagonistes : « Qui lutte? » (Touraine 1973 : 322); 2) un principe d’opposition, entendu comme la capacité de reconnaître l’adversaire; et 3) un principe de totalité, qui touche l’historicité, c’est-à-dire « la production des grandes orientations normatives de la vie sociale » (Touraine 1984 : 15), laquelle n’est pas réductible à l’idéologie dominante. Cela suppose que les sujets disposent d’une relative autonomie, à défaut de quoi « toute tentative réussie ou échouée, totale ou partielle de renversement des normes dominantes serait inexplicable » (Dumazedier 1974 : 602). Sur la base de ces éléments théoriques, il reste à tester si et dans quelle mesure le militantisme des femmes à l’oeuvre dans l’AUP peut, selon leurs propres conceptions de la lutte organisée, générer des alliances porteuses d’autonomisation et de changement social, en remplissant les trois conditions tourainiennes ci-dessus exposées.

La démarche méthodologique

Guidée par l’épistémologie féministe des savoirs situés (Harding 2004), ma recherche considère les femmes membres des associations d’agriculture urbaine et périurbaine comme les seules et uniques expertes de leurs expériences concrètes. Conformément à cette approche, j’ai privilégié la méthode qualitative des entrevues semi-dirigées. Celles-ci ont été effectuées en étroite collaboration avec une équipe de trois doctorants et d’une doctorante[6] affiliés à Incubatec, laboratoire d’innovation sociale en biologie et en écologie des populations de l’Université fédérale de Pernambouc (UFP). Les thèmes des entretiens portaient sur les trajectoires personnelles des agricultrices, leurs motivations, activités, espaces et pouvoir d’action (individuelle et collective), leurs alliances entre groupes d’AUP et avec d’autres membres de l’ESS, ainsi que les enjeux, les défis et les retombées de leur combat pour le droit à la terre.

Sur le terrain, la collecte de données s’est faite dans deux régions métropolitaines du Nordeste : Fortaleza (dans l’État de Ceará) et Recife (dans l’État de Pernambouc), comparables sur le plan de la densité urbaine (4 074 730 personnes pour l’une et 4 054 866 pour l’autre), de la pauvreté et de la concentration de communautés quilombolas[7]. Ce découpage spatial présentait l’avantage de mieux couvrir la diversité ethnique du Nordeste car, à la différence de Pernambouc, Ceará compte une forte population indigène[8], soit 14 peuples établis dans 18 municipalités. Une fois sur place, les entretiens ont eu lieu en deux temps. Dans un premier temps (juin 2016 à juillet 2017), l’équipe et moi avons interviewé 50 agricultrices (25 à Recife et 25 à Fortaleza) et avons mené des entrevues complémentaires avec 14 figures publiques locales s’affichant comme membres de l’ESS (7 à Recife et 7 à Fortaleza). Parmi ces personnalités figuraient des professeures universitaires, des dirigeantes syndicales, des directrices d’ONG féministes, des membres des forums et des conseils de l’ESS, des hautes fonctionnaires et des élues (dont une ministre de la Condition féminine), ainsi que des représentantes du Parti travailliste. Pour les unes (agricultrices), le processus de recrutement s’est fait au sein des groupes, des associations et des coopératives d’AUP préalablement repérées grâce aux listes municipales des localités ciblées; pour les autres (figures publiques), la sélection était fonction de leurs liens avec le noyau d’agricultrices interviewées, suivant la technique de l’échantillonnage « boule de neige ». D’une durée moyenne de 60 à 70 minutes, les entrevues, réalisées en portugais avec l’approbation préalable du comité d’éthique de l’Université d’Ottawa, ont été enregistrées avec l’accord des participantes, retranscrites par l’équipe brésilienne, puis traduites par moi-même vers l’anglais et le français.

Dans un second temps (juin 2018), nous avons organisé deux séances de restitution-validation des données (dans chacune des villes en question), suivies de deux ateliers de discussions ouvertes auprès de la même population cible et portant sur la thématique des alliances stratégiques. Une procédure identique d’approbation déontologique, de transcription et de traduction a été appliquée.

Le profil des participantes

Les 25 agricultrices de l’État de Pernambouc résident dans des favelas (bidonvilles) ou des assentamentos (Chico Mendes III et São Lourenço)[9] relevant de six municipalités (Recife, Igarassu, Jaboatão dos Guararapes, Olinda, Paulista et São Lourenço da Mata) de l’agglomération de Recife. Parmi ces femmes, plusieurs sont actives dans les centres de santé communautaires, tels que le Centre de santé alternatif de Muribeca (CESAM), le Centre de traitement de la douleur Condor-Cabo Gato et le Centre de médecine populaire d’Olinda, tous consacrés à la culture de plantes médicinales, ainsi qu’à leur transformation et à leur commercialisation en remèdes à des fins thérapeutiques. D’autres sont membres d’associations ou de coopératives de femmes produisant des légumes (manioc, igname, maïs et haricots), des produits forestiers, ainsi que diverses espèces d’arbres fruitiers et d’arbres indigènes.

Pour leur part, les 25 agricultrices de l’État de Ceará viennent de la communauté indigène jenipapo-kanindé, de deux communautés quilombolas (Porteira et Serra do Juá)[10], d’un assentamento (Menino Jesus III) et d’une favela (Henrique Jorge), respectivement situées dans les municipalités d’Aquiraz, de Caucaia, de Cascavel et de Fortaleza de l’agglomération de Fortaleza. À leur tour, elles participent activement à divers groupes de femmes de la terre (mulheres da terra) se réclamant de l’AUP. Nées pour la plupart de parents cultivateurs, ces femmes ont des conditions de vie particulièrement difficiles en raison du manque de services publics : les routes d’accès à leur site de résidence et de travail agricole sont en terre battue, peu ou pas reliées aux services de transport en commun et souvent impraticables durant la saison des pluies; leurs habitations n’ont toujours pas de réseau d’égouts ni d’assainissement (les toilettes sont de simples fosses creusées à l’extérieur des maisons) et l’électricité est fournie par des générateurs plus ou moins fiables. Une telle précarité rend encore plus ardus les déplacements pour la commercialisation de leurs produits dans les marchés situés dans le tissu urbain environnant. Si, par ailleurs, la région est reconnue pour sa riche biodiversité et son agriculture familiale consolidée, elle concentre l’une des plus grandes réserves de bauxite du pays. Or ce potentiel économique a attiré des entreprises de promotion et des intérêts miniers privés dont les pratiques extractives mènent à l’exploitation sauvage des forêts et des mangroves, à la perte subséquente des terres habitées par les peuples originaires (y compris les sites à valeur rituelle ou culturelle importante) et à la pollution, bref à une détérioration de l’environnement et du bien-être des communautés locales.

Sur le plan sociodémographique, les agricultrices interviewées dans les deux régions se désignent comme des mères de famille âgées de 22 à 85 ans, hétérosexuelles et peu scolarisées, malgré quelques exceptions (études secondaires terminées et, dans un cas, inscription à un programme universitaire en agronomie). En ce qui a trait à leur identité ethnoraciale, elles se reconnaissent tantôt comme multiraciales ou métisses, tantôt comme « foncées/noires » et quilombolas (dont une dirigeante volontairement « déplacée[11] »), comme indigènes et, dans une moindre mesure, comme blanches. Au moment de l’enquête, seules les agricultrices de l’ethnie jenipapo-kanindé possédaient un droit foncier, d’ailleurs acquis seulement en 2011 sous la gouverne de Maria de Lourdes da Conceição Alves (première femme cacique du Brésil), après 30 années de revendications. Pour le reste, les unes squattent dans des bidonvilles plus ou moins précaires[12] et exposés à la violence, les autres se mobilisent pour faire reconnaître les titres fonciers de leurs quilombos[13] ou bénéficient du droit à l’assentamento. Or ce droit, gagné selon certaines participantes après des années d’occupation temporaire illégale, leur accorde des crédits pour la production agricole et la construction de maisons en maçonnerie tant qu’elles n’arrêtent pas la production, faute de quoi elles peuvent être expulsées du jour au lendemain.

Du travail associatif au militantisme

C’est d’abord la conscience de la précarité de leur quotidien qui motive la volonté des petites agricultrices de se regrouper en associations ou en coopératives. Celles-ci remplissent plusieurs fonctions dont l’offre d’accès à un lopin de terre collectif, l’échange et la transmission de connaissances, la mise en commun de produits pour la vente, ainsi que l’engagement dans un projet d’utilité à la fois individuelle et collective, y compris la possibilité de bénéficier de formations sur des sujets variés (agroécologie, lutte contre le racisme et les violences faites aux femmes). Dans les deux régions métropolitaines à l’étude, ces regroupements permettent de pratiquer l’agriculture urbaine dans des jardins communautaires, des arrière-cours productives collectives, des « pharmacies vivantes » réunissant des femmes autour de la culture de plantes médicinales et de leur transformation en phytothérapies, ainsi que des terreiros (lieux de culte d’inspiration afro-brésilienne fondés sur la connaissance de plantes magiques ou sacrées et dont la culture sert aux rituels liturgiques et à la guérison) souvent articulés aux quilombos urbains. En milieu périurbain, l’agriculture de produits comestibles et non comestibles se pratique plutôt dans les assentamentos et, pour Ceará, également dans les villages indigènes, selon la même logique associative. Les échanges se tissent au sein de groupes généralement non mixtes et aux structures plus ou moins hiérarchiques : certaines sont dotées d’instances décisionnelles transmises par le sang (tel le cas des lignages matriarcaux des deux quilombos[14] retenus et de la communauté indigène jenipapo-kanindé[15]), tandis que d’autres sont fondées au contraire sur une gestion plus flexible, voire horizontale, avec ou sans personnalité juridique. Dans les faits cependant, l’AUP ne permet pas à ces agricultrices de tirer des profits suffisants pour couvrir l’ensemble des dépenses familiales et s’extraire durablement de la pauvreté. Plus modestement, elles y trouvent un complément de revenu dont l’essentiel provient du programme Bolsa Família, pour les agricultrices avec enfants, ou du programme d’aide sociale Benefício de Prestação Continuada, pour les femmes âgées ou celles qui ont la charge d’une personne handicapée.

Le travail associatif offre néanmoins à ces agricultrices un pouvoir intérieur (amélioration de leur estime de soi) et un pouvoir relationnel leur permettant de s’autonomiser socialement, c’est-à-dire d’accroître leur qualité de vie et leur santé ainsi que celles de leur famille et de leur communauté (Martinez et Verdonck 2019). Les paroles d’une dirigeante d’une association d’AUP de Pernambouc traduisent bien cette forme d’autonomisation sociale :

Souvent, les femmes – en particulier dans nos réalités – ne peuvent pas entrer sur le marché du travail formel : ni dans les zones urbaines ni dans les zones rurales. Ce n’est pas seulement le problème de la survie mais, bien plus encore, le problème de la solitude, de la dépression, de la tristesse, de l’isolement. Alors, elles commencent à se rassembler pour le café et la broderie, à échanger, à subvenir à leurs besoins et, peu à peu, l’alliance est structurée, car les femmes se mettent à travailler ensemble, puis à vendre.

Par-delà le caractère multiforme des pratiques associatives, celles-ci convergent vers une vision commune de l’ESS qui s’appuie largement sur la souveraineté alimentaire, comprise, non pas comme simple autosuffisance alimentaire, mais bien comme projet politique d’appropriation locale de l’agriculture et de l’alimentation. À l’image du Nordeste, les participantes se disent profondément attachées au Parti travailliste de l’ex-président « Lula », pour qui la souveraineté alimentaire était au coeur de sa stratégie Faim zéro[16]. C’est d’ailleurs leur adhésion au projet d’une société plus juste et égalitaire qui, in fine, contribue à façonner le militantisme des agricultrices, ci-dessous appréhendé selon les trois principes de la sociologie tourainienne : identité, opposition et historicité.

Le principe d’identité

Par-delà le caractère polysémique du terme, on admet généralement que les identités ne sont pas figées, mais actualisées par la terminologie que les acteurs et les actrices choisissent à un moment donné pour se désigner. De fait, l’identité convoque l’acte de « se dire », marquant ce que Héloïse Prévost (2017 : 53) associe à « une rupture avec les représentations négatives et l’invisibilisation ». Une définition à laquelle souscrivent les agricultrices – jeunes et plus âgées – des deux régions à l’étude, en confirmant l’importance du mouvement associatif pour s’accepter comme on est : « faire preuve d’une forte auto-estime, croire que l’on est capable, ça c’est fondamental », résume l’une d’entre elles. Dans la longue lignée de la lutte pour l’émancipation afro-brésilienne, cette quête acquiert une valeur ajoutée chez les Noires, doublement discriminées parce qu’elles sont femmes et racisées :

L’arme principale est de s’accepter, parce que quand vous commencez à vous aimer telle que vous êtes, c’est une légitime défense, c’est une auto-énonciation que je suis noire, j’ai les cheveux bouclés, je m’aime comme ça, et ça, c’est un acte de résistance.

Femme noire quilombola

Une telle volonté d’honorer la beauté noire (beleza negra) et conséquemment d’en finir avec les standards racistes érigeant la blanchité en modèle, se double pour ces agricultrices de la nécessité de revendiquer la reconnaissance sociale et politique de leur travail, voire de rompre avec l’invisibilité. La capacité de « faire groupe », également empruntée à Prévost (2017 : 56), acquiert une résonance particulière dans les mobilisations massives de la Marcha das Margaridas pour réclamer l’application de la loi Maria da Penha contre les violences faites aux femmes. Comme l’explique une dirigeante d’une coopérative de Pernambouc : « Parce qu’on gagne en force grâce au rassemblement, nous ne sommes plus seules. » Si, par ailleurs, les mouvements féministes récoltent l’assentiment d’une forte majorité des travailleuses, peu sont disposées à s’en revendiquer ouvertement. Les plus enclines à se positionner comme féministes sont soit des leaders d’associations d’AUP bien intégrées au milieu urbain, soit des figures publiques engagées dans la lutte pour les droits des femmes. Quant aux autres (soit l’essentiel de l’échantillon), elles estiment néanmoins contribuer au changement social. Ainsi, le groupe Piracema, constitué d’agricultrices noires des régions périurbaines du Ceará, s’est joint à la Caravana de Caucaia pour promouvoir des actions en vue de l’égalité raciale dans le contexte de foires commerciales de produits agricoles et d’artisanat. À son tour, l’association CESAM de Recife met à profit son expérience en plantes médicinales et remèdes thérapeutiques pour créer des ateliers de réflexion sur l’accès à la terre et la justice sociale. Toutefois, l’appartenance groupale ne prédétermine pas la lutte des travailleuses contre les discriminations. Dès lors que toutes les femmes de la même association ne vivent pas des dominations identiques, leur opposition se décline de façon différente selon les expériences individuelles et collectives en cause.

Le principe d’opposition

Inlassablement, le machisme transpire dans les récits de celles qui se heurtent à la difficulté de faire participer d’autres femmes de la communauté à des espaces de discussion : « C’est un problème, elles ne peuvent jamais; soit le mari ne laisse pas, soit le pasteur ne le permet pas. Le problème est toujours l’homme qui ne permet pas aux femmes d’occuper les espaces de pouvoir. » Tandis que pour les agricultrices blanches et métisses, le mouvement associatif offre un rempart contre le sexisme et l’exploitation de classe, pour les noires, quilombolas et indigènes, le combat se révèle cependant plus complexe, du fait de l’incidence du racisme sur leur quotidien et de son imbrication avec les autres systèmes d’oppression d’une société profondément marquée par plus de 500 ans de colonialisme. Ainsi, les agricultrices indigènes luttent en priorité pour faire valoir leurs « droits économiques et environnementaux, et le respect de [leur] appartenance ethnique ». Faisant du complexe agro-industriel un adversaire de taille, leur combat contre le racisme se double d’une lutte de classes, comprise comme la conscience politique du conflit des intérêts des agricultrices pauvres avec l’ordre social et environnemental existant. Sur ce front, elles partagent le vécu d’autres femmes racisées : « Nous, des communautés quilombolas, devons subir le racisme environnemental et loger dans les pires endroits de la ville », d’affirmer l’une d’elles. De fil en aiguille surgit un ennemi commun exprimé en ces termes par une chargée d’affaires du Conseil étatique des femmes du Ceará : « Cette lutte contre l’agro-industrie qui tue, nous devons la renforcer, plus unies que jamais, dans tous les espaces à notre disposition. » Un des espaces à reconquérir est celui des médias qui, au dire d’une porte-parole de l’Union brésilienne des femmes, « représentent seulement les grands groupes économiques acoquinés avec l’État », comme le rappelle le scandale de corruption de la firme de construction Odebrecht[17]. Pour l’instant, rien ne laisse cependant présager d’une organisation politique de base suffisamment solide pour (ré)investir les médias. N’empêche que la grogne des agricultrices contre le pouvoir en place depuis la destitution de Rousseff est palpable, indépendamment de la couleur de la peau, de l’âge ou de l’État :

La défense de la démocratie [s’écrie une d’entre elles] a aujourd’hui un front populaire au Brésil et un peuple sans peur qui rassemble plusieurs mouvements et organisations. Au niveau local, nous avons créé un ensemble de mobilisations de résistance au coup d’État que nous vivons.

C’est en outre par souci d’éveiller la conscience politique de la population qu’une autre agricultrice dira ceci au sujet de son association : « Les gens ne comprennent pas beaucoup la politique partisane, et nous en parlons ici et leur expliquons le coup d’État. » Fait intéressant, les femmes reconnaissent également qu’au sein même de leur mouvement il existe des leaderships forts, centralisateurs et oppressifs desquels il faut se distancier : « Nous devons nous opposer à la réappropriation des luttes spécifiques par des individus et des groupes plus puissants. » Sur ce point, certaines femmes proposent un autoexamen : « Il faut sortir de l’isolement que les élites veulent nous imposer et, ensuite, il faut avoir la souplesse nécessaire pour explorer de nombreuses contradictions entre nous. » Pour y arriver, quelques associations commencent progressivement à reconnaître les interactions entre sexisme, homophobie et racisme : « Nous devons mettre fin au patriarcat. Les questions de race, de genre et d’orientation sexuelle sont indissociables. Nous avons ce débat dans l’Espace Femmes de Passarinho » (membre d’un collectif de femmes noires de Recife).

Si le discours féministe intersectionnel semble filtrer dans le mouvement associatif des travailleuses de l’AUP, les pratiques en ce sens demeurent néanmoins timides, comme le souligne cette militante :

Au nom de la spécificité, nous ne pouvons pas construire de plus grandes alliances. Par exemple, certains mouvements associatifs craignent de perdre leurs différences. Je pense que c’est un grand défi pour nous; nous devons inviter les gens à faire place à l’interpénétration des identités multiples, à accueillir la pluralité.

Voilà que surgit la piste du projet d’historicité des participantes, car une façon de manifester son existence comme mouvement social consiste précisément à produire des orientations normatives.

Le principe d’historicité

Rappelons que, pour Touraine, devenir sujet, c’est se constituer soi-même comme groupe social en formulant un choix de société à la fois porteur de changements et ancré dans sa culture. Issu de la société civile, le mouvement des petites agricultrices urbaines et périurbaines répond à cette exigence en proposant des pratiques concrètes pour un « vivre-ensemble ». Une des principales propositions en ce sens est la formulation de politiques publiques inclusives tablant sur des quotas d’entrepreneuriat et d’accès à la terre pour les agricultrices, un programme de crèches, la parité et la représentativité de la diversité des femmes dans les conseils municipaux et étatiques. Appelant à la modification des politiques d’insertion des femmes dans les espaces historiquement dominés par les hommes, cette recommandation veut en outre mieux refléter les besoins des groupes de la base. Sur ce point, l’une des participantes soutient ceci :

Nous, de l’association des peuples des terreiros, nous nous efforçons d’insérer une représentante dans divers conseils, groupes et forums. Nous organisons un réseau de femmes terreiros dans le but d’autonomiser les femmes et d’affirmer leur pouvoir. Nous discutons de droits, de lois et de règlements.

Or une telle approche participative requiert, de l’avis même des partenaires institutionnelles, des mécanismes d’écoute : « Si nous offrons de l’aide et de l’écoute, nous ouvrons aussi l’esprit des individus pour leur permettre d’être un jour dans des discussions et des espaces comme celui où nous sommes ici » (membre du Conseil étatique des femmes du Ceará). « Seulement, ajoute une de ses collègues, le fait d’avoir des femmes dans des espaces de pouvoir ne garantit pas la défense des droits des femmes, parfois c’est le contraire. » Ce constat fait écho à la volonté exprimée par les agricultrices d’occuper les espaces publics autrement grâce à une meilleure coordination avec les acteurs et les actrices de l’ESS, d’une part, et avec les instances publiques, d’autre part.

La cartographie des alliances

Très schématiquement, on distingue trois types d’alliances développés par les agricultrices pour faire avancer leurs demandes. Le premier type regroupe des ONG féministes (par exemple, SOS Corpo et Casa da Mulher do Nordeste, à Recife, et le Forum Cearense de Mulheres, à Fortaleza) et, accessoirement, des associations féminines affiliées aux églises catholiques et protestantes évangéliques[18] lorsqu’il s’agit d’obtenir du renfort contre les violences faites aux femmes. Les propos d’une agricultrice dans la soixantaine avancée traduisent bien l’importance d’un tel partenariat dans leur quotidien : « Ça donne à chaque femme violentée le courage de signaler le mari violent; si elle fait partie d’un groupe, cela la renforce. Elle se sent plus protégée. » De plus, le réseautage avec des ONG féministes favorise des initiatives d’agroécologie contribuant, à des degrés divers, à la militance active des agricultrices au sein d’autres groupes de l’ESS. C’est ce que souligne l’une d’entre elles : « Il faut qu’il y ait des espaces de dialogue pour sensibiliser la communauté à manger sans pesticides, à acheter directement auprès de l’agricultrice. » Cette prise de conscience pousse certaines participantes à joindre le Mouvement des Sans-Terre (MST) pour faire reconnaître leurs préoccupations urbaines et périurbaines, surtout depuis que ce dernier s’est porté à la défense des assentadas (résidentes des assentamentos) afin de résister contre la violence des État qui n’hésitent pas à déployer un important arsenal policier chargé de les chasser dès la fin des récoltes.

Le deuxième type d’alliances fait appel aux institutions publiques (universités et agences gouvernementales locales ou fédérales telles que le Secrétariat de la condition féminine, le Secrétariat de la petite et micro entreprise, le Secrétariat du travail, des qualifications et de l’entrepreneuriat et l’Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária (INCRA)[19]), aux syndicats ainsi qu’aux forums publics de discussion (Forum pour l’économie solidaire et Forum des femmes, nommément) en raison de leur apport potentiel en matière d’accès à la terre et au crédit, d’une part, et de défense des droits des femmes, de l’autre. Ces collaborations apportent cependant un soutien variable en fait de consultation, de formation et d’appui institutionnel (aide juridique, financière, d’infrastructure ou de commercialisation). Eu égard aux besoins réels des femmes pour mener à bien leurs activités agricoles en zone urbaine ou périurbaine, l’aide accordée par les instances gouvernementales est jugée largement insuffisante. D’ailleurs, il n’existe toujours pas de politique publique qui tienne compte des besoins spécifiques des travailleuses de l’AUP. Il s’ensuit que, au Ceará comme à Pernambouc, ce ne sont pas toutes les agricultrices qui peuvent participer aux foires biologiques et agroécologiques. Parce que la loi exige la présentation d’un document de commercialisation des produits alimentaires dont seules les populations rurales peuvent se prévaloir, les travailleuses de l’AUP réclament que le PRONAF leur offre également la Déclaration d’aptitude[20].

Par ailleurs, et contre toute attente, c’est le soutien universitaire qui semble le plus profiter aux agricultrices de Pernambouc. Une jeune femme membre d’une coopérative de plantes médicinales précise ce qui suit : « l’Université rurale de Pernambuco nous a offert un espace pour pouvoir vendre nos produits à la foire commerciale » qui se tient régulièrement aux abords de l’université. Sa vis-à-vis, membre d’une autre coopérative féminine de production et commercialisation de plantes comestibles et leurs dérivés, confirme l’importance des transferts de connaissances : « L’Université rurale est d’abord venue nous apprendre à faire des repas biologiques, naturels. Ensuite nous avons pris part à certaines activités d’agroécologie comme le Festival d’agriculture urbaine. » Étonnamment, au Ceará, la collaboration avec les universités semble au contraire timide, privant du coup les agricultrices d’un accès direct aux activités dites d’extension communautaire, lesquelles comprennent, entre autres, la vulgarisation de politiques publiques d’économie solidaire et l’assistance technique aux groupes de petites agricultrices. Un exemple des conséquences négatives à cet égard est la disparition de certains groupes de plantes médicinales indigènes attribuée à de longues périodes de sécheresse et au manque d’assistance technique appropriée pour y faire face.

Le troisième et dernier type d’alliances se fait auprès d’entreprises bancaires publiques (Banco do Brasil, Banco do Nordeste) – à l’origine d’une poignée de projets tels que la Poupanza comunitaria (Épargne communautaire) et la construction d’écoles dans des zones périurbaines délaissées, et marginalement d’entreprises privées (fournisseurs d’énergie ou d’eau potable) pouvant répondre aux besoins des assentamentos. Si, de manière unanime, les agricultrices réclament l’obtention de crédits à des taux d’intérêt plus bas et remboursables à plus long terme, l’accès aux ressources de l’État n’est pas l’enjeu central de leurs mobilisations.

Certaines personnes se surprendront par ailleurs du manque d’alliances entre associations d’AUP, faiblesse repérée lors des rencontres de la restitution des données de l’étude, et à laquelle les participantes cherchent désormais à s’attaquer en trouvant de nouvelles avenues de collaboration. Ainsi, à Pernambouc, à l’issue des rencontres, les femmes de l’assentamento Chico Mendes ont créé l’Atelier du savoir et des saveurs, une initiative en vue de favoriser des échanges avec les femmes de l’association Terra et Vida autour de la culture des plantes, des techniques de cuisson ainsi que de la production de biscuits. D’autres trocs et échanges croisés sont en phase d’exploration entre les femmes du CESAM, spécialisées en plantes médicinales, les femmes d’un groupe de fertilisants biologiques et l’ONG féministe Casa da Mulher do Nordeste. À ceux-ci s’ajoute un nouveau réseau disposant d’un site Web en portugais (www.mulheresaup.com), précisément consacré aux initiatives des agricultrices des deux régions visées. Y sont notamment exposées certaines de leurs activités, de même qu’une série de vidéos et de blogues médiatisés auprès des divers partenaires et destinés à réactiver les sentiments d’appartenance et de militance des agricultrices sur une variété de fronts (violences contre les femmes, racisme et violations des droits de la personne, déterritorialisation et pratiques agressives de l’agro-industrie, etc.). Le lancement de ce réseau survient au moment même où le travail associatif se heurte à un climat politique de moins en moins propice à l’économie solidaire. Devant une situation jugée inquiétante, l’objectif est alors de mettre en place de nouvelles formes de résistance et de contrer la morosité qui gagne certaines agricultrices épuisées et découragées par les politiques néolibérales et antidémocratiques de l’extrême droite. À celles qui craignent pour l’avenir de l’ESS, d’autres répondent par l’invitation à redoubler d’efforts pour alimenter tous les réseaux qui contribuent à lutter contre les injustices.

Conclusion

Au terme de mon analyse, il apparaît clairement que les agricultrices urbaines et périurbaines du Nordeste revendiquent une légitimité sociale et politique intimement liée à leurs actions concertées pour un développement plus équitable et solidaire. Elles se sont constituées en tant que nouvelles actrices sociales, et leur historicité, qui provient des connaissances personnelles et subjectives de leur travail associatif, vise des orientations fondamentales de la société brésilienne : le passage d’une économie capitaliste utilitariste à une économie sociale et solidaire. Autrement dit, ces femmes façonnent leur militantisme en se mobilisant à la fois individuellement et collectivement pour faire émerger un projet de société né du temps du président Lula, et articulé autour de la justice sociale et de la souveraineté alimentaire. Conséquemment, l’accent est placé sur la multiplication d’actions de collaboration pour rompre l’isolement, protéger les moyens de subsistance de leurs communautés, préserver les cultures et savoirs traditionnels de même que faire valoir leurs droits civiques et socioéconomiques en participant à des marches ainsi qu’à d’autres espaces et mouvements de l’ESS. Leurs actions militantes vont ainsi bien au-delà des droits fonciers, car elles embrassent des orientations idéologiques qui visent à en finir avec les diverses formes de domination et d’oppression croisées : patriarcale, raciste, classiste, capitaliste et postcoloniale. Sauf qu’ici l’« acteur social » n’est pas monolithique comme dans le modèle tourainien, mais au contraire composé d’une multitude de catégories de femmes (agricultrices, urbaines, périurbaines, pauvres, indigènes, noires, quilombolas, féministes, assentadas, etc.) aux intérêts tantôt semblables, tantôt distincts. Il s’en dégage un mouvement social plus près de la conception de Tarrow (1994 : 30), c’est-à-dire une « contestation collective avec des objectifs communs et un sentiment de solidarité dans une interaction prolongée avec les élites, opposants et autorité ». Le fait d’accorder une place à la pluralité permet alors de s’intéresser davantage à ce qui rassemble les actrices différentes, c’est-à-dire leurs objectifs communs. Sur ce point, les séances de restitution des données, effectuées en 2018 à Fortaleza et à Recife sous forme d’ateliers de groupe réunissant l’ensemble des participantes, se sont révélées un terreau fertile pour leur faire découvrir d’autres réalités socioculturelles, d’autres modes de vie et de savoir-être. Ces ateliers ont permis de nourrir chez elles un sentiment d’empathie réciproque, les références aux revendications d’autres groupes d’agricultrices urbaines et périurbaines (indigènes, quilombolas, noires, assentadas ou membres des terreiros) – toutes aux prises avec des injustices et des discriminations croisées (de sexe, de classe ou de race-ethnie) – ont notamment consolidé leur désir de continuer à créer les conditions nécessaires pour rendre visible leur cause. Toutefois, quand bien même ces échanges emprunteraient des répertoires consensuels, la prudence reste de mise au regard du démantèlement à l’oeuvre des politiques sociales d’ESS qui, jusque-là, donnaient un sens à leurs trajectoires militantes.