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Ce numéro serait-il le signe d’un nouveau rapport de forces entre les langues de publication ? Pour la première fois peut-être le nombre d’articles en espagnol (quatre) dépasse celui des articles en anglais (trois) et en français (trois). L’équipe de Meta, vouée à une saine répartition des langues de publication de la recherche en traductologie, s’en réjouit.

Le premier article qui porte sur le roman Little Women (1869) de Louisa May Alcott arrive à point nommé puisque l’année 2019 marque le 150e anniversaire de la publication du roman dont un certain nombre de nouvelles éditions de ses traductions sont parues récemment. L’article analyse deux traductions espagnoles pour en dégager l’édulcoration et la censure subies par la première publiée en pleine période franquiste, et ce en rapport avec l’image de la femme. Le second présente un écrivain égyptien d’expression française, Albert Cossery, en version anglaise et souligne la tension entre adéquation au texte original et acceptabilité sociale de la traduction, tension manifeste dans l’écart culturel entre la réception de l’original en France et la traduction outre-Atlantique. Autre roman célèbre, A Clockwork Orange fait l’objet d’une étude sur les métamorphoses du Nadsat, langage crypté forgé à partir du russe, dans trois langues de traduction : le français, le russe avec deux traductions différentes et le bulgare avec une traduction et sa retraduction par la même traductrice. L’article suivant porte aussi sur un monument de la littérature, mais littérature jeunesse en Espagne, Manolito Gafotas. La traduction anglaise met en exergue le conflit entre la vision de la traductrice et le paternalisme et la censure de la maison d’édition américaine. Une attention spéciale est portée sur les éléments jugés inappropriés pour les jeunes lecteurs nord-américains.

Suivent trois articles d’histoire de la traduction. Le premier, à partir de la théorie de l’action, se penche sur l’intention du traducteur qui est consubstantielle à son action et la définition des déterminants de cette intention. Le cas d’étude est celui des traducteurs français de deux auteurs princeps anglais, l’un physiologiste (Charles Bell), l’autre chirurgien (John Bell), publiés au début du XIXe siècle. L’article suivant présente la maison d’édition W. M. Jackson spécialisée dans la publication de collections. Il est question ici de la Colección Panamericana dont le discours est celui de la singularité panaméricaine, mais dont les traductions sont enracinées dans un panhispanisme qui proscrit les variétés d’espagnol des Amériques. Le troisième offre une étude bibliométrique qui fait l’état de la question de la recherche traductologique sur l’Amérique hispanique publiée dans des revues non hispaniques. L’étude tire ses données de la base BITRA. L’étude évalue l’évolution de ces publications, donne de celles-ci les principaux thèmes et observe une augmentation de l’intérêt pour la question.

La traduction spécialisée, en l’occurrence la traduction des états financiers, est au centre d’un article en langue espagnole. Sont analysées les principales difficultés liées à la coexistence de normes comptables différentes et à la difficulté de déterminer les besoins et les attentes des utilisateurs des traductions. En outre, deux types de sources sont analysés, les Normes Internationales d’Information Financière (IFRS en anglais) et celles des états financiers des entreprises espagnoles, britanniques et américaines. Vient ensuite un travail de recherche expérimentale sur l’acquisition de la compétence culturelle. L’article, de nature essentiellement méthodologique, présente la conception et la validation de l’outil de recherche, soit un questionnaire sur les connaissances de la culture allemande chez des sujets hispanophones. Et pour terminer en beauté, un travail à la fois théorique et empirique dont le but est de contribuer à l’établissement de la traduction intralinguistique comme sous-domaine de la recherche traductologique. Trois études de cas de traduction intralinguistique sont présentées, qui démontrent qu’en dépit de l’hétérogénéité de ce type de traduction, les shifts observés affichent des similitudes frappantes.

Le lecteur aura observé aussi que le numéro rend hommage à deux traductologues notoires, l’un, Paul Horguelin, canadien, pionnier de la révision et de l’histoire de la traduction, l’autre, Emilio Ortega Arjonilla, artisan infatigable de l’enseignement et de la diffusion de la traductologie en Espagne.

L’équipe de Meta confirme la publication dans le dernier numéro de l’année de la première entrevue. Quant aux dix premières années de Meta, alors Journal des traducteurs, elles sont en accès libre sur le site d’Érudit depuis le 22 octobre. Si vous ne connaissez pas encore ce pionnier de la traduction au Canada (1955-1965), allez-y voir…

Bonne lecture !