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Introduction

En contexte organisationnel, on décrit la créativité comme étant la production d’idées nouvelles et utiles dans un domaine, ces idées devant être qualifiées comme telles par des observateurs connaissant le domaine (Amabile, Contti, Coon, Lazenby et Herron, 1996 ; Moneta, Amabile, Schatzel et Kramer, 2010 ; Woodman, Sawyer et Griffin, 1993). Elle est perçue comme une source d’innovation importante. Par conséquent, la créativité organisationnelle peut être définie comme une capacité des organisations à générer des idées pour créer un produit, un service, un processus ou toute autre innovation avec originalité, en ajoutant de la valeur aux parties prenantes associées. Dechamp et Szostak (2016) font une distinction efficace entre innovation et créativité : « Si la créativité et l’innovation sont deux concepts reliés (Sarooghi, Libaers et Burkemper, 2015 ; Anderson, Potočnik et Zhou, 2014 ; Amabile, 1988), ils diffèrent sur le statut de l’idée : si dans la créativité organisationnelle, l’idée est le résultat à atteindre, elle est le point de départ de l’innovation. » (p. 62)

Curieusement, malgré l’intérêt qu’elle présente, la créativité organisationnelle demeure peu étudiée en contexte de PME. Carrier et Szostak (2014, p. 15) soulèvent en ce sens que « les travaux fondamentaux sur la créativité organisationnelle (notamment ceux de Amabile, 1997 ; Woodman, Sawyer et Griffin, 1993 ; Drazin, Glynn et Kazanjian, 1999) ne sont pas associés étroitement à la PME et à l’entrepreneuriat ». Pour les auteurs, la PME, qui est définie comme ayant une structure simple, serait d’office considérée comme créative (Carrier et Szostak, 2014). Pourtant, la réalité montre bien que ce n’est pas toujours le cas.

En effet, certaines PME, notamment les PME manufacturières de basse technologie, s’avèrent peu créatives (Sarooghi, Libaers et Burkemper, 2015). On qualifie de manufacturières les PME oeuvrant dans les industries de transformation des biens, c’est-à-dire dans la fabrication, l’installation et la réparation d’équipements, que ce soit pour leur propre compte ou encore en sous-traitance pour un donneur d’ordres[1]. Ces entreprises, comme les autres, ont besoin d’innover afin de demeurer concurrentielles ; par conséquent, elles ont besoin d’être créatives.

Comme le rappellent Dechamp et Szostak (2016), « l’individu est au coeur de la créativité organisationnelle (Weik, 2012 ; Joas, 1999) tandis qu’il est certes important en innovation, mais pas plus que les autres facteurs organisationnels (structure et ressources notamment) (Sarooghi, Libaers et Burkemper, 2015 ; Carrier et Gélinas, 2011 ; Durand, 2006) » (p. 62). Or, dans une organisation, le dirigeant est l’individu le plus central. La littérature a par exemple bien montré que le leadership s’avère essentiel pour favoriser la créativité organisationnelle (Carrier et Szostak, 2014). Le dirigeant a une importance encore plus cruciale en PME. En effet, le propriétaire-dirigeant d’une PME endosse un rôle endogène ; parce qu’il est au coeur des décisions, ses orientations et sa vision ont un poids considérable dans son entreprise (Faber, 1999). D’ailleurs, Guieu et Chanut-Guieu (2014, p. 49) soulignent que « le plus probant des facteurs de la créativité reste celui concernant les caractéristiques du dirigeant » et qu’il doit être doté de nombreux atouts. Ceci étant dit, on connaît encore peu de choses sur le rôle des propriétaires-dirigeants de PME, notamment manufacturières, dans le développement de la créativité organisationnelle.

Force est de constater que la créativité en PME constitue « un objet de recherche, dont la pertinence théorique et sociale paraît indiscutable » (Carrier et Szostak, 2014). Comme les caractéristiques du dirigeant ont un impact probable sur la créativité organisationnelle (Guieu et Chanut-Guieu, 2014), et qu’il a une grande importance dans une PME, il est regrettable que les connaissances sur la question soient si peu développées. Qui plus est, le contexte de la PME manufacturière, qui présente un défi supplémentaire en matière de créativité, car elle est moins naturellement innovante que les PME des autres secteurs, présente un intérêt supplémentaire.

Lavoie et Abdul-Nour (2014) ont défini la PME manufacturière créative. Selon leurs travaux, elle se caractérise par la présence d’un certain nombre de manifestations visibles de la créativité : une offre de produits et de services distincts, un taux élevé de renouvellement des façons de faire, la présence d’innovations ayant un impact sur le marché ciblé et/ou la société en général, des idées implantées ou commercialisées, une habileté à attirer et à retenir des employés clés ainsi qu’un important pourcentage de croissance annuelle.

Notre travail s’inscrit dans la continuité de cette première contribution et s’intéresse au rôle joué par le propriétaire-dirigeant dans les PME manufacturières créatives. Plus spécifiquement, les objectifs de la présente recherche sont les suivants : 1) définir les traits de personnalité des propriétaires-dirigeants des PME créatives selon leur propre perception et celle de leurs subordonnés, 2) caractériser leur intérêt et leurs motivations et 3) décrire le rôle des dirigeants dans le processus de développement de la créativité organisationnelle.

Sur le plan académique, cette recherche offre un éclairage sur les caractéristiques individuelles des propriétaires-dirigeants à la tête de PME manufacturières créatives et ouvre sur des pistes de recherche futures. D’un point de vue managérial, les résultats permettent de faire des recommandations aux dirigeants de PME sur les éléments à mettre en place s’ils veulent s’assurer de profiter des retombées positives de la créativité.

L’article est structuré comme suit. Dans un premier temps, nous proposons un retour sur la littérature en créativité organisationnelle, notamment en ce qui a trait au rôle du dirigeant. Dans un deuxième temps, les détails méthodologiques de notre étude sont présentés. La troisième section offre un portrait des résultats obtenus, lesquels sont ensuite discutés. Finalement, nous revenons sur les contributions majeures proposées dans cet article et concluons en abordant les limites.

1. Contexte théorique

Cette section propose un retour sur les éléments ayant servi de cadrage conceptuel à notre démarche. On y aborde la créativité organisationnelle, plus spécifiquement en contexte de PME, ainsi que le rôle du propriétaire-dirigeant en matière de créativité organisationnelle.

1.1. La créativité en contexte de PME

La créativité organisationnelle est abondamment étudiée dans le milieu scientifique. Si la recherche s’est d’abord basée sur la psychologie et le marketing, les perspectives sont maintenant multiples. D’une part, la littérature sur la créativité a plusieurs niveaux : individuel, de groupe ou d’équipe, et finalement organisationnel (Hon, 2012 ; Kirton, 1976 ; Sohn et Jung, 2010 ; Jung, 2001 ; Gumusluoglu et Ilsev, 2009 ; Durand, 2006 ; Woodman, Sawyer et Griffin, 1993). De la même façon, certains auteurs ont abordé plus spécifiquement l’incidence des pratiques d’affaires (Dul et Ceylan, 2011) ou du leader (Amabile, Schatzel, Moneta et Kramer, 2004 ; Zhou, 2003 ; Zhang et Bartol, 2010 ; Basadur, 2004), ainsi que les techniques et outils de génération, de tri et de sélection des idées (Jung, 2001 ; Paulus et Yang, 2000 ; Laazari, 2005 ; Van de Ven et Delbecq, 1974 ; Carrier, 1998 ; Carrier et Gélinas, 2011 ; Lerch et Schenk, 2009 ; Lecoeuvre et Verstraete, 1998 ; Rietzschel, Nijstad et Stroebe, 2010).

Tous ces travaux permettent de constater qu’à ce jour, l’individu constitue encore la source ultime de nouvelles idées et procure la fondation pour l’innovation organisationnelle (Gumusluoglu et Ilsev, 2009), mais les travaux montrent aussi que la créativité individuelle doit être appuyée par des systèmes de gestion appropriés et que la créativité collective peut également être encouragée : des individus ne possédant pas les caractéristiques pour être créatifs peuvent réussir à bien performer s’ils sont suffisamment organisés, dans une équipe bien conçue sur le plan du processus créatif (Bissola et Imperatori, 2011). Selon Dechamp et Szostak (2016), la créativité organisationnelle serait directement influencée par trois facteurs endogènes : l’engagement des individus ; le contexte organisationnel, dont le climat organisationnel ; la capacité de renouvellement de l’entreprise.

Malgré la relative abondance de la littérature sur la créativité, les recherches se limitent souvent aux cas des grandes entreprises et négligent la PME (Carrier et Gélinas, 2011). Quelques auteurs traitent de la créativité dans le contexte d’une PME, mais surtout en lien avec l’utilisation des techniques de créativité (Filippi, Moty et Ciappina, 2011 ; Lecoeuvre et Verstraete, 1998 ; Lerch et Schenk, 2009). Parmi les quelques travaux ayant étudié la créativité en PME, on trouve notamment ceux de Bommer et Jalajas (2002), qui étudient le climat encourageant la créativité et l’innovation ainsi que son impact sur les résultats en contexte de PME. Ils utilisent l’outil « KEYS », développé par Amabile et ses collègues, lequel est largement employé pour mesurer la créativité des entreprises (Amabile et al., 1996).

En périphérie, la créativité en PME est explorée en relation avec l’innovation. De nombreux auteurs soulignent le fait que la créativité constitue une étape de l’innovation (Wright, Lewis, Skaggs et Howell, 2011 ; Westwood et Low, 2003). Pour leur part, Wilson et Stokes (2005) distinguent la créativité de l’innovation et indiquent les comportements de gestion à adopter pour faire preuve des deux. McAdam et McClelland (2002) étudient les sources d’idées, tandis que Sarri, Bakouros et Petridou (2010) se penchent sur les besoins en formation liés à la créativité pour les entrepreneurs.

1.2. Rôle du propriétaire-dirigeant de PME dans la créativité organisationnelle

Pour Faber (1999), « [l]e dirigeant de PME pèse d’un poids considérable sur son entreprise, aussi bien sur le contenu des activités et les orientations stratégiques de l’organisation que sur le fonctionnement interne » (p. 2). Les déclarations et comportements des hauts dirigeants, et plus spécifiquement du propriétaire-dirigeant, construisent ou détruisent l’habileté d’une compagnie à innover et, en amont, à être créative. Les leaders ouverts aux questions et défis obtiendront de meilleures idées des gens les entourant (Blumentritt, 2004).

Soo-Young, Won-Woo et Hyoun Sook (2013) abordent la promotion de la créativité en PME et montrent comment les caractéristiques des propriétaires-dirigeants ont une incidence sur la créativité en contingence avec le système d’apprentissage de l’entreprise. Pour sa part, Heunks (1998) souligne que même si le dirigeant n’a pas à être lui-même créatif, il doit être capable de favoriser la créativité. Plus spécifiquement, Carrier et Gélinas (2011) mentionnent que le dirigeant agit favorablement de deux façons : 1) en offrant le soutien et la structure, et 2) en étant lui-même créatif. Parmi les caractéristiques favorables à la créativité, on peut penser que les dirigeants faisant preuve de leadership transformationnel sont davantage associés à des environnements créatifs. Ce type de leader, de par son charisme, inspire autrui et utilise la stimulation intellectuelle (Shermerhorn, Hont et Osborn, 2002) pour construire des environnements inducteurs de créativité en encourageant les subordonnés à penser de façon divergente et en augmentant chez ceux-ci la pensée générative et exploratoire (Jung, 2001). Par exemple, si un gestionnaire de haut niveau met l’accent sur l’importance de la créativité en étant reconnaissant, en la récompensant et en tolérant les erreurs, les employés seront plus ouverts à explorer de nouvelles idées et innovations (Jung, Wu et Chow, 2008).

En approfondissant comment le style de leadership du dirigeant influence la créativité dans l’organisation, certains auteurs font ressortir l’importance du climat (Jung, Wu et Chow, 2008). Quand le climat ne soutient pas ou ne valorise pas les initiatives innovatrices, les comportements de leadership transformationnel du propriétaire-dirigeant à eux seuls ne peuvent guère stimuler les efforts des employés vers la créativité. Le climat favorisant la créativité est donc un élément modérateur dans la relation entre les comportements du propriétaire-dirigeant et la créativité organisationnelle. Pour que le leadership transformationnel du propriétaire-dirigeant ait un impact sur la créativité organisationnelle, les employés doivent donc sentir qu’ils ont la liberté de choisir sur quoi travailler et la façon d’atteindre leurs objectifs (Jung, Wu et Chow, 2008). Des travaux supplémentaires seront cependant nécessaires afin d’examiner comment le leadership du propriétaire-dirigeant affecte les gestionnaires et employés à divers niveaux de l’organisation et comment ceux-ci interagissent pour améliorer le climat créatif. Qui plus est, si des études ont prouvé ce lien entre le leader transformationnel et la créativité dans les grandes organisations, cela n’a pas encore été le cas pour les PME.

En plus du style de leadership, les propriétaires-dirigeants des entreprises créatives peuvent présenter une motivation plus ou moins grande à l’égard de la créativité. D’ailleurs, même si un individu possède des habiletés de pensée créative et une expertise dans son domaine, un haut niveau de créativité est difficile à obtenir si l’individu n’a pas envie de mobiliser ses efforts afin d’utiliser ses capacités créatives (Amabile, 1998 ; Jung, 2001). Plus particulièrement, la motivation intrinsèque aurait une influence plus grande sur la créativité que la motivation extrinsèque (Amabile, 1997, 1998). La motivation intrinsèque se présente quand un individu se sent motivé par l’intérêt pour sa tâche, par la satisfaction et les défis du travail, et non par les pressions externes. Elle est par contre influencée par l’environnement de travail (Amabile, 1998). Cette motivation s’avère possible lorsqu’un individu perçoit positivement son environnement de travail. La littérature fait état de la motivation individuelle et de son influence sur la performance individuelle, mais, à notre connaissance, les travaux n’ont pas étudié comment la motivation du dirigeant de PME influençait sa capacité à générer de la créativité dans son organisation.

En substance, nous retenons de la littérature que la nature du leadership et les motivations du dirigeant sont à même d’avoir une influence sur les capacités créatives au sein d’une organisation, notamment une PME. Cela nous amène à formuler la question de recherche suivante : quel est le rôle du propriétaire-dirigeant dans la capacité d’une PME manufacturière à utiliser ses capacités créatives ? C’est ce à quoi nous tenterons de répondre dans cette étude.

2. Méthodologie

Pour répondre à cette question, une approche exploratoire et qualitative a été privilégiée. En effet, l’approche qualitative s’avère la plus intéressante pour cette recherche, car « elle permet des descriptions et des explications riches et solidement fondées des processus ancrés dans un contexte local » (Miles et Huberman, 2003, p. 11). L’approche par étude de cas est qualitative dans sa nature et revêt l’avantage d’aller en profondeur (Krishnaswamy, Sivakumar et Mathirajan, 2009), raison pour laquelle nous l’avons retenue dans cette recherche.

La population à l’étude est constituée de toutes les entreprises manufacturières créatives de 10 à 250 employés situées au Québec. Dans une phase initiale de notre recherche, une étude Delphi a déterminé les caractéristiques permettant de « repérer » une PME manufacturière dite créative. Les caractéristiques définies dans cette étape initiale ont été utilisées pour trouver et recruter les entreprises qui constitueraient les cas à l’étude. Tel que mentionné précédemment et précisé dans Lavoie et Abdul-Nour (2014), une PME créative est repérable à travers un certain nombre de manifestations (Tableau 1), auxquelles sont associées des mesures objectives. Les entreprises de notre échantillon présentent toutes minimalement trois des caractéristiques énoncées, dont au moins l’une des trois premières mentionnées dans le tableau 1. La composition de l’échantillon s’est faite par convenance, le réseau d’un des chercheurs ayant été mis à contribution. Au total, dix entreprises présentant les caractéristiques voulues ont été sollicitées. Un entretien initial a été réalisé pour vérifier si les entreprises étaient bel et bien admissibles. De celles qui étaient admissibles, cinq ont accepté l’invitation de participer au projet de recherche.

Tableau 1

Mesures objectives des caractéristiques externes de la créativité[2]

Mesures objectives des caractéristiques externes de la créativité2

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Pour chacun des cas, l’entretien semi-dirigé a été utilisé comme technique de collecte de données. Basée sur les éléments conceptuels soulevés, une grille d’entretien permettant des réponses ouvertes a été développée. Les thèmes abordés dans les entretiens semi-dirigés individuels ont porté sur : 1) les attitudes et perceptions des dirigeants vis-à-vis de la créativité, 2) le profil et les caractéristiques des propriétaires-dirigeants, la familiarité et l’intérêt des propriétaires-dirigeants à l’égard de la créativité et 3) les pratiques d’affaires ainsi que les outils adoptés par leur entreprise pour être créative. La grille d’entretien a été utilisée de façon flexible quant à l’ordonnancement des questions, en fonction des informations données par le participant en cours d’entretien. En plus des questions ouvertes, des éléments d’auto-évaluation ont été intégrés dans le questionnaire. Or, bien que grandement utilisée et acceptée dans le domaine, l’autoévaluation amène parfois les participants à faire état des comportements souhaités plutôt que réels (Bird, Schjoedt et Baum, 2012). Pour contrer ce biais, plus d’une source doit être consultée, ce qui permet de confirmer les comportements (Bird, Schjoedt et Baum, 2012). Nous avons donc réalisé des entretiens avec plus d’un répondant par entreprise.

Les entrevues ont donc eu lieu, d’une part, avec le propriétaire-dirigeant et, d’autre part, avec un ou deux intervenants dans l’entreprise, pour un total de deux à trois entrevues par entreprise. Le fait de rencontrer plus d’un intervenant par entreprise a contribué à corroborer, ou non, les perceptions. Un total de quatorze entrevues individuelles ont été réalisées avec des gestionnaires, des directeurs généraux, des présidents et des employés. Le nombre de participants et le rôle de chacun dans l’entreprise sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2

Détail des entretiens réalisés pour chacun des cas

Détail des entretiens réalisés pour chacun des cas
* Les chiffres entre parenthèses correspondent aux numéros des critères respectés par l’entreprise énoncés au tableau 2.

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À la suite de la collecte de données, toutes les entrevues ont été retranscrites (verbatim) et un processus d’analyse de ces verbatim a été entamé. L’analyse thématique a été privilégiée pour cette phase. Ce type d’analyse oriente l’évaluation du texte, en ce sens qu’il adopte une approche horizontale pour trouver les thèmes récurrents dans le contenu analysé (Gavard-Perret, Gotteland, Haon et Jolibert, 2008). L’analyse thématique a aussi été privilégiée parce qu’elle permet de diviser l’information par thèmes, que ces derniers soient abordés à plusieurs endroits ou non dans chaque entrevue. Elle permet donc d’effectuer à la fois une analyse par site et intersites. Cette méthode d’analyse comporte plusieurs étapes : préparation du contenu, préanalyse, exploitation du matériel, puis analyse et interprétation des résultats. Les étapes de préanalyse, d’exploitation du matériel et d’analyse et interprétation des résultats ont été effectuées avec le logiciel NVivo 9 pour Mac. Le codage des verbatim a été effectué en deux temps. D’abord, à la suite de la revue de la littérature, une liste de codes a été élaborée ; des exemples sont présentés en annexe. Par la suite, pendant la codification des verbatim, plusieurs codes ont été ajoutés et la hiérarchie de ceux-ci a été revue.

2.1. Présentation des entreprises de l’échantillon

Les caractéristiques des entreprises à l’étude sont présentées au tableau 3.

Tableau 3

Caractéristiques générales des entreprises étudiées

Caractéristiques générales des entreprises étudiées

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Les sections suivantes présentent les résultats intersites obtenus par les entretiens avec les quatorze intervenants.

3. Présentation des résultats

Comme l’objectif principal de cette étude consiste à décrire le rôle du propriétaire-dirigeant, cette section aborde spécialement les résultats intersites à ce sujet. Les sections porteront donc sur : 1) les traits de personnalité des propriétaires-dirigeants des PME créatives selon leur propre perception et celle de leurs subordonnés, 2) les motivations des propriétaires- dirigeants à favoriser la créativité et l’innovation et 3) le rôle des propriétaires-dirigeants dans le processus de développement de la créativité organisationnelle.

3.1. Caractéristiques et traits de personnalité des propriétaires-dirigeants

Les entrevues effectuées avec les entreprises créatives incluaient des questions sur les caractéristiques de leur propriétaire-dirigeant. Cela a permis d’en dresser un portrait. Plus spécifiquement, les entrevues ont abordé le niveau de familiarité avec la créativité, l’intérêt et la motivation à l’égard de la créativité, ainsi que les traits de personnalité. Le propriétaire-dirigeant devait d’abord se décrire lui-même ; ensuite, les autres personnes interrogées devaient le décrire[3]. Les informations détaillées sont présentées dans le tableau 4.

Tableau 4

Données relatives aux caractéristiques des dirigeants pour chacun des cas étudiés

Données relatives aux caractéristiques des dirigeants pour chacun des cas étudiés

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Dans le cas ManuCom, le propriétaire-dirigeant estime avoir une grande familiarité avec la créativité et l’innovation et un intérêt marqué pour le sujet. Il se qualifie aussi d’artiste et se dit ouvert à la créativité des autres et à leurs idées. Il se sent assez à l’aise avec les processus utilisés pour arriver aux idées et les mettre en oeuvre. Quant à eux, les intervenants perçoivent que le propriétaire-dirigeant a un intérêt pour la créativité et l’innovation et fait preuve d’ouverture d’esprit, même s’ils croient que c’est une personne plutôt « cartésienne ».

Le propriétaire-dirigeant de ManuAgri, de son côté, estime avoir une familiarité avec la créativité et l’innovation et un intérêt marqué pour le sujet. Il se dit axé sur les solutions. Cela est corroboré par son directeur général, qui souligne que son patron « est vraiment très créatif dans la création de nouveaux produits, dans la façon de faire avec les produits existants, dans la façon de régler des problèmes et la façon de voir ce qui s’en vient ».

Les raisons pour lesquelles le propriétaire-dirigeant de ManuMach a décidé de se lancer en affaires montrent que la qualité de vie est au coeur de la culture de son entreprise : « Mon but, quand on a créé l’entreprise, ce n’était même pas de devenir mon propre patron, d’être riche ou n’importe quoi. Le but premier, c’était d’avoir une qualité de vie et d’être bien dans ce qu’on fait et d’avoir du défi. » De surcroît, ManuMach a à sa tête un propriétaire-dirigeant créatif, orienté vers les résultats, à l’esprit ouvert, à l’affût des nouvelles technologies et disposé à prendre des risques. Les autres intervenants de ManuMach s’accordent pour dire que leur propriétaire-dirigeant est ouvert aux idées et proactif pour trouver de nouvelles idées, donc qu’il possède une certaine créativité.

La propriétaire-dirigeante de ManuMétal est autonome, curieuse et a le souci de s’améliorer constamment. Elle fait confiance à ses employés et prend des risques, en plus d’être ouverte, créative, orientée vers le client et positive. De plus, elle opte pour une approche consultative. La propriétaire-dirigeante a une manière différente, à son avis, de gérer les diverses personnes. Au lieu de les juger, elle les considère comme des gens pouvant apporter de nouvelles idées et façons de voir les choses. Elle mise également sur l’imitation pour apprendre aux gens à être créatifs, en étant elle-même créative dans ses façons de faire. Ce profil est corroboré par les employés rencontrés.

Dans le cas de ManuSanté, les propriétaires-dirigeants sont reconnus pour être créatifs dans leur domaine par le concepteur, qui souligne aussi qu’ils n’hésitent pas à déléguer des tâches à leurs employés et orientent les interventions de ceux-ci sur les résultats attendus. Les dirigeants mentionnent qu’ayant toujours baigné dans des milieux où l’amélioration continue et la créativité étaient prônées, ils en sont venus à développer des attitudes et comportements favorables à la créativité, et ce, plus facilement que s’ils avaient travaillé au sein d’une autre entreprise.

Les hauts dirigeants interviewés sont tous conscients de leur capacité à influencer leurs employés et la culture de l’entreprise. Ils considèrent d’ailleurs tous avoir un côté créatif. D’un autre côté, certains hauts dirigeants, pour permettre à leurs employés d’être créatifs, vont agir comme « capteurs de rêves » et appuyer les idées lancées par ceux-ci. Ils font donc confiance à leurs employés et font preuve d’ouverture. De plus, la plupart des propriétaires-dirigeants rencontrés ont la particularité d’être axés sur les résultats. Les entreprises, pour être créatives, doivent prendre des risques. Cette capacité de prise de risques est d’ailleurs l’une des caractéristiques personnelles mentionnées par plusieurs propriétaires-dirigeants interrogés. À noter que dans quelques-unes des entreprises, la perception des propriétaires-dirigeants et des employés diffère pour certaines des caractéristiques des propriétaires- dirigeants. Par exemple, certains employés perçoivent leur propriétaire-dirigeant comme étant plutôt cartésien, tandis que celui-ci se voit comme créatif.

Certaines particularités des dirigeants rencontrés ont été soulevées en cours d’analyse. D’abord, ces propriétaires-dirigeants semblent tous faciles d’approche et utilisent un langage accessible. Également, la plupart semblent aptes à agir tant de façon créative que rationnelle, selon le besoin. D’ailleurs, cet aspect révèle un sujet intéressant à analyser. Les propriétaires-dirigeants rencontrés semblent tous avoir une « double personnalité », en ce sens qu’ils ont tous, à leur façon, un côté créatif, mais aussi un côté plus rationnel, axé sur les résultats. Par exemple, le président de ManuAgri l’exprime clairement : « Je suis une partie de mon père [inventif, créatif] et une partie de ma mère… plus rigoureuse. » Le même type de commentaire revient chez ManuSanté, où le vice-président finances souligne : « on est très, très, très axés sur les résultats » tout en admettant que les quatre actionnaires sont « tous créatifs » à leur manière. Le tableau 5 reprend les caractéristiques des dirigeants d’entreprise créatives selon les résultats de l’analyse. À noter que l’ordre de présentation est aléatoire ; elle n’indique pas une hiérarchisation. De plus, alors que quelques questions visaient particulièrement à savoir si le dirigeant était créatif, s’il avait une capacité d’ouverture et de prise de risques, les autres traits ont émergé de l’analyse sans être proposés aux dirigeants ou aux autres intervenants.

Tableau 5

Traits de personnalité du propriétaire-dirigeant d’entreprises créatives, selon les résultats de l’analyse des verbatim[4]

Traits de personnalité du propriétaire-dirigeant d’entreprises créatives, selon les résultats de l’analyse des verbatim4

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3.2. Les motivations des propriétaires-dirigeants à favoriser la créativité

Le tableau 6 présente un résumé des motivations des propriétaires-dirigeants rencontrés. Elles ont été regroupées en trois catégories : motivation intrinsèque, motivation liée à l’environnement interne et motivation liée à l’environnement externe. Pour tous les dirigeants de PME rencontrés, au moins une catégorie de motivation est présente. À première vue, tous semblent motivés intrinsèquement, mais lorsque l’on creuse pour savoir d’où vient cette motivation, il en ressort que la plupart d’entre eux sont surtout motivés par la pression de l’environnement. Par exemple, dans le cas de ManuCom, l’arrivée d’un nouveau directeur de la recherche et du développement a incité l’entreprise à adopter un processus de développement de produits, qui incite le propriétaire-dirigeant à participer au processus, mais aussi à laisser plus de latitude aux employés pour le développement de nouveaux produits. De plus, les agents de vente renseignent l’entreprise sur de nouveaux besoins des clients et insistent avec ténacité sur la livraison de nouveaux produits pour ceux-ci. Par conséquent, l’environnement interne de l’entreprise exerce une pression et une influence sur la motivation du propriétaire-dirigeant à soutenir la créativité dans l’entreprise. Deuxièmement, les caractéristiques du propriétaire-dirigeant, dont son intérêt pour la créativité et son côté « artiste », le poussent à avoir une motivation plus élevée pour la créativité organisationnelle. Finalement, l’environnement externe étant concurrentiel et incertain, ce propriétaire-dirigeant y trouve une motivation supplémentaire pour intégrer plus de créativité dans son organisation en vue de se distinguer de ses concurrents par l’originalité de ses produits.

Tableau 6

Motivations quant à la créativité évoquées par les propriétaires-dirigeants

Motivations quant à la créativité évoquées par les propriétaires-dirigeants

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Plus spécifiquement, dans le cas de ManuAgri, le président présente les traits d’une personne créative, a une grande familiarité avec la créativité et l’innovation ainsi qu’un intérêt pour le sujet, et il adopte des comportements créatifs sans nécessairement sentir de pression de l’environnement externe. Par contre, cet environnement externe aura tout de même une influence sur le développement de la créativité, car les besoins des clients ont une importance élevée pour cette entreprise.

Dans le cas de ManuMach, trois éléments majeurs contribuent à la motivation du propriétaire-dirigeant. D’abord, l’entreprise a été mise en place pour répondre à des besoins en développement de produits actuellement inexistants dans le marché. Ensuite, le propriétaire-dirigeant de cette entreprise est créatif et a un fort intérêt pour la nouveauté en général, les nouvelles technologies et l’originalité ; il a donc une motivation intrinsèque à l’égard de la créativité. Finalement, l’environnement externe de ManuMach compte des concurrents qui sont de grandes entreprises actives à l’échelle mondiale, et pour se tailler une place dans son marché, l’innovation est donc nécessaire. Ces trois éléments mettent donc une pression sur la motivation organisationnelle et, par le fait même, sur le développement de la créativité.

Dans le cas de ManuMétal, l’environnement externe semble jouer un rôle secondaire dans la motivation organisationnelle à l’égard de la créativité. L’élément déclencheur de cette motivation est plutôt lié aux caractéristiques de la propriétaire-dirigeante elle-même.

Dans le cas de ManuSanté, trois éléments influencent la motivation organisationnelle qui concerne la créativité. D’abord, l’historique de l’entreprise, celle-ci ayant déjà été une filiale d’une grande entreprise très structurée, mais aussi créative et innovante. Cette situation a d’abord influencé les traits et les caractéristiques des vice-présidents en leur inculquant des valeurs axées sur la créativité, mais aussi en les formant aux divers outils et pratiques de gestion de classe mondiale. Cet historique motive directement la créativité organisationnelle, car les résultats de cette grande entreprise étaient positifs. Deuxièmement, les caractéristiques des vice-présidents influencent la motivation organisationnelle à l’égard de la créativité, car la créativité et l’innovation leur sont familières et les intéressent (un intérêt résultant à la fois de l’historique de l’entreprise, des intérêts personnels et du rôle qu’ils jouent dans l’entreprise). Finalement, puisque l’environnement externe est concurrentiel et mondial, l’entreprise veut se distinguer de cette concurrence, ce qui augmente la motivation organisationnelle à l’égard de la créativité.

Seule la propriétaire-dirigeante de ManuMétal a une motivation personnelle intrinsèque et non influencée par l’environnement externe. Le propriétaire-dirigeant de ManuCom est aussi motivé par des pressions internes, telles que des employés nouvellement arrivés dans l’entreprise et le processus de développement de produits nouvellement introduit dans son entreprise. L’entreprise dans laquelle la motivation intrinsèque semble la plus répandue est ManuSanté. Il est d’ailleurs intéressant de constater que cette entreprise récolte plus de manifestations de la créativité que les autres. Cette motivation pourrait en être la cause. La motivation intrinsèque, pour toutes les entreprises, se reflète dans les pratiques de gestion, dans l’intérêt pour la créativité mentionné par les intervenants et dans la culture organisationnelle ou les valeurs de l’entreprise.

3.3. Le rôle du propriétaire-dirigeant dans le processus de développement de la créativité organisationnelle

Le processus de développement de la créativité des entreprises rencontrées comporte plusieurs étapes, qui diffèrent d’une entreprise à l’autre. Nous avons cherché à comprendre comment se traduit le rôle du dirigeant de PME dans ce contexte. D’abord, l’analyse fait ressortir que certains éléments ont un impact sur la motivation du propriétaire-dirigeant à favoriser la créativité organisationnelle (motivation intrinsèque, liée à l’environnement interne ou à l’environnement externe). Cette motivation des propriétaires-dirigeants les incitera à adopter des comportements favorisant la créativité, ce qui facilitera l’adoption du même type de comportements par les gestionnaires ou même par certains employés de l’entreprise. Grâce à cette motivation de la direction, appuyée par les comportements de celle-ci, le développement de la créativité organisationnelle débute et mène vers une culture, des pratiques de gestion et des outils favorisant la créativité. Ce cheminement conduit alors à une augmentation de la génération d’idées par les individus de l’entreprise, à une sélection de ces idées, puis à une implantation de celles-ci. Finalement, des gains, des manifestations ou des résultantes de la créativité pourront être visibles et obtenus par l’entreprise, éléments qui stimuleront à nouveau la motivation de la direction et renforceront le contexte en place, pour mener à un développement encore plus grand de la créativité organisationnelle. La figure 1 schématise le processus de développement de la créativité organisationnelle ainsi que ses manifestations.

Figure 1

Schématisation du développement et de la manifestation de la créativité en PME manufacturière

Schématisation du développement et de la manifestation de la créativité en PME manufacturière

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4. Discussion et contributions

L’objectif principal de cet article consistait à explorer le rôle du propriétaire-dirigeant dans les PME manufacturières dites créatives. Cet objectif se déclinait en trois objectifs secondaires, soit : 1) définir les traits de personnalité des propriétaires-dirigeants des PME créatives selon leur propre perception et celle de leurs subordonnés, 2) caractériser leur intérêt et leurs motivations et 3) décrire le rôle des dirigeants dans le processus de développement de la créativité organisationnelle.

Les résultats confirment l’importance du propriétaire-dirigeant pour le développement de la créativité dans un contexte de PME manufacturière. Bien que leurs profils s’avèrent multiples, tous les propriétaires-dirigeants rencontrés se disent ouverts d’esprit et se considèrent eux-mêmes comme créatifs. Ce résultat abonde dans le sens des propos de Carrier et Gélinas (2011), selon lesquels les dirigeants de PME appuient la créativité organisationnelle en étant eux-mêmes créatifs.

Guieu et Chanut-Guieu (2014), qui ont étudié les dirigeants de PME en hypercroissance, soulignent que ces derniers « se révèlent plutôt à l’aise dans l’ambiguïté, promoteurs de propositions déviantes ou tout au moins nouvelles » (p. 57). Cette analyse peut s’apparenter à ce qui a été perçu chez les dirigeants rencontrés dans la présente étude, c’est-à-dire que ce sont des dirigeants créatifs qui proposent des idées nouvelles. C’est donc dire que ces caractéristiques ne seraient pas seulement observables dans les entreprises à forte croissance ou innovantes, mais également dans les PME manufacturières créatives.

Tel qu’évoqué plus haut, les résultats font ressortir une combinaison de caractéristiques parfois divergentes : des dirigeants axés sur les résultats, mais aussi motivés par les idées nouvelles. Des dirigeants montrant de l’ouverture, mais faisant aussi preuve de contrôle ; des dirigeants qui se disent créatifs, mais qui sont perçus comme des êtres rationnels. Ces résultats laissent entrevoir des dirigeants au profil double. Ceci est cohérent avec les études ayant mis en lumière la notion d’ambidextérité chez les dirigeants d’équipe créative. En effet, comme l’ont évoqué certains auteurs ayant étudié les gestionnaires d’équipe créative, l’ambidextérité ferait partie des compétences à développer pour permettre à l’équipe de transformer les idées en innovation (Sarooghi, Libaers et Burkemper, 2015). Le propriétaire-dirigeant d’une PME créative incarnerait donc le parfait exemple du gestionnaire qui se doit d’être ce que certains appellent un gestionnaire ambidextre. C’est donc dire que dans les PME manufacturières créatives, les dirigeants assumeraient l’équivalent du rôle de gestionnaire d’équipe créative. La particularité de notre échantillon est qu’il est composé de PME manufacturières à bas niveau technologique. Les résultats de notre analyse semblent montrer que les PME manufacturières créatives sont dirigées par des propriétaires-dirigeants à « double personnalité ». Ces derniers semblent avoir développé cette capacité d’ambidextérité et ce serait possiblement pour cette raison que les PME peuvent être considérées comme créatives.

Bien que les propriétaires-dirigeants de PME créatives partagent plusieurs caractéristiques ou traits de personnalité, ils ne sont pas nécessairement influencés et motivés par les mêmes éléments. Les propriétaires-dirigeants rencontrés ont tous une motivation intrinsèque par rapport à la créativité et à l’innovation, mais les causes de cette motivation diffèrent. Par exemple, certains propriétaires-dirigeants sont influencés par l’environnement externe, mais d’autres ne se sentent pas interpellés par cet environnement ; tandis que les caractéristiques propres de l’entreprise, soit l’environnement interne, la nature de l’entreprise ou son historique, peuvent avoir une influence sur la motivation intrinsèque de certains propriétaires-dirigeants. Cette motivation diffère donc d’un propriétaire-dirigeant à l’autre.

Si les travaux antérieurs ont évoqué les motivations intrinsèques et l’environnement externe comme facteurs influençant la créativité organisationnelle, l’influence de l’environnement interne sur la motivation de la direction à l’égard de la créativité organisationnelle demeure peu explorée. Par exemple, l’arrivée d’un nouvel employé ayant une expérience dans une autre entreprise a créé une motivation supérieure chez le propriétaire-dirigeant de ManuCom. Cette force d’influence interne mérite, à notre sens, de faire l’objet de travaux ultérieurs.

Nous avons également observé les liens entre la motivation du propriétaire-dirigeant, le développement de la créativité et les manifestations de celle-ci. Nos analyses montrent que la motivation du propriétaire-dirigeant peut être influencée par les résultats obtenus grâce à la créativité, c’est-à-dire les manifestations visibles. Le fait d’obtenir des retombées concrètes de la créativité dans leur organisation renforcerait la motivation du dirigeant. Cette motivation peut influencer directement les comportements des gestionnaires, mais aussi la culture, les pratiques et les outils de la créativité.

Cette observation rappelle le principe du progrès d’Amabile et Kramer (2012). Selon ce principe, plus une personne passera à l’action, fera du progrès et verra ses idées mises en place, plus elle sera motivée. Il semble donc que ce principe est aussi applicable aux propriétaires-dirigeants des PME étudiées, qui seront non seulement motivés par leurs propres idées créatives et par les retombées de celles-ci, mais aussi par les retombées des idées de tous leurs subordonnés. La motivation des propriétaires-dirigeants est donc bonifiée par les manifestations ou retombées positives de la créativité organisationnelle.

Le propriétaire-dirigeant a assurément un rôle important à jouer dans le développement de la créativité organisationnelle en contexte de PME. Il fait partie des déclencheurs de cette créativité organisationnelle. Par contre, notre étude n’a pu démontrer que le propriétaire-dirigeant avait un rôle essentiel dans le développement de la créativité. D’autres éléments, comme l’environnement externe, pourraient à eux seuls provoquer un élan sporadique de créativité dans l’entreprise. Le déclenchement de la créativité organisationnelle apparaît plutôt comme multifactoriel. Bien que le propriétaire-dirigeant ait un rôle prépondérant, il n’est pas le déclencheur unique de cette créativité organisationnelle. Soo-Young, Won-Woo et Hyoun Sook (2013) soulignent d’ailleurs que de nombreux facteurs de contingence atténuent la relation entre le leadership des propriétaires-dirigeants et les performances organisationnelles, ce qui pourrait être le cas pour les performances créatives, comme il a été vu dans la présente recherche. Selon ces auteurs, le système d’apprentissage organisationnel a un rôle à jouer dans l’influence du propriétaire-dirigeant sur la créativité organisationnelle. Dans le même sens, quand le climat ne soutient pas ou ne valorise pas les initiatives innovatrices, les comportements de leadership transformationnel du propriétaire-dirigeant à eux seuls ne peuvent guère stimuler les efforts des employés vers la créativité et l’innovation (Jung, Wu et Chow, 2008). On peut ainsi dire que le propriétaire-dirigeant joue un rôle de catalyseur de la créativité organisationnelle plutôt qu’un rôle de déclencheur.

La présente recherche comporte évidemment des limites. Bien que plusieurs actions aient été mises en place pour assurer la fiabilité et la validité de cette recherche, un échantillonnage de cinq entreprises est insuffisant pour qu’une théorie fiable en soit tirée, d’autant plus que les PME en général constituent un ensemble très hétérogène d’entreprises. Même si certains attributs se trouvent dans les cinq entreprises rencontrées (leur taille et le type de prise de décision), elles diffèrent les unes des autres sur d’autres plans (type de produits fabriqués et marché visé). Aucune généralisation ne peut donc être établie. Finalement, il aurait été intéressant de contrôler d’autres éléments tels que l’âge, le genre et la formation des propriétaires-dirigeants rencontrés.

En ce qui a trait aux perspectives futures, il serait intéressant d’approfondir la question des motivations en utilisant une approche centrée sur cet aspect et en incluant plus explicitement les facteurs de motivation intrinsèque. De plus, l’analyse du rôle du propriétaire- dirigeant dans le développement de la créativité organisationnelle présentée ici pourrait être complétée par une exploration du niveau d’influence des traits de personnalité et des comportements du propriétaire-dirigeant par rapport aux autres facteurs d’influence sur le processus de développement de la créativité organisationnelle. Finalement, une enquête de type quantitatif auprès d’un large échantillon de PME serait utile pour confirmer les résultats avancés dans la présente recherche.

Conclusion

Les résultats de notre étude exploratoire font ressortir le rôle important du propriétaire-dirigeant de PME dans la créativité organisationnelle. Il semble toutefois que celui-ci n’est pas l’unique « déclencheur » de cette créativité. Entre autres, il agit en tant que catalyseur. De plus, le rôle que le propriétaire-dirigeant de PME créative jouera dépend autant de ses comportements que de ses traits de personnalité. L’ambidextérité, qui fait de plus en plus l’objet d’études, semble être une avenue porteuse pour expliquer les conditions permettant la créativité organisationnelle. L’utilisation de la notion d’ambidextérité pourrait contribuer à expliquer la capacité à générer de la créativité organisationnelle, plutôt que de mener à l’établissement d’un profil unique de dirigeant de PME créative. Finalement, cette étude a permis de mieux éclairer la créativité non seulement en PME, mais plus spécifiquement dans les PME manufacturières. Ces entreprises, souvent considérées comme étant peu innovantes ou de faible niveau technologique, sont peu étudiées dans la recherche en créativité. Or, notre étude met en lumière des similitudes entre celles-ci et montre l’intérêt de prendre ces entreprises en compte. Les conclusions de cette recherche présentent donc de nouvelles perspectives pour les PME.