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Introduction

Depuis ces cinq dernières années, le crowdfunding (CF), encore dénommé financement participatif (FP) ou sociofinancement, connaît en France à l’instar de nombreux autres pays de l’OCDE, une croissance à deux chiffres qui s’explique en partie par le soutien des pouvoirs publics, mais aussi par un contexte socioéconomique propice. Comme le révèle un certain nombre d’études (OCDE, 2016 ; Baromètre TPE 60 ; IFOP, 2016), les conditions d’accès au crédit bancaire se sont considérablement durcies pour les TPE/PME, malgré les taux d’intérêt historiquement bas. La possibilité qu’offre la finance participative de lever de l’argent auprès de la foule via une plateforme (PF) peut alors apparaître comme une « machine à sous magique » (Dushnitsky, Guerini, Piva et Rossi-Lamastra, 2016, p. 44), offrant une mise en relation accélérée entre des porteurs de projet et des internautes. De plus, les internautes attribuent au CF une plus grande valeur sociale relativement aux canaux bancaires traditionnels parfois critiqués pour poursuivre leur quête de profits sans tenir compte des intérêts de leurs propres clients.

Dans ce contexte, le CF apparaît à la fois comme une possibilité prometteuse de financement pour les porteurs de projet et les TPE/PME qui souhaitent développer leur projet et comme une solution complémentaire pour les acteurs de l’entrepreneuriat, dont la mission est d’accompagner les porteurs de projet et les TPE/PME dans leur développement. Les plateformes de financement participatif constituent en ce sens de nouveaux entrants dans l’écosystème de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale. Le CF devient ainsi un levier supplémentaire de mobilisation de ressources complétant les outils de financement traditionnels évoqués par les travaux en finance entrepreneuriale (capital-risque, emprunt bancaire, investissements de fonds privés en capitaux propres, investisseurs providentiels, aides publiques…) (St-Pierre et Fadil, 2016, 2011 ; Paré et Redis, 2011). La finance participative prend également toute sa place comme champ de recherche dans le domaine de l’entrepreneuriat et vient enrichir à travers ses spécificités les questionnements abordés dans la littérature. La finance participative invite notamment à mieux tenir compte des proximités relationnelles et/ou géographiques qui entourent les problématiques de financement des TPE/PME jusqu’ici peu abordées en finance entrepreneuriale.

En France, on dénombre aujourd’hui plus de 80 PF, toutes formes de financement confondues : autour des PF historiques telles que KissKissBankBank, Ulule, Unilend, Wiseed ou encore Anaxago gravitent un grand nombre de PF nationales ou locales. Au niveau des pays de l’OCDE, le financement participatif connaît également un fort dynamisme notamment aux États-Unis, en Chine et en Angleterre avec l’émergence de PF internationales devenues des acteurs majeurs du financement. Ces acteurs de la Fintech à travers des PF supports (Funding Circle, Zopa, Ratesetter pour l’Angleterre ; Kickstarter, Indiegogo, Lendingclub pour les États-Unis ; Haricot, la Ruche, Ecloid pour la province du Québec au Canada) offrent des solutions pour tout type de besoin de financement pour des PME/PMI ou encore des particuliers (prêts, crédits à la consommation et/ou financement de divers projets entrepreneuriaux, artistiques, numériques, études, immobiliers…). En France, le marché des PF jouit d’une forte attractivité qui se traduit par une concurrence de plus en plus vive. En quête d’une différenciation de plus en plus poussée, ces PF sont pour la plupart spécialisées sur des thématiques ciblées (l’environnement, le patrimoine culturel, les entreprises de proximité…) et affichent une taille plus réduite en comparaison aux « mastodontes » américaines, anglaises ou chinoises.

Afin d’asseoir un modèle économique viable, qui repose principalement sur les commissions prélevées sur les fonds levés, les PF se sont lancées dans une « course au volume » en mettant en place des partenariats avec des acteurs très variés, publics ou privés, s’appuyant sur un réseau national ou local. À titre d’illustration, nous pouvons citer le partenariat noué par Lendopolis et HelloMerci avec France Initiative et BGE France (boutique de gestion) qui sont deux réseaux nationaux du financement et de l’accompagnement entrepreneurial. D’autres PF ont fait le choix de se tourner vers des partenariats locaux comme Tudigo (ex BulbinTown) en partenariat avec une quarantaine de CCI (chambre de commerce et d’industrie), mais aussi avec une dizaine de communautés de communes.

Peu de travaux académiques ont questionné ces partenariats et en particulier leur réelle portée pour les TPE/PME en recherche d’accompagnement et de financement. Nous pouvons en effet comprendre que ces partenariats visent pour les PF à développer leur attractivité. Toutefois, la question de savoir si ces derniers profitent réellement aux TPE/PME reste entière. De nombreuses incertitudes demeurent. De prime abord, la diversité des partenariats peut interroger quant à leur lisibilité pour les TPE/PME ; par ailleurs, le risque de faillite des plateformes, à l’instar d’Unilend, pionnier du prêt participatif mis en liquidation judiciaire en octobre 2018, constitue une incertitude de même que le risque de fraude (Cumming et Johan, 2016). Enfin, 8 % des projets financés se concluent par un échec[1] au terme de 36 mois, taux jugé d’autant plus préoccupant, que les financeurs sont des investisseurs individuels qui ne possèdent pas nécessairement des compétences suffisantes pour évaluer le risque[2].

C’est pour combler ce manque que nous avons débuté cette étude autour de la problématique suivante : en quoi la mise en place de partenariats entre PF de financement participatif et acteurs de la finance et de l’accompagnement entrepreneurial bénéficie-t-elle aux TPE/PME en recherche de financement ? Plus précisément, quels sont les impacts de ces stratégies partenariales sur la proposition de valeur à destination des TPE/PME, notamment en matière d’offre de financement et d’accompagnement ?

Pour répondre à ces questions, à l’instar de nombreux auteurs (Courtney, Dutta et Li, 2017 ; Belleflamme, Omrani et Peitz, 2015), nous nous sommes appuyés sur le cadre de la théorie de l’agence enrichie des concepts d’écosystème d’affaires (ESA) et de marchés bifaces ou multifaces. En effet, le cadre de la théorie d’agence permet de saisir les problématiques de risque, d’asymétrie informationnelle et de conflits d’intérêts qui sous-tendent les partenariats conclus entre les PF et les TPE/PME. Les concepts d’écosystème d’affaires et de marchés bifaces ou multifaces permettent par ailleurs de rendre compte des spécificités de l’économie et du modèle d’affaires des plateformes.

Sur le plan empirique et méthodologique, nous avons mené une étude qualitative et longitudinale sur différents partenariats mis en place principalement entre plusieurs PF de don et de prêt avec des acteurs de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale. Trente-huit entretiens semi-directifs ont été effectués entre novembre 2014 et février 2018 auprès de responsables de PF, de décideurs et chargés de mission de structures d’accompagnement, d’acteurs territoriaux « isolés » ou ancrés dans un réseau d’envergure nationale. Une étude documentaire sur les sites des PF et de leurs partenaires a enrichi notre matériau.

Le plan de notre étude se déroule de la manière suivante : une première partie présente les enjeux auxquels sont confrontées les PF au sein de l’écosystème de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale et développe le cadre théorique mobilisé pour notre étude. Dans une deuxième partie, nous exposons notre démarche méthodologique. Puis, nous présenterons les résultats de notre étude empirique. Enfin, nous terminerons dans une quatrième partie sur une discussion et une conclusion.

1. Les partenariats PF-acteurs de l’écosystème entrepreneurial : une lecture théorique

Dans cette partie, nous présentons les théories et concepts d’arrière-plan à l’aulne desquels nous cherchons à répondre à notre problématique. Nous évoquons tout d’abord la théorie de l’agence (1.1.), enrichie des concepts d’écosystème d’affaires et de marchés bifaces ou multifaces (1.2.).

1.1. Relation d’agence et PF : les partenariats comme dispositif de réduction de l’asymétrie d’information

Comme révélé par St-Pierre et Fadil (2016, p. 58) dans leur étude sur les connaissances et les pratiques académiques des chercheurs en entrepreneuriat : « l’agence demeure la théorie dominante qui se trouve au coeur de nombreuses problématiques. Elle est utilisée par 74 % des chercheurs ». En effet, si la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976) ne s’intéresse qu’à la relation entre les actionnaires et les dirigeants, elle peut aussi être mobilisée dans le cadre de la finance entrepreneuriale pour analyser la relation entre les dirigeants et le banquier et plus largement la relation entre dirigeants et financeurs (Brophy et Shulman, 1992 ; Denis, 2004). Dans le cadre de la finance participative, la théorie de l’agence permet ainsi d’appréhender la relation entre les internautes-contributeurs et les porteurs de projet. En effet, l’internaute agit comme un principal qui fournit par l’intermédiaire d’une PF des ressources financières à un entrepreneur (agent) en besoin de financement. Une telle relation d’agence génère une asymétrie d’information, car l’agent et le principal ne sont pas au même niveau d’information. La foule des contributeurs possède des informations incomplètes et imparfaites sur le projet ; elle n’est pas nécessairement familière du secteur d’activité du porteur de projet ou n’a pas, contrairement aux investisseurs institutionnels, dans le cas du prêt ou du financement participatif en capitaux propres, les connaissances ou les compétences pour apprécier les projets. Les contributeurs sont ainsi l’objet de biais comportementaux de nature cognitive (biais d’attention, biais de mimétisme par exemple) et émotionnelle (biais d’optimisme, attachement au secteur d’activité, à la personnalité du dirigeant). Afin de réduire ces biais, les PF cherchent à divulguer des informations transparentes et crédibles sur lesquelles les apporteurs de ressources pourront s’appuyer pour évaluer le potentiel de rentabilité du projet (Ahlers, Cumming, Günther et Schweizer, 2015). Cette rentabilité se traduit, suivant la forme de CF, par l’envoi des contreparties proposées ou par les gains en capital proposés. S’adosser à des tiers de confiance fait alors partie des voies qui s’offrent aux PF afin de réduire au mieux les biais informationnels et instaurer un climat de confiance pérenne. Courtney, Dutta et Li (2017), dont les travaux portent sur le prêt, font ainsi l’écho de l’effet positif sur les opérations de levée de fonds, de l’adossement à une tierce partie pour les PF. Dans cette optique, le partenariat conclu entre les PF et les différents acteurs de l’écosystème entrepreneurial peut s’interpréter comme un adossement à des tiers de confiance qui apportent expertise et crédibilité et ce faisant, contribuent à la réduction de l’asymétrie de l’information entre les contributeurs et les porteurs de projet. La mise en place d’un partenariat enverrait ainsi un signal positif qui permet aux internautes de reconnaître la qualité de la PF.

1.2. Stratégie partenariale : une lecture enrichie par les concepts d’écosystème d’affaires (ESA) et de marchés bifaces ou multifaces

1.2.1. Les PF : des écosystèmes d’affaires au travers de stratégies de plateforme

Le concept d’ESA (Moore, 1996 ; Teece, 2007 ; Gueguen et Passebois-Ducros, 2011 ; Koenig, 2012 ; Gratacap, Isckia et Parisot, 2017) contribue à une meilleure compréhension des stratégies partenariales mises en place par les PF. Ce concept renvoie à des structures relationnelles ou à des espaces collaboratifs complexes, aux frontières floues et évolutives, fondées sur des relations de coopération et de concurrence mises en place entre les acteurs ou réseaux d’acteurs présents à l’intérieur de l’ESA. Dans le cas du financement participatif, la PF joue le rôle d’acteur central (ou firme pivot) qui héberge un écosystème constitué de communautés variées (prêteurs, porteurs de projet, TPE, PME, acteurs de la finance, acteurs de l’accompagnement). Elle agit à la fois comme membre de cet écosystème et met à disposition un support (substrat) proposant un ensemble de services susceptibles de générer des interactions entre les différentes communautés de l’écosystème. Dans une telle conception, la PF et l’écosystème forment un tout, qualifié d’espace d’opportunités qui va permettre de « stimuler la création de valeur » (De Vogeleer et Lescop, 2011, p. 201 et 202) afin de faire émerger des « gisements inexploités de valeur » sur des marchés où subsistent des défaillances (en raison notamment des asymétries informationnelles ou encore des conditions restrictives d’accès au crédit). Comme l’a mentionné la plupart des travaux évoqués plus haut, l’émergence des PF constitue une réponse face à ces défaillances. La PF déploie une stratégie de firme pivot en assumant à la fois un rôle d’intermédiation et de coordination.

1.2.2. Les externalités de réseau comme levier d’accroissement des volumes d’affaires des PF

Le concept de marchés bifaces ou multifaces (Rochet et Tirole, 2006) décrit un produit, un système, un service, un espace ou une organisation qui sert d’intermédiaire ou qui facilite les transactions et les échanges entre deux (marchés bifaces) ou plusieurs groupes d’agents économiques interdépendants (marchés multifaces) (Evans, Hagiu et Schmalensee, 2006 ; Rochet et Tirole, 2006 ; Sharapov, Thomas et Autio, 2013). Les différentes interactions qui prennent place au sein de marchés bifaces ou multifaces favorisent les externalités de réseau.

Dans le cas du financement participatif, les PF servent d’interfaces aux transactions s’adressant à la fois aux porteurs de projet et aux financeurs qui constituent chacun une des deux faces de la PF. En référence à Eisenmann, Parker et Van Alstyne (2006, 2011) et Van Alstyne et Parker (2017), différents types d’externalités de réseaux sont à l’oeuvre sur le marché des PF et que ces dernières cherchent à favoriser : 1) les externalités intragroupe aussi bien au niveau des financeurs qu’au niveau des TPE/PME : les porteurs de projet sont influencés par les autres porteurs de projet pour utiliser le service proposé par la PF, de même que les internautes financeurs sont influencés par d’autres internautes financeurs pour contribuer sur la PF ; 2) les externalités de réseaux croisées ou indirectes entre porteurs de projet et financeurs : plus le nombre de projets financés sur la PF est élevé, plus l’offre de la PF se valorise et attire d’autres investisseurs ; de même, la valeur de l’offre proposée par la PF aux emprunteurs augmente quand le nombre d’internautes augmente.

En considérant les partenaires des PF comme des apporteurs d’affaires potentiels, les partenariats mis en oeuvre par les PF offrent alors la possibilité de recevoir un plus grand nombre de projets, de bénéficier de réseaux sociaux étendus, mêlant les communautés qui gravitent autour de chaque partenaire à celles des internautes contributeurs, et ce faisant, augmentant le potentiel de contributeurs.

Cependant, si de nombreux travaux, à l’instar de Van Alstyne et Parker (2017) insistent principalement sur les effets positifs des externalités de réseau, DiMaggio et Garip (2011), Eisenmann, Parker et Van Alstyne (2011), restent quant à eux plus prudents et préconisent aux PF d’opter davantage pour la différenciation par le prix ou sur une tout autre facette de la proposition de valeur.

2. Terrain mobilisé et démarche méthodologique choisie

Afin de mieux cerner la portée des partenariats entre PF de financement participatif et acteurs traditionnels des écosystèmes entrepreneuriaux pour les TPE/PME en quête de financement, nous avons choisi d’adopter une démarche compréhensive de nature qualitative et longitudinale. Les études longitudinales favorisent une compréhension en profondeur, « offrent un rapport intense avec le terrain » (Charreire-Petit, 2003, p. 4) et permettent précisément de saisir la dynamique d’un phénomène. Cette démarche paraît donc cohérente avec l’objet de cette recherche visant à appréhender au mieux les enjeux liés à la mise en place de partenariats par les PF. Afin d’avoir un suivi longitudinal du phénomène, nous avons fait le choix dans un premier temps de nous focaliser sur des acteurs ancrés dans l’écosystème de la région Centre, région dans laquelle les auteurs sont bien implantés. Cela a permis de faciliter au départ l’accès aux données. Puis progressivement nous avons investigué d’autres régions, limitrophes ou non, comme la région Poitou-Charentes (aujourd’hui inclus dans la région Nouvelle-Aquitaine) ou la région Nord-Pas-de-Calais (aujourd’hui inclus dans la région des Hauts-de-France). Plusieurs fondateurs de PF de CF ainsi que des acteurs plus variés issus de la finance traditionnelle, dont les experts comptables et le CSOEC (Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables) ont également enrichi nos données. L’opportunisme méthodique adopté dans un premier temps a ainsi laissé la place progressivement à une recherche de terrain plus élargie dictée par la veille menée sur les partenariats développés entre PF et acteurs traditionnels de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale. Sans prétendre à l’exhaustivité, il s’agissait pour nous de pouvoir interroger une diversité d’acteurs reflétant ainsi le foisonnement des partenariats noués entre PF et acteurs de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale. Le tableau 1 répertorie ainsi une quarantaine d’acteurs, dont des fondateurs de PF de don avec contrepartie, de prêt et d’investissement, des partenaires de PF de financement participatif en englobant aussi bien des acteurs privés que publics, des acteurs territoriaux « isolés » ou ancrés dans un réseau d’envergure nationale. La collecte de données s’est déroulée entre décembre 2014 et avril 2018. Des entretiens semi-directifs d’une durée comprise entre 1 heure et 1 h 30 ont été menés auprès de chaque acteur à l’aide d’un guide structuré autour des cinq points suivants : la vision générale du CF et le rôle assigné au financement participatif, le projet ou l’expérience vécue en lien avec la finance participative, la justification et la mise en place du partenariat ou du projet ; les modalités choisies (ressources, compétences, propositions de valeur développées par chacun dans le partenariat, le retour d’expérience, et si rien n’existe, comment les acteurs envisagent de prendre en compte le CF). Certains acteurs ont été interrogés plusieurs fois afin de pouvoir suivre leurs réflexions à la fois quant au choix du partenaire avant et après la signature du partenariat, aux modalités de mise en oeuvre et au retour d’expérience. Cela a été notamment le cas pour les acteurs de l’accompagnement à la création comme BGE et les CCI ou encore Initiative Touraine, mais aussi pour certaines PF de financement participatif telles que Lendopolis et Prêtgo. Concernant les BGE, les CCI de la région, la CRCI ainsi qu’Initiative Touraine, deux à trois entretiens ont été menés entre 2014 et 2018 (une interview en moyenne tous les 12 à 14 mois) selon l’actualité de ces structures (changement de partenariat dans le CF, élargissement des actions de CF, etc.). Concernant le partenariat noué entre le CSOEC et les trois plateformes Lendopolis, Les entrepreteurs.com et Prêtgo, deux entretiens entre juillet 2016 et juillet 2017 ont été menés avec chacun des acteurs afin de recueillir leur retour d’expérience sur le partenariat engagé. Parallèlement, un suivi régulier sur les différentes structures de notre échantillon a été mené à travers le traitement de données secondaires (documents institutionnels, informations collectées sur le site internet, articles de presse…). Enfin, afin de bénéficier d’éléments de contexte permettant de mieux apprécier et analyser le contenu de nos entretiens, nous avons effectué une veille documentaire à partir de sites spécialisés dans le CF et/ou la création d’entreprises. Suite à la retranscription des entretiens, nous avons effectué une analyse de contenu. Nous avons procédé à un codage axial, permettant d’identifier les thèmes généraux, puis à un codage sélectif pour les idées récurrentes. Afin de réduire le biais méthodologique lié au processus d’interprétation du chercheur, nous avons procédé à un double codage des entretiens.

Tableau 1

Présentation des acteurs rencontrés

Présentation des acteurs rencontrés

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3. Les partenariats PF-acteurs de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale : formes, motivations et apport pour les TPE/PME

Trois sous-parties structurent nos résultats. Nous explicitons dans un premier temps la nature différenciée des partenariats observés (3.1.) puis dans un deuxième temps les motivations recherchées par les partenaires dans la mise en place des stratégies relationnelles (3.2.). Nous soulignons enfin, à la lumière des retours d’expérience des acteurs interrogés, l’apport réel de ces partenariats pour les PME (3.3.).

3.1. Des partenariats de nature différenciée pour favoriser la collecte de fonds des TPE/PME

Nos résultats révèlent une grande variété quant à la nature des stratégies partenariales mises en oeuvre entre PF et acteurs de l’accompagnement de la finance entrepreneuriale. Cette variété repose à la fois sur le degré d’inclusivité de ces partenariats (3.1.1.) ainsi que sur leur portée géographique (national versus local), institutionnelle (public versus privé) ou managériale (compétences versus ressources financières) (3.1.2.).

3.1.1. Une diversité de partenariats selon des degrés variés d’inclusivité

Trois catégories de partenariats révélant des degrés variés d’inclusivité (Tableau 2) ressortent de notre étude selon que le partenariat offre aux TPE/PME un accès plus ou moins facilité au financement par la foule ou un accompagnement plus ou moins soutenu permettant de bénéficier d’un réseau fédératif de compétences, pour accompagner les TPE/PME dans leur stratégie de développement.

Des partenariats autour d’une simple mise en relation facilitant l’accès au financement

La stratégie partenariale suit dans ce cas de figure un processus séquentiel dans lequel les partenaires (PF et acteurs de l’accompagnement) interviennent chacun sur leur domaine d’expertise. Le partenariat signé entre France Initiative[3] et les PF Ulule, KissKissBankBank, Anaxago et Tudigo, illustre parfaitement ce type de mise en relation. Par son expertise, France Initiative aiguille les projets éligibles vers les PF afin de permettre aux TPE/PME de lever les fonds leur permettant de bénéficier ensuite d’un prêt bancaire ou d’un prêt d’honneur. Elle joue ainsi le rôle de prescripteur auprès des PF partenaires qui ensuite gèrent le suivi et l’animation de la campagne de financement participatif. D’autres partenariats reposent sur ce même modèle de collaboration comme celui signé entre Lendopolis et Hellomerci et la SIAGI, société de caution mutuelle pour les TPE garantissant tout ou une partie des prêts octroyés par les banques lors de la création ou la reprise d’entreprise.

Des partenariats autour de PF cobrandées : une portée élargie

Le partenariat repose ici sur un maillage plus étroit et plus orchestré entre les PF et leurs partenaires prescripteurs. La mise en place de ce partenariat s’accompagne d’un déploiement d’actions concrètes de communication et d’accompagnement menées conjointement par les deux partenaires.

L’opérateur du financement participatif fournit au partenaire un support technique, dont il assure la gestion des services d’appui. La PF cobrandée ainsi créée repose sur un interlocuteur unique et sur un transfert de connaissances de la PF-mère vers les structures partenaires afin de leur permettre d’animer en propre leur PF. Les équipes de conseillers de la structure d’accompagnement, par leur expertise, assurent eux-mêmes la sélection et le suivi des projets à proposer sur la PF. Ils animent avec le porteur de projet les différentes phases de la campagne de levée de fonds. Pour cela, les conseillers de la structure d’accompagnement sont formés et accompagnés à travers des outils et des contenus mis à disposition par la PF. Des dispositifs complémentaires permettant de favoriser l’entrée de ces acteurs dans le CF peuvent également être déployés au sein de la structure d’accompagnement ou de son réseau. Cela peut prendre la forme de réunions régionales ou locales avec la plateforme partenaire, l’organisation de concours entre structures d’accompagnement.

L’un des premiers partenariats de ce type a été noué en 2014 entre MyMajorCompagny (MMC)[4] et le réseau BGE sur du financement de projets par don avec contreparties. À la suite de la disparition de MMC du marché, le partenariat fut relancé en 2016 avec Ulule dans les mêmes conditions. Les CCI ont par la suite emboîté le pas en nouant un partenariat similaire avec la plateforme Tudigo (ex BulbinTown). À ce jour une quarantaine de CCI régionales ont opté pour ce partenariat.

Des partenariats fédératifs destinés à accompagner les TPE/PME

Le partenariat fédératif va au-delà d’une mise en relation plus ou moins organisée, autour d’un accès au financement et d’un déploiement d’outils de communication. Le partenariat vise ici à fédérer un ensemble d’acteurs autour des TPE/PME. Ce type de partenariat se structure autour d’une ou plusieurs PF et d’un collectif qui peut être ancré dans un territoire, rattaché à une profession ou réuni autour d’une même cause (ESS). Pour illustrer ces trois situations, nous pouvons citer :

  • le partenariat qui associe la plateforme Tudigo avec la communauté de communes du Grand Est Touraine (réunissant seize communes) dans le but de soutenir des projets locaux de proximité ;

  • la convention de partenariat signée entre le CSOEC, instance nationale représentative d’un des acteurs majeurs de la finance entrepreneuriale, les cabinets d’experts-comptables, et quatre plateformes, dont trois spécialisées dans le prêt participatif (PrêtGo, Lesentrepreteurs.com et Lendopolis) et une dans le financement participatif en capitaux propres (Wiseed) ;

  • le partenariat fédéré autour de la PF jadopteunprojet.com soutenant des projets de l’économie sociale et solidaire. Elle est une des plateformes de référence de la région Nouvelle-Aquitaine et réunit divers acteurs, dont la région, Bpifrance et un ensemble d’acteurs de l’ESS comme des organisations mutualistes (MAIF, MACIF).

La relation qui lie la PF au collectif peut prendre plusieurs formes. La PF peut ainsi être cobrandée ou en marque blanche (cas du partenariat entre Tudigo et la communauté de commune du Grand Est Touraine), ou encore être la propriété de ce collectif (cas de jadoptunprojet.com[5]) ou d’un membre du collectif (plateforme Ozé[6]). Quelle que soit la modalité choisie, la PF assure le contrôle du processus de collecte de fonds allant de la sélection des projets jusqu’à la fin de la campagne. Des conseils sont prodigués aux porteurs de projet, des outils de communication sont mis à disposition des partenaires. Côté partenaires, les acteurs associés au collectif (experts-comptables, structures d’accompagnement, services de développement économique des communautés de communes, banquiers, etc.) prennent part au préalable à la présélection des projets puis accompagnent les porteurs de projet dans leur levée de fonds. À la différence des autres formes de partenariats, la mobilisation du collectif autour des projets repose sur des interrelations plus fortes qui se traduisent par des actions de soutien, d’entraide plus étendues. Comme le souligne le fondateur de la PF Prêtgo, mais également celui de la PF Lesentrepreteurs.com, au sujet de leur partenariat avec le CSOEC, il s’agit de « favoriser des interrelations autour des projets dans une logique d’intelligence économique et collective ». Dans le même esprit, pour le responsable du développement économique de la communauté de communes du Grand Est Touraine en région Centre-Val de Loire, le partenariat avec une plateforme constitue « un outil hyper puissant pour dynamiser un écosystème ». Le collectif peut ainsi déployer une communication au travers de ses propres outils (infocourriels, réseaux sociaux) afin de soutenir de manière plus active les projets mis sur la PF. Un système d’abondement peut être également proposé permettant aux acteurs du collectif ou reliés à celui-ci (entrepreneurs, collectivités territoriales) de soutenir financièrement certains projets en abondant les montants collectés sur la PF. Ce dispositif a été notamment développé dans la région avec la plateforme « Nouveau Monde » située dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

3.1.2. Une portée géographique, institutionnelle et managériale différenciée

Au-delà du caractère plus ou moins inclusif des partenariats étudiés, leur portée diffère selon le périmètre géographique mobilisé, la présence ou non d’institutions publiques et/ou privées ou encore l’apport en compétences dépassant ou non la seule levée de fonds.

Nos résultats mettent ainsi en lumière que certains partenariats impliquent des partenaires d’envergure nationale comme Ulule, BGE, etc. tandis que d’autres sont ancrés dans un territoire au plus près des acteurs locaux. Par ailleurs, le développement de marque blanche a conduit un certain nombre de PF à moduler leur ancrage géographique en adoptant un schéma qui intègre la dimension nationale et la dimension locale. Ici, le partenariat s’appuie tout à la fois sur un support technique porté nationalement, et sur un réseau d’acteurs ancrés dans un territoire donné. Il en est ainsi des stratégies déployées par les CCI. Ces différents cas de figure montrent que la portée nationale et/ou locale du partenariat peut être associée à des degrés d’inclusivité différents.

De plus, notre étude montre que selon le type de partenariat, les PF accèdent plus ou moins facilement à la taille critique qu’elles ambitionnent. Un partenariat inclusif dans lequel de multiples interactions sont développées localement par les PF avec leurs partenaires, n’apportera pas nécessairement un accroissement de volumes d’affaires plus élevé qu’un partenariat moins inclusif, mais de portée nationale.

3.2. Des partenariats noués avant tout dans l’intérêt de chaque partie prenante

Nos résultats montrent que les partenariats noués sont principalement motivés tant pour les PF que pour les acteurs de l’accompagnement par une recherche de retombées positives pour leur modèle économique respectif et par une quête de visibilité et de crédibilité au sein de leur propre écosystème. En ce sens, les TPE/PME ne sont pas les premières à bénéficier des retombées des partenariats mis en place.

3.2.1. Des retombées positives espérées pour le modèle économique respectif de chaque partenaire

Si pour les acteurs traditionnels, les partenariats sont l’expression d’une diversification, les PF recherchent quant à elles à générer des externalités positives afin d’atteindre la taille critique.

Pour les partenaires des PF de CF, il s’agit donc d’élargir leur coeur de métier et/ou d’attirer d’autres cibles. Ainsi, pour les CCI comme pour les BGE, proposer des solutions de financement participatif revient à élargir leur champ de compétences et accroître leur chiffre d’affaires. Sur ce point, l’engagement de la CCI région Centre-Val de Loire dans le financement participatif lui a permis de valoriser ses prestations et de l’intégrer pleinement à leur grille tarifaire. « Pour nous c’est très important parce qu’en gros on a une promesse à la CCI qui dit on vous accompagne de l’idée à la concrétisation… Jusqu’ici on avait un obstacle parce que la concrétisation on n’y arrive pas toujours parce qu’à un moment donné, il faut trouver du financement… on sait que les banques au-delà de la frilosité elles demandent de l’apport… c’est vrai qu’on a des prêts d’honneur, mais on ne passe pas à 100 %. Je ne dis pas qu’avec le financement participatif on y passe à 100 %, mais ça nous amène une solution supplémentaire pour essayer de concrétiser plus de projets. Pour nous c’est fondamental. » (Responsable espace entreprendre de la CCI Indre-et-Loire) Pour les BGE, s’allier à des PF nationales, telle MMC puis Ulule, est un moyen de créer une offre d’appel et d’attirer ainsi à eux plus de porteurs de projet.

Le partenariat initié par le CSOEC est aussi un moyen pour la profession de faire évoluer son coeur de métier. Comme le précise le CSOEC, « les clients attendent de plus en plus de services et notre coeur de métier devient un produit de moins en moins à valeur ajoutée. L’enjeu est de changer ou disparaître. Face à l’émergence du CF, les experts-comptables se doivent de le proposer ».

Les partenariats noués entre PF et acteurs publics permettent quant à eux d’impliquer les citoyens, d’attirer leur attention, de communiquer sur les projets portés par le territoire et ainsi de tester « la demande politique ».

Côté PF, elles cherchent à rallier les communautés de leurs partenaires à leur propre communauté. Elles peuvent pour cela recourir à l’expertise du partenaire qui pourra alors agir comme un tiers de confiance auprès des contributeurs, voire même, devenir une nouvelle face de la PF, aux côtés des TPE/PME et de la foule des financeurs. C’est ce que nous laisse supposer le partenariat noué entre le CSOEC et les trois PF de prêt participatif afin de cocréer de la valeur et générer un cercle vertueux. Pour les PF de prêt participatif, l’expert-comptable n’est pas seulement un tiers de confiance, il peut devenir « le » canal vertueux pour stimuler leur marché en leur permettant d’accéder à des ressources telles qu’un accès à une communauté plus large d’emprunteurs et d’investisseurs. Il devient ainsi apporteur d’affaires. L’organisation en réseau de certains cabinets d’expertise-comptable pourrait offrir de belles perspectives. Réciproquement, la PF dans les diligences qu’elle est amenée à faire, pourrait à son tour se constituer en apporteur d’affaires pour l’expert-comptable, en recommandant par exemple un client pour un prévisionnel.

3.2.2. Des choix motivés par une recherche d’une meilleure visibilité ou d’une meilleure crédibilité

Un autre objectif recherché par tous les acteurs interrogés est une quête de légitimité. Celle-ci s’exprime différemment selon les partenaires. Il peut s’agir pour certains de chercher à crédibiliser leurs actions et d’instaurer plus de confiance auprès de la foule (investisseurs, donateurs), pour d’autres d’asseoir leur rôle, leurs actions au sein de leur réseau ou encore de gagner en visibilité dans un marché en tension.

Pour les PF de prêt, leur activité est prometteuse, mais elle apporte « une rupture qui pose des problèmes d’acculturation » tant auprès des prêteurs que des emprunteurs. Il leur paraît ainsi nécessaire d’asseoir leur crédibilité. Pour Lendopolis, « il est nécessaire de convaincre les Français qui épargnent, de les orienter à privilégier des investissements en direct dans l’économie réelle ». À travers le rôle joué par les experts-comptables dans le partenariat, l’action des PF s’en trouve renforcée en raison de l’image positive que véhicule l’expert-comptable dans l’imaginaire collectif. « Il est le tiers de confiance dans l’imaginaire collectif » (Lesentrepreteurs.com). En tant que conseillers privilégiés des PME, ils apportent un « gage supplémentaire », « un degré de sécurisation de plus » dans la gestion du risque. Le partenariat ainsi noué avec la profession via le CSOEC, permet aux trois PF citées plus haut de crédibiliser leur action auprès des investisseurs dotés d’une grande aversion au risque et s’offrir alors l’équivalence d’un sceau de confiance rassurant les internautes désirant prêter leur argent. Pour le CSOEC, qui inscrit son action dans une démarche de service auprès des cabinets d’expertise-comptable, le partenariat noué avec trois PF de prêt est aussi une manière d’asseoir son rôle d’animateur, de guide, de vigie auprès de ses membres.

Pour les structures d’accompagnement classiques comme les CCI ou les BGE s’associer avec une PF cobrandée, est un moyen de gagner en visibilité, de situer leur action au coeur de leur cible. L’intérêt pour la BGE est d’être en position de proposer des solutions de financement alternatives aux porteurs de projet qui n’ont pas d’apport. Du côté des CCI le but est de devenir un référent de l’accompagnement. « Pour nous c’est important… […] Par rapport aux chefs d’entreprises on n’est pas assez présent. On n’accompagne pas suffisamment de porteurs de projet ».

Ainsi, de nombreux acteurs ont vu le financement participatif comme une réponse pour faire face à la rareté des ressources à laquelle ils sont confrontés dans leur propre secteur. Ils s’en sont emparés en nouant des partenariats variés. Les retombées effectives pour les TPE/PME restent néanmoins plus ou moins satisfaisantes. Pour certains partenariats, en effet, la proportion des dossiers remontés vers les PF reste très faible au regard de l’étendue que peuvent offrir les deux structures partenaires. C’est particulièrement le cas du partenariat BGE-Ulule. En région Centre-Val de Loire, notamment depuis 2016, date à laquelle bgeparticipatif.com a été lancée, seule une douzaine de projets ont été comptabilisés dans la rubrique région. Ces projets sont par ailleurs issus des quatre BGE de la région Centre-Val-de-Loire. Toute proportion gardée la plateforme Bulbinget associant Tudigo (ex BulbinTown) et la communauté de communes du Grand Est Touraine qui réunit des projets sur un territoire plus restreint, a déjà comptabilisé sept projets sur les quatre premiers mois de son existence. D’autres expériences menées notamment entre Lendopolis, Prêtgo, Lesentrepreteurs.com et des partenaires proches des TPE/PME tels que les experts-comptables (via le CSOEC) ont conduit à des résultats encore plus mitigés (voire décevants). Le partenariat noué entre le CSOEC et ces trois plateformes a même enregistré une nette diminution des projets au cours du temps. Pour Lendopolis, en particulier, entrée très tôt (en 2014) dans le partenariat, ce taux est passé de 10 % à 0 %. On constate donc des partenariats plus ou moins dynamiques qui ne semblent pas profiter au TPE/PME.

3.3. Des partenariats qui ne créent pas les externalités escomptées pour les TPE/PME

Interrogés sur ces faibles retombées, les acteurs évoquent un certain nombre d’insuffisances dans les moyens et les actions mobilisées au sein de ces partenariats. Plusieurs facteurs explicatifs ressortent de notre étude.

3.3.1. Le manque de motivation ou d’appétence des personnes responsables de proposer des solutions de financement participatif aux porteurs de projet

Cet élément a été relevé en particulier par les PF de prêt participatif en partenariat avec les experts comptables (via le CSOEC) pour expliquer le faible nombre de dossiers remontés aux PF par les cabinets d’expertise. Selon Prêtgo, « c’est avant tout une affaire de personne. Le fait d’avoir déjà eu une expérience personnelle ou professionnelle sur une opération de CF, incite biensouvent les experts-comptables à orienter leurs clients vers ce type de projets ». Ce manque d’appétence ou de motivation représente en général une cause d’inertie importante pour les PF comme le souligne Tudigo, « […] il faut que, nous PF, y mettions vraiment de l’énergie. Il faut aller les voir, les revoir. Il faut se creuser la tête pour trouver des leviers pour les motiver… »

3.3.2. Des difficultés pour les personnes responsables de remonter les dossiers à accorder du temps aux opérations de CF ou à s’éloigner de leur coeur de métier

Cette faible réactivité peut s’expliquer par le fait qu’une opération de suivi dans une campagne de financement participatif implique de pouvoir y consacrer du temps. Or, les personnes responsables ou désignées dans certains partenariats pour accompagner les porteurs de projet dans leur levée de fonds ne disposent pas toujours de temps pour le faire.

Comme le soulignent les PF de prêt participatif engagées dans le partenariat avec le CSOEC, « pour un expert-comptable l’élaboration du prévisionnel, la production des attestations demandées par CSOEC, etc. sont des tâches qui prennent du temps pour les cabinets ». Cette situation entraîne un certain nombre de blocages dus au retard pris par l’expert-comptable pour la réalisation de ces tâches, voire au refus de les prendre en charge. Ces blocages peuvent être aussi le reflet de la manière dont l’expert-comptable conçoit sa mission et perçoit l’utilité ou le bien-fondé du financement participatif. Un expert-comptable explique ainsi que « l’expert-comptable donne une sorte d’assurance, mais cette assurance reste très relative sur un prévisionnel ». Le niveau des taux d’emprunt proposés par les PF par comparaison avec des taux bancaires met mal à l’aise certains experts-comptables. Ils comprennent les raisons de ce taux élevé (absence de caution, rapidité des fonds) cependant, ils ne se sentent pas à l’aise pour en parler à leur client.

Dans les BGE, le financement participatif a tendance lui aussi à être relégué au second plan. Cette situation s’explique aussi par un manque de temps. Celui-ci est surtout lié à des moyens humains et financiers limités. Les BGE sont financées en grande partie par des fonds publics. Leur activité dépend beaucoup des réponses aux appels d’offres lancés par la région ou les communautés de communes pour la prise en charge de créateurs d’entreprise. Pour être à leur équilibre financier, elles sont souvent contraintes à réponde à plusieurs appels à la fois ce qui les conduit à orienter le travail des collaborateurs vers des activités subventionnées. Structurées bien souvent en mode associatif autour de quatre ou cinq collaborateurs missionnés sur plusieurs activités, les BGE locales se retrouvent à ne pas pouvoir être en capacité de proposer du financement participatif. Cette difficulté est d’autant plus grande que la BGE est de petite taille.

Tableau 2

Partenariat PF-structures d’accompagnement : bilan des retombées

Partenariat PF-structures d’accompagnement : bilan des retombées

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3.3.3. Des difficultés pour les partenaires de terrain à monétiser la prestation de CF auprès de leur cible

Autre point souligné aussi bien du côté du partenariat CSOEC et PF de prêt que du côté du partenariat BGE-Ulule-KissKissBankBank : la question de la monétisation des prestations liées aux activités de financement participatif menées par les acteurs de terrain.

Du côté des experts-comptables, ces derniers ont du mal à facturer cette prestation. La récurrence de leur métier, de leur chiffre d’affaires sur la tenue des comptes, la production d’annexes fiscales ne les incitent guère à le faire, d’autant qu’ils ne voient pas l’intérêt de s’investir dans ces activités nouvelles pour lesquelles les coûts salariaux engendrés ne seront pas couverts par des entrées de dossiers nouveaux. En effet, l’ouverture vers de nouvelles activités impliquerait des investissements en moyen humain nécessitant des volumes d’activités suffisants pour couvrir les coûts engendrés. Ces considérations sont fortement liées à la taille des cabinets.

Du côté des BGE, la question des rétrocessions des commissions revient régulièrement dans le discours des référents : « Financièrement parlant cela ne nous rapporte rien, nous BGE local. Alors je ne sais pas au niveau national il y a certainement quelque chose de prévu, mais ça ne redescend pas ». Contrairement aux CCI qui prévoient une rétrocession des commissions collectées au niveau de la région, répartie ensuite sur chaque CCI au prorata des projets financés, le réseau BGE n’a visiblement pas opté pour ce genre de solution ou tout du moins, cela n’a pas été évoqué au niveau local.

3.3.4. Des projets qui ne sont pas toujours éligibles au type de financement proposé par la PF partenaire

Ce point a été particulièrement souligné par des référents BGE. Au-delà du fait qu’ils ont peu de temps à consacrer aux opérations de financement participatif, peu (ou pas) de projets parmi ceux qu’ils suivent sont en réalité éligibles au prêt ou à l’equity ; beaucoup de projets portés par les BGE restent de petits projets, souvent portés par un public fragile en voie de réinsertion. Ce type de projet relève davantage du microcrédit que du prêt participatif ou de l’equity. Ainsi une certaine résignation semble se dégager du discours de certains référents BGE : « Pour une petite structure comme nous, on va plutôt se concentrer sur le financier malheureusement. Non pas que le crowdfunding, ça ne nous intéresse pas, mais tout le monde n’est pas éligible à ça et puis le temps que cela représente pour les conseillers… au final peu de personnes s’y intéresse. »

Nos résultats montrent que les actions déployées dans certains partenariats ne semblent pas suffisantes pour embarquer les acteurs de terrain du partenariat et générer des externalités attendues. Dans le partenariat associant le CSOEC et les trois PF de prêt (Lendopolis, Prêtgo et lesentrepreteurs.com), les experts-comptables ne semblent pas vraiment attirés par les possibilités offertes par le financement participatif. Ils ne l’envisagent pas comme un nouvel axe de développement pour leur cabinet. Dans le partenariat BGE-Ulule-KissKissBankBank, les BGE locales ne sont pas quant à elles en capacité de le déployer au regard de leurs moyens limités. Il ressort en outre que ni les experts-comptables, ni les BGE locales semblent réellement associés dans la proposition de valeur des PF partenaires. Ces éléments expliquent en grande partie les résultats décevants de ces partenariats. Les actions et les moyens mobilisés au sein de ses partenariats ne permettent pas de créer les externalités escomptées pour les TPE/PME. La mise en place de ces partenariats reste peu profitable pour les TPE/PME en recherche de financement.

Conclusion

L’objet de notre étude est de décrire et comprendre dans quelle mesure les stratégies partenariales mises en place par les PF de financement participatif avec différents acteurs de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale apportent un réel bénéfice aux TPE/PME en recherche de financement. À travers une étude qualitative et longitudinale, nous nous sommes questionnés sur la pertinence et la portée des différents partenariats observés en cherchant à analyser leur impact sur l’offre proposée aux TPE/PME. À l’appui de la théorie de l’agence enrichie des concepts d’écosystème d’affaires et de marchés bifaces ou multifaces, nous avons cherché à comprendre en quoi ces partenariats pouvaient apporter une réelle valeur ajoutée aux TPE/PME dans l’accompagnement et la recherche de financement.

Nos résultats révèlent avant tout une variété de partenariats qui diffèrent au regard des motivations de chaque partenaire, mais aussi de la proposition de valeur cocréée au travers de ces partenariats.

Un premier type de partenariat identifie ceux pour lesquels chaque acteur reste dans son domaine d’expertise. Pour les PF, le partenaire s’assimile à un apporteur d’affaires, grâce auquel elles peuvent augmenter leur volume d’activités sans coûts supplémentaires dès lors que les PF ne s’occupent ni de la sélection ni de l’instruction des dossiers. Le deuxième type de partenariat renvoie à une logique de diversification de la part des acteurs de l’accompagnement qui, en s’appuyant sur les services et compétences techniques des PF existantes, ont souhaité créer puis gérer une PF dédiée à leurs territoires. Les conseillers de la structure d’accompagnement acquièrent ainsi de nouvelles compétences et enrichissent l’offre proposée à leurs clients. Enfin le troisième type de partenariat renvoie à une logique fédérative qui mobilise un ensemble d’acteurs hétérogènes constituant un réseau d’affaires qui s’organise afin de mobiliser la foule au service du financement des TPE/PME.

Ces trois types de partenariat renvoient plus généralement à une quête d’efficience, d’expertise et/ou de tiers de confiance. La portée du partenariat dépend ainsi du caractère plus ou moins inclusif que les partenaires confèreront à la collaboration. Ici, nos résultats ont également souligné que le choix du type de partenariat se justifie au regard des valeurs, des métiers ou missions de chaque acteur.

Ces logiques convergent toutes vers une recherche de légitimité. Les partenariats sont l’expression d’une stratégie de légitimation et de différenciation destinées à protéger et développer le positionnement des PF. Les PF ciblent des acteurs ou des professions reconnus comme rigoureux ou encore jouant un rôle de premier plan dans l’écosystème entrepreneurial et pouvant leur permettre de renforcer leur attractivité. Ici, les PF occupent pleinement leur rôle de firme pivot au sein de l’ESA constitué par les acteurs de l’accompagnement et de la finance entrepreneuriale. Les structures d’accompagnement gagnent en visibilité et en crédibilité en offrant des services supplémentaires à leurs clients. S’engager dans un partenariat avec une ou plusieurs plateformes est un moyen pour elles d’élargir leur prestation et de gagner en visibilité dans un écosystème en tension. Cependant, ces structures ne perçoivent pas encore aujourd’hui le financement participatif comme un levier de création de richesse immédiat et elles n’ont globalement pas défini un modèle de revenu précis.

Les PF voient aussi dans ces partenariats un moyen d’élargir leur communauté de contributeurs, mais aussi d’attirer des TPE/PME ayant des projets à potentiel. Elles espèrent à travers ces partenariats, engendrer des effets de réseaux intragroupes et croisés positifs qui se matérialisent sur chacune de leurs faces par l’accueil de nouveaux projets à fort potentiel, présentant des risques faibles et pouvant attirer plus de contributeurs, car ils auront été apportés par des tiers de confiance. Ceci va contribuer à améliorer l’attractivité de la plateforme et enclencher un effet vertueux en termes de nombre et de type de projets financés. Le recours au concept de marchés bifaces révèle ici tout son intérêt, car il permet de comprendre la dynamique de développement des PF, vis-à-vis de chacune de leurs faces et entre ces dernières.

Nos résultats font écho à la théorie de l’agence mobilisée en amont du fait que les partenariats mis en place offrent aux PF l’opportunité d’envoyer un signal de qualité aux investisseurs et aux TPE/PME, de bénéficier de l’expertise d’un tiers de confiance qui sécurisera les acteurs, et de se doter de compétences. Ainsi, l’adossement à un partenaire doté d’une compétence dans le domaine de la sélection et de l’accompagnement de projets est un gage de sérieux qui permet à la PF de réduire les biais informationnels et d’instaurer un climat de confiance pérenne.

Nos résultats ont montré également que le fort engouement suscité par ces stratégies partenariales commence aujourd’hui à s’essouffler principalement en raison du faible nombre de projets portés par des TPE/PME. De même, la force de prescription attendue aussi bien des acteurs institutionnels que des structures d’accompagnement est demeurée dans le cas de nombreux partenariats bien en deçà des attentes. Les externalités attendues ne sont donc pas toujours au rendez-vous ce qui explique que certains partenariats se concluent par des échecs. Ces échecs soulèvent des questions sur la pertinence du choix du partenaire et leur capacité à permettre à la PF de mobiliser la foule et plus encore les TPE/PME. Nos résultats montrent que certains critères comme la réputation du partenaire, son domaine d’expertise, ou encore la taille de celui-ci mesurée notamment à travers l’étendue géographique de ces activités ne constituent pas des conditions suffisantes pour que le partenariat génère les externalités positives escomptées. D’autres éléments constituent des déterminants de poids comme l’implication sur le terrain des acteurs prescripteurs. Cette implication va aussi fortement dépendre des actions déployées par chaque partenaire dans la mise en place et le développement du partenariat ainsi que du partage de la valeur créée entre les partenaires. Le partenariat BGE-Ulule-KissKissBankBank, mais aussi celui entre le CSOEC et les PF Lendopolis, Prêtgo et Lesentrepreteurs.com illustrent bien le fait qu’au-delà de l’expertise des partenaires, de leur réputation, l’implication des acteurs du terrain dans des opérations de financement participatif constitue un facteur déterminant de la réussite du partenariat. Nos résultats mettent notamment en valeur le rôle des experts-comptables comme de vrais partenaires en finance. Ils montrent que cette capacité à s’impliquer peut se traduire par l’intérêt que les acteurs de terrain peuvent porter au PF. Elle peut dépendre à la fois des moyens alloués par chacun des partenaires (mis à disposition de support d’information, restructuration des activités auprès des chargés de mission ou des conseillers…), mais aussi de ceux mobilisés au niveau du partenariat même (transfert de connaissances, temps de partage des retours d’expérience…). Elle est à mettre en lien aussi avec le partage de la valeur au sein même du partenariat. Ce partage repose sur la manière, dont les rétrocessions sont envisagées entre la PF et le partenaire prescripteur. En l’absence de celles-ci, le succès du partenariat dépend fortement de la manière, dont le partenaire prescripteur parviendra ou non à monétiser l’activité auprès de sa clientèle. Ces différents critères liés au choix du partenaire prescripteur peuvent avoir une incidence forte sur l’efficacité du partenariat. Ils peuvent peser sur la capacité du partenariat à embarquer les acteurs responsables de diffuser le financement participatif auprès de la foule de porteurs de projet et donc nous éclairer quant à la réelle pertinence du partenaire.

Pour une PF thématique, l’arrimage à une communauté peut être plus facilement obtenu si le partenaire choisi est ancré dans le thème de la PF. Les premiers résultats plutôt prometteurs (sept projets, dont cinq surfinancés en quatre mois) observés sur la PF cobrandée par Tudigo de la communauté de commune du Grand Est Touraine témoignent de cette congruence nécessaire entre la PF et le partenaire choisi. Cette congruence soulignée plus haut est source d’émulation et peut permettre de créer un véritable cercle vertueux entre les partenaires autour d’une logique communautaire, d’entraide, etc. Elle repose bien souvent sur des effets de proximité géographique, de proximité affective, etc. Ces effets sont d’autant plus difficiles à obtenir que la PF est généraliste et que le partenariat est mis en place au niveau institutionnel ou structuré à travers un accord national. La congruence fondée sur la proximité, qu’elle soit géographique ou affective, s’avère ici être un substitut au contrôle. La confiance est alors renforcée entre les acteurs, ce qui peut accroître leur implication.

Sur le plan théorique, notre étude permet d’éclairer les concepts aujourd’hui mobilisés dans la littérature en mettant en lumière l’intérêt de mobiliser la théorie de l’agence enrichie des concepts d’écosystème et de marchés bifaces ou multifaces.

Sur le plan managérial, notre étude peut permettre d’orienter, à l’appui des retours d’expérience étudiés, les stratégies partenariales mises en place par les PF de financement participatif. Elle vise ainsi à nourrir la réflexion des PF qui chercheraient à développer des partenariats et à les guider dans le choix de leurs partenaires et dans la mise en place de leur partenariat. Nos résultats invitent ainsi les PF à envisager un type de partenariat plus structuré, dans lequel le partenaire devient une troisième face « embarquée » aux côtés des internautes financeurs et des TPE/PME.

Les résultats de notre étude pourraient être généralisés à d’autres écosystèmes d’affaires dotés de marchés bifaces ou multifaces. Ils pourraient également permettre d’apprécier les stratégies partenariales observées dans différents pays. À titre d’illustration, nos résultats peuvent permettre d’éclairer la structuration de la coopération entre la plateforme québécoise Ecloid et ses différents partenaires pour le conseil et le financement des projets au Québec. Ils peuvent également permettre de comprendre les motivations du partenariat entre les PF et des acteurs institutionnels. Nous pouvons citer le partenariat liant la plateforme Funding Circle et la British Public Bank, l’équivalent anglais de la Banque publique d’investissement (BPI) en France ; ou encore celui établi entre cette PF et la Banque européenne d’investissement pour assurer le financement de TPE/PME, aussi bien en Angleterre, en Allemagne ou aux Pays-Bas. De tels partenariats mériteraient une analyse davantage approfondie depuis l’entrée en bourse de Funding Circle.

Toutefois, malgré la diversité des partenariats étudiés dans notre étude, leur nombre reste néanmoins encore limité. Il serait utile d’étendre notre terrain. De plus, de nombreuses investigations y compris à l’international permettraient de conforter les résultats obtenus et d’affiner les préconisations.