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Dans cet ouvrage inspiré par les théories de Dewey et Schön, des chercheurs de différentes universités québécoises présentent leurs travaux sur la notion d’expérience dans la formation enseignante, à partir des différents points de vue des acteurs, dont l’étudiant et l’enseignant accompagnateur. Suivant une introduction qui nous rappelle l’aspect polysémique de ce concept, le premier chapitre aborde l’importance des interactions sociales dans la construction de l’expérience. Le deuxième et troisième chapitres s’intéressent à la formation des enseignants et aux stages, alors que les trois chapitres suivants concernent l’insertion professionnelle des novices. Le septième chapitre porte sur les enseignants d’expérience accompagnateurs. Le dernier chapitre concerne les enseignants en formation professionnelle qui commencent leur carrière avant la fin de leurs études.

Bien que plutôt court pour un ouvrage traitant d’un sujet aussi complexe que l’expérience, la direction a fait le bon choix de circonscrire celle-ci à la formation enseignante. D’ailleurs, le titre aurait pu mieux le souligner et parler de formation plutôt que de travail enseignant. Sur cette formation, une question fondamentale est d’ailleurs soulevée dès le deuxième chapitre : la très grande importance accordée par les enseignants aux savoirs expérientiels et pratiques n’a-t-elle pas relégué les savoirs disciplinaires et scientifiques au second plan, voire aux oubliettes ? Les différents chapitres, en particulier le premier, soulignent la grande influence que semblent posséder les pairs sur la pratique de leurs collègues novices et sur leur vision de l’enseignement. Le métier d’enseignant serait-il un métier technique qu’on apprend en le pratiquant, en imitant les plus anciens ? À la fin, les lecteurs devraient être convaincus de la grande influence de l’expérience sur la formation des enseignants et sur le fait que ces derniers lui accorderaient plus de valeur qu’à leur formation universitaire.

L’influence de Dewey explique-t-elle que l’ouvrage n’aborde guère les aspects plus problématiques de l’expérience ? Souvent, on semble confondre l’ancienneté et l’expertise, par exemple en utilisant le terme « chevronnés » pour parler d’enseignants ayant plus d’ancienneté, donnant l’impression que l’expérience évoluerait de façon linéaire et positive. Cette généralité est aussi accentuée par le fait que le vécu expérientiel ne semble pas varier selon les domaines enseignés. Que ce soit une enseignante du primaire ou un stagiaire qui évalue la création de pâtisseries, les observations des auteurs semblent généralisables à l’ensemble de la profession. Pourtant, les enseignants vivent des expériences différentes et très variées selon les domaines, et possèdent leurs propres représentations de leur discipline. Par exemple, bon nombre d’études en didactique de l’histoire indiquent que les enseignants du secondaire possèderaient une représentation de l’histoire qui ne concorde pas avec celle de la discipline ou des programmes de formation. Qu’en est-il des pratiques enseignantes inadéquates qui pourraient perdurer, d’une façon de faire déficiente qui survivrait par simple habitude ou par croyance, d’une représentation répandue, mais qui serait erronée ?

Le rôle que jouent l’expérience et l’influence des pairs dans l’enseignement soulève pourtant une question qui aurait mérité un chapitre ou un développement de la part des directeurs : les traditions, les façons de faire et d’enseigner, les habitudes, etc. peuvent-elles avoir une influence néfaste sur la formation des jeunes enseignants ? L’absence de ce questionnement est d’autant plus étonnante que tout au long de l’ouvrage, les étudiants, les enseignants et les stagiaires semblent remettre en question leur formation universitaire.