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Cet ouvrage revêt un intérêt particulier pour articuler une vision de la relation d’aide renouvelée avec les concepts de la pleine conscience. Il s’agit en fait du premier livre francophone à s’intéresser à cette dernière et à son application dans différents contextes thérapeutiques et éducatifs. Il s’intéresse d’abord au développement du savoir-être de l’intervenante ou intervenant soucieuse ou soucieux d’appliquer ses fondements à la pratique, ciblant ainsi un double but : la qualité relationnelle dans l’accompagnement, tout comme le bien-être de l’intervenante ou intervenant dans ce travail exigeant des professions de la relation d’aide.

Empruntée de la philosophie bouddhiste, la pleine conscience s’installe d’abord dans le monde de la croissance personnelle par l’enseignement de maitres penseurs, tel le Dalaï-Lama, enseignement qui se répand en Amérique du Nord dans les années 1990. L’historique des courants de pensée présenté dans ce livre est fort intéressant; nous revisitons l’époque de la médiation, de la gestalt, dans cette quête permettant aux personnes d’être en paix et créatives. Aujourd’hui, l’approche est omniprésente dans le monde de l’intervention puisque des cliniciennes et cliniciens des courants cognitivo-comportemental, humaniste-existentielle et psychanalytique l’ont adaptée en y créant de nouvelles applications. Cette approche appelle à honorer l’expérience comme espace pour s’observer et mieux tolérer ses inconforts; elle adopte ainsi la fonction de régulation émotionnelle. Elle priorise l’être au faire et favorise l’alliance thérapeutique, tout en donnant des outils pour mieux composer avec le phénomène du contre-transfert.

En première partie, nous pouvons apprécier l’apport des assises théoriques présentées pour mieux comprendre les fondements de la pleine conscience et leur valeur pour la qualité d’écoute et d’empathie requises en intervention psychosociale, autrement que par de simples techniques occasionnelles dénudées du contexte. Plusieurs précisions permettent de saisir d’une manière plus implicite le continuum de l’utilisation par l’intervenante ou intervenant de la pleine conscience en thérapie, à une manière explicite qui enseigne à la personne aidée comment utiliser concrètement cette approche. Ainsi, diverses étapes pragmatiques de distanciation et de restructuration cognitive peuvent être utilisées pour contrer les ruminations cycliques propres aux dépressions, aux dépendances et aux dynamiques conjugales. Une typologie d’approches est ainsi présentée (p. 79) pour situer la lectrice ou le lecteur.

Parmi les concepts élaborés dans les premiers chapitres, nous apprenons comment cette utilisation de la pleine conscience appelle à privilégier un état d’accueil chez la personne accompagnante, et comment être en contact avec soi, l’autre et la relation en tenant compte de la résonnance intérieure, sans lui laisser toute la place, tout en demeurant attentif au moment présent. La combinaison de la résonnance et de l’engagement permet d’installer un espace créatif alimenté de la présence attentive à l’autre. Et cette écoute authentique permet ensuite une conscience réflexive, de manière à donner un sens à ce que suscite la rencontre, empreinte d’ouverture et de flexibilité pour aborder les problèmes sans résistance. Cette démarche permet ainsi de dépasser les conditionnements intériorisés, en travaillant à les désactiver intentionnellement.

Cette résonnance affective est décrite comme nécessaire au développement du savoir-être de l’intervenante ou intervenant. Cette manière de prendre soin de soi comme intervenante ou intervenant est finement décrite comme une manière d’être au quotidien, dans un bien-être à privilégier auprès des collègues et personnes en besoin d’aide. Elle peut être utile aux débutantes ou débutants qui s’engagent dans leur profession avec des problématiques complexes, tout comme aux personnes plus expérimentées qui sont conscientes de l’importance de prendre soin de soi afin de perdurer dans les systèmes actuels.

La clef des propos racontés demeure une expérimentation ressentie, dans un esprit d’accueil empreint de curiosité, sans se projeter dans des intentions déconnectées du vécu de l’ici et maintenant. Décrire ce qui émerge plutôt que vouloir le comparer ou le qualifier devient une prémisse, évitant aussi le vagabondage naturel référant au passé ou au futur. Cet état d’ouverture diminue l’impression d’impuissance, de regret ou de déception, dans l’accomplissement de son rôle professionnel à accompagner la personne en besoin d’aide.

Comme résultante, cette approche favorise le développement des compétences réflexives, affectives et interactives pour habiliter l’autre à vivre autrement les expériences internes. Ce processus amène à clarifier les valeurs importantes de la personne pour gérer son quotidien; cela crée un sentiment d’autonomie, de compétence et d’affiliation nécessaire à l’épanouissement de l’être humain.

Pleine conscience et relation d’aide : théories et pratiques veut à la fois mieux nous situer dans ce nouveau courant qui s’implante dans la pratique et nous donner des modèles pour divers champs d’application (pédiatrie, milieu scolaire, trouble anxieux, survivants de traumas, sexualité, personnes âgées ayant un trouble cognitif léger, séances de groupe).

La pleine conscience produit des effets intéressants sur l’apprentissage, la santé physique et psychologique parce qu’elle utilise la reconnaissance des forces et nous détourne ainsi d’un mode automatique de perceptions piégeantes, génératrices de souffrances. Elle reconnait la nature impermanente des phénomènes et l’interdépendance entre les choses qui amènent un besoin de souplesse au quotidien. Ainsi, un chapitre est dédié aux apprenties ou apprentis de la relation d’aide pour mieux gérer l’ambiguïté et leurs craintes en se centrant sur l’observation, tout en acceptant les émotions difficiles.

Les derniers chapitres s’appliquent à décrire des exercices spécifiques utilisés en ateliers. Avec les enfants vulnérables en observation, ces outils favorisent la résilience et le bien-être, par le biais de stratégies formelles et informelles, comme le jeu et la méditation dans des métaphores propres au monde fantastique de l’enfant. Un chapitre suivant s’adresse au spécifique de la santé sexuelle du couple, créant un espace propice à l’attachement amoureux, dans une intimité créée en dehors de la performance, mais en notant toutefois les limites de l’approche concernant les traumas. Un dernier chapitre s’intéresse aux troubles cognitifs par des exercices simples, portant sur le pilote automatique, la gestion des obstacles, la façon de rassembler un esprit dispersé, la reconnaissance du stress et l’acceptation que les pensées ne sont pas des faits.

D’un point de vue critique, bien qu’il soit intéressant de voir la thérapie d’acceptation et d’engagement combinant la pleine conscience à l’intervention sociale, il existe un paradoxe dans cette vision principalement clinique. En effet, l’intervention sociale ne devrait-elle pas aussi résister aux injustices, par une compréhension plus approfondie des défis à relever aujourd’hui et s’ouvrir à une visée de changement impliquant une réorganisation sociétale nécessaire pour pouvoir assurer un développement durable et accessible à toutes et à tous. Comment devenir ainsi vigilante ou vigilant à ne pas accepter l’inacceptable, en gérant uniquement les symptômes d’une société inéquitable qui pèsent davantage aux personnes vulnérables et marginalisées? En s’appliquant à mieux comprendre la voix de l’autre dans un exercice de lâcher prise, il ne vaudrait pas se donner bonne conscience du bénéfice de l’alliance thérapeutique au détriment d’une réflexion critique sur les problématiques sociales rencontrées dans la profession d’aide. Certains chapitres demeurent collés au modèle médical selon lequel il appartient à la personne de prendre les moyens de s’ajuster aux demandes sociales parfois malsaines, sans remettre en question certains facteurs d’oppression et d’injustice qui peuvent prévaloir dans ce qu’elle vit. Ainsi, une sensibilité aux inégalités sociales devrait être préalable à l’écoute bienveillante, sans se centrer uniquement à réduire ou accepter la souffrance, mais plutôt à favoriser l’optimisation du bien-être à plus long terme sur le plan social.

Pleine conscience et relation d’aide : théories et pratiques saura intéresser la lectrice ou le lecteur qui aime en apprendre sur les nouvelles pratiques, tout en demeurant critique, en départageant ce qui lui convient pour nourrir la cohérence essentielle à tout intervenante ou intervenant, dans un espace d’observation pour clarifier les états d’âme suscités par la rencontre de la souffrance, sans s’enfermer dans une culture du soi. Ce travail de clarification dans ses valeurs pourrait ainsi à la fois permettre de vivre autrement les expériences internes et de devenir consciente ou conscient de sa posture comme agente ou agent de changement social. La conclusion de l’ouvrage nous mène à l’allégorie d’une danse en duo où chacune ou chacun ajuste son rythme et ses mouvements en écoute attentive à l’autre, souvent intuitivement, pour une danse intégrant l’esprit, le coeur et le corps.

Bon entraînement à la pleine conscience pour rester centrée ou centré dans la relation à l’autre!