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Nous présentons ici les résultats d’une enquête menée en 2014 auprès de la population atikamekw sur ses compétences et attitudes vis-à-vis de sa langue maternelle. La langue atikamekw a la particularité, devenue rare parmi les langues autochtones, d’être toujours transmise comme langue maternelle. Dans cette étude, nous abordons trois thèmes majeurs, d’intérêt crucial pour les Atikamekw : l’importance de la langue, la préservation et la transmission de la langue, et la langue atikamekw comme élément fondateur de la nation et de l’identité. Nous appuyons notre démonstration sur des statistiques multivariées qui mettent en valeur les différences entre les générations, que ce soit pour l’évaluation des compétences, pour l’utilisation de la langue au quotidien, ou pour le rôle présent et futur accordé à la langue. Il en ressort que, malgré une vitalité indéniable, la langue atikamekw commence à faire face à une érosion de la transmission intergénérationnelle, qui pourrait cependant être endiguée avec un soutien et des ressources adéquates.

Après avoir situé notre étude dans le contexte du multilinguisme, des langues autochtones, langues minoritaires et questions identitaires, nous présentons l’enquête que nous avons conçue, ainsi que la langue et la population atikamekw qui la parle. Nous discutons ensuite des résultats de l’enquête en nous appuyant sur des détails révélés par nos analyses statistiques : âge, sexe, niveau d’éducation, communautés et occupation.

Contexte

Multilinguisme : un modèle glottophage

En tant que pays officiellement bilingue mais plurilingue dans les faits, le Canada a longtemps adopté des politiques linguistiques qui promouvaient officiellement l’idéologie du multiculturalisme (voir Clément, Gauthier et Noels 1993) mais qui ont eu pour effet d’entraîner ce que Batibo (2005) appelle la « suffocation des langues », notamment minoritaires. Comme l’explique Takam (2013), les efforts d’assimilation linguistique et culturelle (Loi sur les Indiens de 1876, pensionnats, politique du bilinguisme et biculturalisme) entrepris depuis des décennies embrassent assez clairement une visée « glottophagique », c’est-à-dire qu’ils tendent à « la domination de la langue et de la culture anglaises, et peut-être françaises » (ibid. : 32) sur les autres langues existantes au Canada. Or, plus un groupe est démographiquement important, plus son statut socio-économique est élevé et plus il est à même de maintenir son identité et sa langue grâce à un soutien institutionnel accru. À l’inverse, plus une minorité est faiblement représentée sur le plan socioculturel et plus ses locuteurs ont de chances d’être attirés par la culture d’un groupe dominant, entraînant ainsi peu à peu leur assimilation linguistique et culturelle (voir Clément et al. 1993 ; Gardner et Clément 1990 ; Mougeon 1984). Or, les langues amérindiennes sont « parlée[s] par un bassin restreint de locuteurs, répartis dans des communautés très petites et souvent éloignées les unes des autres » (Drapeau 2000 : 9) et bénéficient donc d’une très faible représentation socioculturelle.

Les langues autochtones face aux langues dites majoritaires

C’est ainsi qu’au Canada, au contact des deux langues officielles et donc dominantes, les langues autochtones se retrouvent dotées d’un statut ethnolinguistique[1] minoritaire – lequel ne leur laisse, selon Leclerc (1986), que la possibilité de sauvegarder ou bien de rejeter leur identité minoritaire (il parle de résistance ou de soumission). Berry (1984) propose, lui, quatre scénarios possibles : l’assimilation qui implique l’appropriation de la culture dominante à l’encontre de la culture minoritaire ; la séparation qui isole l’identité minoritaire pour la préserver ; l’intégration qui permet à la culture minoritaire de survivre tout en intégrant des éléments de la culture dominante ; et enfin la marginalisation qui isole l’individu à la fois de son identité minoritaire et de la culture dominante. Bien que l’intégration soit généralement le scénario le plus plébiscité par les groupes minoritaires au Canada, c’est en réalité bien souvent la séparation qui correspond le plus au modèle d’acculturation vécu par les populations minoritaires canadiennes (Clément et al. 1993 : 151). Ainsi, il semblerait que, pour garantir la protection de leur langue et de leur culture, le choix le plus efficace pour les groupes minoritaires serait d’opérer en vase clos afin de limiter les contacts avec les langues dominantes que l’on sait très perméables.

Pourtant, l’état très minoritaire de ces groupes oblige leurs locuteurs à devenir bilingues (en français ou en anglais), notamment à cause de la généralisation de la scolarisation et des médias en langue majoritaire, ce qui entraîne une situation inévitable de diglossie dans laquelle la langue autochtone est bien souvent réservée aux communications informelles entre les membres de la communauté ou à la maison alors que la langue majoritaire est privilégiée dès que la situation est plus formelle, et tout particulièrement si l’usage de l’écrit est nécessaire. De fait, cette cohabitation constante entre langue autochtone et langue majoritaire engendre des difficultés, notamment pour maintenir la langue des peuples autochtones car le bilinguisme des locuteurs est bien souvent « instable et transitoire » (Rigsby 1987 : 362). Transitoire en ce sens qu’il sert bien trop souvent de passerelle vers l’abandon de la langue autochtone au profit de la langue majoritaire.

Fishman et al. (1985) expliquent en effet que les interactions entre deux groupes ethnolinguistiques monolingues débouchent généralement sur trois cas de figure :

  1. La langue intrusive B est perdue au profit de la langue autochtone A. Cette option est possible lorsqu’il existe soit un système juridique rendant obligatoire la langue A et interdisant la langue B, soit lorsque le système social est construit autour d’une dépendance de la langue B par rapport à la langue A (reconnaissance sociale, promotions professionnelles…), soit lorsque les locuteurs de langue B sont cooptés pour devenir des promoteurs de la langue A dans une visée modernisatrice.

  2. La langue autochtone est perdue au profit de la langue intrusive. Cette situation se déroule lorsque ce sont les « intrus » qui, grâce à leur supériorité numérique, économique, technologique, culturelle ou éducative, établissent un système légal de sanctions ainsi qu’un système social et économique largement en leur faveur, poussant ainsi les populations autochtones à devenir dépendantes et entraînant d’énormes bouleversements : conquêtes, génocides, déplacements massifs de populations, annihilation des civilisations locales…

  3. Les deux langues parviennent à se maintenir. Cette situation de diglossie n’équivaut cependant pas à une répartition égalitaire car la cohabitation entre les deux langues se résume souvent à un partage entre les fonctions officielles, cérémonielles et hiératiques pour l’une, et le vernaculaire utilisé au quotidien pour l’autre.

Ce dernier cas de figure semble particulièrement résonner dans les communautés autochtones, où les jeunes générations se retrouvent de plus en plus souvent poussées vers la langue majoritaire, pour des raisons économiques et autres, les forçant souvent à devenir de simples « semi-locuteurs » (Dorian 1973) de leur langue maternelle, « dont [les] compétence[s] grammaticale et lexicale [sont] hautement réduite[s] en comparaison aux locuteurs maîtrisant encore pleinement le vernaculaire local » (Papen 2006 : 158), voire, pour les plus jeunes, entièrement monolingues.

Même si la « quasi-totalité » des langues autochtones (Drapeau 2000 : 10) est touchée par ce phénomène de transfert linguistique, elles le sont à des degrés plus ou moins importants. Pour y remédier, l’on distingue deux approches selon la sévérité de la situation :

  • La revitalisation linguistique qui a pour objectif de « réintroduire » (Sarrasin 1998 : 109) la langue pour « développer un bassin de locuteurs de la langue ancestrale comme langue seconde » (Drapeau 2000 : 11). Elle s’adresse aux communautés dans lesquelles la langue autochtone est soit déjà disparue soit en voie de disparition et pour lesquelles il n’existe donc quasiment plus de locuteurs natifs. Il faut cependant noter ici que la revitalisation peut être parfois extrêmement efficace et déboucher sur la création d’une nouvelle génération de locuteurs natifs. Nous pensons ici par exemple au cas des « nids linguistiques » (language nests) développés pour les Maoris ou encore pour les Hawaïens (voir Benton 1989 ; Salaün 2009).

  • La (re)vitalisation (voir Junker et Mollen 2015), aussi appelée « maintien » ou « préservation », qui concerne les communautés dans lesquelles la langue ancestrale est encore parlée de façon courante et toujours transmise aux enfants mais qui doivent pourtant faire face à « la détérioration des compétences linguistiques des plus jeunes locuteurs » (Drapeau 2000 :11).

Cette seconde approche a pour objectif de garantir à la langue ancestrale une pérennité dans la communauté par le biais de la transmission intergénérationnelle, unique solution considérée comme vraiment efficace pour contrer la montée du bilinguisme imposée par une scolarisation obligatoire dans la langue majoritaire (Drapeau 2000 : 12).

C’est en fait « sous l’effet de l’apport scolaire et des contacts langagiers, [que] le parler intrafamilial dévie par rapport à la norme standard », notamment chez les plus jeunes (Billiez 1985 : 99) qui alternent aisément entre langue maternelle et langue majoritaire (on parle alors d’alternance codique), et qu’un très large nombre de langues autochtones ne sont désormais parlées que par les générations les plus âgées (McCarthy et Zepeda 1999 : 207).

Langue d’origine, gardienne idéalisée de l’identité

Cette réalité est encore plus importante si, comme Patrick (2007), on considère « la langue comme un ensemble de ressources linguistiques liées à des configurations politiques, économiques et culturelles, que l’on ne peut donc dissocier des contextes historiques et sociaux dans lesquels vivent les locuteurs » (ibid. : 126). Pour les Premières Nations, la langue est porteuse d’expérience et de connaissance des lieux et des symboles qui forment l’essence de leur identité (« sense of ourselves », McCarthy et Zepeda 1999). Chaque langue véhicule de façon « directe et puissante la compréhension des connaissances ethniques qui ont été laissées en héritage » à ses locuteurs, créant ainsi des liens cognitifs durables entre tous les aspects de la vie autochtone (ibid. : 199). Pour résumer, la langue autochtone est culture avant d’être simple système linguistique ; elle est garante de l’histoire en plus d’être moyen de communication.

Ainsi, en dehors de la perte au niveau linguistique, la transition progressive vers la langue majoritaire entraîne un oubli, voire un abandon des pratiques et connaissances ancestrales qui définissent l’identité même de la communauté autochtone en question. Les jeunes autochtones (comme beaucoup d’autres jeunes bilingues) se retrouvent donc confrontés à une situation dans laquelle leurs connaissances et leur maîtrise de la langue majoritaire leur garantissent une intégration optimale dans la société au sens large tout en participant en même temps à l’érosion de leur héritage et de leur identité propre.

Billiez (1985) s’est attachée à mettre en évidence les liens qui existent entre la représentation de la langue que se font de jeunes bilingues dont la langue maternelle est considérée comme minoritaire[2] et leurs pratiques réelles langagières. Elle découvre que « la langue d’origine semble investie d’une fonction symbolique fondamentale qui se révèle tant au niveau de la conscience linguistique qu’à celui des déclarations d’allégeance » (ibid. : 99). Là où ils dévalorisent aisément leur langue vernaculaire, et donc majoritaire et généralement utilisée, cette « vraie langue », qu’ils se déclarent capables de comprendre et de parler tout en se reconnaissant des « connaissances incomplètes », devient un objet mythifié symbolisant leur appartenance à cette communauté d’origine (ibid. : 100). Cette opposition entre « vraie langue » et langue vernaculaire (celle qu’ils utilisent au quotidien avec la famille ou leurs amis) est source d’une « attitude de culpabilisation linguistique » assez marquée car ils ont l’impression de dénaturer chacune des deux cultures auxquelles ils appartiennent, mais tout particulièrement leur langue d’origine dans laquelle bien souvent, les mots « leur manquent » (ibid. : 100). C’est alors que cette langue d’origine revêt « une valeur symbolique » réelle. Même si on ne la maîtrise pas aussi bien que l’autre, elle a cet immense avantage d’être « la trace des racines », celle que l’on « conserve en soi comme le sang et [que l’]on souhaite transmettre aux générations suivantes » (ibid. : 100). La langue d’origine est donc utilisée de plus en plus « sous des formes ritualisées fortement emblématiques » (ibid. : 102), et ce, afin d’accentuer sa portée symbolique et son rôle identitaire sur les locuteurs eux-mêmes.

Reste cependant que ces communautés vivent dans une réalité où la langue seconde de grande diffusion et de grand prestige se superpose à leur langue maternelle de faible diffusion et que, malgré le fait que « les membres des communautés [aient] une conscience aiguë de la menace qui pèse sur leur langue » (Drapeau 2000 : 11), plus les jeunes poursuivent leur scolarisation, plus leurs compétences orales et écrites en langue autochtone sont mises à l’épreuve (Hot et Terraza 2000 : 32). Pour contrer cette lente mais sûre érosion des connaissances des jeunes générations, l’une des solutions est d’assurer une place aux langues autochtones dans le monde de la diffusion de l’information, par le biais de « la presse, la radio, la télévision ou l’Internet » (ibid. : 36). C’est en faisant leur un univers qui est en général réservé aux langues dominantes comme celui des médias, que les langues autochtones disposeront d’un outil de promotion d’envergure.

L’autre solution passe par la mise en place d’un système scolaire en langue autochtone qui garantirait une éducation complète dans la langue maternelle des élèves – ce qui s’est jusqu’à maintenant révélé une regrettable chimère car les ressources existantes ne couvrent au mieux que le primaire (Hot et Terraza 2000).

L’enquête

Les Atikamekw et leur langue

L’atikamekw est une langue de la famille algonquienne parlée au Québec par plus de 8000 personnes dans la région de la Haute-Mauricie et au sud du lac Saint-Jean. Elle fait partie du continuum cri-innu qui s’étend de l’océan Atlantique aux montagnes Rocheuses. L’atikamekw est parlé dans presque exclusivement trois communautés (Manawan, Wemotaci et Opitciwon) et hors réserve dans quelques villes avoisinantes, dont La Tuque où est situé le Conseil de la Nation Atikamekw (CNA). La population atikamekw est une population très jeune avec un âge moyen de 27 ans (Statistiques Canada, recensement de 2016).

La langue atikamekw est l’une des rares langues autochtones encore transmises comme langue maternelle. Elle est couramment parlée dans la plupart des contextes, mais l’on observe un bilinguisme atikamekw-français qui se généralise, surtout chez les plus jeunes. Une tradition d’enseignement existe depuis le milieu des années 1970 sous des formes diverses dans les écoles primaires des trois communautés[3]. L’atikamekw fait partie de ces langues qui ont besoin de soutien, de ressources et non, comme beaucoup d’autres langues autochtones en voie de disparition ou disparues, de revitalisation.

Tableau 1

Données démographiques des répondants

Données démographiques des répondants

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Présentation de l’enquête

L’enquête discutée ici a été mandatée par le Conseil de la Nation Atikamekw afin de mesurer les besoins et attentes de la population en matière de préservation et de promotion de la langue atikamekw. Elle s’inscrit dans une tradition d’enquêtes sur les langues algonquiennes parlées au Québec qui met l’accent sur l’auto-évaluation et sur l’évaluation des pairs concernant la compétence et l’attitude vis-à-vis de la langue. La première enquête réalisée a pris la forme d’un questionnaire distribué aux élèves des classes du primaire en 1984. Puis, en 2001, dans le cadre d’un cours de sociolinguistique et de langues amérindiennes, enseigné par Robert Papen, le questionnaire de Oudin et Drapeau (1993), élaboré pour l’innu de Pessamit, a été adapté à l’atikamekw. Administré par les étudiantes atikamekw du cours, 261 sujets avaient été interrogés dans les trois communautés (Papen et Reinwein 2002). Fortes de cette expérience, les étudiantes, devenues alors technolinguistes (Chachai et Petiquay), ont adapté, en 2014, le questionnaire de 2001, en mettant l’accent sur la langue atikamekw. Ce questionnaire, plus court que celui de 2001 et disponible en atikamekw et en français, s’est avéré plus facile à administrer. Cette fois, 437 sujets ont été interrogés, non seulement dans les trois communautés atikamekw, mais aussi à La Tuque. De plus, le questionnaire[4] a été majoritairement distribué en atikamekw (voir tab. 1).

Les résultats de l’enquête ont été présentés entre septembre 2016 et mars 2017 dans toutes les communautés. Ils ont eu un effet unificateur, entraînant une mobilisation au niveau de la nation et une augmentation de la demande de formation en langue.

Résultats et discussion

L’enquête menée dans les communautés atikamekw en 2014 met assez clairement en avant les premières phases d’un transfert linguistique, notamment chez les jeunes générations, ainsi que ce désir de l’endiguer par le biais de l’éducation.

Nous allons aborder ici les trois thèmes majeurs qui ont émergé de ce sondage. Le premier porte sur l’importance et la priorité de l’atikamekw au quotidien pour les habitants des trois communautés et de La Tuque. Le deuxième s’intéresse à la transmission et à la préservation de la langue atikamekw, et le dernier se concentre sur la langue en tant que garante de l’identité atikamekw.

Les résultats que nous présentons ci-après font appel à des calculs statistiques multivariés ayant pour objectif de mettre en avant les variables indépendantes du sondage[5] qui ont eu le plus d’influence sur les données obtenues.

Importance et priorité de l’atikamekw au quotidien

Importance de l’atikamekw

Cette première section s’intéresse tout d’abord aux questions qui portent sur l’utilisation de la langue atikamekw au quotidien :

  • Q10 – Dans la vie de tous les jours, quelle langue utilises-tu pour parler aux petits enfants ?

  • Q11 – Dans la vie de tous les jours, quelle langue utilises-tu pour parler avec les gens de ton âge ?

  • Q12 – Dans la vie de tous les jours, quelle langue utilises-tu pour parler avec les aînés ?

  • Q13 – Quand tu es dans le bois, quelle langue utilises-tu lorsque tu parles à d’autres Atikamekw ?

Les répondants avaient le choix entre trois réponses possibles : seulement atikamekw, surtout atikamekw (quelques mots de français) ou atikamekw et français (à part égale)[6].

Le tableau 2 récapitule les résultats obtenus en fréquence absolue et en pourcentage, toutes communautés confondues.

Les résultats montrent que, lorsqu’ils s’adressent aux aînés, 62,4 % des répondants déclarent n’utiliser que l’atikamekw, et 91,5 % le privilégient (voir tab. 2, encadré de droite : 62,4 + 29,1 = 91,5 %). Même cas de figure lorsqu’ils se trouvent dans le bois, étant donné que l’atikamekw y est la langue utilisée à 82 % (37,8 + 44,3 = 82,1 %). Lorsqu’ils communiquent avec des enfants ou des personnes de leur âge, la moitié d’entre eux privilégient l’atikamekw (49,7 % et 50 % respectivement), mais environ 30 % déclarent utiliser le français à part égale (voir tab. 2, encadré du bas).

Tableau 2

Utilisation de l’atikamekw au quotidien

Utilisation de l’atikamekw au quotidien

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Ces résultats ne présentant cependant qu’une répartition globale, c’est-à-dire tous répondants et tous scénarios confondus, nous avons cherché à savoir quel était le pourcentage de locuteurs à avoir, par exemple, répondu « atikamekw uniquement » ou bien « atikamekw et français » dans les quatre cas et s’il existait des différences liées à l’âge, au sexe ou encore au niveau d’éducation.

Nous avons pour cela créé un index (« Quotidien ») à partir de toutes les réponses dont nous présentons les différentes moyennes dans le tableau 3, en fonction de leur répartition par fréquence et en pourcentage. Ces moyennes ont été calculées à partir des trois réponses proposées dans le sondage et codées selon le modèle suivant : 0 = atikamekw uniquement ; 1 = surtout atikamekw ; et 2 = atikamekw et français.

La distribution de cet index montre que seuls 7,75 % des répondants déclarent n’utiliser que l’atikamekw pour s’exprimer, et ce dans n’importe quel cas (conversation avec des enfants, gens de son âge, aînés et dans le bois), alors qu’ils sont 4,69 % à utiliser autant l’atikamekw que le français dans les quatre situations proposées. Cependant, une grande majorité des répondants (65,5 %) ont tendance à privilégier l’atikamekw pour communiquer dans au moins la moitié des cas (voir tab. 3, encadré gras), que l’on suppose être des conversations avec les aînés ou des séjours dans le bois si l’on en croit les résultats du précédent tableau 2.

Tableau 3

Index questions 10 à 13

Index questions 10 à 13

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Nous avons ensuite cherché à savoir s’il existait des différences liées à l’âge, au sexe ou encore au niveau d’éducation. Pour cela, nous avons testé chacune des cinq variables indépendantes du sondage.

Nos résultats montrent ceci :

  • Les hommes utilisent légèrement plus l’atikamekw que les femmes mais cette différence n’est statistiquement pas représentative.

  • Plus le répondant est âgé, plus il a recours à l’atikamekw pour s’exprimer, et ce dans n’importe quelle situation, les plus de 60 ans étant clairement le groupe de répondants qui utilise presque exclusivement l’atikamekw.

  • Il existe une disparité légèrement plus grande entre les femmes jeunes et les femmes plus âgées qu’entre les hommes jeunes et les hommes plus âgés.

  • Les répondants ayant terminé le primaire sont clairement la catégorie qui utilise le plus l’atikamekw, et ce presque exclusivement. Viennent ensuite ceux ayant un diplôme universitaire, puis les répondants ayant terminé le secondaire et enfin le cégep.

  • Les retraités sont la catégorie qui se démarque le plus dans ces résultats. Ils utilisent quasiment exclusivement l’atikamekw pour communiquer, et ce dans n’importe quelle situation. Statistiquement parlant, cette différence n’est cependant pas significative car les répondants sont trop peu nombreux pour révéler des prévisions solides.

  • Les répondants de Manawan déclareront toujours utiliser plus d’atikamekw que ceux de Wemotaci et de La Tuque, et ceux d’Opitciwon indiqueront qu’ils utilisent plus d’atikamekw que ceux de Wemotaci. Les répondants de Wemotaci et de La Tuque déclareront par contre utiliser plus de français que ceux des deux autres communautés. Ces résultats sont statistiquement significatifs.

Tableau 4

Importance de la langue atikamekw

Importance de la langue atikamekw

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La priorité à l’atikamekw

Ce thème regroupe les questions 20 et 25, concernant l’importance que les répondants accordent à la langue atikamekw (Q20) ainsi que la priorité qu’ils donnent à l’atikamekw par rapport au français en général (Q25).

Le tableau 4 présente tout d’abord les résultats de la question 20 qui offre les options « pas importante du tout », « plus ou moins importante » et « très importante ».

On observe que les répondants sont quasiment unanimes quant à l’importance de la langue atikamekw, étant donné qu’ils sont près de 95 % à déclarer que c’est un sujet « très important ».

Cependant, si l’on couple ces résultats à ceux de la question 25, qui s’intéresse à l’importance de la langue atikamekw par rapport au français, on remarque que les répondants donnent toujours majoritairement la priorité à l’atikamekw, mais que cette proportion est moins unanime.

Le tableau 5 montre les réponses obtenues par fréquence et par pourcentage pour chaque option proposée, réponses qui ont été codées comme suit : 0 = atikamekw ; 1 = français ; 2 = autant atikamekw que français.

Tableau 5

Langue la plus importante pour un Atikamekw

Langue la plus importante pour un Atikamekw

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Ainsi, 69 % des répondants estiment que la langue la plus importante pour un Atikamekw est l’atikamekw mais ils sont tout de même plus d’un quart (26,5 %) à juger que le français est tout aussi important que l’atikamekw.

La place du français

Cette ouverture vers le français occupe une place importante dans le sondage et s’articule autour de trois sujets précis : le bilinguisme, l’alternance codique et les emprunts.

a) Le bilinguisme

La question du bilinguisme est abordée de façon un peu détournée dans la question 26 qui s’interroge sur la langue à adopter en priorité lors d’une assemblée atikamekw en présence de non-autochtones.

Le tableau 6 présente les réponses obtenues par fréquence et par pourcentage pour les quatre options proposées dans le sondage qui ont été codées comme suit : 0 = seulement atikamekw ; 1 = atikamekw et français ; 2 = français et atikamekw ; et 3 = seulement français.

Tableau 6

Priorité de la langue de communication en présence de non-autochtones

Priorité de la langue de communication en présence de non-autochtones

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Le consensus est ici en nette majorité (près de 60 %, voir tab. 6, encadré en gras) pour l’option « atikamekw et français » (codée 1 dans le tableau). Si l’on y ajoute les 11,4 % de l’option « français et atikamekw » (codée 2), les répondants sont à plus de 71 % en faveur d’une communication bilingue plus ou moins flexible. Ils sont cependant également près d’un quart (23,7 %) à estimer que seule la langue atikamekw devrait être utilisée dans ce genre de situation.

b) Alternance codique et emprunts

Or, si l’on en croit Poplack et Sankoff (1984), cette existence d’un bilinguisme plus ou moins généralisé entraîne inéluctablement le mélange des deux langues dans le discours des personnes bilingues. Ce mélange débouche alors sur deux phénomènes assez difficiles à distinguer : le premier relève du domaine de l’individu et de l’instantané, c’est celui de l’alternance codique qui se produit lorsqu’une structure syntaxique de la langue A est intégrée à la structure syntaxique de la langue B au sein d’une même phrase. Le second phénomène concerne l’intégration de mots de la langue A dans la langue B dont la survie dans la langue d’adoption dépend quasi entièrement de la volonté de la communauté à reconnaître ce mot comme faisant partie de son lexique : on parle alors d’emprunts.

Ce sont les questions Q15, Q27 et Q28 qui abordent ces thèmes mais elles ne peuvent pas être traitées ensemble car les options de réponses ne coïncident pas. Ainsi, le tableau 7 présente tout d’abord l’opinion des répondants quant à l’acceptabilité de la pratique de l’alternance codique entre atikamekw et français. Le sondage propose quatre options différentes qui ont été codées comme suit : 0 = plutôt inacceptable ; 1 = neutre ; 2 = plutôt acceptable ; et 3 = tout à fait acceptable.

Les résultats observés sont plus hétérogènes que pour les questions précédentes. Ainsi, les répondants estiment à 40 % que l’alternance codique est un phénomène plutôt acceptable (codé 2, voir tab.7, petit encadré en gras) ou tout à fait acceptable (8 %, codé 3), alors qu’ils sont près d’un quart (24,9 %) à juger qu’elle est plutôt inacceptable (codé 0) et que près de 27 % se déclarent indifférents sur le sujet.

Tableau 7

Acceptabilité de l’alternance codique entre atikamekw et français

Acceptabilité de l’alternance codique entre atikamekw et français

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Ces résultats font écho à ceux de la question 26 et du tableau 6 et montrent que 71 % des répondants sont ouverts au bilinguisme, ce qui est très similaire au 75 % des réponses neutres ou favorables que l’on obtient pour cette question-ci (voir tab. 7, grand encadré en gras).

Quant aux groupes d’âge les plus concernés par la pratique de l’alternance codique, la question 28 propose les cinq catégories suivantes : les aînés (61 ans et plus), les adultes (40-60 ans), les jeunes adultes (18-39 ans), les adolescents (12-17 ans) et les enfants de moins de 12 ans. Chaque marque (X ou ✓) a été comptée comme un oui et chaque non-réponse a été comptée comme un non.

Le tableau 8 présente les résultats pour chacune des cinq catégories proposées dans la question 28.

Tableau 8

Pratique de l’alternance codique par groupe d’âge

Pratique de l’alternance codique par groupe d’âge

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Les résultats montrent ainsi que les jeunes adultes et les adolescents sont les deux catégories considérées comme les plus enclines à faire usage de l’alternance codique, étant donné qu’elles regroupent chacune plus de 65 % des oui (voir tab. 8, encadré en gras), les aînés étant jugés en quasi-totalité (95,2 %) comme étrangers à cette pratique. Ainsi, l’idée que la maîtrise de l’atikamekw par les plus jeunes pourrait être mise à mal par leur connaissance du français semble être assez généralement partagée par les locuteurs de l’atikamekw. Ce jugement relativement négatif sur les compétences linguistiques des jeunes par les générations plus âgées est cependant un préjugé assez largement répandu dans toutes les communautés linguistiques (voir par exemple Normann Jørgensen 2010 ; St-Laurent et al. 2008 ; Bulot 2004 ; Caubet et al. 2004 ; Kieβling et Mous 2004 ; Androutsopoulos et Scholz 1998 ; Corbeil 1997). Ainsi, bien que cela puisse être un élément d’inquiétude pour les locuteurs soucieux de la protection de leur langue, cette réalité semble s’inscrire somme toute assez bien dans les pratiques de transmission « normales » d’une langue et dans sa perception par ses locuteurs.

Les résultats de la question 15 – qui s’intéresse à la fréquence d’utilisation du français par manque de connaissances en atikamekw – sont présentés dans le tableau 9 et regroupent les trois options qui étaient proposées, à savoir : 0 = jamais ; 1 = quelquefois ; et 2 = assez souvent. Ils semblent avaliser l’hypothèse que cette mauvaise évaluation des compétences des jeunes reste avant tout fondée sur des préjugés car ils s’avèrent relativement moins négatifs que prévu.

En effet, près de 78 % des répondants déclarent qu’il leur arrive uniquement « quelquefois » (codé 1 dans le tableau 9, voir l’encadré en gras) d’exprimer quelque chose en français parce qu’ils ne savent pas le dire en atikamekw. Seuls 17,5 % déclarent utiliser assez souvent des emprunts au français par manque de connaissances en atikamekw, ce qui reste relativement faible.

Tableau 9

Emprunt au français par nécessité

Emprunt au français par nécessité

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Transmission et préservation de la langue

Cette présence du français, somme toute plutôt bien contrôlée, semble être directement liée à un désir fort des locuteurs de préserver le plus possible la langue atikamekw afin de pouvoir la transmettre aux générations futures.

Lorsqu’ils sont interrogés sur l’importance de la transmission de la langue aux enfants (Q21), plus de 93 % des répondants déclarent que c’est un sujet « très important » pour eux, soulignant ainsi un assentiment général. Encore plus consensuelle, la question de la sauvegarde de la langue atikamekw (Q29) récolte près de 99 % de réponses positives.

Bien que nous n’abordions pas les premières questions du sondage dans cet article, elles reposent sur les attitudes des locuteurs et notamment sur une autoévaluation de leurs compétences en atikamekw ainsi que sur une évaluation de celles des autres membres des communautés, et même si elles sont entièrement subjectives, elles nous révèlent plusieurs points intéressants.

Ainsi, nous apprenons que :

  • les répondants s’auto-évaluent légèrement moins bien à l’écrit qu’à l’oral mais qu’ils jugent que leur niveau de compétences en atikamekw est en général « plutôt bon » ;

  • le niveau de compétences en atikamekw des moins de 18 ans est jugé « plutôt mauvais » par près des 2/3 des répondants, alors que plus de 80 % jugent celui des aînés comme étant « très bon » ;

  • près des 3/4 des répondants estiment que les compétences en atikamekw des autres membres de leur communauté sont plus qu’« acceptables » ou « plutôt bonnes » ;

  • plus les répondants sont âgés, plus leur évaluation du niveau de compétences de leurs concitoyens en atikamekw est négative ;

  • et que lorsqu’ils s’adressent aux aînés, près des 2/3 des répondants n’utilisent que l’atikamekw et 91,5 % d’entre eux le privilégient.

Il est intéressant de se rendre compte ici que, malgré une fréquence d’utilisation quotidienne déclarée supérieure à 65 % (voir tab. 3), les compétences générales sont auto-évaluées et évaluées comme étant « plutôt bonnes ». Comme nous l’avons expliqué plus tôt, celles des jeunes générations sont jugées « plutôt mauvaises », et plus le répondant est âgé, plus son évaluation est sévère, phénomène que l’on retrouve très souvent et ce, dans n’importe quelle communauté linguistique.

Tableau 10

Enseignement en atikamekw dans les écoles

Enseignement en atikamekw dans les écoles

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La situation qui semblait être relativement sereine révèle ainsi des insécurités quant à la qualité de la transmission intergénérationnelle de la langue atikamekw, alors qu’elle est, rappelons-le, l’une des seules solutions efficaces pour lui garantir une survie et un développement à long terme. Pour autant, que les jeunes parlent « bien » ou « mal » leur langue, il faut tout de même garder à l’esprit que ce genre d’évaluation n’est possible que parce qu’elle se transmet toujours, ce qui est finalement un aspect positif.

L’oral et l’écrit

La présence, dans ce sondage, de questions sur les connaissances à l’oral et à l’écrit semble relativement attendue lors d’une évaluation de compétences linguistiques étant donné que cette dernière se compose toujours des quatre volets suivants : compréhension de l’écrit, compréhension de l’oral, expression écrite et expression orale (voir par exemple https://www.csps-efpc.gc.ca/lt/index-fra.aspx).

Pourtant, pour une langue autochtone comme l’atikamekw, la question de l’oral et de l’écrit prend une tout autre dimension. Intervenant sur une langue à la base souvent orale, le rôle de l’écriture en langue minoritaire tend à rééquilibrer les rapports entre langue dominante et langue autochtone. La recherche montre en effet que la popularisation de l’écriture pourrait permettre d’atténuer l’emprise de la langue majoritaire dans les situations de bilinguisme où la langue dominante s’est approprié les communications formelles, qu’elles soient écrites ou orales (voir Ferguson 1959). Fishman avance que l’écriture devrait être, non pas rendue obligatoire dans un but uniquement scolaire, mais plutôt promue dans une optique de facilitation de la transmission intergénérationnelle entre jeunes et plus âgés (1991 : 395). Cette transmission serait donc avant tout de nature traditionnelle et ne pourrait concerner que des domaines bien précis et entièrement séparés de ceux couverts par la langue dominante pour ne pas risquer d’entrer dans une situation de concurrence qui lui serait inévitablement dommageable. Cependant, comme Hot l’explique, conditionner « l’acceptation de l’écriture à son utilité au sein de la culture et société traditionnelles en langue minoritaire » (2010 : 40) peut s’avérer problématique car l’on ne peut ignorer ici ni le phénomène de glottophagie qui se profile dès qu’une langue minoritaire est en contact direct et répété avec une langue majoritaire, ni le principe du marché linguistique de Bourdieu. Ainsi, en tant que produit du marché linguistique, l’écriture s’inscrit automatiquement dans la « hiérarchie des différences économiques et sociales » (ibid. : 41), et seules les institutions et l’école sont à même de légitimer cette hiérarchie.

La maîtrise de l’écriture est donc perçue, à juste titre, comme un moyen de pérenniser la langue en la faisant exister sur des supports qui l’inscrivent dans une réalité contemporaine.

Le rôle des aînés et de l’école

C’est ici que le rôle des aînés et de l’école prend tout son sens. Considérés par leurs propres concitoyens comme les gardiens de la langue, et donc des pratiques traditionnelles et du patrimoine historique des communautés, les aînés sont un maillon crucial de la transmission intergénérationnelle. Sans leur savoir et leur travail de transmission des connaissances, la langue atikamekw a très peu de chances de survivre à la domination implacable du français et désormais à la montée de l’anglais. Leur aide est donc indispensable à tout travail de documentation de la langue car ce sont eux qui détiennent l’essence même de l’histoire atikamekw.

D’un autre côté, la question 32 (« Est-ce que vous voulez que l’enseignement se fasse en atikamekw dans les écoles ? ») révèle que le rôle de l’école n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de promouvoir la langue atikamekw. Le tableau 10 regroupe les différentes réponses obtenues (0 = oui et 1 = non) en fréquence absolue et en pourcentage.

Les résultats montrent ainsi qu’une immense majorité des répondants (près de 90 %, voir tab. 10, encadré en gras) souhaite que l’enseignement se fasse en atikamekw dans les écoles. Tel que Bourdieu le souligne, la portée symbolique et légitimatrice de l’école est ici indiscutable. En devenant langue d’enseignement, l’atikamekw assoit son statut et sa légitimité tout en garantissant sa transmission aux jeunes générations.

C’est également pourquoi les réponses à la question 30 (qui porte sur le meilleur endroit pour sauvegarder la langue atikamekw) mettent en avant une répartition très homogène entre la maison (61,1 %), l’école (59,3 %) et la communauté dans son ensemble (55,2 %). Pour les locuteurs atikamekw, la survie de leur langue dépend de ces trois piliers qui participent chacun à son renforcement : transmission par la famille, légitimation par l’école et identité par la communauté.

La langue atikamekw, garante de l’identité atikamekw

Lien culturel et historique

Cette notion d’identité par la langue est très prégnante chez les Atikamekw. Comme toute langue autochtone, l’atikamekw est avant tout le véhicule de l’essence même de la nation, le lien qui la rattache à son histoire et à ses traditions.

Interrogés sur les raisons pour lesquelles ils pensent que la langue atikamekw doit être préservée (Q29), les répondants laissent des commentaires assez révélateurs :

  • « Pour pas perdre notre identité et la transmettre aux petits enfants »

  • « Parce que c’est notre identité et ça vient de notre culture »

  • « Parce que c’est notre langue maternelle et c’est notre identité »

  • « Car si on ne la préserve pas, qu’est-ce qu’il va nous rester ? »

  • « Les valeurs sont depuis toujours transmises par l’atikamekw, mode de la vie…culture. Il est donc primordial de la garder »

  • « Parce que c’est une richesse que l’on doit conserver et transmettre aux générations suivantes »

  • « Parce que c’est une langue parlée depuis des millénaires et que c’est une langue que ma grand-mère m’a apprise »

  • « Pour ne pas perdre notre origine »

  • « Pour pas perdre notre culture »

  • « Car la langue explique notre histoire »

  • « Pour la fierté de notre nation, cela serait un exploit de préserver notre langue »

Si l’on se penche sur les propos ci-dessus, il est évident que les locuteurs de l’atikamekw sont parfaitement conscients de la valeur identitaire de leur langue. Elle représente pour eux ce lien avec les ancêtres et les traditions culturelles qu’il leur faut transmettre aux générations futures, mais en même temps, elle agit comme élément rassembleur qui leur donne leur identité et définit l’essence même de la nation atikamekw.

Une langue nation

C’est cette dernière notion de la langue comme marqueur d’identité que nous aborderons ici. Cette sous-section regroupe les questions 23 et 31 qui abordent chacune une facette du problème. La question 23 porte sur le lien entre langue et territoire alors que la question 31 interroge les répondants sur la langue atikamekw en tant « qu’identité même de la nation atikamekw ».

Le tableau 11 présente les résultats des quatre options offertes aux répondants pour la question 23 qui énonce qu’« aussi longtemps que les Atikamekw occuperont leur territoire, ils utiliseront leur langue atikamekw ». Ces quatre options ont été codées comme suit : 0 = je n’y crois pas ; 1 = neutre ; 2 = j’y crois ; et 3 = j’y crois fortement.

Tableau 11

Langue et territoire atikamekw

Langue et territoire atikamekw

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Les résultats indiquent qu’une petite majorité (49,8 %, voir tab. 11, encadré du bas) « croit fortement » (codé 3 dans le tableau 11) à cet énoncé et que 86 % des répondants au moins « y croient ». Cela signifie que les participants de ce sondage associent clairement langue et territoire, et que la langue sert de marqueur territorial, de lien historique. Nous pensons cependant que ces résultats sont en réalité encore plus tranchés en faveur du « y croit fortement » car la question était légèrement ambiguë dans la version française puisqu’elle demandait aux répondants s’ils étaient « d’accord » avec l’énoncé suivant : « Aussi longtemps que les Atikamekw occuperont leur territoire, ils parleront leur langue ». Afin de répondre, ils disposaient des options suivantes : « tout à fait d’accord », « plutôt d’accord », « ni oui ni non », « plutôt en désaccord ». On ne peut donc écarter la possibilité que certains des répondants aient interprété cette question comme la limitation de l’usage de l’atikamekw au seul territoire atikamekw et non comme la préservation de la langue en la rendant indissociable de la culture atikamekw, ce qui pourrait peut-être expliquer pourquoi près de 14 % se déclarent neutres ou en désaccord (voir tab. 11, encadré du haut).

Cette conclusion est renforcée par les résultats de la question 31 qui porte sur le lien entre langue et identité, présentés dans le tableau 12. Tout comme pour le tableau 11, elle regroupe les différentes réponses obtenues (0 = oui et 1 = non) en fréquence absolue et en pourcentage.

Tableau 12

Langue en tant qu’identité de la nation atikamekw

Langue en tant qu’identité de la nation atikamekw

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Les chiffres présentés montrent qu’une immense majorité des répondants (91,1 %, voir tab. 12, encadré en gras) jugent que la nation atikamekw est définie par sa langue et, par extension, par le territoire qu’elle occupe.

Lorsqu’on leur demande d’élaborer sur les raisons qui les poussent à cette affirmation, les répondants s’accordent à dire que les Atikamekw sont définis par leur langue car « ils sont les seuls à la parler », car « elle [les] représente », car la langue « est leur identité », car « cela prouve qu’ils sont des Atikamekw » ou encore parce qu’« elle apporte l’histoire avec elle ». La nation atikamekw existe donc parce que la langue atikamekw vit sur un territoire particulier peuplé par des communautés qui sont les seules au monde à maîtriser cette langue. Tel le paradoxe de l’oeuf et de la poule, cette conception, bien loin d’être circulaire, exprime parfaitement à quel point l’un ne va pas sans l’autre et à quel point la survie de l’un dépend de celle de l’autre.

Conclusion 

Cet article a couvert les trois thèmes majeurs qui ont émergé de l’enquête menée dans les communautés atikamekw en 2014.

Le premier thème, portant sur l’importance et la priorité de l’atikamekw au quotidien, a révélé que les aînés étaient intrinsèquement liés à la pratique (orale et écrite) de la langue atikamekw. Maillon essentiel à la transmission intergénérationnelle de leur langue, ils sont les seuls à l’utiliser de façon quasi exclusive et représentent également le premier public avec lequel l’atikamekw est constamment privilégié lorsque l’on s’adresse à eux. À l’inverse, les générations plus jeunes alternent beaucoup plus souvent entre atikamekw et français et jugent que le bilinguisme est bien souvent une bonne chose, ou tout du moins, un phénomène normal vu l’importance du statut du français dans leur vie scolaire, mais aussi en tant que résidents du Québec.

Le deuxième thème s’intéresse à la transmission et à la préservation de la langue atikamekw en rapport avec la question de l’oral et de l’écrit ainsi que du rôle des aînés. Alors qu’une majorité quasi absolue déclare que la transmission et la préservation de l’atikamekw sont d’extrême importance, l’enquête révèle des insécurités quant à la qualité de la transmission intergénérationnelle de la langue atikamekw, alors qu’elle est, rappelons-le, l’une des seules solutions efficaces pour lui garantir une survie et un développement à long terme. Ainsi, les compétences des aînés sont les seules à être jugées de qualité, celles des jeunes générations étant bien souvent décriées. Les connaissances des aînés sont donc indispensables à tout travail de documentation de la langue car ce sont eux qui détiennent l’essence même de l’histoire atikamekw ainsi que tous les mots pour l’exprimer. Pour les locuteurs atikamekw, la survie de leur langue dépend de trois piliers qui participent chacun à son renforcement : transmission par la famille, légitimation par l’école et identité par la communauté.

C’est cette dernière notion, la langue en tant que garante de l’identité atikamekw, qui forme le dernier thème à l’étude. Comme toute langue autochtone, l’atikamekw est avant tout le véhicule de l’essence même de la nation, le lien qui le rattache à son histoire et à ses traditions. L’atikamekw représente ce lien avec les ancêtres et la culture – qu’il faut transmettre aux générations futures, tout en agissant comme élément rassembleur qui définit l’identité en tant qu’Atikamekw et comme marqueur territorial qui délimite les terres de la nation atikamekw.

Moment critique

Cette enquête met également en avant les premières phases d’un transfert linguistique, notamment chez les jeunes générations. Étant obligés de suivre une scolarisation en français, l’emprise de cette langue sur leur quotidien et sur le développement de leurs connaissances est indéniable et commence à se faire sentir de plus en plus. Que ce soit les critiques des générations plus âgées (sentiment somme toute assez communément partagé par toutes les communautés linguistiques) sur leurs compétences jugées « (plutôt) mauvaises » ou bien sur leur propension à avoir recours à la langue française lorsqu’ils s’adressent à leurs amis ou à des plus jeunes, les jeunes Atikamekw laissent, consciemment ou non, une place grandissante au français.

Le problème pour une langue autochtone telle que l’atikamekw est qu’elle ne survit que grâce à une transmission intergénérationnelle très vigoureuse. Or, si les jeunes générations perdent cette capacité de pouvoir tout (ou presque) exprimer dans leur langue maternelle, la transmission aux générations futures est compromise. Et au regard de l’âge moyen extrêmement bas de ces communautés (27 ans), la transmission pourrait réellement se retrouver en danger car tout peut basculer très vite.

(Re)vitalisation par l’éducation

C’est pour endiguer ce début de glissement linguistique que la nation atikamekw s’attache à documenter sa langue, afin de créer des ressources, essentielles à l’enseignement scolaire, mais également à la préservation de la culture et de l’identité atikamekw. L’on parle ainsi plutôt de vitalisation que de revitalisation car la langue a besoin de soutien, de ressources pour assurer sa transmission. Le passage à l’écrit permet de diffuser les connaissances et d’en universaliser la portée. La langue peut ainsi être transmise par plusieurs intermédiaires et renforcer sa présence sur tout le territoire.

Cette documentation de la langue est un garant essentiel à la survie et à la promotion de l’atikamekw, d’autant qu’une nouvelle menace semble pointer le bout de son nez : l’anglais et son attrait auprès des jeunes générations.