Corps de l’article

Introduction

Plusieurs programmes de formations supérieures professionnalisantes prévoient un ou plusieurs stages afin de soutenir le développement des compétences professionnelles des étudiants. La formation en stage qui se déroule sur le terrain engage des acteurs du milieu de la formation et de la pratique dans l’accompagnement des stagiaires. Dans le cadre d’une session d’études réunissant plusieurs groupes d’acteurs, l’analyse du travail d’accompagnement des formateurs de stagiaires en enseignement supérieur a fait l’objet de présentations de résultats de recherche et d’un travail de co-construction. La richesse et la diversité des travaux présentés et discutés ont mis en exergue la conjugaison entre le travail des chercheurs, des formateurs de l’enseignement supérieur, des professionnels et des formateurs de terrain autour de deux thématiques : l’accompagnement des formateurs de stagiaires et les mesures d’accompagnement et d’accommodement des stagiaires en situation de handicap (SH). Provenant de disciplines diverses (éducation, travail social, sciences infirmières, sages-femmes, ergothérapie), les participants européens et québécois ont croisé leur regard en interpellant des savoirs d’expériences et des données empiriques de la recherche.

Les travaux de plusieurs équipes internationales de recherche (GRAPPE [1]; REÉVES[2], Laboratoire de recherche post-master pour DEEM[3]) ont mis à l’avant-scène la recherche collaborative comme un moyen privilégié afin de réunir la pratique et la recherche et de formuler des problématiques et des questions ancrées dans la réalité du terrain. (Bednarz, 2013 ; Bourassa, Bélair et Chevalier, 2007 ; Desgagné, 2007 ; Lebel et Bélair, 2018 ; Van Nieuwenhoven et Colognosi, 2015) Ces recherches menées dans une visée compréhensive et dans une perspective située (Lave et Wenger, 1991 ; Mottier Lopez, 2008) ont offert la possibilité de comprendre « avec » les acteurs, ce qui supporte leur agir (Van Nieuwenhoven et Colognosi, 2015), en plus de faire émerger une activité de production de connaissances visant le développement professionnel de chaque groupe d’acteurs de l’accompagnement en stage. Dans cet article, il a été choisi de présenter les thématiques de la conférence de clôture qui a porté un regard « englobant » sur les travaux de la session d’études. Les thématiques s’enchaînent de manière à exposer les multiples facettes du travail des formateurs de stagiaires. En nous appuyant sur les travaux de recherche présentés et discutés dans le cadre de la session d’études, les thématiques sont abordées dans l’ordre suivant : 1) le développement professionnel en stage, 2) les postures et des gestes dans l’accompagnement et l’évaluation des stagiaires, 3) les mesures d’accompagnement et d’accommodement des stagiaires en situation de handicap 4) la formation et les ressources à l’accompagnement ancrées sur la recherche et la pratique. Enfin, nous conclurons cet article par l’identification d’enjeux et de défis du travail des formateurs de stagiaire.

Le développement professionnel en stage

Influencés par un courant de professionnalisation qui fait appel au développement de compétences nécessaires à l’exercice de la profession, plusieurs programmes de formations supérieures professionnalisantes, tels que ceux qui ont pour but de former des infirmières, des sages-femmes, des enseignants, des avocats, des ingénieurs, des travailleurs sociaux, mettent au centre de leurs préoccupations le développement professionnel des acteurs. Nous retenons que le développement professionnel est « un processus graduel d’acquisition et de transformation des compétences et des composantes identitaires conduisant progressivement les individus et les collectivités à améliorer, enrichir et actualiser leur pratique, à agir avec efficacité et efficience dans les différents rôles et responsabilité professionnelles qui leur incombent, à atteindre un nouveau degré de compréhension de leur travail et à s’y sentir à l’aise » (Mukamurera, 2014, p. 12). Dans plusieurs de ces programmes, le travail vise le service aux personnes et les occupations dont l’objet est l’humain (Mukamurera, Desbiens et Perez-Roux, 2018). En nous référant à Piot (2009), nous retenons trois catégories de professions de l’humain, c’est-à-dire qui sont adressées à d’autres personnes : La première catégorie concerne les activités de travail qui se déroulent avec autrui. Elles demandent d’être pensées dans un collectif de travail et « d’agir avec », ce qui suppose une activité de coordination importante.

La deuxième catégorie a trait aux situations de travail sur autrui, où l’activité du travailleur concerne un client ou un usager à travers la réalisation d’un service.

La troisième catégorie, concerne les situations de travail adressées à autrui, comme l’enseignement et la formation, le soin, le travail social, l’animation, les services à la personne, etc., et qui ont pour objet explicite de participer à la transformation d’autrui, cet autrui étant à la fois l’objet et le sujet même de l’activité du travailleur (p. 267).

Dans ces professions de l’humain, la formation s’appuie sur un référentiel de métier ou un référentiel de compétences qui constitue « la clé de voute l’organisation de la professionnalisation de l’étudiant » (Tardif, 2017, p. 18). En plus d’assurer une cohérence de la formation, le référentiel composé de compétences professionnelles oriente la construction du programme de formation et la formulation d’un profil de sortie qui sert de fil conducteur pour organiser les activités de formation (Bélisle, 2015 ; Legendre et David, 2012). Au centre du programme de formation, la notion de compétence que nous définissons « comme un savoir-agir complexe » (Tardif, 2006) prendra appui à travers les activités de formation proposées, sur la mobilisation et la combinaison d’un ensemble ressources internes (savoirs, savoir-faire et savoir-être) et externes (milieu professionnel, milieu de stage, etc.) pour poser des actions les plus appropriées, les mieux ciblées et le plus efficaces possible (Leroux, 2010, Tardif, 2017). Également, le développement des compétences professionnelles nécessite la mobilisation et la combinaison des expériences personnelles, des valeurs, des croyances, les postures, les habitus, les attitudes, les schèmes d’action en interaction avec les ressources externes du domaine professionnel (milieu professionnel ou de la pratique professionnelle) (Jonnaert, Furtuna, Ayotte-Beaudet et Sambote, 2015 ; Leroux et Bélair, 2015, Tardif, 2017).

Par son caractère contextuel, la compétence conçue comme un savoir-agir complexe est étroitement liée aux situations dans lesquelles elle s’exerce. Ces situations d’une même famille occupent une place majeure dans le développement de la compétence qui se construit par une intégration progressive des ressources à travers les diverses situations qui font appel à des responsabilités professionnelles (Jonnaert, 2017 ; Leroux, 2010 ; Tardif, 2017).

La formation en milieu pratique : le stage

De manière à soutenir le développement de compétences professionnelles dans des situations de travail adressées à d’autres personnes, le stage est un moment privilégié de formation et une composante de la formation en milieu de pratique qui offre de nombreuses occasions d’apprentissage (Boutet et Pharand, 2008 ; Correa Molina, 2011 ; Correa Molina et Gervais, 2008 ; Desbiens et Spallanzani, 2012 ; Ménard et Gosselin, 2015). Le stage qui se réalise sur le terrain, dans un milieu professionnel, agit comme un catalyseur de la mise en relation des savoirs théoriques et pratiques lors de la réalisation de tâches authentiques qui se rapprochent le plus de l’exercice de la profession. Le stage constitue sans contredit, « un espace de transition, un aller-retour entre le milieu de formation universitaire et le milieu d’exercice » (Correa Molina et Gervais, 2011, p. 232).

En fonction des visées du programme de formation, des compétences à développer, des exigences de la profession et de la disponibilité des ressources du milieu professionnel, différents types de stages peuvent être offerts. Le tableau 1 présente une typologie de stages dans les programmes de formations supérieures professionnalisantes. L’information est présentée en six catégories : la nature de l’activité, les objectifs de formation, les balises, le type de milieu de stage, les moments et les acteurs. Cette typologie regroupe différents types de stages qui ont des buts variables et se distinguent par la nature des activités de formation qui progressent en termes de complexité. Les stages qui s’inscrivent dans un continuum se situent entre deux seuils du programme : un seuil inférieur (stage d’observation) en deçà duquel l’étudiant n’a pas débuté sa période de formation pratique et un seuil supérieur (stage d’intégration), au-delà duquel l’étudiant termine sa formation pratique et peut accéder au milieu professionnel. Pour chacun des stages, des objectifs de formation sont formulés et des compétences du programme de formation y sont associées.

Dans le cadre d’une formation créditée menant à l’obtention d’un diplôme, les activités de formation sont encadrées par des ententes formalisées qui précisent les balises du stage (entente de stage, durée du stage, activités à réaliser durant la période de stage, etc.). Pour chaque programme de formation, le milieu correspond au milieu de la pratique professionnelle ciblé. Afin de soutenir l’atteinte des objectifs de formation selon la nature du stage, des moments d’accompagnement et d’évaluation des compétences professionnelles sont prévus. Le stage sollicite l’intervention d’une diversité d’acteurs du milieu de la formation universitaire et du milieu de la pratique (accompagnateurs) et l’engagement actif de l’étudiant ou des étudiants (accompagnés).

Tableau 1

Typologie des stages dans les programmes de formations supérieures professionnalisantes

Typologie des stages dans les programmes de formations supérieures professionnalisantes

-> Voir la liste des tableaux

Une communauté de pratique composée d’une diversité d’acteurs

Dans les écrits abordant la question des stages une diversité de termes est utilisée pour désigner les acteurs impliqués (Boutet et Pharand, 2008 ; Correa Molina et Gervais, 2008 ; De Ketele, 2018 ; Lessard, 2018 ; Ménard et Gosselin, 2015). Le stage réunit plusieurs groupes d’acteurs qui assurent des responsabilités partagées dans la formation en milieu de la pratique. De manière à situer les acteurs dans le contexte du stage, nous identifions quatre groupes d’acteurs distincts soit le superviseur de stage (ST), le formateur de terrain (FT), le stagiaire (S) et le coordonnateur (C).

Le superviseur de stage (maître de stage, formateur référent de stage, enseignante-clinique, etc.) est un professeur[4] provenant du milieu de formation (universités et cégeps[5]) qui assure la formation. Il assure plusieurs rôles. En tant que représentant du milieu de formation, il agit à titre de médiateur entre les différents groupes d’acteurs impliqués dans le stage (Correa Molina, 2008). Il a en particulier la tâche d’établir des liens avec l’ensemble des groupes d’acteurs qui interviennent dans le stage, de veiller au respect et aux exigences du stage, de planifier et de superviser les suivis (calendrier, activités, visites, observations, etc.), l’évaluation des compétences de l’étudiant et de proposer des pistes d’amélioration au stage (Correa Molina, 2008, Ménard et Gosselin, 2015).

Le formateur de terrain (maître-associé, enseignant associé, tuteur, monitrice clinique, superviseur de terrain, précepteurs, etc.) désigne le praticien du milieu professionnel qui assure la co-formation en collaboration avec le superviseur de stage. Il accompagne l’étudiant durant l’ensemble des activités prévues dans le stage (accueil de l’étudiant, communique les informations au sujet du milieu, attentes ou objectifs de l’étudiant, activités d’apprentissage, observations, évaluation formative et régulations, etc.), participe aux rencontres avec le superviseur de stage (bilan de stage, évaluation certificative). Dans certains milieux de stage, le formateur de stagiaires travaille en étroite collaboration avec d’autres professionnels ou de personnels qui interviennent également auprès de l’étudiant. (Borges et Séguin 2013 ; Lessard, 2018 ; Perrenoud, 2008). Le stagiaire désigne l’étudiant qui est engagé dans une formation pratique dans un établissement d’enseignement ou dans un milieu professionnel. (Ménard et Gosselin, 2015). Le coordonnateur de stage désigne le professeur qui est responsable des stages dans le programme. Il s’assure de la qualité pédagogique des documents de stage pour les différents groupes d’acteurs (objectifs, calendriers, guides, activités, etc.), des outils et des instruments de stage (portfolio, carnet de stage, journal de bord, grilles d’observation et d’évaluation, etc.).

Le coordonnateur de stage oeuvre avec une équipe de professionnels et du personnel non académique. Il planifie et s’assurer de la conception des politiques de stages, les ententes avec le milieu professionnel (contrats, placement des stagiaires, etc.). Il peut être amené à planifier la formation des formateurs stagiaires et les rencontres de préparation aux stages.

Dans le présent texte, les formateurs de stagiaires regroupent les superviseurs de stage et les formateurs de terrain (Lepage et Gervais, 2013 ; Pharand et Boudreault, 2011 ; Portelance, Gervais, Lessard et Beaulieu, 2008). Ces groupes d’acteurs impliqués dans la formation pratique des stagiaires partagent des préoccupations et des ressources communes. Ils sont engagés mutuellement dans des pratiques partagées concernant l’accompagnement de stagiaires. Par les dimensions fondamentales de leur pratique soit l’engagement mutuel, l’entreprise commune et le répertoire partagé concernant la formation pratique, ces groupes d’acteurs constituent une communauté de pratique (CoP) en stage (Wenger, 2005).

La qualité de la préparation à la profession

La préoccupation du développement des compétences professionnelles en formation initiale traduit des questionnements au sujet de la qualité et de la cohérence de la préparation à la profession. Dans plusieurs programmes de formations supérieures professionnalisantes, la formation universitaire prévoit l’organisation de stages aux étudiants afin de développer les compétences professionnelles qui reposent sur une articulation théorie-pratique progressive. « Ces moments d’articulation qui vont bien au-delà d’une simple application de savoirs en contexte réel » (Deprit, März et Van Nieuwenhoven, 2019, p. 222), constituent des espaces d’intégration et de développement des compétences professionnelles qui prennent appui sur la mobilisation et la combinaison de ressources qui se déploient dans l’action, sur le terrain (Correa Molina, Gervais et Rittershaussen, 2008). En plus de contribuer à l’acquisition d’une image forte de la profession et de ses exigences, les stages sont des lieux privilégiés d’expérimentation, de réflexion, d’engagement dans le métier et d’affirmation de soi professionnel (Van Nieuwenhoven, Coupremanne et Dejemeppe, 2012).

Engagés conjointement dans le parcours de développement des compétences professionnelles des étudiants, les programmes de formations supérieures professionnalisantes et les milieux de stage, par leurs apports formatifs, contribuent au développement d’une articulation théorie-pratique. Cette articulation sollicite une conception cohérente, explicite et partagée de la formation par les formateurs de stagiaires et les institutions de formation. Sur le terrain, les formateurs de stagiaires qui accompagnent les stagiaires dans l’analyse du travail à accomplir au travers des situations doivent saisir les enjeux et analyser leur travail de co-formateurs des stagiaires (Zeitler, Guérin, Benghanem et Jacquet, 2017).

De manière à faire émerger des enjeux et des défis pour contribuer à accroitre la reconnaissance du travail des formateurs de stagiaires qui sont engagés dans la qualité de la formation pratique, les pratiques d’accompagnement en stage doivent être éclairées. Les travaux présentés par les équipes de recherche ont permis d’aborder les postures et les gestes professionnels dans l’accompagnement et l’évaluation de stagiaires dans des programmes de formations supérieures professionnalisantes.

Postures et gestes professionnels dans l’accompagnement et l’évaluation des stagiaires

Des pratiques d’accompagnement à révéler et à comprendre

Le développement des compétences professionnelles qui s’actualisent par l’apprentissage sur le terrain a fait naître la préoccupation d’accompagner leur développement au plus près de l’activité de travail (Bourgeois et Durand, 2012). Alors que l’accompagnement d’un étudiant en stage peut être synonyme pour l’accompagnateur de plusieurs actions (accueillir, informer, observer, écouter, partager des savoirs pratiques, superviser, etc.), le simple fait de poser un regard réflexif sur une expérience vécue d’accompagnement en stage et de partager celle-ci peut faire émerger des questionnements. La richesse de ces questionnements ancrés dans les savoirs d’expérience permet de révéler et de comprendre les pratiques d’accompagnement. De manière à situer avec plus de justesse les pratiques d’accompagnement en stage, il nous semble pertinent a priori de définir le concept d’accompagnement et d’identifier ses caractéristiques. Le concept d’accompagnement est particulièrement utilisé dans la formation des futurs enseignants, comme dispositif de développement professionnel ou des autres métiers de l’humain (Boucenna, 2012 ; De Ketele, 2018 ; De Ketele, Raucent, Van Nieuwenhoven et Wouters, 2017). Alors que l’accompagnement peut être défini comme « L’art de trouver là où va celui qu’on accompagne afin d’aller avec lui » (Vial & Caparros-Mecacci, 2007) ou l’action de « se joindre à quelqu’un pour aller où il va, en même temps que lui, à son rythme » (Paul, 2016, p. 7), l’accompagnement désigne « un “englobant” suffisamment large de théories et de pratiques : présent dans toutes les pratiques professionnelles à autrui » (Paul, 2002, p. 52). Lorsqu’il est question des pratiques d’accompagnement, Paul (2004, 2009) n’hésite pas à parler d’une nébuleuse de pratiques, tant que celles-ci peuvent être diversifiées. L’accompagnement peut être défini autour de caractéristiques. Colognesi, Beausaert et Van Nieuwenhoven (2018) retiennent quatre caractéristiques-clés de l’accompagnement :

  • Est soutenu par un réseau professionnel qui prend ancrage dans un environnement qui est déterminant (personnes disponibles, valorisation des connaissances de chacun, création d’un climat de confiance) et qui offre de larges possibilités d’apprentissage et de développement ;

  • S’organise autour de l’apprentissage en situation formelle (cours, séminaire, etc.) et, surtout, informelle (contexte non formalisé, en dehors de la classe ou d’un cours) ;

  • Tiens compte des talents des enseignants (les acquis, les talents tout en mobilisant les ressources disponibles) ;

  • Est personnalisé et l’apprenant est responsable (chacun est différent, partir des besoins des accompagnés.

Visant l’autonomisation de la personne accompagnée, le processus d’accompagnement s’inscrit dans une temporalité limitée (un début et une fin) et suppose une posture aidant l’adoption d’une démarche réflexive (Charlier et Biémar, 2012 ; Jorro, 2012). Charlier et Biémar (2012) utilisent la métaphore du ressort afin de rendre compte de la dynamique de l’adaptation continue qu’exige l’accompagnement. Les compétences spécifiques que doivent développer les accompagnateurs afin de réponde aux besoins qui émergent lors de l’accompagnement sont présentées par un modèle spiralaire traversé par 4 axes (relationnel, négociation, concrétisation et autonomisation) (Charlier et Biémar, 2012). Ce modèle spiralaire de l’accompagnement est un outil de mise en réflexivité des formateurs et des accompagnateurs. La pratique d’accompagnement nécessite le développement de compétences par les formateurs de stagiaires afin de soutenir le développement des compétences professionnelles des stagiaires.

Des postures à privilégier dans l’accompagnement de stagiaires

De manière à situer les postures à privilégier dans l’accompagnement, un nouveau modèle résultant du travail collaboratif d’équipes de recherche[6] de trois pays francophones (La Belgique, le Québec et la Suisse) met en évidence des postures et des gestes professionnels dans l’accompagnement et l’évaluation des stagiaires. (Van Nieuwenhoven, Bélair, Runtz-Christan et Colognesi, 2018). En référence aux travaux de Mieusset (2013) et Vial et Caparros-Mencacci (2007), Colognesi définit la posture « comme étant un mode d’agir temporaire, situé, joué par un individu en fonction d’un projet, d’une tâche » (2017, p. 22). La posture renvoie « à une conception dominante des rôles que l’acteur exerce (consciemment ou non) dans ses pratiques d’accompagnement » (Vivegnis, 2016, p. 94). Selon la variabilité des situations et des ajustements qui sont requis, l’accompagnateur peut changer de posture en cours de réalisation d’une tâche en fonction des buts qu’il attribue à celle-ci (Lebel et Bélair, 2018).

Les recherches menées au cours des dernières décennies, portant sur l’analyse des pratiques et sur la compréhension des gestes d’accompagnement des formateurs, ont permis d’étudier les rôles, les manières de questionner les stagiaires et les postures d’accompagnement des formateurs de stagiaires. Ce travail mené par plusieurs équipes de recherche a permis d’élaborer un modèle de référence (Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2017 ; Deprit et Van Nieuwenhoven, 2017 ; Lebel, Bélair et Ducharme, 2015 ; Lebel, Bélair, Monfette, Hutel, Miron et Blanchette, 2016 ; Van Nieuwenhoven, Colognesi, Parmentier et Maes, 2017). Ce modèle qui comprend des postures et des modalités constitue un ensemble dynamique pour accompagner le stagiaire dans les différents environnements d’apprentissage. Le modèle construit permet aux formateurs de stagiaires d’échanger sur leur travail d’accompagnement en utilisant des repères communs. Également, il permet de porter un regard réflexif sur ses pratiques d’accompagnateur dans le but de faciliter le travail auprès des stagiaires. Ce modèle qui soutient l’identification des postures et des gestes professionnels permet d’interroger les compétences des formateurs de stagiaires dans le but de viser leur professionnalisation et la reconnaissance de leur travail d’accompagnateur, jusqu’à tout récemment laissé dans l’ombre.

Ce modèle de postures et de modalités pour accompagner les stagiaires présente 5 postures distinctes (imposeur, organisateur, co-constructeur, facilitateur et émancipateur). Pour chacune des postures, des modalités sont réparties en trois catégories (direction, relation, réflexion). Pour chacune des catégories, des gestes/actions sont présentés et ils sont accompagnés de courts verbatims qui viennent soutenir la compréhension des modalités retenues dans le modèle. À partir d’extraits de pratique, le modèle permet d’identifier la conception dominante des rôles que le formateur de stagiaire exerce dans ses pratiques d’accompagnement. Ce modèle original permet de combiner de manière dynamique des postures et des actions qui peuvent impliquer conjointement le formateur de stagiaire et le stagiaire dans un accompagnement à la verticalité ou à l’horizontalité. Dans un accompagnement à la verticalité, le formateur de stagiaire est l’expert. Il adopte une posture d’imposeur, d’organisateur ou a contrario il laisse une autonomie maximale au stagiaire en adoptant une posture d’émancipateur.

Par ailleurs, dans un accompagnement qui vise l’horizontalité des relations entre les acteurs, le formateur de stagiaire adopte une posture de co-constructeur et de facilitateur dans lequel il est impliqué conjointement avec le stagiaire ou à la demande du stagiaire. En se référant aux situations vécues en stages, le modèle permet de questionner et de comprendre les postures et les gestes qui relèvent de la pratique d’accompagnement et la complémentarité des rôles des formateurs de stagiaires dans les rencontres en dyade (stagiaire et superviseur de stage ou stagiaire et formateur de terrain) ou en triade (stagiaire, formateur de terrain et superviseur de stage) (Boutet et Pharand, 2008, Correa Molina, 2008, Ménard et Gosselin, 2015).

Une évaluation partagée entre plusieurs groupes d’acteurs 

L’accompagnement et l’évaluation en stage nécessitent des responsabilités partagées entre plusieurs groupes d’acteurs impliqués dans la formation en stage. Alors que Gervais et Desrosiers (2001) évoquent le modèle d’une constellation d’acteurs de Templeton (1994), le stage est un milieu de formation dans lequel le stagiaire développe ses compétences professionnelles en étroite relation avec une diversité d’acteurs du milieu de la pratique.

Le développement des compétences professionnelles en stage fait appel à des moments d’accompagnement et d’évaluation. En se référant aux compétences à développer dans le stage et aux objectifs formulés par le stagiaire, l’accompagnement et l’évaluation des compétences professionnelles du stagiaire s’inscrivent dans une temporalité (début et fin du stage), l’engagement de plusieurs groupes d’acteurs et une diversité d’outils (guide, calendrier, grille d’évaluation, etc.). Le modèle d’accompagnement, du point de vue de la relation entre le formateur de terrain (ou maître de stage) et son stagiaire, prévoit trois moments (contractualisation, co-construction et conclusion-bilan) (Colognesi, Parmentier et Van Nieuwenhoven, 2018). Concomitant au modèle d’accompagnement, le processus d’évaluation comprend des opérations qui s’articulent les unes aux autres en quatre étapes (intention, mesure, jugement et décision) afin de soutenir le jugement évaluatif des formateurs de stagiaires (Lebel, Bélair et Monfette, 2015 ; Leroux, 2016 ; Leroux et Bélair, 2015 ; Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018). Entre les espaces d’accompagnement et ceux de l’évaluation formative ou certificative des compétences professionnelles des stagiaires, des zones poreuses cohabitent dans un territoire commun plus ou moins balisé.

Le stagiaire joue un rôle central dans l’identification de ses objectifs à développer dans le cadre du stage. Selon la nature du stage, le stagiaire est encouragé à passer d’une posture d’observateur à une posture d’acteur prenant des responsabilités accrues. Durant le stage, une place centrale est occupée par l’évaluation formative qui soutient le stagiaire dans l’évaluation de ses apprentissages. En plus de favoriser la régulation des apprentissages, l’évaluation formative peut prendre différentes formes, et peut contribuer à l’autorégulation qui réfère au contrôle actif exercé par le stagiaire sur ses apprentissages (Leroux, 2016 ; Mottier Lopez, 2012, 2015). Alors que l’autoévaluation permet au stagiaire d’adopter une posture réflexive, la co-évaluation implique le stagiaire dans une confrontation de son autoévaluation à l’évaluation réalisée par le formateur de stagiaire en se basant sur un référentiel externe (Allal, 1999).

Ces pratiques engagent le stagiaire à développer la capacité à recueillir des traces afin de porter un jugement sur ses apprentissages en se référant à des outils (référentiel, carnet de stage, grille d’observation et d’évaluation, portfolio numérique, etc.). Étroitement engagés dans la formulation de régulations dans une visée formative (soutenir, réguler, etc.), les formateurs de stagiaires sont également engagés dans une évaluation certificative (bilan, notation, décision, etc.) qui nécessite l’usage d’outils partagés (Bélair, 2015 ; Portelance et Caron, 2017 ; Van Nieuwenhoven et Doidinho-Vicoso, 2015). Dans une intention certificative, le bilan de stage permet de porter un jugement sur le degré de maîtrise des compétences au terme du stage (Leroux, 2016).

Alors que l’accompagnement est composé de nombreux ingrédients nécessaires à une relation constructive entre les formateurs de stagiaires et le stagiaire (Colognesi, Parmentier, et Van Nieuwenhoven, 2018), l’évaluation des compétences professionnelles qui fait appel au jugement évaluatif révèle des tensions qui sont vécues par les formateurs de stagiaire lors du passage d’une posture d’accompagnateur à la posture d’évaluateur. À travers les moments d’accompagnement en stage, des tensions sont révélées lorsque l’enjeu est de s’inscrire dans une logique d’évaluation formative (régulations) ou certificative (bilan de stage) par les formateurs de stagiaires (Lebel, Bélair et Monfette, 2015 ; Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018).

Alors que les superviseurs de stage soulèvent des difficultés liées au passage de la posture d’accompagnateur à celui d’évaluateur, ils soulignent plusieurs difficultés rencontrées qui lèvent le voile sur des dilemmes et des inconforts vécus lors des rencontres de co-évaluation. (Jorro et Van Nieuwenhoven, 2019 ; Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018). Sur le terrain poreux de l’évaluation, les formateurs de terrain quant à eux soulèvent des difficultés liées à l’usage des outils d’évaluation forts diversifié qui engendrent des tensions dans la manière de compléter les grilles d’évaluation afin de porter un jugement et de prendre une décision. (Lebel, Bélair et Monfette, 2015).

Ces tensions vécues lors de l’évaluation formative et certificative des compétences en stage par les formateurs de stagiaires révèlent les besoins de comprendre et d’harmoniser les pratiques de manière à assurer une cohérence et un rapprochement des points de vue subjectifs (Leroux et Bélair, 2015 ; Mottier Lopez, 2015).

Mesures d’accommodements et d’accompagnements pour les stagiaires en situation de handicap

Les établissements d’enseignement universitaires observent un accroissement de la population étudiante en situation de handicap (ÉSH) qui ne semble pas s’essouffler. Dans les programmes de formations supérieures professionnalisantes, les formateurs de stagiaires doivent composer avec des problématiques rencontrées à l’égard des étudiants en situation de handicap (ESH). Bien qu’ils soient plutôt favorables à l’inclusion des ESH, les formateurs de stagiaires sont confrontés à l’absence de balises spécifiques au contexte de stage afin de proposer des mesures d’accompagnement et d’accommodement adaptées (Philion et Lebel, 2018). Dans le cadre de la session d’études, les défis rencontrés par les formateurs de stagiaires à l’égard de l’intégration des étudiants en situation de handicap (ESH) et les mesures d’accompagnement et d’accommodement ont été présentés et ont fait l’objet d’un atelier.

Les problématiques rencontrées par les formateurs à l’égard des étudiants en situation de handicap (ESH)

La formation initiale d’étudiants en situation de handicap (ESH) s’est grandement accrue au cours des dernières années (Lebel, Bélair, Monfette, Hurtel, Miron et Blanchette, 2016 ; Lessard, 2018 ; Philion et Lebel, 2018). Dans les universitaires québécoises francophones, selon l’Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap (AQICESH), le nombre de ESH a doublé passant de 5213 (2013-2014) à 11 435 (2017-2018) (AQICESH, 2017-2018). Dans un portrait des ESH qui regroupe les types de handicaps en deux grandes catégories : émergents (ESHE)[7] et traditionnels (ESHT)[8], il est observé un accroissement des étudiants des clientèles émergentes et traditionnelles (Philion et Lebel, 2018). Les résultats révèlent que la hausse est principalement imputable aux étudiants dits émergents (ESHE) (Philion, Bourassa, Lanaris et Pautel, 2016).

Malgré des lois et des politiques-cadres élaborées par des instances fédérales et provinciales, dont la politique-cadre de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CRÉPUQ) sur l’intégration des personnes handicapées, les mesures d’accommodements et d’accompagnement à mettre en oeuvre en contexte de stage demeurent difficiles. « Par définition, l’accommodement est un moyen différent d’atteindre le but recherché » (Philion et al., 2016, p. 8) sans compromettre l’atteinte des exigences académiques. Nous retiendrons que l’accommodement raisonnable est une obligation qui vise à assurer à l’ÉSH, « la possibilité de démontrer l’atteinte des exigences et objectifs relatifs aux cours ou aux stages sans être désavantagé par sa situation de handicap » (Philion et al., 2016, p. 8). Les ESH ayant une condition dite émergente ont des besoins diversifiés d’accompagnement et d’accommodements qui se distinguent des étudiants ayant un handicap dit traditionnel (Philion, Doucet, Côté & al, 2016). « Par définition, l’accommodement est un moyen différent d’atteindre le but recherché » (Philion et al., 2016, p. 8) sans compromettre l’atteinte des exigences académiques. Nous retiendrons que l’accommodement raisonnable est une obligation qui vise à assurer à l’ÉSH, la possibilité de démontrer l’atteinte des exigences et objectifs relatifs aux cours ou aux stages sans être désavantagé par sa situation de handicap.

Dans les universités, les ESH ont accès à des mesures d’aide afin de surmonter les défis auxquels ils sont confrontés (comportementaux ou relationnels, organisationnels ou structurels, communication et accès à l’information, technologies architecturales ou physiques) (Conseil des Universités de l’Ontario, 2013). En contexte de stage, l’étudiant est accompagné par un superviseur de stage et un formateur de terrain qui le guide lors de la réalisation de tâches du milieu de la pratique. Les défis peuvent être accrus et nécessitent une étroite collaboration entre les différents groupes d’acteurs, dont l’ESH, qui doivent s’engager activement dans son projet de stage.

À ce jour, il existe des balises pour l’administration des évaluations en contexte des cours en salle de classe, mais toujours pas de balises spécifiques au contexte de stage pour les programmes de formations supérieures professionnalisantes (Lessard, 2018 ; Philion et Lebel, 2018). Les résultats d’une recherche-action collaborative (Bourassa, Bélair et Chevalier, 2007 ; Desgagné, 2007) menée dans trois communautés apprenantes (Wenger, 2005) composées de formateurs de stagiaires en Science de l’éducation, le travail social et les Sciences infirmières a permis de dégager des problématiques (enjeux et défis) rencontrées par les formateurs à l’égard des ESH en contexte de stage.

Parmi les résultats, huit catégories d’enjeux ou de défis ont été identifiées : 1) qualité déficiente de la langue française à l’oral et à l’écrit ; 2) besoins particuliers à gérer ; 3) problèmes d’attitude (savoir-être) ; 4) problème d’organisation ; 5) adaptation aux milieux d’accueil ; 6) défis situationnels ; 7) méconnaissance ou non-appropriation, et 8) évaluation. Ces défis font émerger des tensions et des dilemmes aux formateurs de stagiaires qui accompagnent et évaluent les compétences professionnelles en stage. Des mesures d’accompagnement et d’accommodement balisés permettront de surmonter les problématiques vécues par les formateurs de stagiaires qui doivent composer avec des situations qui nécessitent un changement certains diront de paradigme (Lessard, 2018).

Des mesures d’accompagnement et d’accommodement

Enchâssées dans les pratiques des formateurs de stagiaires qui accueillent les stagiaires ESH, les mesures d’accompagnement et d’accommodement des stagiaires émergent de l’expérience de chacun des formateurs de stagiaires. Les résultats de la recherche-action collaborative (Philion et al., 2016) ont permis de répertorier six catégories de mesures d’accompagnement et d’accommodement comprennent : l’approche-programme, le référentiel de compétences et d’évaluation, les modalités d’accompagnement et d’accommodement, les politiques, règles et procédures, l’information et la responsabilité des étudiants et la concertation entre les intervenants. Parmi les catégories de mesures ciblées, les chercheurs soutiennent que plusieurs d’entre elles sont déjà existantes dans les milieux de formation. Ces mesures existantes représentent des leviers qui gagnent à être ciblés afin d’y greffer de nouvelles mesures et des actions en vue de pallier les problématiques préalablement décelées.

Dans ce contexte en changement, les formateurs qui accompagnent les stagiaires ESH sont confrontés à de nouveaux besoins de perfectionnement. Les travaux menés par Lebel et al. (2016) dans le cadre d’une recherche exploratoire ont permis d’identifier des besoins de formateurs de terrain. Nous apprenons que les besoins identifiés par la recherche « sont de deux ordres : les mesures de soutien aux formateurs de terrain et les mesures d’accompagnement pour mieux accompagner le stagiaire » (Lebel et al., 2016, p. 207). Les résultats de la recherche révèlent également que les mesures de soutien et d’accommodement à mettre en place doivent varier t selon les types de handicaps (déficience motrice, trouble d’apprentissage, TDA/H, trouble de santé mentale). Parmi les mesures de soutien aux formateurs de terrain, les résultats soulignent l’augmentation du nombre de supervisions de stage et d’une compensation plus élevée, la formation accrue des formateurs de terrain, l’accès à des ressources en ligne et l’appui d’un collègue qui assurerait le rôle de conformateur de terrain.

En ce qui concerne les mesures d’accommodement à mettre en place afin de proposer un suivi plus serré entre les formateurs de stagiaires (le superviseur de stage et le formateur de terrain), les résultats soulignent l’importance d’accroître le nombre de supervisions de stage, d’augmenter la présence des acteurs de milieu de stage dans l’équipe de formation du stagiaire et d’accorder plus de temps afin de réaliser le stage. Cela dit, malgré la flexibilité démontrée au sujet de l’accompagnement à offrir, les formateurs de terrain se positionnent de manière plus ferme au sujet des standards de réussite du stage en affirmant qu’ils « ne veulent pas modifier les critères d’évaluation ni redéfinir les exigences pour former un stagiaire » (Lebel et al., 2016, p. 210). Par ces propos, les formateurs de terrain expriment clairement qu’ils souhaitent des pratiques évaluatives justes et équitables pour tous les stagiaires. Ils souhaitent se référer aux mêmes critères d’évaluation afin d’évaluer et « faire la preuve de la maîtrise des compétences professionnelles » (Lebel et al., 2016, p. 210) pour chaque stagiaire. En conclusion, les points de vue des formateurs de terrain sont unanimes et soulignent la nécessité de recevoir des formations universitaires afin d’assurer un meilleur suivi en collaboration avec les superviseurs de stage tout en conservant les mêmes exigences de qualification pour tous les stagiaires (Lebel et al., 2016).

Les mesures d’accompagnement et d’accommodement des stagiaires en situation de handicap ne peuvent pas se développer à vide, elles nécessitent des repères et des ressources. Elles interpellent l’adoption d’une posture réflexive afin d’interroger les postures et les actions à mettre en oeuvre. Alors qu’une posture de bienveillance est privilégiée dans l’accompagnement de stagiaires en situation de handicap, celle-ci s’accorde avec une éthique de l’accompagnement qui est à développer et à documenter au regard des dilemmes qui émergent (Philion et Lebel, 2018). Les guides de référence qui s’adressent aux formateurs de stagiaires impliqués dans l’accompagnement de stagiaires en situation de handicap permettent d’aborder les problématiques avec une vision commune, d’établir les rôles et responsabilités de chacun groupes d’acteurs, d’adopter une posture réflexive et un langage commun afin de se préparer en amont à l’accompagnement (Lessard, 2018 ; Philion, 2013 ; Philion et al,. 2016). Cela dit la formation des formateurs de stagiaires ne peut s’improviser.

Elle nécessite les modalités plurielles pour soutenir la formation initiale et continue (formation reconnue, communauté de pratique, etc.) et afin de répondre aux besoins des formateurs de stagiaires qui doivent composer sur le terrain avec cette nouvelle réalité (Lessard et Leroux, 2018 ; Leroux, 2018). En nous inspirant de la construction d’une immense spirale, Treetop[9] installée au coeur d’une forêt Danoise et du le modèle spiralaire de Charlier et Biémar, (2012), nous associons les pratiques d’accompagnement et d’accommodement à une logique spiralaire et qui se distancient d’un processus linéaire.

Les problématiques rencontrées par les formateurs de stagiaires qui accompagnent ÉSH sont plurielles et complexes, elles sont enchâssées dans les pratiques d’accompagnement en stage qui impliquent de nombreuses variables qui entrent en jeu selon le milieu de stage et les besoins d’accommodement de l’étudiant (Philion, Doucet, Côté et al., 2016). Dans ce contexte, le rôle d’accompagnateur est mis sous tension (Lebel, Bélair, Monfette, Hurtel, Miron et Blanchette, 2016). Les postures et les gestes des formateurs de stagiaires exigent de prendre du recul afin de dégager des pistes de réflexion, de cerner des pratiques d’accompagnement et d’évaluation et de proposer des ressources qui contribueront à l’accompagnement des stagiaires en situation de handicap et à l’ensemble des stagiaires (Lebel et al., 2016 ; Lessard, 2018 ; Philion et al., 2016).

Formation et ressources à l’accompagnement ancrées sur la recherche et la pratique

La richesse et la diversité des travaux de recherche présentés et discutés lors de la session d’études ont mis en exergue la conjugaison entre le travail des chercheurs, des formateurs universitaires, des professionnels et des formateurs de terrain autour de l’accompagnement des formateurs de stagiaires et les mesures d’accompagnement et d’accommodement des stagiaires en situation de handicap.

Ces regards pluriels et croisés entre les acteurs de la recherche et de la pratique ont permis de révéler les multiples facettes du travail des formateurs de stagiaires. La figure 1 qui illustre les multiples facettes du travail des formateurs de stagiaires dans les programmes de formations supérieures professionnalisantes qui interpellent des besoins de formation à l’accompagnement. Le travail des formateurs de stagiaires qui comprend des pratiques d’accompagnement, des pratiques d’évaluation et des mesures d’accompagnement et d’accommodement des stagiaires situation de handicap (SH) engagent conjointement les formateurs de stagiaires (accompagnateurs) dans la formation pratique de stagiaires (accompagnés).

Interpellée par les exigences d’accompagnement qui se complexifient par les nombreux défis soulevés, la formation initiale ou continue offerte aux formateurs de stagiaires par les milieux de formation universitaire doit s’appuyer sur un référentiel de compétences qui prend en compte les nouvelles réalités vécues sur le terrain. Cette formation doit privilégier la proposition d’activités qui favorisent la pratique réflexive et le partage des expériences au sein de communautés de pratique (CoP) des formateurs de stagiaires. En plus de permettre l’analyse des expériences vécues, la communauté de pratique est un lieu qui offrirait un espace commun afin d’interroger de manière continue les pratiques d’accompagnement, les pratiques d’évaluation et les mesures d’accompagnement et d’accommodement à privilégier selon les problématiques qui émergent sur le terrain.

Afin de soutenir le développement de compétences professionnelles, les pratiques d’accompagnement ne peuvent se réaliser sans revoir les ressources existantes. L’accompagnement de stagiaires en situation de handicap fait appel à un large répertoire de ressources flexibles, co-construites et validées par les formateurs de stagiaires. Ces ressources qui guident les pratiques d’accompagnement sont constituées des postures, de gestes/actions, de cadres de référence, de modèles, de méthodes, d’outils, d’instruments d’évaluation, de guides, de questions réflexives et de fiches. Ces ressources diversifiées constituent un répertoire partagé dans lequel les formateurs de stagiaires pourront puiser afin de proposer des mesures d’accompagnement et d’accommodement adaptées aux défis de l’intégration des stagiaires en situation de handicap.

Figure 1

Les multiples facettes du travail des formateurs de stagiaire dans les programmes de formations supérieures professionnalisantes

Les multiples facettes du travail des formateurs de stagiaire dans les programmes de formations supérieures professionnalisantes

-> Voir la liste des figures

Des enjeux et de défis du travail des formateurs de stagiaire

Lors de la session d’études, les regards pluriels et croisés entre des chercheurs, des formateurs, des professionnels et des formateurs de stagiaires au sujet de l’accompagnement, de l’évaluation de stagiaires, et des mesures d’accompagnement et d’accommodement des stagiaires en situation de handicap (ESH) ont permis de dégager des enjeux et des défis auxquels sont confrontés les formateurs de stagiaires de programmes de formations supérieures professionnalisantes.

Parmi les principaux enjeux, la nécessité de se reconnaître comme accompagnateur est apparue comme un point de départ incontournable afin d’amorcer le processus de développement professionnel des formateurs de stagiaire. Cette reconnaissance du rôle d’accompagnateur par les formateurs de stagiaires a été évoquée de manière unanime lors de la mise en commun de pratiques existantes. Afin de soutenir les questionnements sur le rôle d’accompagnateur et de clarifier l’identité en construction du formateur de stagiaire, l’appropriation de modèles d’accompagnement qui misent sur la réflexivité et la co-construction comme le « modèle spiralaire » (Charlier et Biémar, 2012) et le modèle des postures et des gestes professionnels dans l’accompagnement et l’évaluation des stagiaires (Van Nieuwenhoven, Bélair, Runtz-Christan et Colognesi, 2018) permettent une démarche d’analyse de la pratique. Les apports des formateurs de stagiaires à ces modèles enrichissent ceux-ci tout en débusquant les tensions spécifiques aux pratiques d’accompagnement et d’évaluation (Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018).

Les travaux menés par des équipes de recherche ont mis à l’avant-scène la problématique de la reconnaissance des formateurs de stagiaires, les besoins de formation et de ressources partagés afin de soutenir le développement professionnel des formateurs de terrain qui doivent également composer avec l’intégration de stagiaires en situation de handicap (Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2017 ; Lebel, Bélair et Monfette, 2015 ; Monfette et Lebel, 2017 ; Maes et Van Nieuwenhoven, 2016 ; Philion et Lebel, 2018 ; Philion et al., 2016). L’enjeu de la formation à l’accompagnement relève de nombreux défis qui nécessitent de réviser les référentiels de compétences des formateurs afin que l’accompagnement puisse y trouver une place en cohérence avec les autres compétences des programmes de formation. Cette révision des référentiels doit prendre en compte la nécessité de former les formateurs de stagiaires aux gestes particuliers propres au processus d’accompagnement en stage (Jorro et Van Nieuwenhoven, 2019 ; Leroux et Bélair, 2015 ; Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018). L’harmonisation des pratiques d’évaluation formative et certificative entre les différents acteurs impliqués dans l’évaluation des stagiaires nécessite un travail de collaboration afin que le jugement évaluatif des superviseurs de stage qui se construit à l’intérieur du dispositif de co-évaluation. De plus, un processus rigoureux et transparent d’évaluation permet de délibérer les dilemmes et les tensions, tout en assurant une cohérence et un rapprochement des points de vue subjectifs entre les formateurs de stagiaires impliqués dans les espaces d’accompagnement et d’évaluation (Leroux et Bélair, 2015 ; Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018 ; Mottier Lopez, 2015).

Nous pouvons conclure que, le métier de formateur de stagiaires qui se transforme et se professionnalise nécessite une connaissance de l’accompagnement comme dispositif de développement professionnel. Les travaux de recherche collaborative menée « avec » les formateurs de terrain offrent un éclairage en profondeur sur les réalités vécues.

L’accompagnement ne s’improvise pas ! La pratique d’accompagnement qui implique un accompagnateur et un accompagné suppose l’adoption de modèles qui proposent des postures et de gestes/actions et sollicitent la mobilisation de nombreuses ressources. Lors de l’accompagnement de stagiaires en situation de handicap, différentes mesures d’accompagnement et d’accommodements qui s’inscrivent dans une visée d’inclusion peuvent être proposées (Lessard, 2018). Face aux tensions et aux dilemmes qui émergent en stage, une posture de bienveillance et une éthique de l’accompagnement seront à privilégier afin de relever le défi de l’accompagnement que pose l’intégration des stagiaires en situation de handicap (Philion et Lebel, 2018).