Corps de l’article

INTRODUCTION

En France, la loi de 1975 et ensuite la loi du 8 juillet 2013 inscrivant le principe de l’inclusion scolaire de tous les enfants sans aucune distinction est noté dans le 1er article du code de l’éducation. Cette évolution conduit de plus en plus de personnes en situation de handicap à accéder au dispositif scolaire et, par la suite, à l’université. Si les travaux sur l’inclusion scolaire pour les enfants de moins de 6 ans sont aujourd’hui assez nombreux, tel n’est pas le cas pour les enfants d’âge primaire (6-11 ans), du collège (11-15 ans), du lycée (15-18 ans) et encore moins à l’université, population qui nous intéresse ici. Cet article est donc original, puisqu’il porte, d’une part, sur une population peu étudiée et, d’autre part, il se centre sur leur bien-être psychique, ce qui le favorise ou l’entrave.

Évoquer la vie des étudiants en situation de handicap à l’université suppose de replacer cette problématique selon trois axes : d’une part l’entrée à l’université, d’autre part il y a bien sûr à tenir compte de la situation de handicap elle-même tout en gardant en tête que pour tout étudiant il s'agit d'une période de transition vers la vie adulte.

Cet article s’appuie sur une revue de la littérature des années 1990 à nos jours concernant l’étudiant en situation de handicap (incluant l’analyse de témoignages d’étudiants) et sur des recherches sur le jeune adulte (Bouvet, Bonnefoy, Vrignaud et Soidet, 2014; Cupa, Riazuelo, Romo, 2014; Morvan, Coulange, Krebs, Boujut et Romo, 2016, 2017; Riazuelo, Chaudoye et Cupa, 2015; Romo, Bioulac, Kern et Michel, 2012; Scelles, 2014).

DÉFINITION DU HANDICAP

Le handicap est un terme couramment utilisé et il est nécessaire de préciser la manière dont les travaux consultés dans la littérature l’utilisent.

D’une conception médicale vers une conception sociale

Des auteurs comme Sticker (1992), Winance (2007) et Gardou (2010, 2011) montrent que le sens donné au handicap a considérablement varié au fil du temps. En Amérique du nord, en particulier, c’est le modèle des Disabilities studies qui est le plus adopté par la communauté scientifique (Janus, 2009; Stiker, 2000). Depuis 1975, la notion de « compensation » du handicap prévaut en France, ce qui a été réaffirmé par la loi de 2005 et celle de 2013 pour ce qui concerne l’éducation.

Le concept de « capabilité » de plus en plus utilisé, en particulier par les philosophes et les sociologues, pointe la nécessité de prendre en compte les souhaits, les désirs du sujet pour mieux penser les aides et les soutiens à apporter aux sujets en situation de handicap (Zaffran, 2015).

Vécu subjectif du handicap

Les cliniciens prennent en considération le sujet, son environnement et son évolution, en s’appuyant principalement sur les modèles suivants : le modèle du traumatisme et de ses effets (Korff-Sausse et Scelles, 2017; Sausse, 1996); le modèle développemental (les difficultés sont considérées comme entravant le développement « ordinaire », Guidetti et Tourette, 2014). Ces modèles ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et certains auteurs les combinent pour élaborer leurs protocoles de recherche et leurs modèles explicatifs.

L’étude du vécu subjectif des étudiants en situation de handicap entrant à l’université demande de prendre aussi en compte les notions de transition et de passage, étant donné l’âge de la population concernée.

PASSAGES ET TRANSITIONS

Dans les 50 dernières années et d’une façon générale, les processus de transition vers l’âge adulte (passage des études au travail, départ du domicile parental, entrée dans la vie de couple, arrivée des enfants) ont changé. Les grands seuils que représentent ces étapes de la vie se franchissent aujourd’hui plus tard et de façon souvent moins tranchée, moins radicale, plus fluide, avec des allers et retours entre les situations, ce qui entraîne depuis une dizaine d’années vers une redéfinition de la jeunesse (Gauchet, 2004). L’allongement de la durée de la vie est l’un des facteurs premiers mis en avant pour expliquer l’étirement de cette période préparatoire à l’âge adulte, placée le plus souvent sous le signe des études. À ceci s’ajoutent des facteurs socio-économiques.

Une nouvelle phase de vie qui relie la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte est alors à considérer en distinguant les jeunes adolescents (de 15 à 17 ans, par exemple), des jeunes adultes de 18-20 ans ou même selon certaines études, de 23-25 ans.

Adolescence et transition vers l’âge adulte

La théorie psychanalytique conçoit l’adolescence comme s’initiant dans la crise pubertaire (Cahn, 1998; Gutton, 1991) avec un changement de régime pulsionnel et sexuel. De nombreux auteurs (Anatrella, 1990; Bournova, 2013; De Geynst et al., 2014; Denis, 2011; Fetjö, 2013; Ladame, 2003; Ruggiero, 2013; Ungar, 2013; Zilkha, 2013) soulignent que le « devenir adulte » et les conflits adolescents peuvent parfois survenir tardivement.

Certains parlent de « post-adolescence », d’autres « d’adulescence », ou encore questionnent cette période en se demandant si l’adolescence se « termine ou non » … Il y aurait donc, selon cette littérature, une dilution des limites entre l’adolescence et l’âge adulte, et la possible persistance de noyaux d’adolescence réactivés à d’autres moments de la vie que le post-pubertaire proprement dit (Bournova, 2013).

Tapia (2001) souligne qu’il convient d’analyser ce processus de passage et de transition d’une manière complexe avec des éléments divers interrogeant, de manière systémique, ce qui favorise ou entrave la résolution des conflits et problèmes générés par les transitions. Il évoque, d’une part, les conditions matérielles et humaines de vie du sujet avant et pendant cette transition et d’autre part, son état psychique, physique et son histoire individuelle et familiale.

Ebersold (2012), sociologue, conceptualise la transition et le cadre conceptuel de la transition adoptée dans le Tableau 1 (destiné au rapport OCDE 2012 « Les transitions vers l’enseignement tertiaire et l’emploi pour les jeunes handicapés »).

La transition : l’entrée à l’université comme un moment potentiel de fragilité

Dans le champ historique et sociologique, Gruel, Galland et Houzel (2009) alertent, à juste titre, sur la nécessité de ne pas réduire l’étudiant à un cliché historiquement daté, tel qu’il a pu l’être, par exemple, dans la génération dite « sacrifiée » (confrontée au Sida, inquiète de ses conditions d’emploi et de retraite) des années 1990 ou encore la « bôf génération » stigmatisée au lendemain des seventies (voire les « héritiers » décrits dans les années 1960).

Tableau 1

Cadre conceptuel de la transition adopté par S. Ebersold, sociologue, pour le rapport OCDE 2012 « Les transitions vers l’enseignement tertiaire et l’emploi pour les jeunes handicapés »

Cadre conceptuel de la transition adopté par S. Ebersold, sociologue, pour le rapport OCDE 2012 « Les transitions vers l’enseignement tertiaire et l’emploi pour les jeunes handicapés »

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Les auteurs soulignent que l’on connaît finalement assez mal ceux qui composent la tranche d’âge des 18-25 ans, génération marquée par des évolutions rapides, notamment celle des nouvelles technologies. Ces jeunes adultes ont été bercés par le web et les outils collaboratifs, les réseaux sociaux, connectés en permanence (à la maison, dans les transports, au travail) à des éléments extrêmement mobiles (Romo, 2012; Riazuelo, Chaudoye et Cupa, 2015). Des noms, des expressions et des concepts viennent en effet désigner les jeunes adultes, comme « génération Y », terme issu du « Y » tracé par le fil des écouteurs (Dagnaud, 2012), ou encore des équivalents tels que « GenY », « Yers », etc. Ces termes nés dans le monde de l’entreprise sont désormais utilisés dans des études essentiellement sociologiques. Nés après 1995, il s’agit maintenant de la « Génération Z », cette génération ultra connectée. Il est aussi question, mais moins couramment, de la « Génération C » pour « Communiquer, Collaborer et Créer », génération silencieuse, le « Y’ », la « AA » ou encore « Emos » (pour « émotionnels »), expressions qui viennent illustrer ce lien unissant jeunes adultes et nouvelles technologies.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux apportent une ouverture vers l’extérieur ou enferment (addictions notamment à Internet).

Ce moment de passage qu’est l’entrée à l’université, entrée potentielle dans la vie adulte, est souligné comme un temps qui sollicite tout particulièrement les jeunes adultes en raison des réaménagements, des adaptations que cela lui demande. Selon Hickman, Bartholomae et McKenry (2000), Compas, Wagner, Slavin et Vannatta (1986), ou encore Stappenbeck, Quinn, Wetherill et Fromme (2010), l’immersion dans un nouvel univers, les modifications des liens familiaux et familiers, peuvent fragiliser les sujets et donc les affecter psychologiquement.

Les dimensions liées à l’anxiété et au stress sont, par exemple, régulièrement citées dans les recherches actuelles et sont des indicateurs pris en compte pour évaluer la santé psychique des étudiants (Bonnaud-Antignac, Tessier, Quere, Guihard, Hardouin, Nazhih-Sanderson et Alliot-Licht, 2015; Dyson et Renk, 2006; Romo, 2012; Saleh, Camart et Romo, 2017; Saleh, Romo, Dentz et Camart, 2015).

MÉTHODOLOGIE DE L’ANALYSE DE LA LITTÉRATURE

Processus d’analyse du corpus. Ce chapitre s’appuie sur une revue de la littérature menée avec des mots clés[2] et les bases de données[3], ce qui a permis de repérer 500 références. Dans un second temps, un tri a été effectué pour ne cibler que les articles traitant des thèmes : Handicap physique, cognitif ou psychique / université / étudiant. 89 références ont été obtenues sur lesquelles l’analyse qui suit porte.

Finalement, nous avons analysé finement 39 articles, car rapidement, nous sommes arrivés à un seuil de saturation, chaque nouvel article lu évoquant des notions déjà rencontrées dans un autre article. Cette saturation a été obtenue après 10 articles en psychologie et 20 articles dans le champ de la sociologie.

Nous avons également analysé 3 récits de vie. Une grande partie de ces écrits concernaient la vie universitaire et l'arrivée à l'université.

Population. Il y a une grande uniformité des résultats des études sur les étudiants en situation de handicap physique ou psychique. En effet, nous sommes rapidement arrivés à une saturation, chacun des écrits analysés rapportant des éléments déjà trouvés. Ainsi, les divergences entre auteurs sont infimes.

Mis à part dans les entretiens, les récits de vie et les témoignages, les auteurs parlent le plus souvent des étudiants en « situation de handicap » sans plus de précisions. Si le terme du « handicap » est utilisé pour qualifier la population, les auteurs sont peu, voire pas du tout précis dans la description des populations, comme si « handicap » était une catégorie d’analyse homogène ne nécessitant pas de précision, ce qui, au regard de sa diversité, pose problème. Ce manque de précisions a rendu le travail de comparaison entre les différentes études complexes, car il n’était pas certain du tout que les auteurs parlaient des « même handicaps ». De fait, les recherches tiennent peu compte des types d’obstacles particuliers rencontrés par les jeunes, selon qu’ils soient paraplégiques ou souffrent d’une maladie chronique, comme le diabète, par exemple.

Pourtant, certains auteurs (Ebersold, 2012; Le Roux et Marcellini, 2011) soulignent la nécessité de prendre en compte la diversité des situations de handicap Plus spécifiquement, ils affirment que les variables suivantes doivent être spécifiées : Fonctions atteintes (motrices, sensorielles, cognitives, psychiques, etc.), Sévérité de l’atteinte, Visibilité/non visibilité de l’atteinte, Évolutivité/non évolutivité de l’atteinte, Péri/anté natal / acquis tardivement. Ce qui est exceptionnellement le cas.

Quand le handicap est spécifié, ce qui est rare, il s’agit, la plupart du temps, de handicap psychique; de maladie chronique; de handicap cognitif; de handicap sensoriel, mais sans précision sur la nature des besoins particuliers de ces étudiants, de leur cursus et encore moins de leurs résultats académiques.

Si la nature et l’importance des déficiences sont peu définies, si le moment où la déficience survient dans la vie des sujets n’est pas spécifié, les autres variables comme le sexe, l’âge et la catégorie socioprofessionnelle ne le sont pas non plus. Or, il s’agit d’une donnée fondamentale. Ainsi, l’étudiant peut avoir été identifié avant son entrée à l’université en tant que personne en situation de handicap ou devenir handicapé durant son parcours universitaire. Si les autres études sur l’étudiant prennent en compte le sexe, tel n’est pas le cas pour celles qui traitent des situations de handicap.

Soulignons enfin que, pour les étudiants ayant continué leurs études après leur entrée à l’université, très peu de travaux font mention du niveau académique de ces derniers, il est davantage question de leur « vie à l’université » en termes d’accessibilité, de qualité de vie et de relations sociales. L’analyse de leur parcours académique et de leur réussite ne fait donc pas l’objet d’études dans les articles consultés.

RÉSULTATS

L’entrée à l’université des jeunes en situation de handicap

Les auteurs soulignent à la fois les facteurs entravant et facilitant la bonne inclusion de l’étudiant. Notons que ces facteurs sont aussi retrouvés dans les travaux sur l’étudiant tout venant, mais l’impact de ces variables est plus important et plus décisif dans les cas de handicap.

Il y a un consensus entre les auteurs sur ce qui favorise le bien-être et la santé psychique des étudiants en situation de handicap (Conseil National Handicap/Grope Mornay, 2011; Denis, 2011; Ebersol, 2012; Fichte, 1988; Gummersbach, Faßbender et Hansen, 2005; Kantanis, 2000; Markoulakis et Kirsh, 2013; McCarthy et Campbell, 1993). Les auteurs pointent l’importance d‘une bonne préparation de la transition lycée/université. Ils listent un ensemble de facteurs, il s’agit :

Des dispositions et ressources personnelles comme la motivation, le courage, de la qualité de l’environnement amical (le réseau social) en tant que soutien moral, matériel et logistique. Tous les auteurs soulignent l’importance de la qualité des relations entre pairs en situation de handicap et entre eux et les autres étudiants. L’existence de groupes de parole est notamment soulignée comme favorisant la qualité de vie des étudiants en situation de handicap.

De la qualité des relations familiales. Des chercheurs comme Oswalt et Silberberg (1995) montrent que cela influence la réussite de l’adaptation de l’étudiant à son environnement universitaire. Il y a également Zaleski, Levey-Thors et Schiaffino (1998) qui constatent aussi que trop de soutien familial peut entraver la construction identitaire de l‘étudiant.

Des facteurs environnementaux à l’université, comme l’attention portée à l’étudiant en tant que sujet, le soutien d’un enseignant convaincu des capacités de l’étudiant, ou encore un personnel administratif qui se montre attentif et facilitant, sont montrés comme essentiels. Yuker (1988) souligne, lui, la nécessité de penser ces liens comme interactifs. En effet, les membres de l’université ont à s’adapter à l’étudiant et l’étudiant doit, de son côté, avoir les moyens, les informations à la fois suffisantes et pertinentes, pour s’adapter aux modalités relationnelles à l’université avec les étudiants, le personnel administratif et les enseignants. D’autres facteurs aident à l’insertion, au bien-être et à la santé psychique de l’étudiant, comme les soutiens et aménagements (tiers temps, Aide à la Vie Scolaire, interprète), les rencontres dans le milieu associatif (connaissance du monde administratif spécifique). À ceci s’ajoute une flexibilité des modes d’organisation pédagogiques et leur adaptabilité.

Enfin, une bonne circulation de l’information, une bonne communication entre étudiants, personnels enseignants et personnels administratif et d’une façon générale l’adaptabilité et l’évolution des aides, est centrale. Soulignons à ce sujet que Denis (2011) pointe que les difficultés touchant à la communication sont tout particulièrement sources de stigmatisations.

Les auteurs relèvent également, au travers de leurs études, ce qui vient entraver l’arrivée à l’université, comme le manque de ressources qui est souvent repris ainsi que la lourdeur et la complexité des démarches administratives, la difficulté pour l’étudiant d’objectiver et d’expliciter ses besoins, sont signifiants quant à leur caractère contraignant, obstruant le bien-être et la santé psychique de l’étudiant. S’y ajoute :

Les représentations négatives associées au handicap sont souvent considérées sous l’angle de l’incapacité plutôt que sous celui de compétences pouvant entrainer démotivation et sentiment d’infériorité.

La crainte de la stigmatisation peut conduire l'étudiant à masquer les difficultés, et parfois à les nier. Parmi ces facteurs, la question de l’accessibilité est centrale.

Les récits de vie permettent d’identifier la manière dont ces différentes variables peuvent s’intriquer au sein d’un même parcours. Il y a ainsi des extraits parlants, comme celui de Maillet-Contoz (2010), étudiant en situation de handicap qui raconte qu’il a eu une expérience universitaire très brève en raison du manque d’accessibilité et de ses difficultés d’autonomie. Il énumère les nombreux obstacles rencontrés conduisant à une exclusion de l’université : « …dans les locaux de l’université, tout s’est gâté : partout des escaliers infranchissables, des toilettes inaccessibles et des responsables refusant tout aménagement. Dans un tel contexte, les déconvenues et les désagréments l’emportaient sur la motivation et le plaisir d’apprendre. Après mon DEUG, le passage en licence annonçait de nouveaux obstacles car les bâtiments, sur plusieurs étages, étaient encore plus inadaptés à mes besoins. Trop d’écueils : j’ai dû renoncer » (2010, p. 92-93). Harvey (2011), autre étudiant, a commencé, quant à lui, ses études en tant qu’étudiant non handicapé et les a terminées en tant qu’individu handicapé après un grave accident. Il fait une analyse de ces deux situations et met l’accent sur le besoin qu’il a ressenti, d’être reconnu en tant qu’individu. Il souligne l’importance d’un accompagnement individuel des étudiants en situation de neuro-diversité.

Il y a encore Assante (2007) qui explique que la manière dont le handicap, considéré par son père comme une menace permanente de catastrophe imminente, aurait inhibé ses possibilités de se projeter dans l’avenir. L’intériorisation de telles représentations peut alors conditionner le rapport propre de l’enfant à son avenir, à ses projets venant auto-alimenter, en quelque sorte, un sentiment d’insécurité et malmener les possibilités de changements.

Ces témoignages montrent que la manière dont les difficultés ont été pensées, vécues par les proches, en particulier par les parents, impactent la manière dont l’entrée à l’université se déroule.

Travaux plus ciblés sur certains handicaps

Si comme nous l’avons dit, le plus souvent, l’importance du déficit n’est pas spécifiée, certains travaux toutefois portent spécifiquement sur un déficit précis ou sur une variable précise :

Âge de survenue du handicap

En suivant le parcours universitaire d’anciens étudiants, Segon et Le Roux (2013) met en évidence que la période de la survenue du handicap physique influence la capacité à solliciter les dispositifs d’aide dans l’université. Il définit alors des types de parcours différents : pour les étudiants en situation de handicap depuis leur naissance ou avec un diagnostic énoncé tôt dans l’enfance, les outils de compensation font le plus souvent partie de la vie familiale depuis l’enfance et les étudiants et leur famille continuent à y avoir recours à l’université. Ils ont souvent déjà bénéficié de ces aides et leur entrée à l’université a été préparée. Les liens entre le secteur médico-social, avec la famille et l’université se font plus facilement.

Quand le handicap survient au cours du parcours universitaire, ou que l’étudiant a le souhait de ne pas faire état de ses difficultés pour être traité comme « tout » le monde, l’université peut ne pas repérer les aides à proposer ou l’étudiant peut refuser de bénéficier de ces aides.

Handicaps invisibles

Dans le champ de la psychanalyse, on repère que si « l’invisibilité » peut l’être parfois au regard de l’autre, le handicap peut l’être également au regard du sujet lui-même. En effet, certains patients peuvent exprimer leurs difficultés à penser leur handicap, dans un refus, voire même pour certains, à un niveau inconscient, dans un déni de leur difficulté. Se pose alors souvent la question à ce moment-là, du statut : « Suis-je en situation de handicap? ». Cela ne renvoyant pas aux mêmes problématiques narcissiques et identitaires : être handicapé revêt, pour certains sujets, la marque visible de la castration avec laquelle ils finissent par se confondre dans leur intégrité toute entière, stigmate d’une faille narcissique majeure qui se trouve alors inélaborable tant elle est traumatique et menant quelquefois à l’installation d’un refus de prendre en compte les conséquences en termes d’aide de cette situation ou même du déni. Le handicap au-delà même d’être invisible au regard du sujet devient alors irreprésentable. Cliniquement, il n’est pas rare que le travail de mise en sens du handicap puisse se faire lorsque cette impossibilité à se représenter le handicap s’élabore autour de ce qu’elle renvoie de la construction identitaire en lien à un idéal déçu. Le « être handicapé » peut alors dans une mise à distance davantage supportable, un compromis sur le plan narcissique, et tendre vers « se penser en situation de handicap ».

Werner (1989, 1993, 2005) souligne que les étudiants handicapés dont les limitations de capacités sont « invisibles » car non perçues et non connues des personnes avec qui ils interagissent (handicaps sensoriels [surdité, par exemple], liés à une maladie [diabète] ou encore dyslexiques présentant des troubles psychiques ou neurologiques, ou souffrant de maladies évolutives) ont recours à des « autos compensations » et peuvent ne pas vouloir être identifiés comme ayant des besoins particuliers à l’université. Ils peuvent connaître les dispositifs d’aide, mais refuser d’y avoir recours de manière plus ou moins régulière ou sur du long terme.

Notons qu’une étude empirique de Jorgense, Budd, Fichten, Nguyen et Havel (2016) montre que l’intention d’obtenir un diplôme était moins présente chez les étudiants présentant un trouble psychique que chez les étudiants ayant des difficultés d’apprentissage. Ils soulignent également que les étudiants souffrant d’un trouble psychique se trouvent moins facilement vers des services ou des centres pouvant les prendre en charge.

Parmi les handicaps « invisibles », il est à noter que dans le cadre de troubles psychiatriques et/ou de souffrances psychiques, le terme de « handicap », et encore plus celui de « handicap invisible », est encore peu usité.

Notons, par ailleurs, la situation de handicap, elle-même, peut générer des souffrances psychiques relevant de soins psychiques, sans pour autant être diagnostiquée ou considérée comme « handicap psychique ».

Dispositifs de soins et l’accessibilité aux soins psychiques

Les travaux sur la souffrance psychique des étudiants ne sont pas très nombreux et ceux concernant les étudiants en situation de handicap sont encore plus rares. Nous faisons toutefois état de ce qui est dit en populations générales, car cela concerne également les étudiants en situation de handicap.

De nos jours, les 15-29 ans représentent plus d’un quart de la population. Ainsi, à la rentrée universitaire 2013, 2.429.900 étudiants (dont la moyenne d’âge est de 21,6 ans) étaient inscrits dans l’enseignement supérieur (chiffres INSEE 2013 dans Morvan et al., 2016). Selon ces auteurs, il est essentiel de mener une action préventive auprès des jeunes adultes et des étudiants, car c’est vers l’âge de 20 ans que la plupart des troubles psychiatriques apparaissent et qu’un « handicap invisible » se déclare : les troubles anxieux, les troubles dépressifs, l’abus de substances, mais aussi les troubles psychotiques (Morvan et al., 2016; Oppetit et al., 2017; Patel, Fisher, Hetrick et McGorry, 2007). Les études épidémiologiques dans ce champ se développent en France depuis quelques années maintenant (Boujut Koleck, Bruchon-Schweitzer et Bourgeois, 2009; Chaumette et Morvan, 2017; Estingoy, Fort, Normand, Lerond et D’amato 2013; Lafay, Manzanera, Papet, Marcelli et Senon, 2003; Manoudi, Asri, Boutabia, Haida et Tazi, 2010; Mazé et Verhiac, 2013; Morvan et al., 2016)

Les questions de prise en charge et des stratégies de prévention spécifiques à cette population jeune et estudiantine se posent actuellement chez les chercheurs et professionnels. Il est d’autant plus important que cette souffrance soit prise en compte, puisque bien souvent, la souffrance psychologique des étudiants a régulièrement pour conséquence l’abandon des études (utilisation du CIDI-SF en 2009).

Monchablon (2009) affirme que dans les grandes écoles, le dépistage de la souffrance psychologique est plus efficace, notamment par le fait que dans ces écoles, les étudiants sont particulièrement encadrés par le personnel enseignant, favorisant une vigilance concernant l’état de santé psychique de l’étudiant.

Dans une autre étude, Markoulakis et Kirsh (2013) pointent les difficultés rencontrées à l’université pour 480 étudiants souffrant de troubles psychiatriques divers. Ils évoquent de nombreux facteurs entravant l’adaptation à l’environnement universitaire et la réussite académique. Parmi eux figurent les difficultés liées à l’observance de la chimiothérapie et l’adaptation de celle-ci aux exigences académiques, ainsi que des problèmes posés par les absences dues aux hospitalisations.

Il faut noter que les travaux concernant spécifiquement la prise en charge des soins psychiques des étudiants en situation de handicap sont quasiment inexistants.

Si les articles analysés dans ce chapitre font état d’une fragilité psychique particulière pour cette population-là, rien n’est dit ni analysé en matière de propositions et de validation de dispositifs prenant en compte cette dimension de leur vie universitaire. Le fait qu’ils aient accès « comme tous les étudiants » aux dispositifs de soins « ordinaires » ne saurait suffire à justifier le manque de travaux. Il faudra donc que des chercheurs se penchent sur cette question de l'accessibilité et de la conception des soins psychiques à leur proposer.

Le manque de travaux peut signifier soit qu’il n’y aucune spécificité, soit que cette souffrance passerait inaperçue au regard de l’ampleur des autres difficultés rencontrées par les étudiants en situation de handicap. Or, on ne peut ignorer ce que Ericka et Barakat (2007) ont souligné en notant que les étudiants atteints de maladies graves (non-spécifiées dans leur étude) souffrent plus de symptômes de dépression et significativement plus d’anxiété. Cette forte tendance aux symptômes d’anxiété peut être liée au fait qu’ils rencontrent un stress permanent lié à la gestion de la maladie et au traitement médical (Jones, Volker, Vinajeras, Butros, Fitchpatrick et Rossetto, 2010; Kazak et Meadow, 1998; Mattsson, Ringner, Ljungman et Von Essen, 2007; Taylor, Gibson et Franck, 2008).

CONCLUSION

Cette analyse s'appuyant sur la littérature ouvre des pistes intéressantes pour l’avenir. L’étudiant en situation de handicap, comme tout autre étudiant, vit l’entrée à l’université comme un passage, un moment de découvertes, de changements potentiels et d’évolutions dans les projets professionnels engagés. Ce passage représente une période dite « à risque » par la transition qu’elle représente et par le fait qu’elle se déroule à un moment de grands remaniements identitaires qu’est la post-adolescence.

Un large consensus s’accorde à penser qu’il serait essentiel de concevoir des aides mieux adaptées aux spécificités de chaque type de handicap et ceci dès le lycée (Garrett, 2011; Gummersbach et al., 2005; Harvey, 2011; Markoulis et Kirsh, 2013; Tait, Mowat et Cooper, 2011). Ils ajoutent que ces prises en charges spécifiques devraient continuer tout au long du parcours universitaire pour soutenir et favoriser le travail universitaire. Aides qui devraient aussi tenir compte des aspects de la vie personnelle, familiale et sociale pour une meilleure insertion professionnelle. Il est également important que ces aides soient connues, lisibles et compréhensibles par les étudiants. L’évaluation et l’adaptabilité de ces dispositifs sont alors indispensables. Ajoutons qu’une meilleure articulation entre les secteurs académiques et médico-sociaux permettraient une meilleure accessibilité notamment aux soins psychiques.

Un accent doit aussi être mis sur la diffusion d’informations sur les situations de handicap au sein de l’université auprès des enseignants, des étudiants et du personnel administratif pour réduire les effets négatifs des processus de stigmatisation des sujets handicapés. Il s’agit d’un véritable travail sur les représentations collectives qui entourent les handicaps visibles et invisibles. Des journées de rencontres pourraient permettre aux jeunes d’échanger les uns avec les autres, qu’ils soient en situation de handicap ou non (Gummersbach et al., 2005; Tait et al., 2011).

Certaines recherches soulignent que l’annonce d’un handicap à l’entrée à l’université est l’une des plus grandes difficultés que les jeunes rencontrent. Dans ces situations, un grand nombre évite cette expérience et reste seul avec leurs difficultés (Harvey 2011; Markoulakis et Kirsh 2013). Pour autant, les études pointent l’existence de difficultés spécifiques qui, prises en compte, pourraient permettre d’améliorer la vie des étudiants en situation de handicap. Il y a d’ailleurs à souligner que d’un point de vue méthodologique, cette revue montre la complémentarité essentielle entre les recherches à grande échelle et quantitatives avec des approches qualitatives comme les récits de vie. Les entretiens, les groupes de parole permettent de mieux comprendre comment, chez un individu donné, l’ensemble des variables étudiées se combinent, venant entraver ou faciliter le bien-être psychique des étudiants en situation de handicap. Parallèlement, il est indispensable d’acquérir une vision plus fine et plus globale du nombre et de la situation des étudiants handicapés à l’université. Cette revue de la littérature pointe le manque de travaux sur la souffrance psychique de ces derniers et les conséquences sur les plans psychique et académique.

La portée de ces études est cependant compliquée à évaluer par le manque de précision sur : le sexe, l’âge, le niveau social, la situation familiale, le type et la survenue du handicap ainsi que le niveau socio-économique. Les études montrent que le vécu singulier est considérablement influencé par ses caractéristiques personnelles, l’environnement dans lequel il vit, mais aussi par son histoire et son fonctionnement psychique propre. Pourtant, ce sont ces éléments qui, aujourd’hui, restent négligés dans la littérature, comme le montrent Taylor, Pearce, Gibson, Fern et Whelan (2013). S’il existe quelques données sur les relations amicales de ces jeunes, par exemple, nous ne disposons que de quelques informations sur leurs relations sentimentales et/ou amoureuses. Les dimensions de la relation avec ses pairs pour mieux saisir la manière dont les étudiants en situation de handicap vivent à l’université seraient indispensables à prendre en compte.

Pour conclure, ajoutons quelques préconisations au niveau de la recherche dans ce domaine :

  • Mettre en place des recherches longitudinales et suivre dans le temps ces jeunes adultes et mieux appréhender l’influence de ce passage à l’université sur leur vie future.

  • Mieux caractériser les populations étudiées (sexes, sévérité, nature des incapacités) et recenser de manière plus fine les étudiants en situation de handicap, leur nombre étant certainement sous-estimé.

  • Il serait aussi intéressant de mener des analyses plus fines à travers des recherches quantitatives et qualitatives avec des récits de vie et des entretiens semi-directifs. Des articles prenant en compte un maximum de variables sont rares et il s’agirait de mieux appréhender la complexité des variables ayant une influence sur la qualité de vie sociale et académique des étudiants.

  • Mieux appréhender également le vécu des familles et de l’entourage amical.

  • À long terme, il s’agirait de favoriser les recherches qui permettent d’articuler les facteurs sociologiques et psychologiques.

Nous terminerons en citant Miles-Paul (1997) et Gummersbach et al. (2005) qui mettent également en avant l’aspect politique et sociétal du traitement et de l’intégration des jeunes handicapés. Ils soulignent à juste titre qu’un individu handicapé l’est aussi par les conditions sociales qui sont handicapantes. C’est pour cela qu’un système de soutien est nécessaire pour assurer l’égalité des étudiants en situation de handicap à l’université concernant l'accession au savoir et leur assurant une bonne qualité de vie sur le campus.