Corps de l’article

Introduction

Plusieurs études rapportent une augmentation des contacts entre les personnes dont l’état mental est perturbé (PEMP) et les policiers (pour une synthèse, voir Wood, Swanson, Burris et Gilbert, 2011)[2]. Des sondages estiment que 7 % à 31 % de tous les appels faits au 911 impliquent une PEMP (Deane, Steadman, Borum, Veysey et Morrissey, 1999 ; Livingston, 2016). Cette situation s’expliquerait par la désinstitutionnalisation, les modifications législatives sur les critères d’internement et la diminution des services pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale (Fisher, Silver et Wolff, 2006 ; Morin, Landreville et Laberge, 2000).

L’augmentation des contacts entre les policiers et les PEMP amène également son lot de défis. Les PEMP sont encore aujourd’hui surreprésentées dans les populations carcérales (Fazel et Seewald, 2012 ; Steadman, Osher, Robbins, Case et Samuels, 2009) et plus à risque d’être tuées par les policiers comparativement aux personnes ne démontrant aucun signe de maladie mentale (Fuller, Lamb, Biasotti et Snook, 2015).

Malgré cette situation préoccupante, peu d’études se sont penchées sur les interactions, entre le policier et la PEMP, susceptibles de mener à l’usage de la force. Le but de cette étude est d’améliorer les connaissances sur les interventions policières auprès des PEMP. L’étude adopte la perspective des scripts pour déterminer les étapes centrales à l’intervention policière auprès des PEMP. L’accent est mis sur les échanges entre les policiers et les PEMP tout au long de l’intervention pour cibler les actions et réactions qui mènent à l’usage de la force.

Recension des écrits

La recension des écrits se divise en trois sections. La première section présente un état des connaissances sur l’usage de la force policière auprès des PEMP. La deuxième section expose la perspective des scripts tandis que la troisième décrit la problématique.

Usage de la force auprès des PEMP

De façon générale, deux types d’étude ont examiné l’usage de la force par les policiers à l’endroit des PEMP. Le premier type d’étude s’inscrit dans la tradition de l’évaluation de l’action policière. Plusieurs organisations policières ont implanté des équipes spécialisées afin d’améliorer les interventions auprès des PEMP et ainsi, plusieurs études ont évalué leur efficacité. Ces équipes spécialisées ont comme principaux objectifs d’offrir une prise en charge rapide des PEMP et d’offrir des services de qualité tout en évitant l’usage de la force. Ces équipes peuvent être regroupées en trois catégories (Deane et al., 1999).

Les équipes d’intervention en situation de crise (crisis intervention team ou CIT), aussi connues sous le nom de modèle de Memphis, représentent la première catégorie de programmes. Les CIT se composent de policiers volontaires ayant suivi une formation de 40 heures sur des questions liées à la maladie mentale (p. ex. : symptômes, réactions possibles, services disponibles dans la communauté) et aux techniques de désescalade (p. ex. : interventions efficaces, techniques de communication).

La deuxième catégorie comprend les équipes « mixtes » qui combinent un intervenant psychosocial avec un policier ayant reçu une formation similaire à celle offerte dans le cadre des CIT. Le policier assure le volet sécuritaire de l’intervention tandis que l’intervenant offre un soutien psychosocial et de l’aide à la PEMP.

La troisième catégorie comprend les organisations policières qui ont conclu des ententes avec des agences externes. Les policiers devant affronter une situation impliquant une PEMP peuvent alors faire appel à un spécialiste. Ce dernier peut offrir une consultation téléphonique ou se déplacer sur place afin d’aider les policiers à évaluer les besoins de la PEMP et à la diriger vers les services appropriés.

Ces équipes spécialisées ont fait l’objet de plusieurs évaluations dont les résultats ont été rapportés dans des synthèses systématiques. Bien qu’elles emploient des critères différents pour sélectionner les évaluations, les synthèses concluent que les effets des équipes spécialisées sur l’usage de la force sont incertains. Une synthèse systématique a recensé les évaluations des équipes policières spécialisées publiées entre 1980 et 2016 (Kane, Evans et Shokraneh, 2018). Une seule des 25 évaluations repérées a estimé l’effet des CIT sur l’usage de la force. Cette étude montre que l’usage de la force est plus fréquent chez les policiers membres de l’équipe que chez ceux qui n’en font pas partie (Morabito et al., 2012).

Une autre synthèse porte sur les équipes mixtes (Shapiro et al., 2015). Une seule des vingt évaluations sélectionnées s’est penchée sur l’usage de la force et elle n’a employé aucun test statistique (Allen Consulting Group, 2012). Il est donc impossible d’attribuer la diminution de l’usage de la force dans la zone expérimentale à la mise en place de l’équipe. Enfin, une synthèse systématique a repéré huit évaluations de CIT utilisant minimalement un devis quasi expérimental. Une méta-analyse des résultats établit que ces équipes spécialisées ne réduisent pas l’usage de la force (Taheri, 2016).

Le deuxième type d’études prédit l’usage de la force à partir des caractéristiques du policier, de la personne ciblée par l’intervention et de l’organisation. Ces études furent réalisées à partir de sondages menés auprès de policiers, d’observations de terrain ou de rapports d’événement. Ces études s’inspirent de la théorie de Black (2010) sur le comportement de la loi. Selon cette théorie, les différents éléments de la vie sociale expliquent les variations spatiotemporelles dans la fréquence d’application de la loi et son style (p. ex. : accusatoire ou thérapeutique/médiation). L’usage de la force serait une fonction de la gravité de l’infraction ou de la situation (p. ex. : distance par rapport à la norme), de la distance sociale entre le policier et la PEMP (p. ex. : groupe ethnique ou culturel, problèmes de santé mentale) et des règles organisationnelles (p. ex. : encadrement de l’usage de la force).

Ces études estiment la probabilité que les policiers emploient la force s’ils jugent que l’état mental de la personne est perturbé. Les résultats de ces études sont toutefois mitigés. Certaines études indiquent que l’état mental perturbé augmente le risque d’usage de la force (Kaminski, Digiovanni et Downs, 2004 ; Rossler et Terrill, 2017) alors que d’autres ne rapportent aucune relation entre cet état et l’usage de la force par les policiers (Morabito, Socia, Wik et Fisher, 2017 ; Terrill, 2005 ; Terrill et Mastrofski, 2002).

Le bilan des résultats montre qu’il n’existe pas de consensus quant à l’effet des équipes spécialisées sur l’usage de la force. De même, l’état mental perturbé n’augmente pas toujours le risque que les policiers emploient la force. Ces variations dans les résultats sont difficilement interprétables. Les études comportent deux principales limites empêchant de bien comprendre le lien entre l’état mental perturbé et l’usage de la force par les policiers. Premièrement, les études qui prédisent l’usage de la force à l’aide de différentes variables emploient des échantillons incluant différentes clientèles sans égard à leur état mental. L’emploi de tels échantillons est problématique, car l’usage plus fréquent de la force auprès des PEMP pourrait être attribuable à deux mécanismes : 1) un effet d’étiquetage primaire où les PEMP sont systématiquement perçues comme dangereuses, ou 2) la présence de comportements particuliers chez les PEMP au moment même de l’intervention. Des études démontrent que, comparativement à des personnes qui ne semblent pas perturbées, les PEMP sont perçues comme plus menaçantes et plus résistantes lors de l’arrestation (Boivin, 2017 ; Kaminski et al., 2004 ; Kerr, Morabito et Watson, 2010 ; Morabito et al., 2017). Les policiers sont d’ailleurs plus enclins à utiliser la force auprès des personnes jugées menaçantes et émotivement instables (Boivin et Lagacé, 2016 ; Morabito et al., 2012 ; Rossler et Terrill, 2017). De telles études auraient ainsi avantage à employer des échantillons constitués uniquement de PEMP pour mieux cerner les raisons qui amènent les policiers à employer la force à leur endroit.

Deuxièmement, les deux types d’étude évacuent l’aspect dynamique des interventions policières. Les études prédisent souvent l’usage de la force à l’aide de facteurs statiques tels que les caractéristiques du policier, du suspect et parfois de l’organisation (Klahm et Tillyer, 2010). Certaines études ont parfois intégré des facteurs correspondant à l’état actuel de la personne (Boivin et Lagacé, 2016 ; Kaminski et al., 2004 ; Morabito et al., 2012 ; Rossler et Terrill, 2017). Les évaluations des équipes spéciales misent essentiellement sur la satisfaction des policiers et leur effet sur différents indicateurs tels que l’usage de la force, l’arrestation ou l’hospitalisation de la PEMP (Shapiro et al., 2015 ; Taheri, 2016). Malgré son importance au sein de l’évaluation de programme (Mayne, 2017), l’évaluation des processus − soit l’utilisation des connaissances par les policiers, l’emploi de techniques particulières à l’endroit de la PEMP et la réaction de la PEMP qui mènent à l’usage de la force − est négligée. Cette dernière observation rejoint la position d’autres auteurs avançant que les interactions entre les acteurs influencent la conclusion d’une intervention (Terrill, 2005 ; Terrill et Mastrofski, 2002). Le Modèle national de l’emploi de la force, utilisé pour la formation policière au Canada, conçoit d’ailleurs l’usage de la force comme un processus dynamique dont le résultat dépend de l’évaluation du policier (École nationale de police du Québec, 2012)[3].

En résumé, une meilleure compréhension de l’utilisation de la force envers les PEMP passe par l’emploi d’une approche documentant de façon détaillée les étapes de l’intervention policière. Utilisée principalement pour comprendre le déroulement d’un crime, la perspective des scripts s’applique également aux interventions policières (Dwyer, Graesser, Hopkinson et Lupfer, 1990 ; Leclerc et Reynald, 2017). Un script intègre l’ensemble des actions nécessaires pour atteindre un résultat. Pour chaque étape, le script tient compte des acteurs présents, de leurs actions et de leurs rôles, de même que d’autres facteurs influant sur les décisions tels que la présence d’armes, de désinhibiteurs ou bien les caractéristiques de l’environnement (Cornish, 1994).

Les scripts appliqués à l’intervention policière auprès des PEMP

Afin de bien comprendre l’origine des scripts, le concept de schéma doit d’abord être défini et expliqué. Un schéma est une structure cognitive qui organise les représentations de nos comportements et expériences (Cornish, 1994). Toute personne accumule ainsi une structure de connaissances contenant des suppositions et des attentes par rapport au monde social qui la guide dans l’interprétation de ses futures expériences. Le monde étant complexe, les schémas simplifient la réalité et facilitent le fonctionnement d’une personne dans une situation donnée. Il existe plusieurs types de schémas : 1) des schémas de soi ; 2) des schémas de personne ; 3) des schémas de rôle ; et 4) des schémas d’événement (Augoustinos, Walker et Donaghue, 2014). Les scripts sont des schémas d’événement, soit une structure de connaissances, ancrée dans la mémoire et prête à être activée inconsciemment, qui organise la séquence d’actions à adopter dans une situation spécifique (Schank et Abelson, 2013).

Cornish (1994) a adapté le concept de script afin de développer un cadre procédural permettant de déterminer la séquence complète d’actions adoptées avant, pendant et après la commission d’un crime. L’identification d’un script permet ensuite de suggérer plusieurs mesures de prévention situationnelle pour chaque étape centrale du processus de commission du crime. Les scripts ont entre autres été utilisés pour comprendre diverses formes de crime telles que la revente de véhicules volés (Morselli et Roy, 2008), l’agression sexuelle d’enfants (Leclerc, Wortley et Smallbone, 2011) et le financement du terrorisme (Chermak, Freilich et Hiropoulos, 2013).

Jusqu’à présent, les scripts ont essentiellement porté sur les actions des délinquants. Puisque la commission d’un crime repose sur la convergence spatiotemporelle d’un délinquant motivé et d’une victime intéressante en l’absence de gardien (Cohen et Felson, 1979), des chercheurs ont récemment proposé de s’intéresser au script des gardiens (Leclerc, 2013 ; Leclerc et Reynald, 2017). Un crime survient lorsque les scripts respectifs du délinquant et de la victime se croisent. Les interactions entre le délinquant et la victime déterminent ainsi l’issu de cette rencontre. Le gardien peut s’interposer entre le délinquant et la victime, et affecter le cours des actions (Leclerc, 2013). Les individus développent ainsi des scripts interpersonnels leur permettant d’interpréter et d’emmagasiner des structures de connaissances sur leurs expériences interpersonnelles, ce qui guide leurs actions avec autrui dans des situations données (Baldwin, 1995). L’adoption d’un comportement est donc contingente des comportements des autres personnes, ce qui rejoint plusieurs théories interactionnistes en criminologie (Alpert et Dunham, 2004 ; Tedeschi et Felson, 1994 ; Terrill, 2005).

Les policiers comptent parmi les gardiens les plus importants. Ils contribuent de plus en plus au maintien de l’ordre social, délaissant ainsi leur rôle traditionnel de « combattant » du crime (Bittner, 1967 ; Wood et Watson, 2017). Dwyer et al. (1990) avancent que les policiers possèdent différents répertoires d’action pour des situations spécifiques, dont un pour l’usage de la force. Le défi est ainsi de découvrir les situations sociales où le script de la force est susceptible d’être déclenché pour en prévenir l’usage.

Réaliser des scripts autour des interventions policières permet également d’étudier leurs interactions avec les PEMP. L’action initiale du policier entraînera une réponse de la part de la PEMP et le policier réagira à son tour. Les interactions entre les acteurs façonneront le déroulement de l’intervention dans des contextes précis. En fonction de leurs expériences, les policiers risquent d’avoir des répertoires d’action variant selon les endroits et leurs perceptions des dangers (Boivin et Lagacé, 2016 ; Morabito et al., 2012 ; Rossler et Terrill, 2017).

Problématique

Malgré l’implantation d’équipes policières spécialisées, les PEMP sont toujours surreprésentées dans le système pénal. Certaines études montrent d’ailleurs que les policiers sont plus susceptibles d’employer la force à leur endroit (Fuller et al., 2015 ; Steadman, Deane, Borum et Morrissey, 2000). La capacité de ces équipes spécialisées à prévenir l’usage de la force demeure incertaine (Kane et al., 2018 ; Shapiro et al., 2015) et d’autres avancent que ces équipes ne sont peut-être pas adaptées pour toutes les situations (Wood et Watson, 2017).

Les scripts représentent une approche prometteuse pour étudier les interventions policières auprès des PEMP. Ils offrent une description détaillée des étapes suivies par les policiers lorsqu’ils entrent en contact avec une PEMP jusqu’au moment où cette dernière est prise en charge. Le but de cet article est donc d’améliorer les connaissances sur les interventions policières auprès des PEMP et, plus spécifiquement, de relever les interactions entre policiers et la PEMP qui mènent à l’usage de la force. Plus précisément, l’article vise à : 1) établir le script des interventions policières auprès des PEMP ; et 2) cibler les échanges entre le policier et la PEMP qui mènent à l’usage de la force.

Méthodologie

Source des données

À l’instar d’autres études sur les scripts (Chiu et Leclerc, 2017 ; Leclerc et al., 2011 ; Savona, Giommoni et Mancuso, 2014), des données officielles sont employées. Contrairement aux entretiens ou aux questionnaires, les données officielles minimisent les biais liés au rappel d’événements éloignés (Porter, 2008). Les rapports d’événement sont d’ailleurs rédigés par les policiers qui représentent les intervenants pour lesquels les scripts sont construits. Il devient donc possible de bien comprendre la relation entre leur perception d’une situation et les actions prises par la suite. De plus, ces données peuvent être collectées rapidement et mener à des recommandations fondées sur des problèmes actuels (Cornish et Clarke, 2002). Malgré tous ces avantages, les données officielles ne contiennent que les informations rapportées par les policiers. Certaines informations sont parfois manquantes. Il est impossible de déterminer s’il s’agit d’une omission de la part des policiers ou si cet aspect de l’intervention n’est tout simplement pas pertinent.

Les données proviennent du système de gestion des données (SGD) du Service de police de Sherbrooke (SPS). Les rapports d’événement impliquant des PEMP sont identifiés avec le code 425. Ils ont été extraits du SGD pour la période du 1er septembre 2012 au 31 août 2014, totalisant 1353 événements. Les rapports connexes ont également été extraits, soit les cartes d’appel, les formulaires remplis lorsqu’il y a usage de la force ou qu’une personne est transportée à l’hôpital contre son gré. Menant rarement à l’usage de la force, les 861 événements impliquant des propos suicidaires ou des tentatives de suicide ont été retirés de l’échantillon.

Les 492 événements retenus ont d’abord été classés en fonction du niveau maximal de force physique utilisé : 1) aucune force physique (71,0 % des événements) ; 2) force légère (p. ex. : escorter la PEMP) (13 % des événements) ; et 3) contrôle physique ou armes intermédiaires (p. ex. : immobiliser la PEMP ou la frapper à l’aide d’un bâton télescopique) (16 % des événements)[4]. Ensuite, un échantillon équilibré de 130 interventions, dont la moitié impliquent la force (n = 65), a été créé. Tout comme pour les événements sans emploi de la force, les 65 interventions impliquant la force ont été sélectionnées aléatoirement tout en respectant le poids relatif de chaque catégorie.

Par la suite, une grille de codification a été utilisée pour collecter de l’information sur les éléments susceptibles d’affecter les actions du policier. Conformément au Modèle situationnel d’emploi de la force (École nationale de police du Québec, 2012), la grille rend possible la collecte de données sur l’environnement dans lequel se déroule l’intervention, les perceptions du policier, l’emploi de la force et les réponses de la PEMP aux actions du policier. La grille met l’accent sur les différentes étapes de l’intervention policière tout en collectant de l’information sur : 1) les acteurs, leurs rôles et actions ; 2) les armes et facilitateurs ; 3) l’alcool et les drogues ; et 4) l’endroit où se déroule l’action (Cornish, 1994).

Variables à l’étude

Environ 500 thèmes spécifiques ont été repérés à la suite de la consultation des différents rapports. Les thèmes spécifiques ont ensuite été regroupés en thèmes plus généraux[5]. Par exemple, dix lieux différents ont été définis pour la première étape qui consiste à recevoir l’appel et à dépêcher les policiers sur les lieux. Ces derniers ont été regroupés en trois lieux, soit établissement de soins de santé, lieu public ou résidence privée (Tableau 1). Similairement, pour l’étape qui consiste à évaluer la PEMP, les divers comportements agressifs de la PEMP (p. ex. : lancer des objets, détruire des biens, s’attaquer à une personne) ont été regroupés en un thème plus général qui se nomme « comportements agressifs chez la PEMP ». Ces thèmes ont mené à la création des variables à l’étude[6].

Treize variables, réparties dans cinq étapes, ont été retenues pour bâtir le script. La première étape, recevoir l’appel et dépêcher les policiers sur les lieux, comprend une variable. Elle indique l’endroit où l’intervention a eu lieu à l’aide de trois modalités : 1) une résidence privée (p. ex. : une maison, un appartement) ; 2) un hôpital ou un établissement psychiatrique ; ou 3) un endroit public (p. ex. : une voie publique, un parc, un stationnement).

Arriver sur les lieux constitue la deuxième étape et comprend trois variables. Un tiers en danger indique que la sécurité d’une personne est menacée par la situation (1 = oui ; 0 = non). La présence d’un intervenant psychosocial (1 = oui ; 0 = non) est également prise en compte puisqu’elle est susceptible de changer le cours de l’intervention (Shapiro et al., 2015). Enfin, la présence d’une personne ayant une bonne relation avec la PEMP (1 = oui ; 0 = non) est mesurée. Les rapports laissent entendre que cette personne peut agir à titre de médiateur entre le policier et la PEMP.

Évaluer la PEMP représente la troisième étape et compte quatre variables. La PEMP est connue pour des problèmes de santé mentale (1 = oui ; 0 = non) : permet d’évaluer l’hypothèse de la stigmatisation primaire (Bittner, 1967). La PEMP est armée (1 = oui ; 0 = non) : indique si la personne était armée ou si une arme était à portée de main lors de l’intervention. Aucune arme à feu n’a été répertoriée. La PEMP est sous l’influence (1 = oui ; 0 = non) : mesurée à l’aide de la perception du policier. La personne peut-être sous l’influence d’alcool, de drogue ou de médication. La PEMP est agressive ou hostile (1 = oui ; 0 = non) : réfère à des situations où la personne prolifère des propos menaçants ou à des gestes violents (p. ex. : frapper un mur ou lancer des objets). Ces dernières variables sont souvent associées à l’usage de la force (Boivin, 2017 ; Kaminski et al., 2004).

Intervenir auprès de la PEMP est la quatrième étape. Le policier emploie des techniques de communication coercitive (1 = oui ; 0 = non) est la première variable de cette étape. Il peut donner un ordre ou menacer d’employer la force si la PEMP refuse d’obtempérer. La PEMP collabore (1 = oui ; 0 = non), la deuxième variable, est la réponse de la PEMP à la demande du policier. La collaboration implique une réponse positive de la PEMP à la demande du policier ; la personne peut accepter de suivre le policier de son plein gré ou bien se calmer. Il y a généralement une désescalade de la crise. La troisième variable est l’usage de la force. Les deux catégories d’usage de la force (force légère et contrôle physique ou armes intermédiaires) ont été regroupées, faute de différence significative dans les scripts. Les interventions où la force est utilisée ont reçu la valeur 1 et les autres sans emploi de la force ont été codifiées avec la valeur 0.

La cinquième étape consiste à la prise en charge de la PEMP et deux variables s’y retrouvent. Arrêter la PEMP (1 = oui ; 0 = non) est le premier type de prise en charge. Le second type, sans égard à l’arrestation, est d’amener la PEMP à l’hôpital (1 = oui ; 0 = non).

Stratégie analytique

Étant en présence de variables nominales, deux types d’analyse ont été menés. Premièrement, des analyses descriptives et comparatives ont été réalisées. Ces analyses rapportent le script et comparent la distribution des variables pour les interventions qui impliquent ou non la force à l’aide du test du khi-carré. Ces premières analyses dressent un portrait général de l’intervention policière auprès de la PEMP. Deuxièmement, des analyses de régression logistique en blocs ont permis d’estimer les effets des perceptions et des actions du policier sur les réponses de la PEMP. Par la suite, la même procédure statistique a permis d’estimer l’effet de la réponse de la PEMP sur l’usage de la force par le policier. Enfin, un arbre décisionnel a permis d’illustrer le déroulement de l’intervention en fonction des interactions entre le policier et la PEMP.

Résultats

La première section rapporte le script de l’intervention policière auprès des PEMP tout en comparant les caractéristiques des interventions menant à l’usage de la force avec celles qui n’impliquent pas la force. La deuxième section rapporte les résultats aux analyses de régression logistique et l’arbre décisionnel.

Les étapes de l’intervention policière auprès de la PEMP

Le Tableau 1 présente les différentes étapes du script et les principaux éléments susceptibles d’affecter les actions du policier. La première étape consiste à recevoir l’appel fait aux services d’urgence (le 911) et à dépêcher les policiers sur les lieux. L’appel permet de documenter la situation qui se déroule et d’établir l’endroit où envoyer les policiers. La majorité des événements ont lieu dans une résidence privée (59,2 %) alors que les autres surviennent sur la place publique (25,4 %) ou dans un établissement de soins de santé (15,4 %). En moyenne, deux policiers sont envoyés sur les lieux (respectivement, 10,0 %, 86,2 % et 3,8 % des interventions impliquent un, deux ou trois policiers et plus).

L’arrivée sur les lieux constitue la deuxième étape. Des tiers en danger (70,8 %), la présence d’un intervenant psychosocial (27,7 %) et d’une personne ayant une bonne relation avec la PEMP (33,8 %) sont autant d’éléments contextuels que les policiers considèrent avant d’agir. L’évaluation de la PEMP (étape 3) survient tout de suite après, voire presque en même temps que l’étape 2. Un peu plus de 56,0 % des PEMP sont connues des services policiers pour des problèmes de santé mentale. La PEMP est armée et agressive dans 18,5 % et 36,3 % des cas, respectivement. Enfin, 16,9 % des PEMP seraient sous l’influence d’une substance psychoactive.

La quatrième étape constitue l’intervention. Elle englobe les actions du policier et de la PEMP. De plus, certaines actions ne sont pas toujours requises. Une demande de collaboration peut se solder immédiatement par la prise en charge de la PEMP qui acquiesce aux demandes du policier. Dans certains cas (n = 6), les policiers utilisent immédiatement la force contre la PEMP en raison du danger pour les tierces parties. Dans 12 cas, la PEMP agresse le policier, ce qui change légèrement l’ordre des actions du script. De façon générale, le policier demande à la PEMP de coopérer (95,6 % des cas) (non présenté dans le Tableau 1). Le policier utilise des techniques de communication coercitive dans 43,1 % des cas (p. ex. : donner des ordres, menacer la PEMP). La PEMP collabore dans 35,4 % des cas et les policiers emploient la force dans 50,0 % des situations[7]. L’étape cinq consiste à prendre en charge la PEMP. L’arrestation est peu fréquente (6,9 %) et la PEMP est généralement transportée vers l’hôpital (96,9 %).

Finalement, les troisième et quatrième colonnes du Tableau 1 rapportent le pourcentage d’interventions incluant ou non la force en fonction de la modalité de la variable indépendante. À l’étape 2 par exemple, 81,5 % des interventions impliquant un tiers en danger impliquent l’usage de la force (phi = 0,24 ; p ≤ 0,01). À l’opposé, une personne ayant une bonne relation avec la PEMP est sur place dans seulement 24,6 % des interventions menant à l’usage de la force (phi = 0,20 ; p ≤ 0,05). En résumé, les interventions où la force est employée sont plus susceptibles d’impliquer la présence de tiers en danger, l’absence d’une personne ayant une bonne relation avec la PEMP ainsi que des PEMP armées, agressives et connues pour des problèmes de santé mentale. L’utilisation de techniques de communication coercitive et l’absence de collaboration chez la PEMP sont aussi associées à l’emploi de la force. Les analyses de régression logistique permettent de mieux évaluer l’effet des composantes de chaque étape sur les actions du policier et de la PEMP.

Tableau 1

Intervention policière auprès des PEMP : résultats descriptifs et comparatifs

Intervention policière auprès des PEMP : résultats descriptifs et comparatifs

* p ≤ 0,05 ; ** p ≤ 0,01

a le eta2 est présenté, car il s’agit d’un test de t sur deux moyennes indépendantes.

b Les pourcentages sont calculés sur un dénominateur de 124, car les policiers ont utilisé immédiatement la force dans 6 cas.

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L’intervention policière impliquant l’usage de la force

La Figure 1 illustre le déroulement de l’intervention en fonction des interactions entre le policier et la PEMP à partir de l’étape 3. La Figure 1 présente d’abord l’évaluation de l’agressivité de la PEMP, car cette variable est celle qui est le plus fortement associée (phi = 0,42 ; p ≤ 0,05) à l’usage de la force à l’étape 3 (Tableau 1). La Figure 1 se base sur 124 interventions, car les policiers ont immédiatement utilisé la force lors de 6 interventions dès la fin de l’étape 2.

Sur la base des 79 interventions où la PEMP n’est pas perçue comme agressive, 27,8 % impliquent tout de même des stratégies de communication coercitive. Cette stratégie de communication mène rarement à la collaboration de la PEMP (4,5 %). Cette absence de collaboration mène généralement à l’utilisation de la force par le policier (85,7 %). À l’inverse, 40 des 57 interventions (70,2 %) où les policiers n’emploient pas de stratégie de communication coercitive, lorsque la PEMP n’est pas agressive, mènent à la collaboration de la PEMP. Dans une telle situation, l’usage de la force est rarement nécessaire (7,5 %).

Un déroulement similaire s’observe pour les interventions impliquant des PEMP qui manifestent des signes d’agressivité (45/124) (Figure 1). Les policiers utilisent des stratégies de communication agressive dans 71,1 % des interventions et la majorité des PEMP ne collaborent pas (93,8 %). L’absence de collaboration mène à l’usage de la force dans 90,0 % des cas. A contrario, les policiers n’emploient pas de stratégie de communication coercitive dans 28,8 % des interventions impliquant une PEMP jugée agressive, ce qui ne semble pas pour autant améliorer les chances de collaboration. Seulement 23,1 % des PEMP collaborent, mais en revanche les policiers n’ont pas à utiliser la force (0/3). La force est employée auprès de 60 % des personnes qui ne collaborent pas.

Le Tableau 2 rapporte les résultats des analyses de régression logistique et permet d’appuyer le déroulement observé précédemment à la Figure 1. Chaque étape constitue un bloc de variables qui est introduit à tour de rôle dans le modèle pour prédire les actions de la prochaine étape. Le Modèle 1 indique que l’endroit n’influe pas sur l’usage de la force policière.

Puisque les étapes 2 et 3 surviennent presque au même moment, l’emploi de techniques de communication coercitive a donc été régressé sur les variables contenues dans les deux étapes. De plus, les variables de l’étape 2 ont aussi été employées pour prédire l’usage de la force puisque dans certains cas, les policiers ont recours à la force sans évaluer la PEMP ou interagir préalablement avec elle. Selon le Modèle 2, la présence d’un tiers en danger augmente le risque que des techniques de communication coercitive soient employées par le policier (RC = 2,71 ; p ≤ 0,05), alors que la présence d’une personne ayant une bonne relation avec la PEMP le diminue (RC = 0,25 ; p ≤ 0,01). Similairement, le Modèle 3 montre que les policiers sont plus susceptibles d’employer immédiatement la force lorsque des tiers sont en danger (RC = 3,57 ; p ≤ 0,01) alors que la présence d’une personne ayant une bonne relation avec la PEMP diminue son usage (RC = 0,34 ; p ≤ 0,05). À l’étape 3 (Modèle 4), le policier a davantage tendance à employer des techniques coercitives de communication lorsqu’il juge que la PEMP est agressive (RC = 4,87 ; p ≤ 0,01).

Figure 1

Interactions entre le policier et la PEMP menant à l’usage de la force

Interactions entre le policier et la PEMP menant à l’usage de la force

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Tableau 2a

Résultats des analyses de régression logistique : probabilité que les policiers emploient la force

Résultats des analyses de régression logistique : probabilité que les policiers emploient la force

* p ≤ 0,05 ; ** p ≤ 0,01

Tableau 2b

Suite des résultats

Suite des résultats

t p ≤ 0,10 ; * p ≤ 0,05 ; ** p ≤ 0,01

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Le Modèle 5 montre que l’emploi de techniques coercitives diminue la probabilité que la PEMP collabore (RC = 0,05 ; p ≤ 0,01). Enfin, le Modèle 6 démontre que la collaboration de la PEMP réduit le risque que le policier emploie la force (RC = 0,14 ; p ≤ 0,01). Similairement aux résultats de la Figure 1, le Modèle 6 laisse supposer que l’emploi de la force n’est pas totalement justifié par les échanges entre le policier et la PEMP. Certains policiers emploient la force même lorsque la PEMP collabore. Les PEMP armées (RC = 4,15 ; p ≤ 0,10) et connues pour des problèmes de santé mentale (RC = 3,63 ; p ≤ 0,10) ont plus de risques d’être impliquées dans une intervention où le policier emploie la force. Similairement, les techniques de communication coercitive demeurent fortement associées à l’usage de la force (RC = 13,32 ; p ≤ 0,01) même lorsque le modèle contrôle pour la collaboration de la PEMP.

Interprétation

L’objectif de cet article était d’établir le script de l’intervention policière auprès des PEMP afin de mieux comprendre ce qui mène à l’utilisation de la force. Le script de l’intervention policière auprès des PEMP se divise en cinq étapes : 1) recevoir l’appel de service et dépêcher les policiers sur les lieux ; 2) arriver sur les lieux ; 3) évaluer la PEMP ; 4) intervenir après de la PEMP ; et 5) prendre en charge la PEMP.

Le script met l’accent sur les facteurs qui entourent le moment immédiat où l’intervention policière survient alors que le script interpersonnel s’attache précisément aux interactions entre les acteurs impliqués dans une situation pour mieux en comprendre le résultat. Nos résultats permettent non seulement de répondre à plusieurs limites soulevées précédemment, mais aussi d’aborder quatre éléments qui devraient se trouver dans une théorie sur l’usage de la force par les policiers.

Premièrement, combinés avec ceux d’autres recherches, nos résultats montrent que la décision d’employer la force repose non seulement sur des facteurs propres au policier et à la PEMP, mais aussi sur des facteurs situationnels. Ces résultats montrent l’intérêt de considérer la distance sociale entre les individus (Black, 2010) ainsi que les situations immédiates qui entourent l’action du policier (Alpert et Dunham, 2004 ; Terrill, 2005). Conformément à la thèse de l’étiquetage primaire (Bittner, 1967), les policiers sont plus susceptibles d’employer la force lorsque la PEMP est connue des autorités pour des problèmes de santé mentale (Kaminski et al., 2004 ; Rossler et Terrill, 2017). Bien que les caractéristiques du policier ne soient pas intégrées dans le script, la Figure 1 laisse voir que certains policiers ont davantage recours aux techniques de communication coercitive ou à la force, indépendamment des réactions de la PEMP.

Lors de leurs interventions, les policiers utilisent davantage la force lorsque les PEMP sont armées ou jugées agressives. Ce résultat est partagé par d’autres études (Kaminski et al., 2004 ; Morabito et al., 2012 ; Rossler et Terrill, 2017) et montre que l’usage de la force est parfois justifié par la situation (Bittner, 1967, 1970 ; Terrill et Mastrofski, 2002). De façon générale, l’agressivité de la personne interpellée est aussi un facteur associé à la décision d’employer la force ou de procéder à l’arrestation (Boivin et Lagacé, 2016 ; Engel et al., 2000 ; Novak et al., 2002 ; Novak et Engel, 2005). L’analyse de script permet en plus d’incorporer d’autres aspects centraux à l’usage de la force qui dépassent le concept de transgression de la norme de Black (2010), soit la présence de tiers et leurs rôles. Les policiers emploient parfois la force lorsqu’une personne est en danger avant même d’avoir commencé leur évaluation de la PEMP. L’urgence d’agir pour assurer la sécurité d’une personne laisse probablement une moins grande marge de manoeuvre au policier. De plus, la présence d’une personne ayant une bonne relation avec la PEMP prévient l’usage de la force. L’information trouvée dans les rapports suppose que cette personne agit comme médiateur, augmentant ainsi la légitimité perçue de l’intervention policière. Enfin, la question de l’endroit où se déroule l’intervention n’est pas à négliger pour des raisons pratiques (Leclerc et Reynald, 2017). Selon les endroits, différentes mesures pourraient être mises en place pour faciliter l’intervention policière auprès des PEMP et ainsi prévenir l’usage de la force dans la mesure du possible.

Deuxièmement, nos résultats montrent que prédire l’usage de la force implique nécessairement un processus dynamique. Certains auteurs avancent que l’emploi de la force résulte d’une série d’échanges entre le policier et un suspect (Alpert et Dunham, 2004 ; Terrill, 2005). Tout comme d’autres théories interactionnistes qui portent sur les violences criminelles (Luckenbill, 1977 ; Tedeschi et Felson, 1994), l’usage de la force est le fruit d’une escalade ; ce que montre précisément le script. Outre six situations où les policiers ont utilisé immédiatement la force physique, l’intervention débute généralement par une demande de collaboration. Certains policiers emploient ensuite des techniques de communication coercitive afin d’obtenir la collaboration de la PEMP. Ces techniques augmentent la probabilité d’une réaction hostile chez la PEMP, multipliant par la suite le risque que les policiers aient recours à la force physique.

Troisièmement, nos résultats laissent voir que les travaux sur l’usage de la force auraient intérêt à se pencher sur les émotions vécues par le policier lors de ses interventions. Le Modèle national d’usage de la force suggère d’ailleurs que le policier doit considérer ses propres perceptions quant à ses compétences ou dispositions (ce qui inclut ses peurs) avant de choisir le niveau de force nécessaire lors d’une intervention (École nationale de police du Québec, 2012). Le script vise d’ailleurs à comprendre le lien entre les cognitions et les actions (Schank et Abelson, 2013). Or, les cognitions ne sont pas toujours suffisantes pour influencer les actions (Camerer, Loewenstein et Prelec, 2005). Camerer et al. (2005) stipulent que le système cognitif opère par le système émotionnel. Les études s’insérant dans la perspective du choix rationnel ont généralement négligé le rôle des émotions dans le processus du passage à l’acte (Van Gelder et De Vries, 2012 ; Van Gelder, Reynald et Elffers, 2013).

Incorporer les émotions au processus de passage à l’acte permettrait notamment de comprendre les actions différentes des policiers qui se retrouvent dans des situations similaires. La Figure 1 montre bien que les perceptions qu’a le policier et l’évaluation qu’il fait de la PEMP, et de la situation de façon plus générale, affectent ses actions. Par exemple, les policiers ont employé la force dès leur arrivée sur les lieux sans même engager le dialogue avec la PEMP, car un tiers était en danger. Évaluer une personne comme étant agressive mène généralement à l’emploi de stratégies plus coercitives chez les policiers. Devant une personne agressive, certains policiers résolvent quand même la situation pacifiquement. L’étude des émotions est une piste d’autant plus intéressante que les caractéristiques propres au policier telles que l’âge, le groupe ethnique, l’expérience et l’éducation ne permettent pas de prédire l’usage de la force (Klahm et Tillyer, 2010).

Quatrièmement, et en lien avec l’observation précédente, les études doivent se pencher davantage sur les éléments pris en compte par les policiers lors de l’évaluation d’une situation. Nos scripts indiquent que l’usage de la force est précédé d’un processus d’évaluation incorporant plusieurs informations présentes à différents moments de l’intervention. Nos résultats en témoignent ; les policiers évaluent la vulnérabilité de certaines personnes présentes sur les lieux (p. ex. : ambulanciers, intervenants psychosociaux, proches) et l’état de la PEMP (p. ex. : degré d’agressivité, consommation de psychotropes). Ces évaluations différentielles, probablement basées sur des expériences et des éléments distincts, pourraient aussi expliquer les variations décisionnelles pour des situations similaires. De telles études ont déjà été menées auprès de contrevenants afin de déterminer ce qui constitue une cible vulnérable (Homel, Macintryre et Wortley, 2013 ; Wright et Logie, 1988) ou pour mieux comprendre ce qui amène un policier à intervenir en fonction de son évaluation d’une situation et à choisir une sanction plutôt qu’une autre (Blais, Couture, Boivin et Poirier, 2017).

Conclusion

L’objectif de cette étude était d’établir le script des interventions policières auprès des PEMP afin de cerner les situations qui mènent à l’usage de la force. Les résultats indiquent que les policiers sont plus susceptibles d’utiliser des techniques de communication coercitive lorsque la PEMP est agressive. Ensuite, une réaction agressive de la PEMP aux premières interventions des policiers augmente le risque que ces derniers emploient la force physique. Les résultats indiquent que certains policiers optent pour des stratégies coercitives indépendamment de l’état ou des réactions de la PEMP.

Les présents résultats montrent aussi que les résultats du script du gardien sont susceptibles de mener à des pistes d’action pour améliorer les interventions auprès des PEMP. Au-delà des programmes qui misent sur la formation des policiers et des collaborations avec les intervenants psychosociaux, les résultats soulignent l’importance d’une approche holistique. Par exemple, la présence de personnes ayant une bonne relation avec la PEMP diminue le risque d’usage de la force, montrant l’importance des tierces parties dans la prévention de l’usage de la force. La présence d’une arme augmente le recours à la force. Des mesures pourraient réduire l’accessibilité aux armes, spécialement pour des personnes avec des problèmes de santé mentale. Les matrices généralement utilisées pour proposer des mesures de prévention situationnelle pourraient être adaptées pour améliorer les interventions policières auprès des PEMP (Leclerc, 2014 ; Leclerc et Reynald, 2017).

Enfin, nos résultats doivent être appréciés à la lumière de certaines limites. Premièrement, les scripts ont été construits à partir de données officielles, ce qui implique une reconstruction des événements par le policier lui-même. Des études similaires devraient être menées avec d’autres sources de données (p. ex. : ethnographie, entretiens auprès d’autres acteurs). Une triangulation des données permettrait d’obtenir un portrait plus juste des interventions. Deuxièmement, la représentativité de nos scripts n’est peut-être pas optimale. Bien que les 124 cas aient été sélectionnés de façon aléatoire, seuls les événements avec un code 424 ont été retenus. Il est possible que le code 424 soit absent d’autres interventions impliquant des PEMP. Des mots clés pourraient éventuellement être utilisés pour repérer tout rapport d’événement impliquant une PEMP (Charette, Crocker et Billette, 2011, 2014). Troisièmement, les problèmes varient d’une ville à l’autre. Il est impossible de généraliser nos résultats à d’autres environnements. Des recherches additionnelles sont nécessaires, car les organisations policières québécoises emploient des stratégies différentes pour intervenir auprès des PEMP. Finalement, nos résultats méritent d’être actualisés. Le SPS s’est récemment doté d’une équipe mobile d’intervention psychosociale, susceptible de changer le déroulement des interventions auprès des PEMP (Landry et al., 2018).