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Introduction

Tous les trimestres, voire tous les mois, arrive le moment des bulletins en Fédération Wallonie-Bruxelles. Moment fatidique, attendu ou redouté par élèves et parents qui, à partir d’une série d’appréciations, se font une idée du niveau scolaire atteint pour la période donnée. Et quand on parle de bulletins, tant dans les salles d’enseignants que dans le domaine de la recherche, bon nombre de questions surgissent : Le bulletin occupe-t-il la place qui lui incombe dans le système scolaire ? Quel est son bien-fondé ? Quelle est son utilité ? Quels sont les indicateurs à utiliser ? Vise-t-il le bilan des acquis, l’orientation des élèves ou la régulation des apprentissages ? Comment réaliser un bulletin clair et utile pour tous les partenaires ? Quels rôles jouent les annotations rédigées dans le bulletin ? Comment les décrypter pour y donner du sens ? Le bulletin doit-il être considéré comme un premier échange sur les apprentissages des élèves en vue de favoriser leur progression ?

Dans le contexte de la Fédération Wallonie-Bruxelles, chaque enseignant du primaire ordinaire a l’obligation de remplir, pour chacun de ses élèves, un bulletin scolaire entendu comme « un formulaire qui sert à la consignation et à la transmission des résultats relatifs aux apprentissages et qui comporte généralement un rapport sur l’assiduité de l’élève » (Legendre, 2005, p. 70). Et si, pour Perrenoud (2002), le bulletin n’est « qu’un moyen de transmettre aux acteurs concernés des données déjà disponibles et dont les enseignants ont de toute façon besoin pour faire leur travail » (p. 134), Desjardins (2006) et Durand et Loye (2007) nuancent cette position de transmission d’informations allant à sens unique, de l’école vers la famille. En effet, le bulletin scolaire est à leurs yeux un outil d’échange entre les partenaires de l’école, une occasion d’amorcer un dialogue avec les parents. Par ailleurs, d’un établissement à l’autre (et même parfois d’une classe à l’autre au sein de la même école), la qualité du document est inégale du point de vue du fond et de la forme. Bélair (2015) signale que cela a comme effet de rendre pratiquement impossible le diagnostic du niveau de connaissance des élèves provenant d’autres établissements.

Le bulletin scolaire, comme support de communication ponctuel et devant contenir à tout le moins de l’information standardisée relative aux performances des élèves (concrétisée par une note chiffrée, une note dichotomique, une appréciation, des critères, etc.) et de l’information contextualisée, renvoie aux conditions dans lesquelles se déroulent les apprentissages (Roegiers, 2010). Ainsi investi de la fonction sociale de bilan des apprentissages et devenant une référence pour la scolarité future (Demoulin et Daniel, 2013), le bulletin peut néanmoins engendrer des conséquences importantes sur la suite du parcours tant scolaire, social et motivationnel, en fonction des jugements posés sur l’individu et du langage utilisé (Lemay, 2000). Ces conséquences sont particulièrement douloureuses pour les élèves qui éprouvent des difficultés d’apprentissage et dont le sentiment de compétence est malmené (Berlioz-Ruffiot, 2004). Conçu comme un outil d’échange entre les intervenants qui gravitent autour des élèves plus fragiles, le bulletin pourrait constituer une amorce de régulation concertée des apprentissages.

Sur ce plan, du côté des prescrits légaux qui régissent le système scolaire en Belgique, la circulaire no 5031 datant de 2014 et portant sur les modalités d’utilisation du bulletin dans l’enseignement primaire statue que « l’enseignant veillera à expliquer le bulletin aux élèves en procédant avec eux à une lecture des différentes rubriques. Lors de chaque remise du bulletin, les résultats ainsi que les commentaires de l’équipe éducative pourront faire l’objet de conseils individualisés » (Service général de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, 2014, p. 3). Ces recommandations font écho aux propos de Cardinet et Laveault (2001), qui précisent bien que « le fait de transmettre des informations n’est pas suffisant : il faut que le message puisse être assimilé et géré par l’élève » (p. 24). De plus, les autres destinataires (enseignants, parents et/ou tout autre acteur de l’éducation, dont la direction, le psychologue, le conseiller, etc.) doivent aussi pouvoir, lorsqu’ils consultent les documents, appréhender le propos véhiculé et comprendre l’information.

Dès lors se pose la question du langage utilisé dans les bulletins scolaires, plus précisément la nature et le type de commentaires laissés par les enseignants au-delà des notes ou appréciations fournies. C’est là la visée de cette contribution : apporter un éclairage sur la manière dont les enseignants formulent du feedback à destination des élèves en difficulté scolaire. Plus spécifiquement, nous cherchons à voir si les enseignants débutants, qui ont eu une formation à l’évaluation formative actualisée (Mottier Lopez, 2015), utilisent le bulletin dans une démarche formative dans laquelle l’apprenant est valorisé et un accompagnement est anticipé, dans une optique de régulation des apprentissages.

Ancrage théorique

Notre ancrage théorique est constitué de trois points. Premièrement, nous abordons le processus d’évaluation nous permettant de caractériser celui-ci. Deuxièmement, nous considérons le jugement (jugement évaluatif et jugement professionnel) et ce qu’on entend par feedback. Troisièmement, nous mettons l’accent sur le commentaire du bulletin proprement dit et faisons le point sur deux grandes études qui ont déjà mis au jour les types de commentaires laissés par les enseignants pour tous types d’élèves.

Le processus d’évaluation

L’évaluation est un processus composé de trois étapes. Tout d’abord, il s’agit de recueillir des informations, ensuite de les placer devant des critères définis en leur attribuant des significations, pour enfin arriver à un jugement et une prise de décision (Cardinet, 1988 ; De Ketele, 2010). À travers leurs travaux, Allal (1991) et De Ketele (2010) déterminent plusieurs formes de décisions liées à l’évaluation : 1) « évaluer pour améliorer une action en cours », 2) « évaluer pour orienter une nouvelle action à entreprendre » et 3) « évaluer pour certifier socialement une action considérée comme terminée » (De Ketele, 2010, p. 26).

L’évaluation formative

La première forme, l’évaluation formative ou assessment for learning (Earl, 2003), intervient donc pendant l’unité de formation et permet de réguler les apprentissages (Allal, 2006 ; De Ketele, 2010). La régulation est une série d’actions qui permettent de modifier les activités d’enseignement. Elle n’est plus considérée comme un événement particulier d’un apprentissage, mais bien comme partie intégrante de celui-ci (Allal et Mottier Lopez, 2005). Elle se concrétise en observations directes entre l’enseignant et l’apprenant, en échanges entre les élèves (sous forme d’évaluation mutuelle) ou en interactions entre enseignant et élèves et entre élèves (Allal et Mottier Lopez, 2005). Dans cette perspective, évaluation et apprentissage « ne sont plus séparés, de même que les enseignants et les élèves deviennent associés en tant que partenaires » (Younes et Gaime, 2012, p. 2). Ainsi, l’évaluation formative permet de collecter de l’information sur les apprentissages des élèves (Morrissette, 2010), d’identifier leurs erreurs et de les comprendre.

Trois types de régulation se distinguent :

  1. la régulation proactive, avant l’apprentissage, où l’enseignant prévoit, par exemple, de l’aide en fonction des besoins de ses élèves et des noeuds-matière ;

  2. la régulation interactive, où le praticien intervient pendant l’apprentissage pour soutenir les apprenants ;

  3. la régulation rétroactive, qui est au coeur de notre réflexion puisqu’il s’agit d’une intervention différée qui survient après la situation d’apprentissage initiale (Allal, 1991), par le biais de feedback. Elle était à la base du concept défini par Bloom (Morrissette, 2010) quand il parlait de remédiation, mais Allal et Mottier Lopez (2005) affirment que les feedbacks qui vont résulter de l’évaluation formative ne vont plus tendre vers la remédiation, comme c’était le cas dans cette conception initiale, mais bien viser la régulation.

L’évaluation pronostique

La seconde forme, l’évaluation qui permet d’orienter les élèves sur la base d’informations recueillies (Wegmuller et Allal, 1997), fait référence à l’évaluation pronostique (appelée également prédictive). Il s’agit d’une décision d’orientation à moyen terme (Cardinet, 1988) qui commence un cycle de formation (Allal, 1991), une nouvelle séquence d’apprentissage.

L’évaluation sommative

La troisième forme, l’évaluation pour certifier socialement, renvoie aux évaluations dites sommatives (Allal, 1991 ; De Ketele, 2010) ou assessment of learning (Earl, 2003). Dans ce cadre, les élèves reçoivent, à la fin d’une unité de formation, « un document officiel, public et permanent » stipulant leurs acquis qui peut être transmis à des tiers « en dehors de la relation pédagogique (élève-enseignant) » (Wegmuller et Allal, 1997, p. 14). Cardinet et Laveault (2001) mettent en avant que toute évaluation certificative ne peut révéler le niveau scolaire de l’apprenant dans l’absolu, le niveau étant aussi fonction de la situation ou de l’instrument de mesure. C’est bien pour cela que, dans le bulletin scolaire, du feedback écrit se positionne comme nécessaire pour permettre ce complément d’information.

Du jugement au feedback

Le jugement évaluatif : jugement professionnel

Durand et Loye (2007) expliquent que « le bulletin présente un ensemble de jugements qui circonscrivent les points forts et les points faibles, qui résument une multitude d’observations effectuées en cours de cycle, qui illustrent la progression vers la maîtrise de la compétence » (p. 2). Leroux (2016) considère d’ailleurs le jugement comme une opération centrale dans le processus évaluatif.

Bressoux, Coustère, Kieyila-Loukabi et Leroy-Audouin (1995, repris dans De Ketele et Freres, 2009) expliquent que le jugement évaluatif prend en compte non seulement la performance réelle de l’élève, mais aussi le contexte, dont les résultats des autres élèves de la classe. Ainsi, pour émettre le jugement, il s’agit pour l’évaluateur de s’appuyer sur sa propre échelle de valeurs, « reflet personnel de celui de la communauté dont il est membre » (Rodet, 2000, p. 46).

De plus, De Ketele et Freres (2009) expliquent que la formation du jugement dépend d’une série d’effets liés à l’évalué (l’apparence physique, l’origine sociale, l’origine ethnique, le genre, le statut scolaire) ou au comportement de l’évaluateur (assimilation ou dépendance entre les évaluations, effet d’ordre, de contraste, de stéréotypie, de halo).

Mottier Lopez et Allal (2008) et Mottier Lopez et Tessaro (2016) ont élargi le processus de jugement à toutes les étapes de l’évaluation et parlent de jugement professionnel. Lafortune (2008) le définit comme « un processus qui mène à une prise de décision, laquelle prend en compte différentes considérations issues de son expertise (expérience et formation) professionnelle » (p. 27). Ce à quoi Allal et Mottier Lopez (2008) ajoutent que :

« le jugement professionnel en évaluation comprend deux démarches de base : réunir et confronter des sources d’information de natures diverses ; les combiner dans un raisonnement interprétatif qui peut inclure un algorithme de calcul, mais qui ne s’y réduit pas »

p. 225

Cela sous-entend de ne pas réduire l’évaluation à une simple valeur, mais bien à un jugement motivé sur l’apprentissage réalisé par l’intermédiaire de commentaires écrits.

Le feedback

C’est bien l’enjeu du bulletin scolaire : offrir du feedback, entendu comme « une information fournie par une source, non nécessairement externe (enseignant, livret, parent ou encore soi-même), sur les aspects de la performance d’une personne ou de la compréhension d’une notion » (Hattie et Timperley, 2007, p. 81, trad. libre). Il s’agit donc d’une communication en vue de faire évoluer la pensée de l’apprenant et son comportement ainsi que d’enrichir ses apprentissages (Shute, 2008).

Dans leur note de synthèse, Georges et Pansu (2011) retiennent des différentes catégorisations de feedback qui existent dans la recension des écrits que le feedback, largement représenté dans la dimension évaluative, est qualifié à « partir de (1) son orientation positive ou négative, (2) son caractère spécifique ou général et (3) sa forme simple ou complexe » (p. 107). Ces auteurs différencient les feedbacks simples de premier type (contenu informatif peu chargé en valeur sociale) des feedbacks simples de second type (contenu tout aussi informatif, mais qui relève « d’un jugement évaluatif impliquant des inférences établies à partir de l’information relative au comportement ou à la performance de l’élève » (p. 108). Les feedbacks complexes, quant à eux, renvoient à des informations inhérentes au contexte de réalisation de la performance ou au comportement de l’apprenant.

Quant au contenu du feedback, les travaux de Rodet (2000) et de Hattie et Timperley (2007) sont en synergie et mettent en évidence quatre catégories de feedback :

  1. le feedback cognitif : Portant sur le contrôle des connaissances et sur les erreurs conceptuelles, il se rapporte à la tâche et signale à l’élève où il en est dans l’accomplissement de celle-ci (task level) ;

  2. le feedback méthodologique : Renvoyant à l’utilisation ou non de stratégies efficaces, il porte sur le traitement de la tâche (process level) ;

  3. le feedback métacognitif : Situant la connaissance de l’apprenant dans un cadre plus vaste (le cours, le cursus de formation), il est destiné à développer le contrôle et l’autonomie de l’apprenant (self-regulation level) ;

  4. le feedback affectif : Il exprime un affect à l’encontre de la personne (self-level), étant entendu que « l’évaluateur doit attacher une importance particulière aux termes et au ton de sa rétroaction, dans laquelle l’apprenant trouve, outre les appréciations révélatrices de la perception de sa compétence, des éléments de motivation et d’encouragement » (Rodet, 2000, p. 51).

De plus, Rodet (2000) souligne que chaque catégorie de feedback peut être formulée de manière informative (de manière à présenter des constats, p. ex. l’indication de notions non maîtrisées), suggestive (en formulant des propositions, des conseils) et prescriptive (en commençant souvent par « il faut » et en formulant des actions à réaliser).

Le feedback dans les bulletins : les commentaires laissés par les enseignants

Peu de travaux se sont emparés de la question des commentaires laissés aux élèves dans les bulletins scolaires. Dans la recension des écrits, des auteurs comme Morissette et Laurencelle (1993) recommandent qu’ils soient brefs, compréhensibles, synthétiques et globaux, dans un langage adapté. Si l’espace imparti le permet, ces auteurs préconisent :

  • de signaler les points forts et les points faibles, tout en précisant comment améliorer ces derniers ;

  • d’être plus optimiste que pessimiste ;

  • de signaler les possibilités de coopération parents-enseignant ;

  • d’employer un langage simple, facile à comprendre ;

  • de choisir des expressions faciles à accepter, qui ne blessent pas.

Barlow (1992) ou Carré (1996) précisent qu’il est préférable que le commentaire soit adressé directement à l’élève en utilisant les première et deuxième personnes du singulier. Idéalement, selon Barlow (1992), l’enseignant devrait interpeler l’élève, exposer (au passé) les résultats obtenus, proposer une analyse de ses résultats (interprétations), suggérer une conduite à en tirer pour viser des améliorations, formuler des encouragements (si besoin), tout en s’impliquant personnellement. Carré (1996) suggère, dans ces formulations, d’éviter les tournures impersonnelles, moins mobilisatrices, et d’utiliser des phrases exclamatives et/ou interrogatives destinées à faire réfléchir l’apprenant.

En ce qui concerne l’analyse des commentaires rédigés dans les bulletins, deux études ont retenu notre attention puisqu’elles se concentrent toutes deux sur l’école primaire : celle de Sarrazy (2001), qui a observé 167 bulletins, et celle des auteurs De Ketele et Freres (2009), qui ont travaillé avec 119 bulletins. Les deux recherches ont comme point commun que les commentaires ont été répertoriés et découpés en unités de sens, sur la base de catégories préétablies.

Dans la première étude (Sarrazy, 2001), quatre catégories ont été retenues : 1) les commentaires concernant les résultats ou le travail de l’élève, allant d’excellent à très insuffisant ; 2) les commentaires relatifs à la morale scolaire, positifs (a envie de réussir, est de bonne volonté, etc.) ou négatifs (paresseux, bavarde, etc. ; 3) les commentaires invoquant des qualités psychologiques, positifs (sûr de lui, esprit vif, etc.) ou négatifs (manque de maturité, de réflexion, de raisonnement, trop passif, etc.) ; et 4) les injonctions et conseils.

La seconde étude (De Ketele et Freres, 2009) présente également quatre catégories : 1) des commentaires qui renvoient à l’évaluation des acquis ou du comportement ; 2) des commentaires proposant des conseils, comme dans la première étude ; 3) des commentaires moralisants qui commencent par des « il faut », « tu dois », « j’attends de toi » ; et 4) des expressions qui renvoient à des conventions usuelles, par exemple des phrases pour souhaiter de bonnes fêtes ou une bonne continuation. Par ailleurs, ces auteurs ont identifié, pour chaque commentaire, un caractère « général », c’est-à-dire où l’enseignant ne formule aucune précision particulière, et un caractère « spécifique », où l’enseignant précise ce sur quoi porte l’évaluation ou le conseil. Ce sont bien ces feedbacks spécifiques qui sont les plus utiles puisqu’ils permettent de situer directement les aspects à réguler (Hattie et Timperley, 2007).

Ces deux études ont mis en avant le fait que, pour des élèves similaires sur le plan de la réussite scolaire, les commentaires des enseignants peuvent différer fortement. Cela s’explique par le fait que les enseignants appuient leurs commentaires sur le curriculum caché, c’est-à-dire ce qui « est nécessaire à l’élève de faire pour réussir, sans que cela ne soit explicitement annoncé par l’institution scolaire et par les enseignants » (Sembel, 2003, p. 126). Or, toujours selon les mêmes travaux, les élèves ne font pas preuve de lucidité dans le décodage dudit curriculum caché, ce qui accentue les inégalités.

De Ketele et Freres (2009) expliquent que :

« dans leurs commentaires, les enseignants se préoccupent de la réussite et de la progression de l’élève dans ses apprentissages ; l’échec et l’absence de progrès sont liés, pour bon nombre d’enseignants, à un manque de travail. Le commentaire reste une occasion de plus de lancer un appel au travail et à l’effort »

p. 6

Dans les deux recherches, les auteurs s’interrogent sur la répartition des types de commentaires selon le niveau scolaire des élèves. Les résultats sont convergents :

  • Les élèves dits « bons » sont perçus comme étant sérieux, travailleurs, ayant de grandes facilités, un esprit vif et de nombreuses compétences justifiant leur réussite. L’enseignant leur adresse des encouragements pour qu’ils continuent dans ce sens et des recommandations portant davantage sur le comportement scolaire (moins de bavardage, etc.) que sur le travail ;

  • Les élèves dits « moyens » reçoivent davantage de commentaires négatifs. Ils sont plutôt conseillés tant sur les acquis que sur le comportement et sont encouragés à participer davantage ;

  • Les élèves en grande difficulté scolaire reçoivent rarement des commentaires positifs, peu ou pas de conseils et les propos se réfèrent aux valeurs morales, comme si l’enseignant semble leur reprocher leur manque de volonté. Ces jugements négatifs sont régulièrement accompagnés d’attributs psychologiques pour les justifier (manque de maturité, etc.).

Par ailleurs, « dans leur grande majorité, les commentaires sous-entendent que seule la responsabilité de l’élève est engagée ; le remède le plus souvent envisagé est le travail et encore plus de travail » (De Ketele et Freres, 2009, p. 22), en associant ainsi l’effort au travail. Dans ces conditions, il semble que les commentaires ne soient pas suffisamment opérationnels pour permettre à l’élève de s’améliorer. Alors que les élèves les plus faibles nécessitent le plus d’aide, ce sont eux qui reçoivent le moins de conseils et, lorsqu’ils en reçoivent, il semble qu’ils ne soient pas suffisamment explicites ni argumentés et qu’ils ne tiennent pas suffisamment compte du profil singulier de chacun d’eux (Van Nieuwenhoven et De Vriendt, 2010). De plus, la référence à la morale scolaire tend à culpabiliser non seulement l’élève quant à son manque de travail et à son comportement, considérés comme les vecteurs de ses difficultés, mais aussi les parents, dont le rôle est remis en cause.

Problématique de recherche et questions méthodologiques

Dans le cadre de cette étude, nous nous inscrivons à la suite des études menées en 2001 et 2009, puis posons l’hypothèse d’un changement de résultats en faveur d’un ancrage plus formatif des commentaires laissés par les enseignants dans les bulletins. En effet, ce changement s’appuierait, d’une part, sur les avancées théoriques sur la régulation qui devraient percoler jusqu’aux programmes récents de formation (voir le cadre théorique ci-dessus), mais aussi, d’autre part, sur le projet d’une école plus inclusive[1] qui soutient particulièrement les élèves en difficulté, lesquels bénéficieraient particulièrement de la régulation sous-jacente. Ainsi, nous mettons l’accent sur les commentaires qu’une cohorte d’élèves en difficulté ont reçus pour comprendre si les enseignants en début de carrière se situent davantage dans une perspective de régulation des apprentissages pour les élèves en difficulté.

Question de recherche

Nous souhaitons mettre au jour la manière dont des enseignants débutants abordent le bulletin scolaire quand il s’agit de formuler des commentaires pour les élèves en difficulté. Les commentaires sont-ils envisagés dans une perspective certificative ou formative ? Quels types de messages laissent-ils à ces élèves ? Pouvons-nous relever des traces de leviers de régulation ?

Échantillon et recueil des données

Nous avons recueilli nos données auprès de cinq enseignantes du primaire ayant une expérience de une à six années et ayant reçu la même formation sur l’évaluation formative et la régulation des apprentissages. Elles travaillent toutes dans des écoles différentes. Le tableau 1 donne des informations sur ce groupe d’enseignantes. Nous leur avons demandé de sélectionner des bulletins correspondant aux élèves qu’elles considèrent en difficulté[2].

Tableau 1

Détails sur les enseignantes participantes

Détails sur les enseignantes participantes

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Ainsi, comme le montre le tableau 1, nous avons obtenu 27 bulletins, appartenant donc à 27 élèves identifiés comme étant en difficulté. Certains bulletins contenaient des commentaires pour une seule période, tandis que d’autres pour deux périodes de trois à quatre mois. Cela donne un total de 49 commentaires, pour lesquels nous avons tiré 412 unités de sens, comme nous l’exposons plus loin.

Traitement des données

Nous avons réalisé une analyse de contenu dans laquelle chaque commentaire a été divisé en unités de sens, que nous avons classées ensuite en catégories (Paillé et Mucchielli, 2008). Afin de soutenir notre démarche et la pertinence des catégories, nous avons sélectionné 40 unités de sens, qu’un tiers (un collègue) a classées. Cela nous a permis d’apporter des modifications afin d’améliorer le système de catégorisation mis en place.

Nous avons ainsi retenu cinq grandes catégories en fonction du type de discours repéré. Ces catégories ont ensuite été redivisées en sous-catégories, comme le présente le tableau 2.

Les deux premières catégories se trouvent dans les travaux de Sarrazy (2001) et De Ketele et Freres (2009), mais aussi chez Rodet (2000) : il s’agit des aspects évaluatifs (que nous avons appelés « constats ») et des « conseils ou injonctions ». Les sous-catégories de ces deux catégories ont été identifiées en fonction du contenu : des constats ou conseils relatifs à l’apprentissage ou au comportement. Nous avons également ajouté comme sous-catégorie émergente des constats relatifs aux résultats. Pour chaque item, nous avons cherché à voir si le propos était de nature générale ou spécifique et s’il était positif ou négatif, comme l’ont proposé De Ketele et Freres (2009).

Tableau 2

Grille des catégories et sous-catégories retenues pour l’analyse

Grille des catégories et sous-catégories retenues pour l’analyse

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La troisième catégorie, que nous avons intitulée « jugements », renvoie à ce que Sarrazy (2001) appelle les qualités psychologiques ou la morale scolaire, que nous avons regroupées. Nous y avons classé tous les items où le pronom « tu » était visible, soit suivi d’un adjectif (positif ou négatif) ou d’une action (positive ou négative), ainsi que les propos semblant être des sermons, c’est-à-dire des phrases impersonnelles qui ne favorisent pas l’introduction d’un conseil auprès de son destinataire.

La quatrième catégorie est une catégorie émergente et s’intitule « implication de l’enseignant ». Il s’agit en effet de tous les items où l’enseignant intervient dans la phrase en utilisant le pronom « je » (en donnant ou partageant son avis, en expliquant une action qu’il fait).

La cinquième catégorie, à la suite des auteurs De Ketele et Freres (2009), comprend ce qu’ils ont appelé les expressions usuelles, c’est-à-dire tous les propos qui n’ont pas un lien direct avec l’apprenant, l’apprentissage ou le comportement de l’élève.

Présentation et discussion des résultats

Globalement, dans les bulletins analysés, peu d’espace est imparti pour les commentaires libres à ajouter par les titulaires. Dans les formats, deux des bulletins proposent des encarts différents permettant de placer un commentaire spécifique et un commentaire général pour chaque période considérée. Un autre bulletin a titré l’espace « conseils pédagogiques de l’équipe éducative ». Deux enseignantes de notre échantillon ont fait le choix de passer par l’ordinateur pour gagner en place et en caractères, tandis que les autres ont rédigé à la main.

Le tableau 3 présente une synthèse de notre analyse des commentaires des bulletins, laquelle montre la répartition des items dans les catégories et sous-catégories.

Tableau 3

Répartition des items dans les catégories et sous-catégories

Répartition des items dans les catégories et sous-catégories

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Ainsi, il apparaît que, sur l’ensemble des unités (n = 412), 31,5 % renvoient à des constats, 30 % à des conseils/injonctions, 25 % à des jugements et 15,5 % réfèrent à l’implication de l’enseignant. Sur le plan des savoirs évoqués, il semble y avoir un équilibre entre les constats posés sur les résultats et/ou l’apprentissage et les conseils qui sont prodigués (de 59 à 61 constats pour 75 conseils). Il n’en est pas de même pour le comportement, où 10 unités seulement renvoient à des constats, tandis que 40 unités développent des conseils dans le domaine.

Nous spécifions ci-dessous les résultats liés aux différentes unités récoltées en présentant d’abord les items en lien avec les résultats et l’apprentissage, ensuite ceux relatifs au comportement, puis les aspects plus personnels, c’est-à-dire les jugements et l’engagement de l’enseignant. Nous traitons aussi, dans ce dernier point, les items liés aux propos usuels.

Les commentaires relatifs aux résultats et à l’apprentissage

Les items relatifs aux constats liés à un résultat (59 items) ou à un apprentissage (61 items) et les conseils pour l’apprentissage (75 items) sont majoritaires dans notre catégorisation. Les détails de l’analyse sont présentés dans le tableau 4.

Concernant les items récoltés relatifs aux résultats, les enseignantes utilisent une multitude de termes pour expliciter globalement leur appréciation. Elle est tantôt introduite par une estimation de la valeur (33 unités : faible, très bon, satisfaisant, difficile) ; par l’évolution perçue (3 unités : mieux, en baisse) ou encore par comparaison avec un autre objet (3 unités). Par ailleurs, les unités de type spécifique (20) portent sur un résultat précis dans une matière ou sur la maîtrise d’un objectif. Sur l’ensemble, 3 items ont une connotation négative (les résultats ne sont pas à la hauteur des objectifs attendus). Quant aux unités spécifiques à connotation positive, il s’agit d’appréciation en lien avec une matière ou un objectif précis (10 unités : TB en… ; 5 unités : bien pour… ; 2 unités : excellents résultats en…).

Pour les 61 unités renvoyant à des constats sur l’apprentissage, seulement 9 sont de type spécifique, alors que les travaux de Hattie et Timperley (2007) expliquent que les feedbacks spécifiques sont ceux qui aident les élèves à réguler. Et si ces unités apportent alors des informations sur ce que l’élève exécute correctement ou non, elles devraient, quand elles sont d’ordre négatif, être associées à un conseil, comme le mentionne Barlow (1992), mais notre analyse globale montre que ce n’est pas le cas.

Tableau 4

Résultats relatifs aux résultats et à l’apprentissage : constats et conseils

Résultats relatifs aux résultats et à l’apprentissage : constats et conseils

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En ce qui concerne les 52 autres unités, elles apportent toutes des informations de cinq types, présentés dans le tableau 5.

Tableau 5

Cinq types de commentaires pour désigner l’apprentissage

Cinq types de commentaires pour désigner l’apprentissage

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En somme, en relais des travaux de Sarrazy (2001) et De Ketele et Freres (2009), notre analyse démontre que les enseignantes lient la réussite et l’échec des élèves au manque de travail et d’efforts, qui semble être l’explication la plus récurrente des difficultés de l’élève et des mauvais résultats.

À côté de ces constats liés aux résultats et à l’apprentissage, 75 conseils qui y sont liés se comptabilisent. Dans la plupart des 45 unités de type général, nous remarquons des groupes verbaux de type « il faut » ou « il va falloir », comme si l’enseignante adoptait une attitude reposant sur une « solution ». Au total, 27 items se rapportent au verbe « travailler » ou « faire des efforts », items pour lesquels les demandes varient selon l’intensité (travailler encore plus dur pour remonter les notes, redoubler d’efforts pour remonter la pente) ou la durée et la fréquence du travail (travailler régulièrement). Par ailleurs, 7 conseils reposent sur des verbes dont les actions ne sont pas particulièrement explicites (étudie les tables de multiplication ou réfléchis avant d’écrire ta réponse !).

Quant aux conseils de type spécifique, sur 30 unités, 5 incitent les élèves à « lire » ou à « relire » les travaux. Il s’agit d’un verbe opérationnel, il est vrai, mais il n’y a pas d’explicitation sur ce qu’il faut relire en particulier, ni dans quel but, ni encore comment s’y prendre. Par ailleurs, 5 conseils de type spécifique invitent les élèves à intervenir davantage en posant des questions ou en demandant de l’aide. Il nous semble sur ce plan que cette démarche nécessite des capacités que tous les élèves en difficulté ne possèdent pas nécessairement, comme la capacité d’autoévaluation ou encore la confiance en soi suffisante pour prendre la parole dans le groupe.

Dès lors, en ce qui concerne tous les conseils, il semble bien, comme le montraient les travaux de Sarrazy (2001) et De Ketele et Freres (2009), que les élèves en difficulté bénéficient peu de conseils adaptés et opérationnels, et que le travail et les efforts sont les remèdes recommandés pour surmonter leurs difficultés. Nous relevons peu (ou pas) de feedback centré sur le traitement de la tâche (process level), où les stratégies efficaces sont mises en évidence, ni sur le contrôle et l’autonomie de l’apprenant (self-regulation level ; Hattie et Timperley, 2007). La question de savoir pourquoi reste en suspens. Nous pourrions émettre l’hypothèse que la réponse se trouve dans la formation des enseignants qui peinent à poser un diagnostic précis sur les difficultés des élèves (la source et la nature de celles-ci) et/ou qui ont, de par l’aspect généraliste de leur métier, une maîtrise trop globale des contenus qu’ils enseignent.

Les commentaires relatifs au comportement des élèves

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, nous avons noté 10 unités portant sur des constats reliés au comportement des élèves, tandis que 40 unités portaient sur des conseils reliés au comportement, comme le précise le tableau 6.

Tableau 6

Résultats relatifs au comportement : constats et conseils

Résultats relatifs au comportement : constats et conseils

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En ce qui concerne les constats, 6 unités de type général ciblent le comportement dans son ensemble : 4 ont une connotation négative (ton comportement n’a pas changé depuis la dernière période) et 2 unités ont une connotation positive (participation active en classe). Pour les 4 unités de type spécifique, elles font référence à la « distraction », la « concentration » ou l’« écoute » dans une discipline ou dans un projet détaillé.

Quant aux 40 unités de conseils/injonctions sur le comportement, 35 sont de type général :

  • 18 portent sur la motivation ou la confiance de l’élève et sont plutôt des encouragements (ne te décourage pas ; continue d’en vouloir autant ; garde confiance en toi ; crois en tes capacités ; reprends les choses en main) ;

  • 9 parlent du sérieux de l’apprenant en l’invitant à être plus concentré, plus attentif, moins distrait (reste attentif, concentre-toi) ;

  • 6 sont des injonctions peu stimulantes positivement (réveille-toi !) et aucune piste n’est donnée pour guider l’élève vers une amélioration ;

  • 2 items renvoient à la participation en classe (participe plus en classe !).

Les 5 items de type spécifique renvoient à des conseils pour des moments précis de la vie de la classe (sois plus attentive quand tu recopies du tableau ; surveille ton comportement quand tu te lèves en classe).

La question qui reste en suspens ici est de savoir pourquoi les enseignants s’attachent à expliciter dans le bulletin le comportement de l’élève, avec autant de force parfois, au détriment d’explicitations spécifiques sur l’apprentissage, ce qui renvoie à la conception que le curriculum caché (Sembel, 2003) joue effectivement un rôle important sur la façon dont les enseignants formulent leurs commentaires et, donc, perçoivent l’élève et le niveau de compétences qu’il a atteint.

Les commentaires incluant la personne aux propos usuels

Le tableau 7 donne à voir la répartition entre les jugements (103 items comprenant des propos où l’enseignant utilise le pronom « tu » pour parler directement à l’élève ou des phrases moralisatrices, que nous avons appelées sermons) et ce qui réfère à l’investissement de l’enseignant (44 items où le pronom « je » est remarqué).

Tableau 7

Résultats relatifs aux jugements et à l’investissement de l’enseignant

Résultats relatifs aux jugements et à l’investissement de l’enseignant

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Le contenu des items relatifs à la catégorie « jugements » croise celui de la catégorie « constats sur le comportement », mis à part le fait qu’ils sont formulés en utilisant le pronom « tu » et rejoignent la morale scolaire. Il ne s’agit donc pas de constats posés, mais bien de l’implication de la personne, en l’occurrence l’élève. Ainsi, l’analyse des adjectifs laissés derrière le pronom « tu » permet de relever des unités à connotation positive semblant valoriser la motivation des élèves (5 unités : tu es volontaire) et leur sérieux (3 unités : tu es une élève consciencieuse). Certaines unités ont un caractère sympathique, l’élève semblant plaire à l’enseignant qui le notifie (tu es une très chouette élève). Par ailleurs, les unités à connotation négative (n=8), un peu moins nombreuses que les positives (n=13), renvoient au manque de motivation (tu n’es pas volontaire) ou au manque de sérieux (tu es souvent distraite ; tu es trop vite satisfaite ; tu es arrogant). En ce qui concerne les jugements suivis d’actions (n=40), le tableau 7 est assez sombre, nous semble-t-il. En effet, nous rencontrons 3 items où le jugement semble être positif (tu vas nous montrer que tu as les capacités pour relever ces défis ; tu mets beaucoup d’expression quand tu parles au groupe), tandis que les jugements négatifs (n=37) renvoient encore au manque de travail et d’efforts fournis (tu n’as pas préparé tes contrôles ; tu ne travailles pas assez à la maison) et à la motivation (tu arrives en classe en touriste ; tu fais encore trop souvent ce que tu as envie ; tu baisses trop vite les bras).

En ce qui concerne ce que nous avons mis dans la sous-catégorie « sermons », c’est-à-dire les formulations impersonnelles qui, comme Barlow (1992) et Carré (1996) le soulignent, ne favorisent pas l’introduction d’un conseil auprès de son destinataire, ils « refroidissent » la relation entre l’enseignant et l’élève, et renvoient à de la moralisation. Ainsi, les 44 items « tout faits » n’aident pas l’accompagnement pédagogique (seuls le travail et l’acharnement paient ; il ne suffit pas de remplir des feuilles pour réussir ; on ne peut pas étudier à ta place ; nous sommes plusieurs en classe, il n’y a pas que toi !).

En ce qui concerne l’investissement, c’est-à-dire les moments où l’enseignant s’investit personnellement en utilisant le pronom « je », 44 items se dégagent. La majorité des unités (n=22) contiennent des actions destinées à encourager et valoriser les apprenants (je compte sur toi ; je te félicite ; je suis fière de toi ; je t’encourage à), en lien avec les feedbacks de type self-level (Hattie et Timperley, 2007) ou affectifs (Rodet, 2000). D’autres unités (n=12) font état d’un état d’esprit de satisfaction/déception (je suis contente que) ou d’un sentiment de confusion (je ne sais que faire ? !) ; d’autres unités (n=10) se rapportent à un avis (je pense que). Les contenus sont néanmoins répartis équitablement entre l’apprentissage et le comportement. Ce qui est particulièrement étonnant, c’est l’absence d’implication directe de l’enseignant dans l’interprétation des difficultés relevées et dans l’identification des stratégies de régulation à mettre en place. L’évaluation formative rétroactive a aussi pour objectif d’informer l’enseignant sur les difficultés des élèves et de lui permettre de rétroagir sur ses pratiques pédagogiques. L’enseignant n’estime peut-être pas nécessaire de communiquer ses intentions d’intervention dans le cadre du bulletin, mais ce type de réserve ne permet pas à l’élève et à sa famille d’envisager l’avenir de manière positive et constructive.

Pour finir, mentionnons que 20 unités ne sont pas classables dans les autres catégories, car elles renvoient à des expressions usuelles qui n’apportent, selon nous, pas grand-chose au propos (bonnes vacances ; profite bien des vacances pour te reposer ; bonne continuation).

Conclusion et perspectives

L’analyse des différents items répertoriés révèle que, de manière générale, l’intention prioritaire des enseignantes novices que nous avons suivies n’est pas d’utiliser le bulletin comme un moyen d’envisager la régulation des apprentissages, mais plutôt de donner des commentaires centrés à la fois sur l’apprentissage mais aussi sur le comportement de l’élève, auquel tous les participantes de l’étude s’adressent directement.

Ainsi, la fonction informative domine en tout point : les enseignantes « informent » sur ce qui ne va pas et ne précisent pas toujours dans quel domaine s’investir ni quelles stratégies mobiliser. Si les constats spécifiques positifs formulés nous apportent des éléments soulignant les réussites, nous nous interrogeons sur l’intérêt des constats généraux à connotation négative, qui n’apportent guère d’appui à la motivation ou à la régulation des apprentissages.

Pour ce qui est des conseils, si les enseignantes de l’étude encouragent leurs élèves à s’investir dans le domaine où la difficulté est manifeste, fort est de constater qu’elles ne vont guère au-delà en proposant de réelles pistes d’intervention. En effet, le caractère général des commentaires de type conseil limite l’opérationnalité, ce qui corrobore notre première hypothèse.

Dès lors, ces deux cibles d’action proposées par les enseignantes (le travail et la motivation) renvoient la responsabilité de la réussite ou de l’échec à l’élève et à ce que lui peut mettre en oeuvre. À travers ces conseils, c’est la responsabilité de l’élève qui est implicitement – voire explicitement, parfois – mise en avant. Or, nous savons que la culpabilisation de l’individu peut nuire à sa perception de lui-même en tant qu’apprenant et donc à son épanouissement en tant que tel (Joët, Nurra, Bressoux et Pansu, 2007 ; Martinot, 2001). Aussi, alors que l’élève en difficulté est souvent perçu comme un élève perdu et ne sachant que faire, nous pourrions nous attendre à des conseils spécifiques et précis pour le guider. Or, ce n’est pas le cas puisque ces conseils sont majoritairement généraux, flous et peu opérationnels. La morale scolaire semble influencer les commentaires et cela est fait au détriment de la gestion des difficultés scolaires.

En somme, non seulement les recommandations manquent d’opérationnalité de par leur caractère non spécifique, mais elles ont, dans la plupart des cas, un caractère culpabilisant envers l’élève : il ne travaille pas assez, il n’est pas assez motivé et le voici responsable de ses difficultés. Donc, même si les enseignantes qui ont participé à cette étude utilisent le commentaire pour formuler des conseils, ces derniers ne sont pas exprimés de manière à aider efficacement l’élève puisqu’ils sont trop généraux et centrés sur l’attitude de l’élève. Il se peut que la cause soit les lacunes didactiques des enseignantes, jeunes et moins jeunes, lacunes qui les poussent à cibler le comportement des élèves parce qu’elles ne sont pas en mesure d’identifier la source des difficultés éprouvées par leurs élèves ni de proposer des pistes de régulation ciblées et efficaces.

Nous ne pouvons évidemment pas généraliser nos résultats puisque notre corpus est spécifique de l’expérience des enseignantes et des commentaires analysés inhérents aux élèves concernés. Pourtant, après autant d’années depuis la recherche de Sarrazy (2001), rien n’aurait-il changé ? Même si les décrets poussent à faire évoluer l’école vers plus d’ouverture aux différences et que les réformes pédagogiques s’inscrivent en phase avec un tel projet, cela ne suffit pas pour changer le regard des enseignants, pour identifier leurs besoins de développement professionnel et pour les accompagner dans le changement.

Pour conclure, nous formulons une nouvelle hypothèse dans le cadre de notre recherche : nous postulons que l’utilisation du bulletin scolaire en tant qu’outil de régulation est mise à mal par les représentations des enseignants qui le considèrent avant tout comme un outil de communication, et non de régulation. Tant que l’évaluation formative ne constitue pas un levier, pour l’enseignant, d’amélioration des apprentissages des élèves et de régulation de ses propres pratiques, la priorité ne sera pas dans la formulation de commentaires dans le bulletin. Au-delà de cette volonté de changement de perspective, il reste la question du décodage de l’origine des erreurs des élèves et de la communication de feedbacks formatifs de qualité.

Dès lors, comme perspective de recherche, nous avons planifié des entretiens avec des enseignants afin de sonder leur représentation des bulletins. Par ailleurs, il nous est apparu comme évident de mettre ce contenu au programme du cursus des étudiants futurs enseignants. Ainsi, dans le cours d’évaluation des apprentissages, nous avons inscrit un module sur le bulletin. Dans celui-ci, nous avons permis aux étudiants d’avoir accès aux résultats des travaux cités dans cette communication, et nous les avons également invités à les mettre à l’épreuve devant un corpus de bulletins constitué. Ils ont ainsi pu prendre conscience que les différentes catégories trouvent effectivement leur place dans les bulletins scolaires, quels qu’ils soient. Ils ont aussi pu mesurer la difficulté que comporte la tâche de rédaction de commentaires efficaces et opérationnels. Nous leur avons ainsi demandé, en sous-groupes, de réécrire les commentaires dans un souci rédactionnel positif et efficient. L’idéal serait de leur demander de rédiger des bulletins sur leur lieu de stage sur la base de leur observation des élèves et de l’exploitation de résultats d’évaluation pour en dégager des pistes de régulation pour eux et pour leurs élèves.