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L’idée n’est pas neuve de mettre en commun les ressources d’une multitude de contributeurs pour réaliser un projet commun, mais la révolution numérique récente a fait apparaître de nouvelles possibilités. Les réseaux sociaux favorisent en effet la dissémination des appels au public qui ont pour objet de recueillir des dons ou encore des investissements ; et les plateformes Internet facilitent les transactions à cet égard, y compris pour de petits montants. Ces avancées expliquent la popularité du sociofinancement, mais elles laissent aussi voir certains risques.

Il appartient au droit, dans la mesure du possible, de faciliter les relations économiques et sociales et de favoriser l’innovation, tout en prévenant les risques et en sanctionnant les abus. C’est dans cet esprit que nous présenterons le cadre juridique applicable au sociofinancement, que nous soumettrons à un examen critique. Nous verrons en particulier l’importance de bien qualifier les activités qui relèvent du sociofinancement, afin de les soumettre aux régimes juridiques appropriés. Nous montrerons qu’il est nécessaire d’en adapter les règles, ce qui pourrait se faire au moyen d’une loi ou d’un contrat.

Au Canada, il n’existe pas de définition légale du sociofinancement, que l’on appelle aussi « financement participatif » (crowdfunding). Cet appel au public est diffusé par l’entremise d’une plateforme Internet[1], dans le but de recueillir des fonds[2]. Il se fait à l’initiative d’un porteur de projet, qui peut être un individu, une association ou une personne morale. Certaines plateformes sont exploitées par une organisation à but non lucratif (ex. : La Ruche[3]), tandis que d’autres le sont par une société par actions (ex. : Haricot[4]). Le plus souvent, le porteur du projet sollicite des contributions en argent, mais certaines plateformes permettent l’appel aux contributions en nature, par exemple le don d’objets ou le bénévolat (ex. : Mobilisons local[5]).

On distingue l’appel au public en vue d’obtenir des dons, soit le financement participatif par don ou le mécénat participatif (crowdsponsoring) et le financement participatif par titres ou l’appel aux investissements (crowdinvesting). Dans le cas du mécénat participatif, il est fréquent qu’une récompense, un bien ou un service soient promis en échange des contributions reçues ; certains parlent alors d’une prévente ou d’un prépaiement (presale)[6]. L’investissement comprend le financement participatif par prêt (crowdlending) et le financement participatif par actions ou titres, c’est-à-dire en capital, par l’achat d’actions ou d’obligations (equity/securities crowdfunding). À noter que l’investissement participatif dans des droits de propriété intellectuelle demeure marginal au Canada : nous avons trouvé peu d’information à ce sujet.

Bien que le mécénat participatif se fonde sur le modèle du don, la promesse d’un bien ou d’un service peut le transformer en contrat à titre onéreux. L’investissement participatif, quant à lui, n’exclut pas que le contributeur soit animé par une intention libérale. En effet, l’investisseur ne s’attend pas toujours à réaliser un profit : dans bon nombre de cas, il veut surtout soutenir une entreprise qui lui tient à coeur. Ainsi, certaines plateformes permettent aux contributeurs d’offrir du microcrédit dans les pays en voie de développement au moyen de prêts sans intérêt (ex. : Kiva[7]). Il est toutefois paradoxal que les bénéficiaires de ce microcrédit doivent payer de l’intérêt, à des taux parfois élevés, aux institutions financières locales qui administrent ces prêts. Observons que le caractère onéreux ou gratuit du sociofinancement n’est souvent pas tranché, ce qui contribue à la difficulté de sa qualification juridique[8].

Le sociofinancement est très populaire au Canada, selon les données que nous avons consultées. Le public participe généreusement aux initiatives proposées, qui permettent de recueillir des contributions pour la réalisation de projets les plus divers. Cela peut être, notamment, des projets caritatifs (ex. : la tenue d’ateliers de peinture pour les personnes handicapées), communautaires (ex. : le financement d’un journal de quartier), artistiques (ex. : la création d’un film ou d’un documentaire), politiques (ex. : le financement d’un parti ou d’une cause) ou entrepreneuriaux (ex. : la conception et la mise en marché d’un produit). Il existerait une centaine de plateformes de sociofinancement basées au Canada, dont 13 situées au Québec[9]. Cependant, les plateformes étasuniennes dominent le marché canadien : les plus utilisées sont Kickstarter et Indiegogo[10].

Des données amassées en 2015 par le Fonds des médias du Canada indiquent que 8 677 projets ont été proposés cette année-là, en baisse de 8 p. 100 par rapport à l’année précédente. Les projets lancés en 2015 ont permis de récolter plus de 35 millions de dollars canadiens, ce qui représente une hausse de 18 p. 100 en comparaison de l’année précédente. Remarquons que 20 p. 100 des projets ont atteint leur objectif de financement. Toujours en 2015, le Canada se situait au troisième rang mondial, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, pour le nombre d’appels financés. Le sociofinancement sous forme de dons est de loin le plus répandu, mais nous n’avons pas trouvé de données précises à ce sujet[11]. Nous avons néanmoins observé que les organisations à but non lucratif ont recours de plus en plus souvent au sociofinancement pour leurs campagnes de financement[12]. Certaines plateformes offrent leurs services aux organismes de bienfaisance enregistrés pour leurs collectes de fonds ; elles peuvent délivrer des reçus d’impôt aux donateurs (ex. : CanaDon[13]).

La commission demandée par les plateformes de sociofinancement varie de 4 à 8 p. 100 approximativement ; à celle-ci s’ajoutent des frais pour le traitement des transactions monétaires d’environ 3 p. 100[14]. Il existe couramment deux modèles de financement : le modèle « Tout ou rien » et le modèle « Gardez ce que vous recevez ». Suivant le premier modèle, les sommes recueillies sont remboursés aux contributeurs si l’objectif de financement n’est pas atteint dans le délai prévu. Suivant le second modèle, les sommes sont immédiatement transmises au porteur du projet, qui les conserve même si l’objectif de financement n’est pas atteint. La majorité des plateformes adoptent le modèle « Tout ou rien », tandis que certaines privilégient le second modèle ou bien donnent le choix au porteur du projet[15].

Ces considérations générales annoncent la complexité et la diversité des formes qui caractérisent le sociofinancement. Elles doivent être approfondies pour que soit explicitée la manière dont le droit parvient ou non à les saisir. Nous étudierons d’abord le sociofinancement sous forme de dons (partie 1), puis le sociofinancement sous forme de capital ou de prêts (partie 2), avant d’aborder des régimes juridiques connexes qui leur sont aussi applicables (partie 3).

1 Le sociofinancement sous forme de dons

Le droit contemporain sous-estime l’importance particulière du don, que nous voulons mettre en lumière (1.1) avant d’aborder les difficultés inhérentes à la qualification juridique du sociofinancement sous forme de dons (1.2), ce qui nous conduira à recommander que l’appel aux dons, dans certains cas de figure, soit considéré comme donnant naissance à une fiducie (1.3).

1.1 L’importance du don

Le droit contemporain accorde systématiquement plus d’importance à l’activité économique orientée vers le profit qu’à l’activité bénévole. Ainsi, les contrats à titre onéreux tiennent une place beaucoup plus notable dans l’enseignement et la recherche que les contrats à titre gratuit. Il en va de même pour les formes juridiques de l’entreprise que sont la société par actions et la société du Code civil du Québec, comparativement à l’organisation à but non lucratif et à l’association. Rappelons que le législateur québécois a adopté une nouvelle loi sur les sociétés par actions en 2009, mais celle qui devait suivre pour les organisations à but non lucratif se fait toujours attendre[16]. De même, les gouvernements se sont empressés de réglementer le sociofinancement sous forme d’investissements, comme nous le verrons, tandis que le sociofinancement sous forme de dons n’a guère retenu leur attention, ni celle de la doctrine d’ailleurs[17].

Le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS), qui revendique la filiation de Marcel Mauss et de son célèbre Essai sur le don[18], met en lumière la persistance du don et son importance dans la société contemporaine[19]. L’intérêt des travaux menés par ce collectif et leur pertinence pour le droit ressortent bien de l’article important publié en 2009 par André Bélanger et Joëlle Manekeng Tawalli[20]. De manière paradoxale, le don n’exclut pas l’intérêt de celui qui donne. À vrai dire, le don appelle le retour du don, pas immédiatement ni par une équivalence parfaite, mais par la création d’un lien durable. La trame des dettes réciproques laissées ouvertes par le don assure la cohésion sociale[21]. La modernité a vu apparaître le don aux inconnus, qui « alimente des réseaux ouverts potentiellement à l’infini, très au-delà de l’interconnaissance concrète[22] ». En outre, le don ne repose plus sur des motivations principalement religieuses, puisque les sociétés modernes sont largement sécularisées[23].

L’importance du don tient donc moins à la chose donnée qu’à l’action même de donner. L’intention libérale, qui n’attend rien de précis en retour, représente l’inconditionnalité à partir de laquelle les relations conditionnées peuvent prendre forme[24]. En effet, le don entretient la socialité et la confiance nécessaires à toute relation juridique[25]. Le marché se porte bien, certes, mais son maintien dépend de ce qui ne s’achète pas et ne se vend pas :

Ce que nous ont montré, chacun à sa manière, les grands auteurs de la tradition sociologique, c’est comment, si la société moderne est massivement conditionnaliste, contractualiste, utilitariste, comme on voudra, elle ne parvient en fait à fonctionner dans ce registre que parce qu’elle s’étaie sur une dimension religieuse ou quasi religieuse latente qui, seule, permet au registre de la conditionnalité d’être inconditionnellement respecté. Disons-le de façon légèrement différente. Jusqu’à présent l’ordre de la société fonctionnelle-utilitaire a bien fonctionné parce qu’il puisait dans des réserves de sens, extra- ou antiutilitariste, léguées par les siècles passés. Il apparaît assez clairement désormais que ces réserves de sens s’épuisent et que par hypothèse elles ne peuvent pas être reconstituées sur la seule base de la symbolique conditionnaliste[26].

Pour que le don continue d’assurer la cohésion sociale et d’alimenter les rapports de confiance, il faut veiller à ce que l’esprit du don soit honoré là où il risque d’être trahi. Le droit doit se soucier du don, et les juristes sont tenus de reconnaître sa singularité. Plutôt que de le définir par la négative (le « non-lucratif »), il serait important de mieux comprendre positivement ce qui l’anime, pour façonner au mieux les droits, les obligations et les recours auxquels il peut donner naissance. Mentionnons deux exemples en ce sens.

On a rapporté le cas d’une action en justice intentée par un vétéran du corps de la Marine des États-Unis, devenu sans-abri, contre un couple du New Jersey qui avait lancé un appel aux dons en sa faveur, par l’entremise de la plateforme GoFundMe. L’homme avait offert son unique billet de 20 $ à la femme du couple, dont la voiture était tombée en panne sur l’autoroute. L’appel aux dons a permis d’amasser 400 000 dollars américains pour aider l’homme à se trouver un logis. Malheureusement, la relation entre l’homme et le couple s’est ensuite détériorée. Au dire du couple, l’homme, qui souffre de dépendance aux drogues, a dissipé un premier versement de 25 000 dollars en quelques semaines à peine. D’après l’homme, le couple a diverti une partie des fonds à son propre bénéfice[27]. Cet exemple soulève plusieurs questions concernant les obligations du couple, la propriété des sommes amassées et les recours que peuvent exercer l’homme ou encore les donateurs de ces sommes.

Un cas différent a été fortement médiatisé au Canada, soit les appels aux dons du public qui ont suivi l’accident tragique survenu le 6 avril 2018 dans la petite ville de Humboldt en Saskatchewan. Cet accident de la route a coûté la vie à 16 jeunes joueurs des Broncos, équipe de la Saskatchewan Junior Hockey League. Sylvie Kellington, résidente de Humboldt, a lancé un appel par l’entremise de la plateforme GoFundMe[28]. À l’origine, l’objectif annoncé était de recueillir 100 000 $, mais finalement plus de 15 000 000 $ ont été amassés, du jamais-vu au Canada. Des appels ont aussi été lancés à l’initiative d’autres individus, et le président de l’équipe des Broncos a pris la parole publiquement pour informer les contributeurs éventuels que ces autres appels n’avaient pas été approuvés par l’équipe. Plusieurs personnes qui auraient voulu contribuer à l’appel de Mme Kellington, mais qui sont arrivées trop tard, ont exprimé leur frustration dans des messages qu’elles ont laissés sur la page du site. Ces réactions se révèlent étonnantes à première vue, puisque les montants amassés semblaient suffire pour répondre aux besoins des victimes et de leur famille. Elles témoignent de l’importance symbolique du don, qui permet d’exprimer des liens de solidarité et qui l’emporte parfois, dans l’esprit des donateurs, sur la valeur ou l’utilité des sommes en elles-mêmes. Le président de l’équipe des Broncos et GoFundMe ont présenté une requête à la Cour supérieure de la Saskatchewan pour qu’elle autorise la disposition des fonds[29]. Dans cette affaire, l’importance des sommes recueillies et la formulation vague de l’objet de l’appel expliquent que les parties aient saisi le tribunal.

1.2 La qualification juridique du sociofinancement sous forme de dons

Pour qualifier la relation juridique qui naît d’un appel aux dons, il faut distinguer le cas où le porteur du projet est donataire (1.2.1) et celui où il ne l’est pas (1.2.2). On doit aussi tenir compte de la présence d’une contrepartie, dans certains cas (1.2.3).

1.2.1 Le porteur du projet donataire des sommes recueillies

Lorsque le porteur du projet sollicite des dons pour lui-même, sa relation aux contributeurs peut être qualifiée de donation (art. 1806 C.c.Q.). Les trois éléments essentiels à la formation d’une donation sont alors réunis :

  1. l’intention du donateur d’avantager le donataire (intention libérale ou animus donandi)[30] ;

  2. l’acceptation de la donation par le donataire[31] ;

  3. le transfert immédiat du donateur au donataire ou, à tout le moins, la création immédiate d’une obligation de payer (art. 1806 et 1807 C.c.Q.)[32].

En principe, la donation doit être notariée et publiée ; cependant, si elle a pour objet un bien meuble, la donation est valide à la condition que le donataire reçoive immédiatement la délivrance du bien : c’est le don manuel (art. 1824 C.c.Q.)[33]. La promesse de donner n’est pas obligatoire en droit québécois[34].

Dans tous les cas où le porteur du projet reçoit des dons pour lui permettre de réaliser un projet personnel, comme des études, un voyage ou un film, et même la mise au point d’un produit, nous croyons qu’il devient propriétaire des montants recueillis dont il peut, juridiquement parlant, disposer à sa guise. Si le donataire n’emploie pas les sommes comme il l’avait annoncé, les donateurs disposent de moyens juridiques très limités.

En cas d’erreur ou de dol, les donateurs pourraient invoquer la nullité du contrat de donation[35]. Rappelons que le vice de consentement doit être contemporain de la formation du contrat. Si le donataire décide plus tard de ne pas employer les sommes comme il l’avait prévu et annoncé aux donateurs, il ne peut y avoir vice de consentement. Il faudrait plutôt se placer sur le terrain de l’inexécution du contrat. Or, par hypothèse, le donataire ne s’est engagé à rien : la donation est un contrat unilatéral et à titre gratuit.

Il est vrai que le Code civil reconnaît la donation avec charge, mais elle s’applique difficilement dans le présent contexte (art. 1831). La charge prend généralement la forme d’un service que le donataire rend au donateur, toutefois elle ne peut constituer l’entière contrepartie du don, sans quoi l’on ne serait plus en présence d’une donation. Dans le sociofinancement, les sommes recueillies sont en principe affectées à la fin annoncée par le porteur du projet. Si l’on considérait cette affectation comme une charge, il n’y aurait plus de donation.

Enfin, la révocation pour cause d’ingratitude peut être envisagée. Elle autorise le donateur à résoudre la donation si le donataire a « un comportement gravement répréhensible » envers lui[36]. Notons que ce moyen ne permet pas d’intervenir dans la vaste majorité des cas où le porteur du projet n’emploie pas les sommes comme il l’a annoncé.

Il faut conclure de l’analyse qui précède que le porteur de projet, dans la mesure où nous le considérons comme le donataire des sommes recueillies, est libre d’en disposer à sa guise. S’il ne dépense pas les sommes comme il l’a d’abord annoncé, les donateurs ne peuvent pas s’en plaindre, sauf dans les cas les plus graves équivalant à un vol ou à une fraude.

Ces principes trouvent application lorsqu’une organisation à but non lucratif procède à des campagnes de financement de manière régulière ou continue, que ce soit par l’entremise d’une plateforme de sociofinancement ou par d’autres moyens plus traditionnels. C’est généralement l’organisation elle-même, et donc le porteur du projet, qui est donataire des sommes recueillies, même s’il a été annoncé que les biens seraient affectés à une fin, à un groupe de bénéficiaires ou à certains bénéficiaires en particulier[37]. Les campagnes de financement utilisent couramment des cas emblématiques de victimes réelles pour attirer la sympathie du public[38] ; les fonds qui excèdent les besoins des bénéficiaires annoncés sont alors employés par l’organisation à d’autres fins : c’est là une pratique parfois critiquée, mais qui ne nous semble pas juridiquement contestable[39].

1.2.2 Le porteur du projet non donataire des sommes recueillies

La situation se complique lorsque le porteur du projet n’est pas une organisation à but non lucratif et qu’il n’est pas le destinataire final des sommes recueillies. Quatre cas de figure peuvent être envisagés, alors que l’appel est lancé :

  1. au nom d’un ou plusieurs bénéficiaires déterminés (ex. : une personne paralysée à la suite d’un accident tragique) ;

  2. au nom de bénéficiaires indéterminés (ex. : les victimes d’inondations dans une région donnée) ;

  3. dans un but d’utilité privée (ex. : le financement d’une poursuite devant les tribunaux) ;

  4. dans un but d’utilité sociale (ex. : l’achat d’ordinateurs pour une bibliothèque).

Dans le premier cas de figure, le bénéficiaire de l’appel pourrait, à la limite, être considéré comme le donataire. Pour que la donation soit valide, il faudrait que le bénéficiaire ait autorisé le porteur du projet à accepter les dons en son nom, mandat qui peut être tacite[40], ou qu’il ait subséquemment ratifié les actes du porteur du projet (art. 2160 C.c.Q.). Si le bénéficiaire n’est pas informé qu’un appel a été lancé en sa faveur, il est loin d’être assuré que la gestion d’affaires permettra de valider l’acceptation de la donation par le porteur du projet (art. 1482 C.c.Q.)[41]. À défaut d’acceptation du donataire, les dons seront frappés de nullité.

La donation ne peut plus s’appliquer dans les trois autres cas de figure, à moins de considérer le porteur du projet comme le donataire. Or, cette solution ne convient pas, car l’intention n’est pas d’avantager le porteur du projet personnellement. On pourrait être tenté d’invoquer de nouveau la donation avec charge (art. 1810 C.c.Q.)[42] ou la stipulation pour autrui (art. 1444 C.c.Q.). Ces solutions ne sont pas plus valables parce que la charge ne doit pas dénaturer la donation : celle-ci doit permettre d’avantager le donataire et non un tiers. De plus, la stipulation pour autrui exige que le bénéficiaire soit déterminable (art. 1445 C.c.Q.)[43].

Considérer le porteur du projet comme le donataire des sommes recueillies présenterait d’autres inconvénients. D’une part, cela l’autoriserait à détourner les sommes à son bénéfice personnel. D’autre part, ces sommes seraient exposées à la saisie de l’un de ses créanciers, comme cela s’est produit récemment en Colombie-Britannique : un individu y a lancé un appel pour venir en aide à une famille décimée par un incendie. Il a déposé les sommes amassées dans son compte personnel à la banque. Les fonds ont été saisis par l’Agence du revenu du Canada, parce que par ailleurs l’individu n’avait pas payé ses impôts[44].

Il pourrait être difficile de distinguer deux des cas de figure envisagés jusqu’à présent, à savoir celui où le porteur du projet fait appel à la générosité du public pour réaliser un projet personnel (section 1.2.1) et celui où le porteur du projet demande des contributions pour accomplir un but d’utilité privée ou sociale (cas de figure 3 et 4 exposés plus haut). Dans le premier cas, le porteur de projet est le donataire des sommes amassées, mais il ne devrait pas être considéré comme tel dans le second. Pour les distinguer, il faut se demander si les contributions ont avant tout pour objet d’avantager une personne, le porteur de projet, ou d’accomplir un but, l’identité du porteur de projet étant relativement indifférente. D’importantes conséquences juridiques découlent de cette distinction : il est donc primordial que l’information diffusée par la plateforme de sociofinancement soit suffisante à cet égard.

1.2.3 La promesse d’une récompense ou d’une contrepartie

La récompense de faible valeur promise en échange d’un don n’en change pas la qualification[45]. Toutefois, si la valeur du bien ou du service se rapproche du montant de la contribution, la qualification de vente ou de contrat de service peut l’emporter sur celle de donation : c’est l’hypothèse de la « prévente[46] ». Dans les situations intermédiaires, une qualification mixte peut même être envisagée.

Une autre qualification possible est celle du « don contre don » : on ne serait pas alors en présence d’un contrat à titre onéreux, mais de deux libéralités successives, celle du donateur et celle du porteur de projet qui, une fois celui-ci réalisé, offre un exemplaire du produit en guise de remerciement.

La qualification retenue a une incidence sur le caractère juridiquement contraignant de la promesse du porteur de projet, de même que des incidences fiscales[47].

Si le porteur du projet promet aux contributeurs un revenu, un intérêt ou une participation aux profits, la contribution doit être qualifiée d’investissement[48] : en ce cas, ce ne sont plus des dons ni une prévente.

1.3 L’intérêt de la fiducie

Le sociofinancement s’est d’abord développé dans les pays anglo-saxons. En common law, l’appel aux dons du public est qualifié facilement de fiducie, dès lors que le porteur du projet n’est pas le donataire des sommes recueillies. Il n’existe aucune formalité pour la constitution d’une fiducie en common law, et celle-ci peut être tacite. La fiducie peut même résulter d’un acte unilatéral par lequel une personne déclare détenir des biens pour autrui ou solliciter des dons pour autrui (declaration of trust). Ainsi, il va de soi que le porteur du projet, s’il n’est pas donataire, accepte les dons en tant que fiduciaire. Il est propriétaire des sommes amassées (legal title), sans en avoir la jouissance (beneficial ownership)[49].

Nous montrerons qu’en droit québécois la fiducie constitue aussi le véhicule idéal pour rendre compte de l’opération de sociofinancement dans tous les cas où le porteur du projet n’est pas le donataire des sommes recueillies (1.3.1). Toutefois, des adaptations sont nécessaires pour que cette solution puisse être retenue (1.3.2). Selon nous, le Québec devrait adopter la Loi uniforme sur les appels informels aux dons du public, conçue spécialement dans ce but (1.3.3).

1.3.1 La fiducie, véhicule idéal

Estimer que le porteur du projet est le donataire des sommes amassées, alors que celles-ci sont destinées à des tiers ou encore à l’accomplissement d’un but d’utilité privée ou sociale présente le risque d’un détournement de l’argent ainsi recueilli, comme nous l’avons déjà mentionné[50]. Si les tiers bénéficiaires sont considérés comme des donataires, cela soulève le problème de la validité des donations.

La fiducie représente la solution idéale pour sortir de l’impasse. Les contributions sont qualifiées de donations. La première donation permet de constituer la fiducie[51]. Les donations subséquentes augmentent le patrimoine fiduciaire (art. 1293 C.c.Q.). Les bénéficiaires se trouvent ainsi protégés contre le détournement des sommes par le porteur de projet (désormais fiduciaire) ou leur saisie par ses créanciers.

L’article 1260 du Code civil dispose que « [l]a fiducie résulte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer ». Cet article précise les trois éléments constitutifs de la fiducie[52] :

  1. Il faut d’abord, de la part du constituant, le transfert d’un ou de plusieurs biens au fiduciaire, pour former un patrimoine autonome et distinct[53] ;

  2. Ensuite, il est nécessaire que ce patrimoine réponde à une fin particulière[54] ;

  3. Enfin, le fiduciaire doit accepter de détenir et d’administrer le nouveau patrimoine[55].

La fiducie ainsi constituée forme un patrimoine d’affectation qui « implique la création d’une universalité de droit, c’est-à-dire d’un ensemble de biens et d’obligations dans lequel les biens répondent des obligations[56] ». C’est la traduction du caractère distinct et autonome de la fiducie dont parle l’article 1261 du Code civil. Ainsi se trouve rejetée la thèse d’une propriété sui generis qui attribuait les biens de la fiducie au fiduciaire.

La fiducie est « une institution essentiellement fondée sur la fidélité et la loyauté[57] ». Elle offre, en ce sens, un cadre où les biens servent exclusivement la fin à laquelle on les destine. En tant qu’administrateur du bien d’autrui, le fiduciaire exerce la pleine administration du patrimoine fiduciaire[58], sans en avoir la jouissance[59]. Le constituant et le bénéficiaire peuvent agir en justice contre le fiduciaire malhonnête ou incompétent[60].

Les trois espèces de fiducie reconnues par le Code civil permettent de rendre compte des cas de figure dans lesquels le porteur du projet n’est pas le donataire des sommes recueillies :

  1. la fiducie personnelle est « constituée à titre gratuit, dans le but de procurer un avantage à une personne déterminée ou qui peut l’être » (art. 1267 C.c.Q.) ;

  2. la fiducie d’utilité privée est créée « à l’avantage indirect d’une personne [ou] dans un autre but de nature privée » (art. 1268 C.c.Q.) ;

  3. la fiducie d’utilité sociale est établie « dans un but d’intérêt général, notamment à caractère culturel, éducatif, philanthropique, religieux ou scientifique » (art. 1270 C.c.Q.).

Si la fiducie du Code civil s’avère le véhicule idéal à maints égards, son application pose cependant certaines difficultés, qu’il serait nécessaire d’aplanir au moyen d’une loi ou d’un contrat.

1.3.2 Les adaptations nécessaires

Comme nous venons de le voir, la fiducie suppose l’intervention d’au moins deux personnes, soit le constituant qui établit les modalités de la fiducie et le fiduciaire qui les accepte ; de plus, elle requiert le transfert d’un bien du constituant au fiduciaire (art. 1260 C.c.Q.). Le respect de ces règles n’est pas assuré lorsqu’une personne prend l’initiative de lancer un appel aux dons du public par l’entremise d’une plateforme de sociofinancement. Toutefois, il est facile de se conformer à ces exigences, pour peu qu’on en soit informé[61].

Mentionnons deux autres points qui pourraient faire obstacle à la reconnaissance d’une fiducie en droit civil québécois, dans la mesure où certains juristes en ont une conception plutôt formaliste. D’une part, est-il possible d’établir une fiducie au moyen d’un contrat verbal ? D’autre part, le transfert d’un bien du constituant au fiduciaire peut-il se faire par don manuel ? À notre connaissance, la jurisprudence n’est pas intervenue sur ces points, et la doctrine est divisée[62]. Nous croyons qu’il devrait être possible de constituer une fiducie par contrat verbal, et si c’est une fiducie établie à titre gratuit, au moyen d’un don manuel, ce qui dispenserait les parties d’obtenir un acte notarié.

En common law, où la qualification de fiducie est spontanément retenue, d’autres difficultés surgissent, par ailleurs. La fiducie pour la réalisation d’un but d’utilité privée risque de ne pas satisfaire aux conditions de validité du droit commun, qui exigent que les bénéficiaires soient déterminés ou déterminables. De plus, seule la fiducie caritative bénéficie de la doctrine du cy-près, qui permet de réaffecter les sommes si l’objet de la fiducie ne peut être réalisé ou si le montant excède ce qui est requis[63].

Au Québec également, certaines des règles qui composent le régime juridique de la fiducie devraient être adaptées au sociofinancement : nous y reviendrons sous peu.

Il serait souhaitable, à notre avis, que les plateformes de sociofinancement proposent un modèle d’acte de fiducie aux porteurs de projet, qui répondrait aux conditions de formation de la fiducie prévues dans le Code civil et qui apporterait certaines adaptations aux règles qui en composent le régime. Ce modèle pourrait s’inspirer de la Loi uniforme sur les appels informels aux dons du public et de l’acte de fiducie proposé en annexe de cette dernière[64].

Mieux encore, le législateur québécois devrait adopter cette loi conçue spécialement pour que de tels appels puissent être encadrés au moyen d’une fiducie.

1.3.3 La Loi uniforme sur les appels informels aux dons du public

En 2011 et en 2012, la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada a proposé la Loi uniforme sur les appels informels aux dons du public[65]. Cette dernière ne se limite pas au sociofinancement : elle s’applique à tous les appels, quel que soit leur mode de diffusion. Toutefois, la loi en question ne porte pas sur les campagnes de financement d’organisations qui y procèdent de manière régulière ou continue, d’où l’épithète « informels ». La Conférence a adopté une version de la loi pour les provinces de common law et une autre pour le Québec[66]. À ce jour, la Saskatchewan est la seule province à l’avoir adoptée[67]. C’est d’ailleurs en vertu de cette loi que la Cour supérieure est intervenue dans l’affaire des jeunes victimes de l’accident de Humboldt mentionnée précédemment[68].

La Loi uniforme est conçue pour s’harmoniser avec le Code civil, dont elle précise l’application. En ce qui concerne la constitution d’une fiducie, la Loi uniforme dispense les parties d’en respecter toutes les conditions de formation :

4. Tout appel informel aux dons du public implique la constitution d’une fiducie.

Il n’est fait exception à cette règle que si les modalités de l’appel indiquent clairement son assujettissement à un régime juridique différent de celui de la fiducie. On entend par les modalités de l’appel tous les renseignements communiqués au public relativement à l’appel qui ont pu inciter un donateur à faire un don.

La Loi uniforme précise que l’affectation des biens doit être réalisée conformément aux modalités de l’appel (art. 7). Cette règle est établie pour la protection des contributeurs, puisque ce sont les modalités de l’appel qui ont motivé leurs dons.

Plusieurs règles de la Loi uniforme permettent ensuite d’adapter le régime du Code civil. À titre d’exemple, le porteur du projet est tenu de faire des placements présumés sûrs, bien qu’il en ait la pleine administration (art. 13). De plus, le porteur du projet n’est pas rémunéré, et cette disposition s’avère impérative (art. 10).

Des règles spéciales sont prévues pour la disposition d’un éventuel reliquat. On est en présence d’une telle situation lorsque les sommes amassées sont insuffisantes pour qu’il soit possible d’accomplir le but de l’appel, ou lorsque ces sommes ne sont plus nécessaires à cet égard (art. 23). Les dons qui dépassent 500 $ peuvent alors être remboursés aux contributeurs qui en ont fait la demande écrite au moment de leur don (art. 24). Si l’appel a été lancé au nom de bénéficiaires déterminés, le reliquat leur est remis, à moins que l’appel ne prévoie un mode de disposition différent (art. 28). Dans le cas d’un appel pour la réalisation d’une fin d’utilité privée ou sociale, le reliquat peut être remis à un organisme de bienfaisance dont l’objet est conforme à l’esprit de l’appel (art. 29). Toutefois, si le montant du reliquat est supérieur à 20 000 $, il ne peut en être disposé sans l’autorisation du tribunal (art. 29)[69].

La Loi uniforme permet à toute personne intéressée de surveiller l’administration du porteur du projet et de saisir le tribunal en cas de manquement (art. 31). À noter que la notion de « personne intéressée » inclut les contributeurs (art. 21).

Ajoutons que la Loi uniforme est accompagnée d’un modèle simple d’acte de fiducie, à remplir par le porteur du projet, qui est invité à y préciser les modalités de l’appel et ce qu’il adviendra d’un éventuel reliquat.

Le droit des fiducies, complété par la Loi uniforme, permettrait de rendre pleinement efficaces, sur le plan juridique, des formes de sociofinancement dont la validité nous apparaît douteuse, à l’heure actuelle. Ce régime propose en effet des solutions adaptées et comble les lacunes du droit en vigueur. En particulier, il encadre de manière appropriée les actes du porteur de projet, notamment en attribuant des recours efficaces aux contributeurs et aux bénéficiaires. Rappelons que la Loi uniforme ne régit pas seulement le sociofinancement, puisque sa portée est plus large. Enfin, elle ne précise pas les droits et les obligations des opérateurs de plateforme[70].

Tournons-nous maintenant vers le sociofinancement sous forme d’investissements. Bien qu’il soit peu utilisé, c’est lui qui a retenu jusqu’à présent l’attention des gouvernements. Nous verrons qu’il fait l’objet d’une réglementation détaillée.

2 Le sociofinancement sous forme d’investissements

Les investissements prenant la forme de capitaux ou de prêts sont généralement qualifiés de valeurs mobilières[71]. Le sociofinancement, qui consiste à proposer ces investissements au public, est donc interdit, à défaut de se conformer à la lourde réglementation qui s’applique en la matière. Considérant « le potentiel du financement participatif en capital comme nouvelle méthode pour lever des capitaux en ligne[72] », plusieurs autorités canadiennes en valeurs mobilières, dont le Québec, ont décidé d’assouplir les règles pour encourager le sociofinancement sous forme de capital (2.1). Pour l’heure, le Québec se montre moins accueillant à l’endroit du sociofinancement sous forme de prêts (2.2).

2.1 Le sociofinancement sous forme de capital

Le sociofinancement sous forme de capital consiste pour un porteur de projet à proposer aux contributeurs des actions, des obligations ou des parts sociales en échange de leur contribution. Par exemple, une jeune entreprise qui a besoin de financement pour créer un produit ou le mettre en marché pourrait recourir au sociofinancement en capital. Cette activité est soumise aux lois des provinces et des territoires canadiens sur les valeurs mobilières[73], qui encadrent l’appel public à l’épargne et le courtage en placements. Le porteur de projet y est assujetti en tant qu’émetteur de valeurs mobilières, et l’opérateur d’une plateforme de sociofinancement l’est également parce que celle-ci joue le rôle d’un courtier.

En 2012, les États-Unis ont adopté un cadre réglementaire allégé pour permettre aux entreprises en émergence de recourir plus facilement au sociofinancement en capital[74]. Les provinces canadiennes ont emboîté le pas à partir de 2013[75], et un cadre commun à six provinces canadiennes a été établi en 2015[76]. Un autre cadre a été mis au point en 2016 par un groupe de cinq provinces, avec des paramètres légèrement différents[77]. Certaines provinces, dont le Québec, ont adopté les deux régimes. La situation demeure compliquée, mais elle pourrait évoluer vers l’adoption d’un régime unique à l’échelle canadienne, à moins que les deux régimes ne soient abandonnés en raison de leur faible attrait pour les entrepreneurs et les investisseurs.

Nous présenterons brièvement ci-dessous les deux régimes de dispense qui permettent aux plateformes de sociofinancement sous forme de capital d’exercer leurs activités au Québec (2.1.1), avant d’aborder les obligations des plateformes (2.1.2) et la surveillance dont elles sont l’objet (2.1.3).

2.1.1 Les deux régimes de dispense

Les deux régimes applicables au Québec prévoient une dispense en faveur du porteur de projet (émetteur). Le premier de ces régimes offre aussi une dispense à la plateforme (courtier). Les dispenses imposent des conditions précises, si bien que le sociofinancement en capital est assujetti à un encadrement spécifique. Résumons brièvement les caractéristiques de chaque régime[78].

Le régime établi par l’Avis multilatéral 45-316 des ACVM. Dispenses d’inscription et de prospectus pour financement participatif des entreprises en démarrage, régime parfois appelé « petite dispense », a été introduit dans les six provinces participantes le 14 mai 2015[79]. Il consiste en une dispense de prospectus pour le porteur de projet et d’inscription pour la plateforme. Le porteur du projet ne doit pas être un émetteur assujetti, c’est-à-dire qu’il ne peut pas s’agir d’une société qui a fait appel public à l’épargne. Il doit avoir son siège social dans l’une des provinces participantes et compter une majorité d’administrateurs qui sont des résidents canadiens. Il doit fournir un document d’information de base, mais il n’est pas tenu de déposer ses états financiers. Le montant des souscriptions est limité à 1 500 $ par contributeur, pour un capital total ne dépassant pas 250 000 $, et le placement ne peut demeurer ouvert plus de 90 jours. Le porteur de projet accorde aux contributeurs la faculté de résoudre leurs souscriptions dans un délai de 48 heures suivant soit la souscription, soit la modification du document d’offre. Le porteur de projet ne peut lancer plus de deux appels par année.

La plateforme qui se prévaut du régime établi par l’Avis multilatéral 45-316 transmet des informations factuelles de base aux contributeurs et s’abstient de tout conseil[80]. Elle ne peut toucher aucune commission en provenance des contributeurs. Les montants versés par ces derniers doivent être détenus en fiducie dans un compte distinct auprès d’une institution financière canadienne. Si le montant minimal du placement fixé par le porteur du projet n’est pas atteint, les fonds doivent être restitués aux contributeurs. Ainsi, la plateforme fonctionne sur le modèle « Tout ou rien ».

Pour sa part, le régime établi par le Règlement 45-108 sur le financement participatif, régime parfois appelé « dispense de l’Ontario », a été introduit, à l’initiative de cette province, dans cinq provinces canadiennes le 25 janvier 2016[81]. Les conditions de la dispense se révèlent plus contraignantes que dans le régime précédent, mais le plafond est plus élevé. On y trouve de nouveau une dispense de prospectus en faveur du porteur de projet, qui fournit plutôt un document d’offre[82]. En revanche, ce régime ne prévoit pas de dispense pour la plateforme, celle-ci devant nécessairement être exploitée par un courtier inscrit ou un courtier inscrit en exercice restreint[83]. Le porteur de projet, qui peut être un émetteur assujetti ou non, doit déposer ses états financiers et fournir certaines informations de manière continue, en se conformant au Règlement 45-108 et à ses annexes. Les contributeurs disposent d’une action en nullité contre le porteur de projet en cas d’information fausse ou trompeuse. Ce dernier peut lever des capitaux ne dépassant pas 1 500 000 $ par année. Chaque contributeur peut investir jusqu’à 2 500 $, sans aller au-delà de 10 000 $ annuellement. Les exigences relatives à la durée du placement et au droit de résolution de 48 heures sont les mêmes que dans le régime précédent.

L’opérateur de plateforme qui se prévaut du régime établi par le Règlement 45-108 ne peut donner des conseils que s’il est inscrit en tant que courtier de plein exercice. Il ne peut faire de la publicité sur un placement ni démarcher des contributeurs. Il doit mettre à la disposition des contributeurs le document d’offre du porteur du projet, après en avoir vérifié la conformité avec la réglementation. Il doit vérifier les antécédents des administrateurs et des dirigeants du porteur du projet et s’assurer que l’information présentée est juste, équilibrée et raisonnable. Il lui faut surveiller les communications entre le porteur du projet et les contributeurs pour s’assurer de leur conformité. En cas d’irrégularité, il peut mettre fin au placement. L’opérateur de plateforme peut toucher des commissions du porteur du projet et des contributeurs, mais il doit afficher clairement le montant de celles-ci. Le contributeur doit signer un formulaire de reconnaissance de risque.

Pour répondre à l’appel diffusé par l’entremise d’une plateforme de sociofinancement en capital, un contributeur doit habiter l’une des provinces où les dispenses invoquées par le porteur de projet et par la plateforme, le cas échéant, sont applicables[84]. Pour exercer son activité dans une province, une plateforme doit y être inscrite ou répondre aux conditions de la dispense. Un placement peut s’effectuer simultanément dans plusieurs provinces, c’est-à-dire s’adresser aux contributeurs résidant dans chacune de ces provinces, à la condition que la plateforme et le porteur de projet se conforment aux règles qui y sont applicables.

Six plateformes de sociofinancement en capital proposent leurs services au Québec[85], dont les plus actives sont GoTroo et FrontFundr. Cette dernière est inscrite comme courtier. Nous avons observé que les projets financés y sont peu nombreux[86].

2.1.2 Les obligations de la plateforme

La plateforme est tenue, selon nous, de détenir les fonds des contributeurs de telle sorte qu’il soit possible de les identifier, en les séparant de ses fonds propres. Ces fonds ne lui appartiennent pas : elle doit les détenir comme fiduciaire, ou du moins comme administrateur du bien d’autrui[87]. Cette mesure s’avère d’autant plus importante si le modèle applicable est celui du « tout ou rien », puisque la plateforme détient les fonds pendant que dure l’appel, avec l’obligation de les transmettre au porteur du projet, si l’objectif de financement est atteint, ou de rembourser les contributeurs, s’il ne l’est pas. L’Avis multilatéral 45-319 des ACVM. Modifications aux dispenses de prospectus et d’inscription pour financement participatif des entreprises en démarrage prévoit que les fonds des contributeurs doivent être détenus dans un compte en fiducie auprès d’une institution financière[88], mais le Règlement 45-108 reste silencieux à ce sujet.

À notre connaissance, la plateforme ne garantit pas la réalisation du projet, pas plus qu’elle ne s’engage à en effectuer le suivi. Toutefois, l’Avis multilatéral 45-319 exige que le document d’offre précise la destination des fonds[89]. De même, le Règlement 45-108 dispose que le porteur de projet ne peut avoir accès à la dispense de prospectus s’il ne précise pas la nature de l’entreprise poursuivie ou s’il recherche des fonds en vue d’acquérir ou de fusionner une entreprise[90]. En s’assurant que ces exigences sont remplies, la plateforme procure indirectement un certain suivi aux contributeurs.

Nous ne connaissons pas de mécanisme particulier pour lutter contre la fraude. Il convient toutefois de préciser que les cas de fraude avérés compromettent la chance du porteur de projet ou de la plateforme de bénéficier d’une dispense. Le Règlement 45-108 prévoit ainsi « l’obligation pour le portail de financement de mettre fin à tout placement et d’aviser immédiatement l’autorité en valeurs mobilières ou l’agent responsable s’il lui semble, pendant la durée du placement, que les activités de l’émetteur ne sont pas exercées avec intégrité ou qu’il se peut qu’elles ne le soient pas[91] ».

2.1.3 La surveillance des activités de sociofinancement sous forme de capital

Le sociofinancement sous forme de capital est étroitement surveillé, notamment à partir des informations que doit transmettre la plateforme aux autorités en valeurs mobilières. À la suite de modifications apportées à l’Avis multilatéral 45-316 en 2016, la plateforme doit fournir à l’autorité visée certaines informations avant même de commencer ses opérations, y compris des renseignements à propos de ses dirigeants. Cette dernière peut refuser la dispense si elle juge que l’activité de la plateforme serait « préjudiciable à l’intérêt public du fait que ses commettants ou leur conduite passée démontrent un manque d’intégrité, de responsabilité financière, de connaissances ou d’expertise pertinentes[92] ». La plateforme doit également conserver pendant huit ans le dossier de chaque client, en y consignant toutes les opérations effectuées[93].

Le Règlement 45-108 impose des obligations similaires ou plus lourdes. À la fin de chaque trimestre, la plateforme doit faire rapport de ses activités à l’autorité en valeurs mobilières[94].

Les plateformes de sociofinancement sont susceptibles d’être visées par une loi fédérale qui a pour objet de lutter contre le blanchiment d’argent[95]. Il ne semble pas, à première vue, qu’elles soient touchées par une loi québécoise dont la portée est plus restreinte[96]. Les plateformes régies par la loi fédérale doivent s’inscrire auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE). Elles sont tenues de rapporter certaines transactions douteuses et de vérifier l’identité des personnes qui procèdent à des transactions de grande valeur[97].

2.2 Le sociofinancement sous forme de prêts

Les plateformes de sociofinancement sous forme de prêts mettent en relation un prêteur et un emprunteur. À première vue, le prêteur et l’emprunteur peuvent paraître liés directement par un contrat nommé, soit le simple prêt (art. 2327 et suiv. C.c.Q.). De fait, le prêt participatif[98] s’est réclamé, dans un premier temps, de la « désintermédiation » : il permettait de court-circuiter les banques, intermédiaires traditionnels entre les épargnants et les emprunteurs[99].

Les principales plateformes de prêt ont toutefois évolué vers une structure plus complexe, dans laquelle les plateformes jouent un rôle nettement plus affirmé. Dans les faits, c’est la plateforme qui sélectionne les emprunteurs, leur attribue une cote de risque et détermine les taux d’intérêt des prêts[100]. C’est elle qui exerce le recours contre un emprunteur en défaut. Le contributeur n’a pas de contact direct avec l’emprunteur, pas plus qu’il n’a accès à son dossier de crédit. En dernière analyse, c’est la plateforme ou sa banque qui est le véritable prêteur, alors que le contributeur effectue un placement (plutôt risqué). La « désintermédiation » se révèle donc illusoire[101].

Certaines entreprises pourraient se laisser tenter par ce mode de financement, surtout s’il est moins encadré que le financement en capital. Le financement sous forme de prêts pourrait en effet être moins coûteux ou plus accessible que le crédit offert par les institutions financières. À la différence du financement en capital au moyen d’actions, le financement sous forme de prêts n’oblige pas l’entrepreneur à partager avec de nombreux contributeurs la propriété de son entreprise. Les contributeurs, de leur côté, se voient promettre un rendement intéressant et la possibilité de diversifier leur portefeuille en prêtant à plusieurs individus ou sociétés. Il semblerait que des banques se préparent à investir ce marché[102].

De leur côté, les autorités canadiennes en valeurs mobilières considèrent que les activités des plateformes de prêt sont assujetties au droit des valeurs mobilières, au même titre que le sociofinancement en capital. En 2008 et en 2017, l’Autorité des marchés financiers du Québec a publié des avis[103] pour prévenir les plateformes de prêt qu’elles sont assujetties à l’application de la Loi sur les valeurs mobilières, dans la mesure où elles proposent au public québécois des investissements au sens de l’article premier de cette loi[104]. En tant qu’intermédiaires, les plateformes de prêt sont considérées comme exerçant l’activité de courtier en placement, ce qui les oblige à s’inscrire auprès de l’Autorité des marchés financiers, sauf si elles bénéficient d’une dispense d’inscription[105].

Sans modifier la réglementation applicable, les autorités canadiennes peuvent accorder des dispenses à la pièce, suivant la formule du « bac à sable réglementaire[106] », comme celle dont bénéficie depuis le mois d’octobre 2016 la plateforme torontoise Lending Loop[107].

Pour conclure, les gouvernements ont voulu stimuler l’entrepreneuriat en favorisant le sociofinancement sous forme d’investissements, mais le bilan nous semble mitigé. Le maintien de règles et de contrôles stricts est apparu nécessaire pour la protection des contributeurs. Ces contraintes s’accordent mal avec le sociofinancement, dont les vertus sont la simplicité, la rapidité et la possibilité de contribuer à un projet par de petits montants, ce qui atténue la prise de risque des contributeurs, un facteur décisif lorsqu’ils décident de faire confiance au porteur du projet. Pour un entrepreneur, il sera onéreux de recourir à ce mode de financement, car il lui faudra composer avec une multitude de contributeurs qui auront acquis des droits dans l’entreprise[108]. On comprend que le sociofinancement sous forme de dons connaisse plus de succès.

3 Les régimes juridiques connexes

Pour terminer notre tour d’horizon juridique du sociofinancement, nous proposons un aperçu de l’application du droit fiscal (3.1) et du droit de la consommation (3.2).

3.1 Le droit fiscal

L’Agence du revenu du Canada et l’Agence du revenu du Québec ont publié quelques avis sur le traitement fiscal du sociofinancement[109]. La situation nous paraît complexe, d’une part, parce que le sociofinancement est relativement nouveau pour les autorités fiscales et, d’autre part, parce que le traitement fiscal des différentes formes de sociofinancement n’est pas unifié. La chronologie des avis produits par les autorités fiscales montre le développement progressif et encore inachevé de cette prise en charge.

Dans la première interprétation rendue en 2013, l’Agence du revenu du Canada a estimé que les contributions obtenues grâce au sociofinancement du type « prévente » sont imposables en tant que revenu[110] et que les dépenses associées à la mise en oeuvre du financement pouvaient être déduites, à certaines conditions[111]. Cependant, cette solution s’applique difficilement au sociofinancement sous forme de dons. En effet, il faut tenir compte de la distinction entre une activité commerciale et une activité personnelle : la première donne lieu à un revenu, mais pas la seconde[112].

Toujours en 2013, l’Agence du revenu du Canada a justement reconnu que les contributions reçues grâce au sociofinancement peuvent constituer des dons, auquel cas elles ne sont pas imposables. Pour échapper à l’imposition, ces dons doivent avoir été reçus par un individu à titre personnel et non pour la création d’un produit ou d’une entreprise[113]. L’Agence du revenu du Canada accepte en outre qu’il puisse exister une relation de mandant à mandataire entre le contributeur et la plateforme qui reçoit les contributions pour le compte d’un organisme de bienfaisance. Dans ce cas de figure, « le contributeur pourrait bénéficier du crédit pour dons […] ou réclamer une déduction pour dons applicables aux sociétés[114] ».

En 2014, l’Agence du revenu du Canda a ajouté que l’apport du contributeur est de même nature que le revenu de l’émetteur, du porteur du projet ou du bénéficiaire des fonds : il peut être question d’une participation en capital, d’un prêt, d’un don ou d’une dépense de nature personnelle[115]. En ce qui concerne le sociofinancement en capital ou sous forme de prêts, l’Agence du revenu du Québec estime que la fiscalité des investissements y trouve son application[116]. En règle générale, les produits des investissements sont imposables à titre de revenus en vertu de l’article 80 de la Loi sur les impôts. Néanmoins, les articles 160 à 167 de cette loi permettent au contributeur de déduire les intérêts des emprunts contractés pour acquérir des titres[117]. Si le contributeur est un particulier, le montant des intérêts déduits peut être soumis à la limite relative à la déductibilité des frais de placement d’un particulier en vertu des dispositions des articles 336.5 à 336.7 de la Loi sur les impôts. L’entrepreneur qui reçoit l’investissement doit le considérer comme une dette ou une participation à son capital.

Pour l’instant, les deux agences évitent de se prononcer de manière générale et préfèrent réserver au sociofinancement un traitement au cas par cas[118].

Quant aux taxes sur la consommation, en l’occurrence la taxe fédérale sur les produits et services (TPS) et la taxe de vente du Québec (TVQ), trois situations doivent être distinguées selon qu’il s’agit de valeurs mobilières, de dons ou de préventes.

Les prêts d’argent et le financement en capital sont exonérés de la TPS[119] et de la TVQ[120]. De même, les dons qui ne sont assortis d’aucune contrepartie ne sont pas taxables[121]. S’il existe une contrepartie, le critère déterminant résidera dans la nature du lien entre la contrepartie et le paiement. Si ce lien est direct et que la contrepartie s’avère substantielle, le bénéficiaire de la contribution pourra être requis de payer la TPS. L’Agence du revenu du Canada présente des lignes directrices pour la qualification de la nature du lien[122].

À ces considérations, il faut ajouter les difficultés liées à la taxation des transactions en ligne. Lorsque des biens ou des services sont offerts en ligne, ils sont en principe taxables. Cependant, la taxe ne s’applique pas si l’entreprise qui exploite la plateforme n’est pas résidente au Canada et qu’elle n’a pas d’installation stable dans le pays[123].

3.2 Le droit de la consommation

La Loi sur la protection du consommateur s’applique au contrat de service qui intervient entre la plateforme et un consommateur, que ce soit le porteur du projet ou le contributeur ; elle pourrait aussi concerner le contrat de vente ou de service intervenant entre le contributeur et le porteur du projet, dans le cas d’une prévente[124]. La Loi sur la protection du consommateur contient notamment des dispositions en matière de pratiques interdites (fausse déclaration et publicité trompeuse)[125] et de contrats à distance (ce qui inclut la vente et le contrat de service conclus par Internet)[126].

Les dispositions qui encadrent le contrat à distance obligent le commerçant à divulguer de façon intelligible certains renseignements au consommateur, notamment ses coordonnées, une description détaillée des biens et des services offerts ainsi que des frais exigés, la devise dans laquelle les montants sont payables et les délais d’exécution. Elles accordent au consommateur le droit de résoudre le contrat s’il n’obtient pas un exemplaire de ce dernier avec les informations requises ou si le commerçant accuse un retard de plus de 30 jours dans l’exécution de ses obligations[127]. Le consommateur qui a payé au moyen d’une carte de crédit et qui n’est pas remboursé par le commerçant peut obtenir de l’institution financière émettrice un crédit correspondant aux montants débités de son compte (rétrofacturation)[128]. Lorsque le commerçant perçoit un montant en paiement partiel ou total avant d’exécuter son obligation principale, il doit utiliser un moyen de paiement qui permet la rétrofacturation[129]. Ces dispositions s’inspirent du Modèle d’harmonisation des règles régissant les contrats de vente par Internet élaboré par les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la consommation en 2001[130]. Cependant, leur application au sociofinancement ne se fait pas sans difficulté, car il donne lieu à une relation tripartite dans laquelle la plateforme joue un rôle à la fois de prestataire de services et d’intermédiaire.

Concernant les plateformes de prêts, nous partageons l’avis des professeurs Marc Lacoursière et Arthur Oulaï, à savoir que la plateforme agit comme un prêteur[131]. Dans ce cas, la plateforme, si elle s’adresse à des emprunteurs consommateurs, doit obtenir le permis exigé par la Loi sur la protection du consommateur[132]. En plus des dispositions déjà mentionnées, celles qui sont applicables au prêt d’argent, qui ont notamment pour objet d’informer le consommateur en lui divulguant le taux d’intérêt et les frais, doivent être respectées[133].

Mentionnons également l’article 347 du Code criminel, qui interdit le prêt à un taux d’intérêt supérieur à 60 p. 100, et l’article 2332 du Code civil, qui confère au tribunal le pouvoir d’annuler ou de réviser un prêt d’argent en cas de lésion.

Pour sa part, la Charte de la langue française exige que les produits, les publicités et les modes d’emploi soient présentés en français ; les contrats où figurent des clauses types, ainsi que les documents s’y rattachant, doivent également être consultables en français[134]. Ces obligations amènent concrètement les plateformes qui désirent faire des affaires au Québec à créer un site Internet en langue française.

La décision d’un contributeur ou d’un porteur de projet de s’inscrire à une plateforme américaine soulève des questions délicates concernant le droit applicable. Rappelons que la Loi sur la protection du consommateur prévoit que le contrat conclu par Internet est réputé l’être à l’adresse du consommateur[135].

Conclusion

Au terme de notre étude, nous pouvons dire que le sociofinancement suscite plusieurs questions auxquelles nous n’avons pas toujours trouvé des réponses définitives.

Dans le sociofinancement sous forme de dons, le foisonnement des hypothèses doit composer avec l’absence de doctrine et de jurisprudence portant sur les enjeux qu’elles entraînent. Nous avons jeté quelques bases à partir desquelles le droit pourra se préciser et s’adapter à cette réalité mouvante. Les plateformes de sociofinancement pourraient jouer un rôle utile en orientant les parties vers le choix du régime juridique qui correspond le mieux à leurs intentions.

Dans le sociofinancement sous forme d’investissements, le foisonnement de la réglementation semble injustifié, considérant le faible engouement des entrepreneurs et des investisseurs. Le sociofinancement n’est peut-être pas le meilleur véhicule pour eux. Les gouvernements ont eu raison, par ailleurs, de considérer le sociofinancement en capital et sous forme de prêts comme étant visé par la réglementation en matière de valeurs mobilières. Le niveau de risque est tel que cette activité doit être réglementée, et qu’elle pourrait même se voir tout simplement interdite.

Comme nous venons de l’exposer, le sociofinancement présente effectivement des risques. Il serait dommage que les abus, les fraudes et les attentes déçues en viennent à miner la popularité d’un mécanisme qui incarne des biens précieux comme l’initiative, la créativité, la solidarité et la confiance. Ce mécanisme se discipline lui-même à travers les écueils qu’il surmonte, mais le droit doit aussi jouer son rôle. Il convient surtout d’encadrer intelligemment le sociofinancement sous forme de dons, sa forme la plus prometteuse. Nous croyons que la Loi uniforme sur les appels informels aux dons du public de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada représente une excellente initiative en sens. La Conférence a d’ailleurs entrepris de réviser cette loi uniforme, afin qu’elle propose un encadrement encore mieux adapté au sociofinancement.