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L’ouvrage regroupe une sélection d’articles relativement courts, traitant sous plusieurs angles la manière dont les Premières Nations sont intégrées ou non dans les processus de décision ayant des incidences sur leur territoire et les ressources présentes. Les projets d’exploitation des ressources sont à l’origine de traumatismes communautaires vécus par les Premières Nations (perte d'un territoire, de repères et de traditions, dégradation de l’environnement) qui ont longtemps été minimisés ou niés. Aujourd’hui, à la suite de mobilisations de grande ampleur et une jurisprudence qui s’est progressivement consolidée (Martin et Hoffman, 2008), la place des Autochtones tend à être reconnue, ainsi que leur perception singulière du territoire et leurs savoirs traditionnels qui ne se fondent pas sur les mêmes principes que ceux de la science occidentale (contributions de Bohensky et Maru ; de Roburn et al.).

Aspirer, pour les Autochtones, à être parties prenantes des projets et à pouvoir bénéficier a minima de leurs retombées positives fait déjà partie d’une longue histoire judiciaire au Canada, sur laquelle reviennent fréquemment les articles de cet ouvrage. Aussi, faut-il différencier les territoires vierges de tout traité entre la Couronne et les Premières Nations (Québec, Ontario, Yukon, etc.) de ceux sur lesquels, au cours de l’histoire de la colonisation, les Autochtones ont signé des accords éteignant leurs droits sur leurs territoires ancestraux en contrepartie d’un certain nombre de mesures (pas toujours bien appliquées) en leur faveur, comme les droits de chasse, de pêche ou de piégeage sur leurs territoires traditionnels et le droit de récolte sur les terres cédées situées à l’extérieur de leurs réserves (contribution de Dana et al.).

Pour le premier cas, des arrêts comme Calder c. British Columbia (1973), R. c. Van den Peet decision (1996), Delgamuukw c. British Columbia (1996), Haida (2004), Tsilhqot’in Nation (2014) ont contraint l’État fédéral, les provinces et de ce fait les aménagistes à prendre en compte les Premières Nations : obligation de consulter et d’accommoder les Autochtones (intégrer leurs intérêts dans le projet). Dans le second cas, les territoires sous-traités n’ont pas empêché les Premières Nations de négocier ou de poursuivre la Couronne ou ses représentants, que ce soit sur les territoires qu’ils détiennent ou ceux sur lesquels ils peuvent exercer des droits.

Aussi, de nombreux articles de l’ouvrage illustrent à travers une pluralité d’exemples comment les Autochtones conçoivent, négocient ou estent en justice pour avoir accès, valoriser ou préserver différentes ressources renouvelables (forêt, eau, etc.) ou non (pétrole, gaz, diamants, etc.). Et ce, en fonction des droits fonciers qu’ils ont sur le territoire : propriété, « usufruit » pour leurs pratiques… La constitution de réserves en milieu urbain renverse la perspective majoritairement traitée dans le livre, parce qu’elle permet à certaines communautés d’avoir accès au potentiel des villes (services, emplois, etc.) sur la base du règlement de revendications particulières et de droits fonciers issus de traités (contribution de Schneider et al.).

Cette lecture permet de constater que la reconnaissance des Autochtones comme interlocuteurs incontournables et leur intégration dans la gestion des ressources sont devenues indispensables, non seulement en application de la loi et de la jurisprudence, mais aussi pour éviter de longues procédures judiciaires et améliorer la performance des projets. Ainsi, les Impact and benefits agreements sont-ils de plus en plus utilisés et permettent aux communautés d’être parties prenantes : programmes de formation professionnelle, emplois réservés aux membres de la communauté, sous-traitance réservée à des entreprises autochtones. Si l’ambition des négociateurs autochtones est avant tout d’améliorer la qualité de vie de leurs communautés (souvent dévastées par le chômage, des problèmes sanitaires, etc.) et la préservation de leurs pratiques traditionnelles, les Premières Nations ne partagent pas toutes les mêmes capacités de négociation. En outre, par leurs savoirs ancestraux, certaines touchées plus fortement que d’autres par les externalités négatives peuvent remettre en question la pertinence d’une (sur)exploitation de certains territoires.

Aussi, quelques questions peuvent être soulevées : ces « nouvelles » formes de contractualisation qui structurent la participation des communautés aux retombées positives constitue-t-elle réellement un changement de paradigme, une « nouvelle aurore » dans la manière de traiter les Autochtones (O’Reilly, 1999) ? Permet-elle réellement aux communautés d’accéder à une certaine justice sociale (contribution de McCarthy et al.) ?

Si la réponse apportée par une grande partie des articles de l’ouvrage est positive, cette forte dépendance aux ressources, à leur extraction et à leur valorisation a également son revers : celui de la vulnérabilité aux aléas économiques et à l’épuisement desdites ressources. De même, reste intact le spectre des problèmes environnementaux (les changements climatiques et leurs incidences sur certaines matières premières, la pollution, etc.) que pose l’exploitation non durable des ressources, surtout quand cette exploitation s’effectue de manière segmentée. Mais cela reste ici peu exploré.