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Introduction

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la hausse démographique et l’urbanisation croissante entraînent une augmentation des besoins alimentaires. Pour répondre à la demande, les agriculteurs renouvellent leurs pratiques afin de produire en plus grande quantité et à plus faible coût. Or, en se modernisant, l’agriculture se transforme. Ainsi, au Québec, l’agriculture orientée vers des pratiques de subsistance et d’autosuffisance recule et est peu à peu remplacée par une activité agricole conquérante, productive, intensive et spécialisée. Une déterritorialisation de l’agriculture s’amorce dès lors en ceci que l’activité cherche moins à répondre à une demande de proximité et que les spécificités locales s’atténuent, voire disparaissent, au profit de produits et de modes de production standardisés. Cependant, les limites de ce nouveau modèle agricole et la dévitalisation qui s’ensuit dans certains milieux ruraux sont rapidement constatées. Au fil du temps, diverses stratégies sont mises en oeuvre afin de pallier certaines de ces limites, comme des programmes agroenvironnementaux (Prime-Vert) ou encore des mesures de soutien aux petits et moyens producteurs (Programme d’assurance récolte).

Plus récemment, soit en 2012, le gouvernement adopte le Plan de développement de la zone agricole (PDZA) qui introduit une nouvelle logique d’intervention dans le développement de l’agriculture. Le PDZA a pour objectif de consolider et diversifier les activités agricoles afin de mettre en valeur la zone agricole locale. Il vise la détermination des enjeux qui sont propres à chacun des territoires et la formulation de réponses qui leur sont adaptées. Il cherche à favoriser l’occupation dynamique de la zone agricole, la multifonctionnalité de l’agriculture et du territoire, particulièrement dans les régions dévitalisées, ainsi que la cohabitation harmonieuse des usages (MAPAQ, 2012 ; Jean et al., 2014 ; Doyon et al., 2016). Sous la responsabilité de la municipalité régionale de comté (MRC), il doit être élaboré « en concertation avec les acteurs du milieu », notamment les producteurs agricoles, à travers différentes modalités de participation (MAPAQ, 2012 : 2). Le PDZA marque ainsi un retour vers un développement agricole local et, dès lors, participe à la reterritorialisation de l’agriculture.

L’introduction du dispositif PDZA nous amène tout spécialement à nous interroger sur les conséquences de la mise en dialogue des acteurs agricoles et non agricoles. Également, dans cet article, nous nous intéressons à l’incidence de la concertation associée aux PDZA sur l’agriculture à l’échelle des MRC, cela, à travers des processus de reterritorialisation de l’agriculture qui favoriseraient de plus grandes sociabilités, c’est-à-dire de nouveaux liens entre les acteurs. De manière plus spécifique, nous cherchons à déterminer de quelle façon l’élaboration des PDZA modifie la représentation qu’ont les acteurs non agricoles de l’agriculture et de son rôle dans le développement des territoires ruraux.

Nous posons l’hypothèse qu’à travers la mise en place de processus de concertation, initialement favorables à une plus grande sociabilité entre les acteurs agricoles et non agricoles, leur représentation a été modifiée en ceci que l’agriculture occupe une place plus importante et, de ce fait, assure une plus grande vitalité des milieux ruraux. En effet, comme l’ont observé Barthe et al., en France, les mécanismes de dialogue à l’échelle locale permettraient « une évolution notable des pratiques et des représentations, tant chez les acteurs territoriaux que chez les acteurs agricoles » (2012 : 7). Nous éprouverons plus précisément cette hypothèse à partir des cas des MRC d’Antoine-Labelle et des Sources, sélectionnées en raison de la diversité des acteurs et de la multiplicité des processus participatifs de la démarche d’élaboration de leur PDZA. Il est à noter que ce choix ne se veut pas représentatif de la démarche usuellement entreprise par les MRC, mais bien de territoires ayant opté pour une plus grande ouverture à la participation.

Notre article s’organise comme suit. Dans une première partie, nous contextualisons notre recherche en nous penchant sur le développement de l’agriculture et la dévitalisation des milieux ruraux. Dans une seconde partie, nous définissons le cadre conceptuel sur lequel s’appuie cette recherche. Ensuite, nous présentons notre méthode et les territoires à l’étude. Enfin, nous exposons puis discutons des résultats de la recherche.

L’activité agricole et la dévitalisation rurale

Le développement du Québec est étroitement lié à l’agriculture, cette activité ayant permis le défrichement et le peuplement du territoire. Le modèle familial de subsistance qui prévaut pendant la première moitié du XXe siècle (Dupont, 2009) est graduellement remplacé par le modèle agro-industriel à partir de l’après-guerre afin de répondre aux besoins grandissants et aux nouvelles attentes de la société québécoise, mais aussi à la demande en provenance de l’Europe ravagée par la guerre. Sur le continent nord-américain, l’activité agricole tend de plus en plus vers un modèle que Davis (1956, dans Hamilton, 2014) qualifie d’agribusiness.

Dans ce type d’agriculture, les opérations de la ferme s’intègrent au système industriel dominé par de grandes firmes. Les activités de ces entreprises vont de la fabrication à la mise en marché d’intrants technologiques ou d’aliments transformés (Whatmore, 2011). Les fermes s’inscrivent ainsi dans un modèle productiviste dont la priorité est d’augmenter la production, sans considération pour la communauté ou l’environnement (Danbom, 1995 ; Woods, 2011). Le développement des entreprises agroalimentaires situées en périphérie des agriculteurs est dès lors exponentiel. En effet, dès 1960, le chiffre d’affaires de cette industrie périphérique au Québec est quatre fois plus élevé que celui des fermes (Dupont, 2009). La modernisation des équipements agricoles et le recours à des intrants issus de l’industrie chimique (engrais, herbicides, pesticides) stimulent l’essor de l’industrie en amont de la production agricole, alors que l’éloignement des marchés et la transformation entraînent l’essor de l’industrie en aval. Cette situation provoque un assujettissement des pratiques agricoles à ces entreprises puisqu’elles doivent, entre autres, répondre « aux standards incontestables des transformateurs et distributeurs » (Poirier, 2010 : 28). Une orientation de la production en fonction des besoins de l’industrie, une consolidation sectorielle et une distanciation entre le producteur et le consommateur s’installent donc (Dupont, 2009 ; Parent, 2010).

Dans ces circonstances, le Québec résiste comme il le peut en faisant des choix de société tels que l’autosuffisance alimentaire (Nourrir le Québec, 1981), le maintien d’unités de production de petite et moyenne tailles (Dupont et Laplante, 2010), la mise en marché collective (Royer, 2013), le maintien de l’agriculture dans toutes les régions ainsi que la professionnalisation du métier de producteur (CAAAQ, 2008) qui permettent à l’agriculture québécoise de conserver une certaine spécificité tout en prenant part au système globalisé. De plus, le cadre institutionnel agricole mis en place au cours de cette période contribue à affirmer ces choix (mesures de soutien aux petits et moyens producteurs, syndicat agricole (Kesteman et al., 2004), mondialisation croissante des échanges (le sommet du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec [MAPAQ] sur L’agriculture québécoise à l’heure des choix [1992], etc.).

Il n’en demeure pas moins que malgré ces mesures, au Québec, entre 1981 et 2001, « plus de 15 fermes en moyenne par semaine ont cessé leurs activités sur un total initial de 44 000 » (Dupont, 2009 : 127) pour atteindre 28 919 fermes en 2016 (Statistique Canada, 2016a). De plus, la superficie totale des fermes québécoises diminue de 43 % (concentration spatiale), tandis que leur superficie moyenne augmente de 88 % (concentration des exploitations) (tableau 1). Aussi, grâce à la modernisation des équipements et aux importants investissements, les fermes « ont accru considérablement leurs rendements » (CAAAQ, 2008 : 46). Le capital agricole moyen par entreprise connaît, lui, une augmentation phénoménale entre 1961 et 2016, soit de plus de 1000 %.

Si une part importante de l’activité agricole connaît ainsi une spécialisation et une intensification (Simard, 2001 ; Jean et al., 2014), une agriculture alternative, souvent considérée comme un modèle qui tend à rompre avec l’agriculture industrielle, se met parallèlement en place (Reveret et al., 1981 ; Simard, 2001 ; Audet, 2008). Dans ce modèle, l’accent est mis sur la diversification de la production, de la transformation et de la distribution, ainsi que sur la polyculture / élevage, les associations de plantes sur une même parcelle et les rotations des cultures (Deverre et Lamine, 2010 ; Deléage, 2011). Ce type d’agriculture « renvoie à des pratiques non conventionnelles de production agricole qui favorisent l’adaptation des systèmes productifs aux conditions géographiques, climatiques, hydriques et écologiques locales […] Les initiatives de l’agriculture alternative proposent aussi parfois des systèmes de commercialisation alternatifs » (Audet, 2008 : 3). Selon Fournier et Touzard (2014), il importe toutefois de dépasser ce dualisme. Dans la plupart des systèmes agricoles se trouve une diversité de modèles de rechange qui coexistent selon différentes modalités. Néanmoins, la remise en question du modèle agroindustriel dominant au Québec et la mise en place graduelle d’une agriculture alternative par un processus de reterritorialisation de l’agriculture découlent du constat des nombreuses limites du modèle conventionnel. Celles-ci concernent les domaines environnemental, sanitaire, social et économique puisqu’elles englobent autant les problèmes liés à la pollution, à l’érosion et à l’augmentation des friches que ceux liés à la marginalisation de certains modèles agricoles, l’isolement et l’endettement des agriculteurs (Reveret et al., 1981 ; Danbom, 1995 ; Simard, 2001 ; CAAAQ, 2008 ; Silvestro, 2009 ; Doddridge et Sénéchal, 2013 ; Jean et al., 2014).

Tableau 1

Évolution de la structure des fermes québécoises, 1961 et 2016

Évolution de la structure des fermes québécoises, 1961 et 2016

* En dollars 2016 (17 000 $ en 1961)

Sources : CAAAQ, 2008 : 46 ; Statistique Canada, 2016a ; 2016b ; 2016c

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Ces diverses limites ont également des conséquences sur les milieux ruraux. Auparavant, le monde rural était directement associé à l’agriculture, mais « [ce] renversement de l’hégémonie de la fonction agricole dans l’espace rural a fait l’objet de nombreuses recherches qui en arrivent toutes à la même conclusion : celle d’un remodelage des milieux ruraux qui se manifeste, entre autres, par une diversification des activités, mais aussi par un exode des régions rurales vers les zones urbaines » (Simard, 2001 : 10). De plus, il est aujourd’hui question d’une pluralité de milieux ruraux et non d’une ruralité homogène, rendant ainsi obsolète l’opposition ville-campagne (Madeline, 2007 ; Darly, 2012). Le phénomène de la dévitalisation des milieux ruraux québécois est, entre autres, une des conséquences du modèle conventionnel agricole. Dugas définit la dévitalisation des communautés rurales comme « un processus qui entraîne une diminution progressive et quelquefois rapide de l’activité socio-économique d’une entité spatiale donnée et dont les effets se font sentir au niveau de la démographie, de l’occupation du sol, de l’habitat, de l’infrastructure des services, de la qualité de vie et des perspectives d’avenir » (1991 : 112).

De nombreux auteurs soulignent que la campagne n’est plus synonyme d’agriculture, mais bien de multifonctionnalité (Jean et al., 2014 ; Ruiz et Domon, 2014). Or, même si cette campagne n’est plus uniquement structurée par l’agriculture, il demeure que les activités agricoles jouent un rôle clé dans les recompositions territoriales (Jean, 1991 ; Madeline, 2007 ; Parent, 2010 ; Royer et Gouin, 2010).

Depuis le début des années 2000, le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) cherche à « mesurer, à une fréquence régulière, la vitalité économique des municipalités » (ISQ, 2016b : 8) grâce à un indice basé sur le marché du travail, le niveau de vie et la dynamique démographique. [1] À la lumière de cet indice, le Québec compterait 152 municipalités dévitalisées, soit près de 14 % des localités de la province (MAMR, 2008). Ces milieux font face à des enjeux tels que le manque d’attractivité dû, entre autres, à une dégradation du paysage et du patrimoine bâti, à la baisse de la valeur foncière et à l’exode des populations. Il s’ensuit une perte de services de proximité et de commerces, ce qui accentue la dévitalisation de ces milieux. Un taux de chômage élevé, un vieillissement de la population, une sous-scolarisation et un tissu social qui s’effrite caractérisent aussi souvent ces milieux (MAMR, 2008).

Au Québec, la modernisation de l’agriculture fragilise certains territoires ruraux. Meloche et Debailleul soutiennent ainsi que « [les] régions les plus exposées aux changements structurels entraînés par la concentration des exploitations, la mécanisation ou les investissements dans les terres agricoles sont des régions où les emplois dans l’agriculture sont importants non seulement en termes absolus, mais surtout en proportion » (2013 : 33).

En outre, le type d’exploitations agricoles présentes sur le territoire peut également influencer la vitalité des communautés rurales. En effet, les petites fermes familiales seraient plus à même d’insuffler un dynamisme à une région que les grandes exploitations agricoles, puisqu’elles ont plus d’impact sur le nombre d’emplois, les paysages et la biodiversité (Boutin, 1999 ; Parent, 2010 ; Meloche et Debailleul, 2013). Certains auteurs considèrent que l’application de ce modèle agricole « a eu pour conséquence d’entraîner une dégradation de l’environnement socio-économique des communautés rurales, de même qu’une déstructuration des espaces ruraux » (Boutin, 1999 : 11). Royer et Gouin (2010) ainsi que Parent (2010) abondent en ce sens et ajoutent qu’avec le développement du modèle productiviste, les fonctions économique et productive de l’agriculture sont privilégiées, et ce, au détriment d’autres fonctions traditionnelles telles que sociale, environnementale et culturelle, ce qui n’est pas sans engendrer divers problèmes. Doddridge et Sénéchal indiquent que ces enjeux agricoles sont toujours d’actualité puisqu’on assiste à « [une] baisse des revenus agricoles, [un] endettement des agriculteurs, [une] hausse des coûts de certains programmes d’aide financière à la production, [une] difficulté à transférer les fermes à la relève, [une] prise en compte des impératifs du développement durable et [une] expression de nouvelles exigences sociétales » (2013 : 7). Par ailleurs, encore aujourd’hui, on observe une augmentation des friches et des conflits d’usages, une déprise agricole, une marginalisation des milieux agricoles périphériques et une surutilisation de certains territoires, liées aux avantages comparatifs, ainsi qu’un manque de mise en valeur des spécificités territoriales (CAAAQ, 2008 ; Jean et al., 2014).

Le cadre conceptuel

Dans cet article, nous avons recours à un certain nombre de concepts. Ainsi, notre recherche prend appui sur le concept de territorialité, de déterritorialisation et de reterritorialisation (TDR), de sociabilité et de représentation.

Territorialité, déterritorialisation et reterritorialisation

La littérature scientifique distingue schématiquement trois types de territorialité, soit la territorialité verticale, plus culturelle, la territorialité transversale, plus politique, et la territorialité horizontale, plus sociale (Bédard, 2017). Dans le cadre de cette recherche, une territorialité plus sociale, c’est-à-dire « qui s’intéresse aux dimensions territorialisées du vivre-ensemble qu’ébauche et conjugue une communauté / société » (Idem : 19) est mobilisée afin d’aider à comprendre cette (ré)appropriation d’un territoire singulier. Raffestin considère globalement la territorialité comme le reflet d’une « multidimensionnalité du vécu territorial des membres d’une collectivité » (Di Méo, 2008 : 5). Di Méo (Ibid.) précise que ce vécu territorial, qui réfère à des expériences et à des représentations, est d’abord effectif au niveau individuel. La territorialité structure en effet une coordination d’échelles territoriales et de réseaux que fréquentent les individus, révélant ainsi la façon dont ces derniers tissent leur relation « aux territoires qu’il[s] pratique[nt], qu’il[s] se représente[nt] et auxquels il[s] s’identifie[nt] » (Ibid.). C’est, de fait, pareille production d’un territoire par des individus qui le chargent de sens.

Dans le cadre de cet article, la territorialité est abordée à partir du processus de reterritorialisation. Comme explicité précédemment, une déterritorialisation de l’agriculture s’est amorcée dans les pays industrialisés à partir des années 1950 à la suite de l’avènement du paradigme productiviste (Praly, 2007 ; Rieutort, 2009 ; Brand et Bonnefoy, 2011). La spécialisation et l’intensification des pratiques ont entraîné une filière agricole plus étendue et plus distante de la région et du lieu, et dès lors une ouverture de ses frontières, occasionnant ainsi un changement d’échelle, passant du local à l’international. Depuis, le modèle agricole est « en voie de globalisation » (Rieutort, 2009 : 37) et les facteurs d’enracinement au sein des territoires locaux et régionaux s’amenuisent. Ces territoires sont par conséquent de moins en moins pris en considération, tant dans les orientations et les activités agricoles que dans l’analyse des répercussions de l’agriculture, entraînant une déterritorialisation (Rieutort, 2009). De plus, l’augmentation de l’urbanisation couplée à ce processus de mondialisation entraîne une déterritorialisation du système alimentaire et une scission entre l’espace de production et celui de la consommation (Brand et Bonnefoy, 2011).

Au Québec, un ancrage territorial s’est relativement maintenu à l’échelle nationale, s’exprimant notamment à travers des modalités de régulation des activités agricoles et une certaine vision collective de l’agriculture. Néanmoins, la prise en compte des échelles locale et régionale s’est réduite de manière importante. Aussi, sans nier l’existence d’une agriculture territorialisée à l’échelle provinciale, nous focalisons, dans cet article, sur la reterritorialisation de l’agriculture aux échelles ayant connu une plus franche déterritorialisation, soit les échelles locale et régionale, dont les spécificités n’étaient à peu près plus prises en compte. Ainsi, depuis quelques années, au Québec mais aussi dans d’autres pays occidentaux, on assisterait à une reterritorialisation de l’agriculture par une réappropriation du territoire local et régional en termes de processus et de productions. Il est question ici de reterritorialisation, car s’il s’agit de pratiques agricoles plus spécifiquement liées aux traits propres à des lieux et à des régions, s’effectuant notamment à travers des relations nouvelles (Berrier-Solliec et al., 2005 ; Rieutort, 2009 ; Auricoste et al., 2011 ; Doucet, 2011 ; Barthe et al., 2012 ; Doyon et al., 2016). Ce phénomène émane d’un sentiment identitaire réaffirmé, en même temps qu’il y renvoie, en vertu de la recherche de plus grandes solidarités et sociabilités (Rieutort, 2009 ; Darly, 2012). Les chercheurs constatent en effet de plus en plus « des phénomènes d’articulation entre les échelles, des discours et des pratiques de coopération des acteurs autour de l’activité agricole » (Barthe et al., 2012 : 6).

Plusieurs auteurs soutiennent qu’une manifestation visible de ce processus de reterritorialisation est la mise en place de circuits courts/vente directe (Praly, 2007 ; Brand et Bonnefoy, 2011 ; Prévost, 2014). « [Le] lien entre agriculture et ville serait renouvelé, dépassant les politiques de relocalisation et de valorisation agricole, s’inscrivant dans une stratégie territoriale et dans un raisonnement plus englobant sur le “ vivre-ensemble” » (Brand et Bonnefoy, 2011 : 12). Auricoste et al. ajoutent que ce mouvement est double puisqu’il est également question d’une désectorisation partielle, mais sensible, de l’agriculture. En effet, ce processus entraîne « la participation d’acteurs qui ne se définissent pas en priorité par rapport à l’agriculture (associations environnementalistes, organisations représentant les consommateurs...) et amène également certains acteurs relevant a priori du monde agricole à prendre position sur des questions de société dépassant l’agriculture » (2011 : 396).

C’est pourquoi les populations locales seraient les plus à même de développer une agriculture et un espace rural répondant aux attentes de la société (Barthe et al., 2012). En effet, une gestion plus locale et régionale pourrait permettre l’émergence de « territoires » agricoles diversifiés puisque le monde agricole québécois n’est pas uniforme, constitué de spécificités socioterritoriales propres aux régions et aux localités, ainsi que d’une grande diversité de problèmes et d’opportunités (Doyon et al., 2016). Donc, en reterritorialisant l’action publique liée à l’enjeu agricole, cela pourrait permettre de « dépasser la logique de co-gestion entre la profession agricole majoritaire et l’administration d’État » (Barthe et al., 2012 : 5) et ainsi ouvrir le débat à une multiplicité d’acteurs.

Sociabilité

Les origines du concept de sociabilité se situent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, alors que Tarde et Simmel le définissent en relation avec les notions de lien social et de communauté (Valade, 2015). Tarde affirme que la conversation, définie « comme l’exercice continu et universel de la sociabilité » (Idem), constitue « l’une des composantes essentielles de ce jeu social » (Idem). Simmel, pour sa part, oppose la discussion à la conversation. Selon lui, la discussion a pour but la vérité alors que, « dans la conversation, le sujet n’est qu’un moyen : le but, c’est la sociabilité elle-même » (Mendras, 1983 : 138).

Il existe, dans des sociétés, une multitude de groupes au sein desquels on peut observer différents types de sociabilité et ces derniers peuvent perdurer (Akoun, 2015). Ces types de sociabilité, par exemple une sociabilité plus amicale ou une sociabilité plus familiale, résultent des caractéristiques structurales de groupes sociaux, et certains auteurs portent une attention particulière aux caractéristiques sociodémographiques (Forsé, 2005). Cependant, les caractéristiques socioterritoriales de ces groupes doivent aussi être prises en compte puisque l’effet de lieu peut également être un élément de leur articulation. Au sein des villages et des quartiers, « une sociabilité locale originale prend corps qui ne s’explique pas seulement par la composition sociodémographique de la population » (Idem : 647). « La sociabilité réfère au réseau qui lui sert de support. Elle se définit comme l’ensemble des relations personnelles d’un individu, compte tenu de leur forme. Cette forme est une structure que l’on cherche concrètement à dégager de l’analyse empirique des réseaux de sociabilité » (Idem : 645). Aussi, dans le cadre de l’élaboration d’un PDZA, l’ouverture à des acteurs de tout horizon veut permettre des échanges entre ceux provenant du milieu agricole et ceux issus d’autres secteurs, cela, dans une logique de désectorisation. Afin de rendre compte de cette sociabilité, il nous faut mieux comprendre l’accès des participants aux processus participatifs, la nature des liens entre ces acteurs et les types d’activité organisée. Les relations établies pourraient permettre un renouvellement des représentations.

Représentation

Le processus qui mène à la représentation « s’efforce parfois de rester au plus près de la forme du référent […] ; parfois, au contraire, il laisse libre cours à l’expression subjective de celui qui représente » (Debarbieux, 2013 : 867). Dans un cas comme dans l’autre, la représentation ne constitue pas un calque de la réalité. Il s’agit plutôt d’une interprétation de celle-ci. La représentation implique ainsi un décalage temporel plus ou moins important, « ce qui lui confère une plus grande capacité d’autonomie culturelle par rapport au réel auquel elle se réfère » (Ibid.). La représentation diffère donc de la perception qui, elle, correspond à un processus qui se produit en présence du phénomène (Di Méo, 2008 ; Debarbieux, 2013 ; Bédard, 2016). De manière plus nuancée, il est possible de distinguer les représentations individuelles des représentations sociales. Les premières peuvent être comprises comme étant le résultat d’un « itinéraire de vie » (Debarbieux, 2013 : 867) alors que les secondes sont construites par le groupe et partagées par lui. Les représentations sociales se basent sur un système commun de valeurs dans lequel ce groupe évolue (Di Méo, 2008). Un troisième type correspond aux représentations géographiques qui, elles, concernent des objets précis ou des phénomènes, tels que « les localisations, les différenciations et les limites ou continuums spatiaux, les distances et connexions, les interactions […] localisées et les qualifications de chacun de ces types de phénomènes » (Debarbieux, 2013 : 867).

Dans cet article, nous supposons que l’effet de lieu et de culture des acteurs interviewés (où ils ont grandi, où ils vivent, où ils travaillent, etc.) influence leur représentation de l’agriculture et de son rôle dans le développement des territoires ruraux. Ainsi, la définition retenue pour la représentation étudiée est « une opération [cognitive] connotative permettant de qualifier le sens [nature et importance] qu’on prête au dit phénomène et à la relation antécédente qu’on entretient à son égard, c’est-à-dire pour le comprendre » (Bédard, 2016 : 537).

Dès lors, le développement d’une sociabilité, observable par l’établissement ou la relance du dialogue entre les milieux non agricole et agricole, pourrait influencer les représentations des non-agriculteurs. L’analyse des représentations des non-agriculteurs se fait à travers leur interprétation de la situation agricole actuelle. Nous cherchons ainsi à comprendre les liens unissant les processus participatifs organisés durant l’élaboration du PDZA des deux MRC et la possibilité que les représentations des non-agriculteurs se soient modifiées avec leur participation à la démarche.

Méthodologie et territoire à l’étude

Notre article découle d’une recherche effectuée dans le cadre d’une maîtrise en géographie. La recherche s’appuie, d’une part, sur l’observation documentaire de plans, sites Web, comptes rendus, procès-verbaux et articles de presse en lien avec la mise en oeuvre des PDZA dans chacune des MRC. Cette première étape a permis d’identifier certains acteurs et de prendre connaissance des processus participatifs mis en place. D’autre part, nous avons effectué 41 entretiens semi-dirigés avec des acteurs ayant participé à la démarche d’élaboration des PDZA de la MRC d’Antoine-Labelle et de la MRC des Sources. Les entretiens ont été menés auprès de représentants institutionnels et associatifs (par exemple, élus, employés de ministères – MAPAQ, MAMOT –, clubs-conseils en agroenvironnement) et des agriculteurs provenant de diverses municipalités et représentant différentes spécialisations (production laitière, ovine, biologique, etc.). Au total, nous avons réalisé une vingtaine d’entretiens par MRC. Ce nombre nous permettait d’obtenir une représentativité chez chacun des deux types d’acteurs tout en nous procurant une saturation de l’information. Les entretiens, dont une retranscription intégrale a été réalisée, ont duré en moyenne 59 minutes. Les transcriptions ont par la suite été transférées dans le logiciel d’analyse de données qualitatives NVivo, afin d’y être codifiées par thèmes. Notre étude porte sur les territoires des MRC d’Antoine-Labelle et des Sources.

Située dans la région des Laurentides, la MRC d’Antoine-Labelle a une superficie totale de 14 840 km2. Sa zone agricole permanente s’étend sur 14 des 17 municipalités qui la composent et représente 4 % de son territoire. Une importante partie de cette zone agricole (59 %) est constituée de boisés et de plantations. On y dénombre 147 entreprises en production animale et 77 en production végétale. La majorité des entreprises animalières produisent du bovin de boucherie (67) et du bovin laitier (42). Les revenus des productions animales constituent 70 % des revenus agricoles totaux de la MRC. En ce qui a trait à la production végétale, l’acériculture compte le plus grand nombre d’entreprises, soit 28. Au chapitre des superficies en culture, les fourrages constituent la principale production, soit 9 606 des 13 824 hectares cultivés de la zone agricole, conséquence de l’importante production bovine (MRC d’Antoine-Labelle, 2015).

Globalement, « les contraintes naturelles typiques de la zone agricole de la MRC d’Antoine-Labelle (boisés, relief, terrain rocheux, cours d’eau, etc.) “morcellent” en quelque sorte les terrains cultivés, c’est-à-dire que les champs sont généralement de petite dimension et présentent souvent des contours irréguliers » (Idem : 21). En outre, le potentiel agricole des sols de la MRC n’est pas des plus importants. Une grande partie des sols cultivés se caractérise en effet par une faible fertilité due à une forte acidité ou à une carence en éléments nutritifs. Ainsi, moins de 50 % de la superficie de la zone agricole est de classes 2 à 4. [2] De plus, les entreprises agricoles occupent 55 % de la zone agricole du territoire, soit un recul de 10 % entre 1997 et 2012 (MRC d’Antoine-Labelle, 2015), comparativement à des taux de 52 à 54 % pour l’ensemble du Québec durant la même période (CPTAQ, 1998 ; 2012). En outre, 224 entreprises agricoles sont enregistrées sur le territoire de la MRC en 2010, soit une diminution de 4,3 % par rapport à 2004 (et une diminution de 10 % par rapport à 1997) (MRC d’Antoine-Labelle, 2015). L’agriculture de la MRC se caractérise par une pluralité de modèles d’entreprise, attribuable à sa « grande diversité de superficies cultivées » (Idem : 32).

Du point de vue de l’organisation du territoire, la MRC d’Antoine-Labelle, dont la municipalité la plus populeuse est Mont-Laurier, compte 35 243 habitants en 2016 (Statistique Canada, 2017). La densité de population de la MRC s’élève à 2,4 habitants/km2, soit la plus faible densité de la région administrative des Laurentides, dont la moyenne est 29,3 (CLD d’Antoine-Labelle, 2011). De plus, l’indice de vitalité économique de la MRC est le plus faible des Laurentides, soit -10,23 (ISQ, 2016a), comparativement à 4,73 en moyenne pour la région. Cela classe le territoire au 93e rang des 104 MRC du Québec. L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) rapporte notamment un taux négatif d’accroissement annuel moyen de la population sur cinq ans, ainsi que les plus faibles taux de travailleurs et de revenu total médian des particuliers dans la région administrative (Idem). Selon l’ISQ, la population de la MRC augmentera de 4,6 % entre 2011 et 2036 (ISQ, 2014b). Ces indicateurs sont autant de signes de dévitalisation pour cette communauté des Hautes-Laurentides.

Le second terrain d’étude est la MRC des Sources, située en Estrie. De taille beaucoup plus restreinte que celle d’Antoine-Labelle, cette MRC a une superficie totale de 786 km2 (ISQ, 2014a). La zone agricole permanente occupe 81 % du territoire et se répartit sur l’ensemble de ses municipalités (MRC des Sources, 2014). La zone boisée couvre environ 66 % du territoire. Cette MRC compte 160 entreprises en production animale et 96 en production végétale. Le bovin laitier (69) et le bovin de boucherie (42) constituent les principales productions animales. Du point de vue financier, les productions animalières génèrent 78 % des recettes agricoles totales de la MRC. En ce qui a trait à la production végétale, les entreprises du secteur acéricole sont les plus nombreuses (32) (MRC des Sources, 2014).

De manière générale, le territoire de la MRC est caractérisé par « [des] ondulations de collines, de vastes perspectives de plateaux et de chaînes de montagnes aux profils arrondis » (Idem : 27). D’autre part, selon la classification des terres, aucun sol de classe 1 et 2 n’est répertorié sur le territoire de la MRC, témoignant ainsi d’un manque de sols de première qualité pour l’agriculture. Qui plus est, 45,5 % de la superficie de la MRC correspond à la classe 7. Les sols de catégorie 3, 4 et 5 occupent respectivement 10 %, 28 % et 17 % de la superficie du territoire. Cette situation influence l’activité agricole et la présence de friches a été signalée dans le PDZA de la MRC comme un enjeu préoccupant. En ce qui a trait au taux d’occupation de la zone agricole par une entreprise agricole, il n’est que de 49 % (MRC des Sources, 2014). La portion cultivée équivaut à un peu plus de 25 % de la superficie totale de la zone agricole. [3] En outre, 247 exploitations agricoles sont enregistrées sur le territoire de la MRC en 2012, soit une diminution de 8,5 % par rapport à 2001 (MRC des Sources, 2014).

Par ailleurs, la MRC des Sources est composée de sept municipalités, dont la plus populeuse est Asbestos, qui compte 14 756 habitants. La densité de population est de 18,8 habitants/km2, alors que la moyenne pour la région de l’Estrie est de 31,8 (MRC des Sources, 2014). En outre, la MRC des Sources connaît l’indice de vitalité économique le plus faible de la région administrative de l’Estrie, soit -8,19 (ISQ, 2016a), tandis que la moyenne régionale est -1,07. Cet indice positionne le territoire au 87e rang des 104 MRC du Québec (ISQ, 2016a). En effet, sur le marché du travail, la MRC enregistre depuis 2002 un taux de travailleurs de moins de 70 %, comparativement à 73 % pour l’ensemble de la province. Le niveau de vie est également bas, et ce, malgré une augmentation croissante du revenu total médian des particuliers depuis 2002. Il demeure de manière générale le plus faible de la région administrative. De plus, le taux d’accroissement annuel moyen de la population est négatif, la population étant en décroissance, à l’exception de la période de 2006 à 2011, où une légère augmentation a été constatée (ISQ, 2016a). Ces trois facteurs témoignent d’un certain niveau de dévitalisation du milieu.

PDZA et renouvellement des sociabilités et des représentations de l’agriculture

À travers nos entretiens, nous avons voulu connaître le point de vue de l’ensemble des personnes rencontrées à l’égard de leur agriculture régionale et du dynamisme qu’elles lui attribuent. Des questions concernant la représentation qu’ont les non-agriculteurs de l’agriculture, ainsi que la possible évolution de leur représentation à la suite de leur participation au processus d’élaboration du PDZA ont également été adressées aux participants. Dans cette section, nous présentons les résultats pour la MRC d’Antoine-Labelle d’abord, puis ceux pour la MRC des Sources.

La MRC d’Antoine-Labelle

Le dialogue des mondes agricole et municipal

La recherche documentaire effectuée avant la réalisation de nos entretiens nous a permis de constater que la démarche du PDZA de la MRC d’Antoine-Labelle, commencée à la fin de novembre 2013 et achevée à la fin du mois d’avril 2015 au terme de 17 mois d’élaboration, s’est caractérisée par la mise en place d’une importante variété de modes de consultation et de concertation. Entre autres, il y a eu la création d’un comité directeur et d’un comité technique comprenant une multiplicité d’acteurs issus de diverses organisations locales et régionales, ainsi que des élus et des agriculteurs. De plus, quatre tables rondes ont été organisées entre janvier et février 2014, sur autant de thèmes, soit la production laitière, la production bovine et ovine, les productions non traditionnelles et la relève agricole. Afin d’impliquer plus de personnes dans l’élaboration du PDZA, la MRC a aussi tenu trois séances de consultation publique ouvertes à tous.

Nous avons cherché à évaluer si cette multiplicité des processus a pu influencer les liens unissant les agriculteurs et les non-agriculteurs. Pour ce faire, nous avons voulu connaître les points de vue des participants à notre étude quant à l’état du dialogue entre le milieu agricole et le milieu non agricole avant l’élaboration du PDZA. La moitié des personnes rencontrées (10 / 20) ont qualifié le dialogue de faible. Le fait qu’il n’y avait pas réellement de plateforme de rencontre entre les deux milieux, à l’exception des séances des conseils municipaux, et que les deux milieux aient des intérêts divergents, ont été des explications récurrentes dans les entrevues. « Je pense que les gens ne s’imaginaient pas qu’ils pouvaient s’asseoir autour d’une même table et se parler. C’était deux mondes différents et on ne pouvait pas trouver de compromis. Tu es pro-agriculture ou tu ne l’es pas ! (rires) Mais pourtant non, pas du tout » (non-agriculteur #1).

Ce point de vue était partagé autant par les agriculteurs (4) que les non-agriculteurs (6) interviewés. Cependant, les agriculteurs ont été les seuls à qualifier le dialogue d’inexistant avant l’élaboration du PDZA (4). Un sentiment d’incompréhension de l’importance de l’agriculture de la part du monde municipal a été exprimé à plusieurs reprises. « On était prêt à sacrifier l’agriculture pour construire des maisons. C’est comme ça que je voyais ça quand j’ai fait partie du monde municipal » (agriculteur #1). Par ailleurs, deux d’entre eux ont ajouté qu’il y avait seulement « un dialogue obligé » entre les deux milieux. « Le CLD [Centre local de développement], je ne savais même pas c’était quoi avant (rires). La MRC, je le sais parce qu’il y a quelqu’un à chaque année qui vient voir les constructions qu’on fait. C’est lui qui fait les permis, c’est l’inspecteur municipal dans le fond » (agriculteur #7).

L’établissement et la relance du dialogue entre des acteurs ayant des intérêts variés, conséquence des activités et des réunions mises en place durant l’élaboration du PDZA, ont été perçus de manière très positive par l’ensemble des personnes rencontrées. En effet, la plupart (18) ont affirmé que le dialogue s’était bien déroulé. L’ouverture d’esprit et l’intérêt des participants quant à la démarche ont été mentionnés comme autant de facteurs de réussite du bon déroulement des processus participatifs. Plusieurs agriculteurs ont également dit avoir constaté un réel intérêt des non-agriculteurs pour l’agriculture et pour l’opinion des agriculteurs. Cela s’est notamment renforcé à la suite de la réalisation du portait de la zone agricole, lequel montrait la portée économique et sociale de l’agriculture dans la MRC. De plus, l’importance de travailler ensemble et le fait qu’il s’agissait d’une démarche pour l’agriculture étaient considérés prioritaires afin de favoriser de bons échanges entre les divers participants. « C’était important d’être transparent dans la démarche en leur disant qu’on le faisait pour eux et pas pour nous. À ce moment, ils n’étaient plus en mode “défensif” ; ils étaient en mode “ recherche de solutions” » (non-agriculteur #2).

Ensuite, nous avons cherché à connaître l’avis des participants concernant la pérennité du dialogue mis en place. La grande majorité (19) ont déclaré que ce dialogue allait être durable, mais à certaines conditions (28), notamment le suivi du PDZA (10), que ce soit par la mise en place des actions du plan ou par des rencontres annuelles afin de savoir où en serait la réalisation de ces multiples actions, et le fait d’être proactif (9) dans l’entretien du dialogue entre le milieu agricole et le milieu non agricole.

Les représentations de l’agriculture

Afin de connaître les points de vue des personnes interviewées concernant le dynamisme agricole régional, une évaluation sur une échelle de 0 à 10 (10 signifiant « extrêmement dynamique » et 0 « importante déstructuration ») a été faite par l’ensemble des personnes interrogées. Onze personnes ont attribué à la région un dynamisme agricole de 7 ou plus. Parmi elles, cinq ont indiqué qu’il y a tout de même des spécificités selon les types de production et les secteurs géographiques puisque, par exemple, la production laitière et maraîchère compte davantage de jeunes faisant partie de la relève agricole que la production bovine et les grandes cultures, où les producteurs sont vieillissants et souvent sans relève. De surcroît, trois participants ont dépeint le portrait d’une région dynamique où émergent depuis plusieurs années différents projets agricoles, tels que la Coop BioGrain, l’abattoir coopératif des Hautes Laurentides, ainsi que des marchés publics. Un agriculteur a précisé : « Il y a vraiment des choses qui se font, les gens ne sont pas juste assis chez eux, ils sont proactifs, je trouve » (agriculteur #10). Cependant, malgré tout, cinq producteurs agricoles ont attribué une note de 5 ou moins au dynamisme agricole de la région. Le contexte de mondialisation et de libre-échange qui contribue à la diminution du cours des produits agricoles et le difficile accès aux capitaux pour le démarrage ont été mentionnés à plusieurs reprises lors des entretiens. De plus, un agriculteur a ajouté que « [l’agriculture] n’est pas déstructurée tant que ça, mais ce n’est pas très dynamique non plus. Je suis pas mal un des plus jeunes dans la région et c’est tout le temps les mêmes qui s’impliquent. Ce n’est pas compliqué, c’est les trois, quatre mêmes qu’on voit toujours. Alors ce n’est pas comme s’il n’y avait rien qui s’organisait, mais ce n’est pas la super grosse organisation non plus » (agriculteur #7).

Nous nous sommes par ailleurs intéressées aux représentations des 10 non-agriculteurs concernant la fonction principale qu’ils prêtent à l’agriculture, ainsi que l’influence qu’a eue leur participation à l’élaboration du PDZA sur leur représentation agricole. D’abord, pour huit d’entre eux, la fonction principale de l’agriculture est la production. Ils affirmaient que, « malgré les petits produits de niche qui commencent, [l’agriculture] est quand même à la base la production du lait et du boeuf. C’est de l’agriculture de production » (non-agriculteur #3). Ensuite, six ont estimé que la seconde fonction de l’agriculture est de dynamiser le milieu rural puisque « [c]’est quelque chose de super-important ici, parce que s’il n’y a pas d’agriculture, il y a certaines municipalités qui ne vivent pas du tout ou pratiquement pas » (non-agriculteur #2).

En ce qui a trait à leur participation à l’élaboration du PDZA et à l’influence que cette participation a eue sur leur représentation du milieu agricole, une importante distinction doit être faite entre les non-agriculteurs travaillant directement avec le milieu agricole et ceux qui gravitent plus autour du monde municipal et environnemental. Sur dix participants à notre étude, six ont indiqué que leur représentation de l’agriculture régionale s’est peu ou pas modifiée par suite de leur participation à la démarche. Ils disaient avoir déjà pris conscience des multiples contributions de l’agriculture à la région, mais affirmaient avoir tout de même approfondi leurs connaissances : « Je dirais que ça m’a fait davantage réaliser la diversité du potentiel agricole dans les différentes régions du territoire que je couvre » (non-agriculteur #5). Un autre a affirmé qu’il avait « une vision réduite de l’agriculture dans la région, mais que [le fait de participer à l’élaboration du PDZA lui] a permis d’être en contact avec l’ensemble et de voir le portrait global de la situation» (non-agriculteur #3). Les quatre autres personnes ont plutôt estimé que leur représentation de l’agriculture s’est substantiellement modifiée par suite de leur participation à la démarche PDZA. « On doit s’adapter au moule qu’est l’agriculture si on veut avoir les producteurs dans le travail. On n’a pas le choix d’adapter nos façons de faire en conséquence et ça, ça a modifié ma perception parce que, nécessairement, on a créé des contacts et je suis plus sensible à leurs éléments » (non-agriculteur #1).

Chez les agriculteurs, la moitié ont considéré qu’il y a eu une évolution des représentations des non-agriculteurs ayant participé à l’élaboration du PDZA à l’égard de l’agriculture de la région. Ils ont observé une meilleure compréhension des enjeux agricoles, particulièrement chez les élus. Ces derniers ainsi que les gens de la MRC, selon les agriculteurs, sont plus conscients que l’agriculture constitue un moteur économique important pour la région, et cela se reflète dans leur implication dans divers projets liés à l’agriculture sur le territoire. Par exemple, des agriculteurs ont mentionné que l’organisation des marchés publics et des journées portes ouvertes sur les fermes de l’Union des producteurs agricoles (UPA) était facilitée par ces non-agriculteurs.

La MRC des Sources

L’élaboration du PDZA de la MRC des Sources s’est amorcée à la mi-mars 2013 et s’est achevée à la fin du mois d’octobre 2014. Lors de cette démarche, divers processus de consultation et de concertation ont été organisés. Un comité appelé Agriculteur Leader, groupe réunissant une quinzaine d’agriculteurs dynamiques répartis dans l’ensemble des municipalités et représentant toutes les productions présentes sur le territoire, a été mis sur pied. Il y a également eu la création d’un comité directeur avec mission d’orienter la réalisation du PDZA, ainsi que de trois comités techniques traitant chacun d’un enjeu agricole défini dans le portrait du PDZA. En mars 2014, ont été tenus les États généraux sur l’agriculture, soit une journée de concertation ouverte à tous. Élaborée sous forme de table ronde, cette activité a permis de regrouper près de 100 personnes issues de divers milieux.

Le dialogue des mondes agricole et municipal

Lorsque interrogés sur la qualité du dialogue entre le milieu agricole et le milieu non agricole avant l’élaboration du PDZA, près de la moitié des participants à notre étude dans la MRC des Sources (10 / 21) ont qualifié ce dialogue de bon. Six ont mentionné que plusieurs éléments facilitent la préservation générale d’un bon dialogue entre le milieu agricole et le milieu non agricole dans la MRC, à savoir la petite taille du territoire, la prédominance rurale et agricole, le faible taux d’établissement de gens provenant de l’extérieur de la MRC et le fait que les gens se connaissent bien. Cinq ont affirmé, quant à eux, que le dialogue pré-PDZA était faible entre les deux milieux, deux d’entre eux évoquant même des tensions avec les agriculteurs en lien avec les enjeux environnementaux. De plus, une personne considérait ce dialogue comme étant « décousu » alors qu’une autre affirmait qu’il n’y a qu’un dialogue pour « bien paraître ». Six répondants n’ont pas été en mesure de répondre à la question car ils ne connaissaient pas la situation avant l’élaboration du PDZA, entre autres parce qu’ils ne travaillaient pas directement avec le milieu agricole à cette époque.

L’ensemble des personnes interrogées percevait positivement l’établissement ou la relance du dialogue entre les divers acteurs ayant participé au PDZA. En effet, tous estimaient que le processus s’était bien déroulé. Près de la moitié précisaient que les participants avaient eu l’occasion de s’exprimer librement et de partager leurs idées, permettant ainsi d’éviter de grandes confrontations entre les acteurs des différents milieux.

En outre, quatre personnes interviewées ont constaté une ouverture chez les participants et un désir de faire connaître leur opinion. « Il y avait une volonté d’essayer de se dire les vraies choses, de trouver des solutions et de faire en sorte qu’on passe à l’action et que ça soit vraiment quelque chose qui fait en sorte que tout le monde profite des retombées du plan » (non-agriculteur #4). D’autres facteurs, tels que l’importante implication des personnes responsables à la MRC ainsi que la clarification auprès des participants du champ d’application du PDZA et de ses limites, ont aussi favorisé le bon déroulement des échanges.

Par ailleurs, la vaste majorité des personnes de notre échantillon (20) disaient croire en la pérennité du dialogue entre le milieu agricole et le milieu non agricole, et ce, pour différentes raisons (29). L’entretien du dialogue et la mobilisation des acteurs (9), le fait que la MRC ait un employé pour la mise en oeuvre du plan (8) et la mise en place des actions du PDZA (6) constituent les trois principales conditions.

Représentations de la zone agricole

Quant au niveau de dynamisme agricole de la MRC, il a été évalué au moyen de l’échelle de 0 à 10, et 15 de nos participants lui ont attribué une note de 7 ou plus. L’explication la plus courante avait trait à la vivacité de la communauté agricole et des intervenants du milieu, « la relève [étant] très dynamique et beaucoup de gens qui sont là depuis longtemps en agriculture le sont également, mais il y a quand même une agriculture qui est peut-être un peu moins dynamique » (non-agriculteur #10). De plus, le fait que les fermes laitières soient dominantes dans le paysage de la MRC et que la relève soit très présente dans ce type de production assure, selon nos répondants, une certaine vitalité dans le monde rural, car cela permet de conserver les services de proximité. Le dynamisme agricole de la région a également été expliqué par l’établissement de quelques petites entreprises se spécialisant dans des créneaux émergents. Un non-agriculteur déclarait : « Je pense qu’il y a de plus en plus d’écoute et il y a une meilleure intégration des nouvelles façons, ou des façons disons plus alternatives, de voir l’agriculture. Pas nécessairement de la faire, mais au moins de l’accepter de plus en plus et de l’envisager éventuellement » (non-agriculteur #3). Par ailleurs, certains agriculteurs ont mentionné la possibilité de mettre à disposition de petites parcelles de terre afin d’aider au démarrage d’entreprises.

En ce qui concerne les représentations spécifiques des non-agriculteurs concernant la principale fonction de l’agriculture, nos 11 participants ont indiqué qu’il s’agit de la production de la nourriture, tant pour la population que pour les animaux. « Si elle est productive, si on l’encourage à être productive, le reste va se faire tout seul » (non-agriculteur #5), renvoyant ainsi aux autres fonctions de l’agriculture, tels le tourisme, l’éducation et l’entretien des paysages. Ensuite, sept non-agriculteurs ont dit considérer que la seconde fonction en importance de l’industrie agricole est de dynamiser le milieu rural puisqu’elle constitue une source substantielle de revenus pour les municipalités du territoire, qu’elle génère beaucoup d’emplois directs et indirects et donc des activités économiques. L’agriculture permet également de maintenir des gens en région et assure ainsi la pérennité des villages, selon eux.

En ce qui a trait à l’évolution des représentations agricoles des non-agriculteurs après leur participation à la démarche du PDZA, 6 répondants sur 11 ont déclaré qu’elle ne s’est pas modifiée. Leur emploi lié au domaine agricole, ainsi qu’une conscientisation et une compréhension préalables des enjeux et de la réalité de l’agriculture furent les motifs évoqués. Cependant, un intervenant a estimé la démarche particulièrement bénéfique pour les professionnels municipaux en matière d’acquisition de connaissances. « Ce que je constate, parce que je suis d’autres PDZA aussi, c’est l’appropriation [que] se fait la MRC, l’aménagiste, qui au départ ne connaît pratiquement rien de l’agriculture, puis au final ne devient pas un expert, mais a une grande, une meilleure expertise » (non-agriculteur #4).

Cinq non-agriculteurs rencontrés ont indiqué, quant à eux, que leur représentation de l’agriculture s’est modifiée par suite de leur participation au PDZA, et ce, à différents degrés. Certains ont expliqué que cela leur a permis de mieux saisir les enjeux agricoles du territoire et de comprendre les réglementations entourant les divers types de production, de même que ce à quoi les agriculteurs sont confrontés. Cependant, pour une majorité, n’étant pas complètement étrangers au milieu, il est davantage question de raffinement de leur représentation de l’agriculture que d’une modification.

Quant aux producteurs agricoles interviewés, un peu plus de la moitié (6) ont mentionné avoir perçu une certaine évolution des représentations chez les non-agriculteurs ayant participé à la démarche. L’acquisition de connaissances techniques et une meilleure compréhension globale des enjeux agricoles par les non-agriculteurs ont été les éléments le plus souvent évoqués pour expliquer ce changement. Selon les producteurs, les non-agriculteurs étaient, depuis leur participation au PDZA, plus sensibilisés à l’importance de l’agriculture pour la viabilité de la région.

Discussion

Une reterritorialisation qui favorise une plus grande sociabilité

Le PDZA s’avère être, selon les résultats de notre enquête, une nouvelle manière d’aborder le développement de l’agriculture. Son élaboration permet en effet d’effectuer un saut d’échelle, passant d’un niveau plus global à un niveau local, propre au processus de reterritorialisation. Celle-ci implique une multitude de rencontres de comités et d’activités participatives (par exemple, tables rondes, consultations publiques) afin de bien saisir les multiples enjeux agricoles présents sur le territoire de la MRC, puis d’élaborer et de réaliser un plan d’action adapté pour maintenir ou améliorer l’agriculture de la région. Cette accentuation des interventions par les collectivités locales sur la gestion et le développement de l’agriculture accompagne souvent les processus de reterritorialisation (Auricoste et al., 2011). Dans les deux terrains étudiés, on assiste à une variété d’échanges qui mettent en place les conditions favorables à une plus grande sociabilité. Celle-ci s’exprime de deux façons sur nos terrains d’étude. Ainsi, la discussion est présente dans les échanges entre les participants lors de l’élaboration du PDZA puisqu’il faut convenir des enjeux agricoles de la région et élaborer un plan d’action adéquat. En outre, il y a beaucoup de place accordée à la conversation puisqu’un des buts de la participation est de rapprocher les milieux agricole et non agricole afin de renouer le dialogue et renouveler la sociabilité. En effet, lorsque la sociabilité n’est pas désignée par les répondants comme étant le but de la démarche d’élaboration du PDZA, elle l’est comme une conséquence de la participation. Ainsi, il y a eu création de relations, mais également changement dans la nature de liens existants. La majorité de nos participants des deux MRC expriment des opinions positives quant à ces processus. Des termes tels que rencontre, réunir, discussion, échange, et meilleurecompréhension sont ainsi utilisés par plusieurs d’entre eux, ce qui vient appuyer notre hypothèse quant à la mise en place par le PDZA d’une plus grande sociabilité entre les différents acteurs.

De manière plus fine, la sociabilité, pour les deux MRC, est abordée par les participants sous l’angle de l’influence que les processus participatifs ont sur les liens unissant les agriculteurs et les non-agriculteurs. Dans le cadre de cette recherche, ce processus de reterritorialisation repose en partie sur l’engagement ou la relance du dialogue entre les milieux agricole et non agricole sur les deux terrains d’étude. Nous en voulons pour preuve les opinions de nos participants lorsque interrogés sur l’état du dialogue entre les deux milieux avant, pendant et après l’élaboration de leur PDZA. D’abord, leurs opinions concernant le dialogue entre les deux milieux avant l’élaboration du PDZA diffèrent. En effet, la moitié des participants de la MRC d’Antoine-Labelle qualifiaient ce dialogue pré-PDZA de faible et deux, d’inexistant, alors que pratiquement la moitié de ceux de la MRC des Sources (10) le considéraient comme étant déjà bon. Cet engagement ou cette relance du dialogue dans les deux MRC renvoie somme toute à des processus de reconfiguration des rapports entre les agriculteurs et la société civile et à un certain décloisonnement des pratiques agricoles grâce à une ouverture au dialogue territorial. De plus, alors que le lien unissant le milieu agricole et le milieu non agricole a été abordé spécifiquement avec les personnes interrogées, quelques-unes vont plus loin dans leur réflexion. En effet, il est également question du dialogue à l’intérieur d’un même groupe d’acteurs (agriculteurs ou non-agriculteurs), ce qui réfère également à un renouvellement de la sociabilité. Les processus participatifs ont donc aussi permis aux différents acteurs de renouer ou d’établir de nouveaux liens avec leurs collègues, agriculteurs ou non-agriculteurs.

Ainsi, s’intéresser aux processus participatifs et à la sociabilité qui en découle, tous deux observables via l’établissement ou la relance du dialogue entre les différents acteurs territoriaux, permet de rendre compte d’un des effets de la reterritorialisation de l’agriculture liés à un PDZA. En outre, si la comparaison des deux terrains d’étude met en évidence plusieurs ressemblances dans les discours, certaines distinctions demeurent. Cette différence des points de vue, particulièrement sur la présence d’un dialogue préPDZA, peut s’expliquer par l’effet de lieu. Attendu que l’effet de lieu est ici un produit socioterritorial, puisqu’il est question de la taille de la MRC et de ses caractéristiques locales qui vont par la suite influencer les relations sociales multiples entre les habitants du territoire, cet effet est alors déterminant. L’effet de lieu dégagé permet à une sociabilité locale et originale de prendre forme. C’est ainsi que, s’il y a eu une évolution des liens unissant les agriculteurs et les non-agriculteurs des deux MRC, le maintien de ces liens demeure conditionnel à plusieurs facteurs. Ainsi, nous constatons que la reterritorialisation de l’agriculture conduit à de nouvelles pratiques en matière de coordination de projets impliquant une multiplicité d’acteurs, et que le maintien de ces pratiques est conditionnel à un exercice quotidien. C’est donc par l’entretien du dialogue que pourraient émerger progressivement des compétences collectives.

Une sociabilité qui engendre un changement de représentation chez certains non-agriculteurs

Avec cette sociabilité et l’établissement ou la relance du dialogue des milieux agricoles et non agricoles, certains changements de représentation de l’agriculture et de son rôle dans les territoires chez les non-agriculteurs ont été notés. En effet, en amont de l’élaboration du PDZA, il était avant tout d’une part, question de représentations individuelles chez les non-agriculteurs, « produit d’un itinéraire de vie » (Debarbieux, 2013 : 867). Cependant, avec leur participation aux divers processus participatifs, certains non-agriculteurs affichent dorénavant des représentations sociales forgées par les divers échanges et reflétant un système de valeurs communes. D’autre part, les représentations véhiculées par les non-agriculteurs peuvent également être qualifiées de territorialisées et de territorialisantes puisqu’elles concernent un milieu précis, soit le milieu agricole de leur MRC, ainsi que les pratiques et les enjeux qui lui sont associés.

En outre, en ce qui concerne les représentants non agricoles des organisations régionales, soit au niveau des régions administratives de l’Estrie et des Laurentides, une distinction notable peut être faite en ce qui a trait à leurs connaissances spécifiques des enjeux agricoles de leur MRC respective et du déroulement des processus participatifs. Les représentants régionaux de la MRC d’Antoine-Labelle sont effectivement parfois moins précis dans leurs explications que ceux de la MRC des Sources. L’effet de distance peut expliquer cette différence puisque l’emplacement des bureaux de ces organismes administratifs n’est pas à la même distance du territoire des MRC à l’étude. En effet, les organisations oeuvrant à l’échelle de la région administrative des Laurentides (par exemple, les ministères et la fédération régionale de l’UPA) sont établies dans les Basses Laurentides, en périphérie de la région de Montréal, soit à plus de deux heures de route de Mont-Laurier, la principale ville de la MRC d’Antoine-Labelle. La situation diffère pour la MRC des Sources puisque ces organisations régionales sont installées à Sherbrooke, soit à moins d’une heure d’Asbestos, première agglomération de la MRC. La situation des territoires à l’étude semble donc avoir une incidence sur les connaissances des non-agriculteurs à l’emploi de ces organisations régionales. De surcroît, la présence de représentants de l’organisme à l’échelon local (par exemple, un employé de l’UPA locale ou un fonctionnaire du MAPAQ dans les bureaux à Mont-Laurier) peut expliquer pourquoi des agents régionaux ont moins participé aux processus participatifs et soient moins informés des enjeux spécifiques à la MRC.

Il n’en demeure pas moins que, dans le cadre de notre recherche, l’évolution des représentations étudiées doit être nuancée, car elle diffère selon les catégories professionnelles des non-agriculteurs. En effet, plus de la moitié des non-agriculteurs des deux MRC estiment que leur représentation de l’agriculture ne s’est pas réellement modifiée par suite de leur participation à l’élaboration du PDZA. Ceux affirmant avoir désormais une autre représentation gravitent pour la plupart autour du monde municipal et environnemental. Cette différence de points de vue entre ces deux catégories de non-agriculteurs peut s’expliquer par l’effet de culture. En effet, certains acquis culturels des participants, provenant par exemple de leur profession et de leurs liens familiaux, influencent leur représentation de l’agriculture et entraînent des réponses différentes chez les non-agriculteurs sur les deux terrains d’étude.

À la suite de l’élaboration du PDZA, les représentations de l’agriculture des personnes dont l’emploi est fortement lié au milieu agricole ont assez peu, voire pas du tout, évolué. Ainsi, les représentations individuelles, c’est-à-dire celles issues du parcours de vie des individus, demeurent majoritaires chez de nombreux participants connaissant déjà le milieu agricole. Toutefois, pour les acteurs qui avaient peu ou pas de lien avec le monde agricole, un changement dans leur représentation de l’agriculture a été noté. Ces représentations renouvelées peuvent être considérées comme socialement forgées puisqu’elles se sont construites à travers les échanges qui ont eu lieu lors de l’élaboration des PDZA. Dans une perspective de développement de l’agriculture des MRC étudiées, ces changements de représentations sont importants puisqu’ils se sont produits chez des personnes possédant des compétences stratégiques et un pouvoir d’influence sur le milieu, notamment des élus et des personnes occupant des postes administratifs au sein de la MRC.

Par conséquent, même si une minorité seulement de non-agriculteurs indiquent que leur représentation s’est modifiée, cela témoigne à notre avis de l’importance du PDZA. Compte tenu de leur statut professionnel, « ceux-ci disposent en effet, conjointement, d’un agir et d’un pouvoir, celui, en particulier, de provoquer l’action des autres » (Di Méo, 2008 : 6). C’est ainsi que des producteurs agricoles ont indiqué qu’après avoir pris part au PDZA, les acteurs municipaux avaient facilité l’organisation de marchés publics permettant une mise en marché directe des denrées agricoles produites localement, ainsi que de journées « portes ouvertes sur les fermes du Québec » permettant de faire connaître les produits de la région. Les élus agissent ainsi en faveur d’une agriculture de proximité, donc d’un ré-ancrage de l’agriculture dans son territoire, dans une logique alimentaire typique de reterritorialisation de l’agriculture.

Cependant, la reconnaissance de la pertinence de pareil développement agricole peut être précaire et affecter la pérennité du dialogue entre les deux milieux. Il en est ainsi car les représentations sociales ont été acquises notamment par des personnes qui occupent des fonctions soumises à des élections. Cette sociabilité renouvelée devra dès lors être entretenue par les professionnels des MRC, mais également par le gouvernement. C’est donc par le maintien du dialogue que les conditions favorables à un changement de représentation chez des élus n’ayant pas participé à l’élaboration du PDZA seront possibles.

Changement de représentation chez les producteurs agricoles

Si le renouvellement de la sociabilité à travers le PDZA a permis un changement de représentation chez certains acteurs non agricoles, cette sociabilité renouvelée semble également avoir eu un impact sur les représentations de certains agriculteurs concernant leur rôle dans l’occupation du territoire et le maintien, voire la relance, du dynamisme régional. Particulièrement dans la MRC des Sources, des participants agricoles et non agricoles ont mentionné cette possibilité de changement d’opinion et d’ouverture de la part des agriculteurs à des moyens différents de faire l’agriculture, sans nécessairement appliquer ces moyens à leur propre exploitation.

Néanmoins, une implication directe des producteurs agricoles dans la diversification des pratiques est envisagée. Les propos de quelques agriculteurs évoquent une vision plus large de l’agriculture, ces derniers voyant au-delà de leur exploitation et des enjeux personnels auxquels ils font face. Les processus participatifs et la sociabilité qui en ont découlé pourraient avoir permis aux producteurs de considérer l’activité agricole du point de vue de la réalité territoriale locale et régionale. Quatre agriculteurs de cette MRC déclaraient d’ailleurs qu’il y a eu une remise en question du modèle agricole conventionnel. Cette remise en question serait perceptible à travers un changement des représentations individuelles chez des producteurs agricoles conventionnels en ce qui concerne, par exemple, la possibilité de prêter ou de louer une petite parcelle pour le démarrage d’une entreprise s’inscrivant dans un modèle agricole alternatif. Cela fait écho aux propos d’un producteur agricole français, interrogé par le quotidien Le Monde, lorsqu’il affirme que « [p]our réinsuffler de la vie dans sa campagne et des espaces d’échange entre les communautés [...] [i]l est toujours possible de lâcher un, deux ou dix hectares pour aider un jeune qui veut s’installer » (Labro, 2012).

Donc, sans qu’il y ait une véritable remise en question du modèle agricole dominant, un certain changement de perspective quant au rôle de l’agriculture et de l’utilisation du foncier agricole est constaté chez quelques producteurs agricoles, particulièrement dans la MRC des Sources. Il s’agit là d’un important changement de représentation pour améliorer l’installation en agriculture puisque l’accès au foncier constitue l’un des enjeux majeurs pour la relève agricole. La situation de la MRC d’Antoine-Labelle diffère, parce que le territoire regroupe majoritairement de petites fermes familiales où il y a une faible utilisation d’intrants de synthèse, et donc que ces exploitations sont peu représentatives du modèle agroindustriel conventionnel. Un producteur agricole mentionne tout de même l’importance de développer différemment l’agriculture (par exemple, morceler les terres) afin de pouvoir mieux développer la région.

Conclusion

La reterritorialisation de l’agriculture retient l’attention des chercheurs depuis plusieurs années. La littérature scientifique se rapporte notamment aux projets de territoire, aux politiques agricoles et aux interventions publiques en agriculture. Le PDZA s’inscrit dans cette tendance, et nous avons examiné ici l’hypothèse qu’il contribuerait à un retour à l’échelle locale pour aborder l’enjeu agricole québécois. Les personnes interrogées pour cette étude considèrent le PDZA comme un outil de développement prometteur pour l’agriculture de leur région. Cet outil permet notamment l’acquisition de connaissances plus fines quant à l’activité agricole de la région et à son impact économique. Il permet aussi le rapprochement entre les milieux agricole et non agricole. Ce second aspect contribue tout particulièrement à l’établissement ou à la relance du dialogue qui concorde avec la reterritorialisation de l’agriculture, c’est-à-dire une entreprise consécutive à une désectorisation partielle de l’agriculture avec la participation d’acteurs non agricoles.

Notre objectif avec cet article était d’analyser et de comprendre le processus de reterritorialisation de l’agriculture. Pour cela, nous nous sommes intéressées aux effets de la mise en place d’un dialogue entre les acteurs agricoles et non agricoles effectuée lors de l’élaboration de ces plans. Les MRC d’Antoine-Labelle et des Sources ont retenu notre attention, notamment en raison de leur participation à l’élaboration de leur PDZA. Plus exactement, nous voulions savoir si et comment l’élaboration des PDZA avait modifié la représentation des acteurs non agricoles quant à l’agriculture et à son rôle dans les milieux ruraux. Nous posions l’hypothèse que leur représentation avait été modifiée par les démarches de consultation et de concertation ayant permis une plus grande sociabilité entre les acteurs.

L’établissement ou la relance du dialogue entre les acteurs agricoles et non agricoles à la suite du PDZA, mais également par un meilleur dialogue à l’intérieur même de ces deux catégories d’acteurs, témoigne, selon nous, de l’amélioration de la sociabilité. Grâce à ce nouveau contexte de socialisation, une partie des participants au PDZA ont modifié leur représentation de l’agriculture. Quelques non-agriculteurs ont donc eu « la capacité de modifier certains effets de la socialisation antérieure à laquelle il[s] [ont] été exposé[s] » (Boudon et Bourricaud, 2004 : 530).

L’étude révèle encore que l’effet de culture, tout comme l’effet de lieu, influence vraisemblablement les représentations des non-agriculteurs à l’égard de l’agriculture et de son rôle dans le développement des territoires ruraux. L’effet de culture explique pour partie, avançons-nous, la différence de propos entre les non-agriculteurs ayant connu un changement de représentation et ceux dont les représentations n’ont pas été modifiées. Les seconds étaient préalablement conscients de ce que représentaient l’agriculture et ses apports pour les régions, notamment en raison de leur emploi au sein d’institutions du milieu agricole (ministères, syndicat), mais également à cause de diverses étapes de leur existence (enfance, études, emplois) qui les avaient mis en contact avec le milieu agricole. Ce trait constitue par ailleurs une des limites de notre étude : l’établissement a priori de trois catégories d’acteurs (producteurs agricoles ; employés du secteur agricole sans être producteurs ; acteurs non agricoles) aurait pu permettre de cibler davantage certaines questions. Il reste que l’analyse ne présupposait pas non plus l’homogénéité de ces catégories d’acteurs ; les résultats présentés témoignent ainsi de nombreuses nuances à l’intérieur même de ces catégories d’acteurs.

Par ailleurs, la différence notée entre les non-agriculteurs des deux territoires à l’étude, notamment ceux travaillant à l’échelle de la région administrative (Estrie et Laurentides), est vraisemblablement attribuable à un effet de lieu. En effet, les représentants au niveau régional de l’Estrie ont une connaissance plus fine des enjeux du territoire de la MRC des Sources en matière d’agriculture ainsi que du déroulement des processus participatifs de la démarche du PDZA, comparativement aux représentants des Laurentides. L’effet de distance pourrait expliquer cette distinction. Cependant, il n’est pas pour autant possible de généraliser ce constat puisque la taille de notre échantillon en matière de représentants régionaux ainsi que le nombre de terrains en cause sont très réduits. Cette question gagnerait à être examinée plus en détail au cours d’autres recherches.

Cela dit, une partie des non-agriculteurs ont mentionné un changement dans leur représentation de l’agriculture : certains producteurs agricoles de la MRC des Sources témoignent d’une plus grande ouverture à des modes alternatifs de production. Ces changements de représentation s’avèrent, selon nous, cruciaux pour le dynamisme agricole et, plus largement, la revitalisation rurale. En effet, ils sont survenus, disions-nous, chez des non-agriculteurs qui occupent des postes stratégiques dans le développement des territoires et de l’agriculture, comme des élus et des professionnels des MRC, et chez des producteurs agricoles qui sont bien souvent d’importants propriétaires fonciers agricoles. Dès lors, même si ce changement de représentation ne concerne qu’une minorité, il constitue, croyons-nous, un des plus importants effets des PDZA. Il est toutefois encore trop tôt pour déterminer s’il y aura stabilisation de ces représentations renouvelées.

Somme toute, notre étude montre que les démarches de PDZA peuvent faciliter la mise en place d’espaces de socialisation en mesure de faire évoluer les représentations des acteurs agricoles et non agricoles qui, à leur tour, peuvent permettre un ré-enracinement de l’agriculture dans les territoires locaux. Si l’agriculture a longtemps été au coeur de la vie rurale de nombreuses régions de la province, sa modernisation et son inscription dans le modèle agroindustriel ont provoqué sa déterritorialisation, soit plus précisément la distanciation du secteur agricole et de ses acteurs du reste du territoire.

Toutefois, si un regain d’intérêt pour l’alimentation et pour la provenance des aliments apparaît être l’occasion d’une nouvelle reconnaissance de l’agriculture comme levier de développement territorial, d’autres enjeux locaux, comme le difficile accès au foncier pour la relève agricole et, plus largement, le déclin démographique de certains milieux ruraux, invitent à envisager l’agriculture, les agriculteurs et leurs terres comme des ressources pouvant être mieux mises en valeur lors d’un processus de développement territorial. Nous demeurons cependant convaincues que les espaces de dialogue et de participation mis en place par les PDZA pourront répondre à ces enjeux tout en contribuant à l’évolution des représentations de l’agriculture et du rôle des agriculteurs au sein des territoires.