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Un certain nombre de travaux ont montré que les modèles de mesure du chômage mobilisés par les appareils statistiques nationaux sont plus proches du chômage masculin que du chômage féminin. En France, au début du siècle dernier, le modèle de représentation du statisticien présente les chômeurs comme des employés ou ouvriers qui, bien que temporairement absents du travail, appartiennent habituellement à un établissement (c’est-à-dire qu’ils sont sous la direction d’un patron). Or, si ce modèle correspond bien à la représentation des hommes, il s’écarte de celle des femmes qui travaillent plus souvent que les hommes sans lien direct avec l’établissement, comme dans le cas du travail à domicile (Salais et collab. 1986).

Au Canada, les hommes composent la catégorie de référence qui définit l’activité salariée jusqu’aux années 1970 (Charles, 2011). Le processus de salarisation du travail féminin y est en effet à la fois tardif et progressif comme en témoignent « la persistance du travail gratuit des femmes » sous la forme de l’inactivité ou du travail familial non rémunéré en milieu agricole et « le maintien du travail gratuit des religieuses » (Moulin, 2016 : 120). Il faut attendre l’institutionnalisation du système public de protection sociale dans les années 1960 et 1970 pour que le processus de salarisation s’accélère et que disparaissent ces formes féminines de semi-activité (Moulin, 2016).

Par ailleurs, l’emploi féminin s’est développé, selon la formule de la sociologue française Maruani, « à l’ombre du chômage » (1996). Au Canada, le développement de l’activité féminine salariée s’est accompagné, jusqu’au milieu des années 1990, du développement du temps partiel, lui-même en grande partie attribuable à la hausse du temps partiel involontaire (Noreau, 1994 ; Noreau, 2000). Entre l’activité et le chômage se trouvent les situations de sous-utilisation involontaire de la force de travail que sont le temps partiel involontaire et le travail discontinu, qui touchent plus souvent les femmes que les hommes (Moulin, 2016).

Enfin, les mesures officielles du chômage et du sous-emploi se fondent sur des analyses statistiques transversales plutôt que longitudinales. En rendant compte du caractère processuel des parcours d’activité, l’analyse longitudinale est susceptible de changer le diagnostic que l’on porte sur les inégalités. Par exemple, « l’analyse longitudinale change substantiellement l’évaluation du risque de chômage au sein de l’ensemble de la population en permettant d’inclure des personnes qui sont inactives d’un point de vue transversal, mais qui traversent des épisodes de chômage » (Moulin, 2016 : 216). De fait, au Canada, beaucoup de femmes ne retrouvent pas un emploi deux ans après la fin de leur première grossesse (Gaudet et collab. 2011).

De tels biais sont explicitement discutés lors de la définition des indicateurs dans les Conférences internationales des statisticiens du travail (CIST). Dans le rapport des Indicateurs clés du marché du travail (ICMT) de l’Organisation internationale du travail (OIT), on peut lire que l’indicateur du taux d’emploi est « sujet à des préjugés sexistes, dans la mesure où il existe une tendance à sous-évaluer les femmes qui ne considèrent pas leur travail comme « un emploi » ou ne sont pas perçues par les autres comme « au travail » » (OIT, 2015, p.62), ou encore que « ce sont surtout les femmes qui risquent le plus d’être exclues du chiffre du chômage car elles sont confrontées à plus de barrières sociales qui les empêchent de remplir ce critère » (OIT, 2015, p.106). Cette réflexion a notamment conduit, on y reviendra plus loin, à l’introduction, lors de la 19e CIST, du concept de « main d’oeuvre potentielle ».

Ainsi, les catégories statistiques de l’activité et de l’emploi, telles que définies par les appareils statistiques nationaux ainsi que le type d’analyse statistique qui est privilégié dans les mesures officielles, sont susceptibles de masquer certaines formes féminines de chômage ou de sous-emploi. Cet article vise à étudier les effets genrés de perspective induits par la mobilisation par Statistique Canada des deux indicateurs les plus utilisés de la sous-utilisation de la main-d’oeuvre : le taux de chômage et le taux de temps partiel involontaire. Nous avons plus particulièrement deux objectifs : 1) explorer dans une optique genrée les frontières construites par Statistique Canada entre chômage, emploi et inactivité, et 2) comparer les écarts genrés de chômage et de sous-emploi obtenus sous une approche transversale avec ceux tirés d’une approche longitudinale.

D’un point de vue théorique, cet article développe, dans une analyse genrée du chômage, le concept d’effet de perspective de Prévost (2011). L’idée d’une mesure officielle objective du chômage qui est fiable et sans biais s’est imposée conformément aux critères de l’optique métrologique importée des sciences de la nature aux sciences sociales (Desrosières, 2001). Contrairement à cette optique, Prévost développe l’idée d’effets de perspective induits par les conventions qui préexistent à la mesure. Alors que le biais constitue, dans l’optique de la mesure, une source d’erreur à corriger, l’effet de perspective, dans l’optique de la sociologie de la quantification (Desrosières, 2001 ; Moulin, 2011), procède d’un choix méthodologique raisonné et instrumentalisé. En mobilisant ce concept d’effet de perspective, nous cherchons à faire apparaître les effets de rhétorique quantitative derrière des opérations élémentaires telles que la construction des catégories d’activité ou le choix des périodes temporelles de référence.

Du point de vue empirique, deux enquêtes sont mobilisées dans cet article : l’Enquête sur la population active (EPA) et l’Enquête sur la dynamique du travail et du revenu (EDTR). Ces deux enquêtes présentent l’intérêt de mobiliser des conventions de mesure différentes et de fournir des données à la fois transversales et longitudinales. L’EPA est conduite tous les mois afin de fournir des estimations mensuelles de l’emploi et du chômage pour une semaine de référence. Par ailleurs, elle utilise un plan de sondage avec renouvellement de panel, selon lequel les logements sélectionnés restent dans l’échantillon pendant six mois consécutifs. Quant à l’EDTR, elle est conduite au début d’une année et porte rétrospectivement sur l’ensemble des situations mensuelles de l’année précédente. Le dernier panel suivi permet de reconstituer les données d’une même population de janvier 2005 à décembre 2010. Dans cet article, nous utiliserons les quatre ensembles de données suivants : l’EPA de décembre 2010, la cohorte juillet-décembre 2010 de l’EPA, l’EDTR de 2010 et le panel 2005-2010 de l’EDTR.

Deux types d’effet sont étudiés. Le premier a trait aux catégorisations sociales de l’activité et de l’emploi des personnes, sous-jacentes aux définitions du chômage et du sous-emploi. Ces dernières peuvent être soit extensives (inclusives) ou restrictives (exclusives), ce qui peut induire des effets sur l’écart de chômage ou de sous-emploi entre hommes et femmes. Le second type d’effet est relatif aux temporalités prises en compte qui peuvent être courtes ou longues. De ce dernier point de vue, on peut distinguer deux types de choix : celui de l’unité temporelle d’analyse (une semaine de référence ou un mois) et celui du type d’analyse méthodologique (transversal ou longitudinal). Nous faisons l’hypothèse que la construction des catégories, le choix des périodes temporelles de référence et le type d’analyse méthodologique induisent des effets genrés de perspective conduisant à masquer certaines formes féminines de chômage ou de sous-emploi.

Dans les sections qui suivent, nous revenons d’abord sur la particularité de la mesure officielle du chômage et du sous-emploi au Canada en entrant, au-delà de la référence aux critères de l’OIT, dans le détail de la construction des catégories pour analyser leurs effets genrés sur les écarts entre hommes et femmes. Ensuite, nous analysons les effets genrés des temporalités choisies en évaluant dans quelle mesure étendre à un mois de référence, plutôt qu’à une semaine, et adopter une approche longitudinale, plutôt qu’une approche transversale, conduisent à réduire, voire à inverser, les écarts de chômage entre les hommes et les femmes. En guise de conclusion, nous tirons les leçons de cette analyse des quantifications du chômage et du sous-emploi.

LES EFFETS GENRÉS DE PERSPECTIVE DES CATÉGORISATIONS DU CHÔMAGE ET DU SOUS-EMPLOI

Afin de définir le chômage et le sous-emploi, les appareils statistiques nationaux s’inspirent des critères adoptés lors des CIST. Cependant, comme le note Desrosières, la mise en oeuvre concrète de ces critères se révèle problématique compte tenu des différences institutionnelles en matière « de gestion du marché du travail et d’assistance aux chômeurs » et de « la grande sensibilité des résultats des mesures à tous les détails des procédures » (2003 : 152). De fait, chaque pays traduit à sa manière les recommandations de l’OIT, l’harmonisation portant non pas sur les méthodes, mais sur les résultats (Desrosières, 2003). Au Canada, les paramètres de cette traduction sont définis dans l’EPA, l’enquête de référence pour la définition du chômage et du sous-emploi. Ces paramètres induisent des effets genrés de perspective tant dans la mesure du chômage que dans celle du sous-emploi.

La mesure officielle du chômage au Canada

Pour définir le chômage et le sous-emploi, distinguant ainsi les chômeurs des actifs occupés et des inactifs, les appareils statistiques nationaux s’inspirent des trois critères adoptés en 1982 par le Bureau international du travail (prédécesseur de l’OIT). Il s’agit de l’occupation d’un emploi, la disponibilité à travailler et la recherche active d’emploi. La résolution concernant les statistiques du travail, de l’emploi et de la sous-utilisation de la main d’oeuvre, adoptée en 2013 lors de la 19e CIST, établit les directives suivantes aux paragraphes 47 et 48 (OIT, 2015 : 111) :

47. Les personnes au chômage sont définies comme toutes les personnes en âge de travailler qui n’étaient pas en emploi, avaient effectué des activités de recherche d’emploi durant une période récente spécifiée, et étaient actuellement disponibles pour l’emploi si la possibilité d’occuper un poste de travail existait, où :

a) « pas en emploi » est évalué par rapport à la courte période de référence pour la mesure de l’emploi ;

b) la « recherche d’emploi » fait référence à toute démarche effectuée durant une période récente spécifiée comprenant les quatre semaines précédentes ou le mois précédent, visant à trouver un poste de travail ou de créer une entreprise ou une exploitation agricole (…) ;

c) pour établir la distinction entre les démarches visant à créer une entreprise et l’activité productive par elle-même, il faudrait utiliser le moment à partir duquel l’entreprise commence à exister (…),

48. Sont inclus dans le chômage : a) les futurs travailleurs qui sont définis comme les personnes « pas en emploi », « actuellement disponibles », sans « recherche d’emploi » au sens du paragraphe 47 parce qu’elles ont déjà pris des dispositions pour occuper un poste de travail dans une période ultérieure courte, fixée en fonction de la durée générale d’attente pour commencer un nouveau poste de travail dans le contexte national, mais qui n’excède généralement pas trois mois.

Dans le neuvième chapitre intitulé « Chômage total » de la neuvième édition des ICMT, sept raisons sont avancées pour expliquer la non-comparabilité des statistiques du chômage : la différence des sources, les différences dans la mesure, les variations au niveau conceptuel, le nombre d’observations par an, la couverture géographique, les variations liées à l’âge et la méthodologie de la collecte (2015, p. 108-109). En dehors des choix méthodologiques variés faits par les appareils statistiques nationaux, cinq paramètres sont susceptibles de faire varier la classification. Nous les passerons ici en revue avant d’examiner ce qu’ils sont susceptibles de produire comme effet genré de perspective sur la mesure du chômage.

La population couverte par les enquêtes nationales servant de référence pour la définition officielle du chômage varie en fonction de l’âge, du territoire couvert et du type d’occupation. Tel que mentionné par le guide sur l’EPA, la population canadienne visée regroupe « l’ensemble des personnes de 15 ans et plus qui résident dans les provinces du Canada » (2018 : 16), ce qui constitue aussi le critère le plus souvent adopté par les autres appareils statistiques nationaux pour définir les personnes en âge de travailler. Le territoire n’est pas intégralement couvert par l’EPA qui exclut du champ de l’enquête « les personnes qui vivent dans les réserves et dans d’autres peuplements autochtones des provinces » et « les ménages situés dans des régions extrêmement éloignées où la densité de population est très faible » (2018 : 19). Enfin, du point de vue de l’occupation, l’enquête canadienne exclut « les membres à temps plein des Forces armées canadiennes et les pensionnaires d’établissements institutionnels » (2018 : 19).

Les définitions varient aussi selon les seuils de temps utilisés pour définir la disponibilité présente, les recherches d’emploi passées ou l’occupation d’un emploi dans le futur. Ainsi, la définition officielle du chômage actuellement utilisée par Statistique Canada dans l’EPA mentionne trois catégories de chômeurs : « (a) les personnes qui n’avaient pas de travail, mais avaient cherché du travail au cours des quatre dernières semaines se terminant avec la période de référence et étaient disponibles pour travailler, (b) les personnes « mises à pied temporairement », ce qui correspond à la fois aux personnes ayant un emploi, disponibles pour travailler et n’ayant pas travaillé la semaine dernière et aux personnes sans emploi qui ont été mises à pied à cause de la conjoncture économique (depuis moins d’un an), qui s’attendaient à être rappelées au travail (dans les six prochains mois), et disponibles pour travailler, et (c) les personnes qui « étaient sans emploi, avaient un emploi devant commencer dans les quatre semaines à compter de la période de référence et étaient disponibles pour travailler ». (2018 : 6).

Les classifications varient en fonction de la définition de l’occupation retenue. La classification de Statistique Canada considère comme actives occupées non seulement les personnes qui sont présentes au travail au moins une heure pendant la semaine de référence, mais aussi toutes celles qui sont absentes de leur emploi pour une des raisons temporaires suivantes : maladie ou incapacité de l’enquêté(e), soins à donner à ses enfants ou à un parent âgé (60 ans ou plus), congé de maternité ou parental, autres obligations personnelles ou familiales, vacances et conflit de travail (grève ou lock-out). Ainsi, un nombre important de personnes sont classées comme occupées bien que n’étant ni présentes dans leur emploi ni rémunérées par leur employeur.

Les classifications varient aussi selon la définition de la recherche active d’emploi. La question posée dans l’EPA est particulièrement large et ne vise pas à définir une démarche passive par rapport à une démarche active : « au cours de la période de 4 semaines terminée samedi dernier [date de la dernière journée de la semaine de référence], a-t-[il/elle] fait quoi que ce soit pour trouver du travail ? » (2018 : 65). Il est demandé plus précisément dans la question suivante de préciser l’activité de recherche d’emploi réalisée, ce qui inclut le placement d’une offre d’emploi ou réponse à une offre d’emploi, des démarches auprès d’agences de placement, de syndicats, directement auprès d’employeurs, mais aussi plus simplement auprès d’amis ou parents ou uniquement des consultations d’offres d’emploi. Cette définition large conduit à classer inactives toutes les personnes qui ont déclaré vouloir travailler, mais qui n’ont pas fait quoi que ce soit pour trouver du travail, et ce, quelles que soient les raisons avancées pour ne pas avoir recherché un emploi.

Enfin, les classifications varient en fonction de la façon de juger les personnes « disponibles » selon le type de raison donnée pour ne pas pouvoir occuper un emploi pendant la semaine de référence. De ce point de vue, les personnes interrogées peuvent être classées « disponibles » même si elles ont déclaré qu’elles n’auraient pas pu travailler la semaine dernière si elles avaient été rappelées ou si un emploi convenable leur avait été offert. En effet, elles sont tout de même classées « disponibles » si elles ont déclaré ne pas pouvoir travailler pour une des raisons temporaires suivantes : maladie ou incapacité de l’enquêté(e), soins à donner à ses enfants, soins à donner à un parent âgé (60 ans ou plus), autres obligations personnelles ou familiales et vacances. À l’inverse, les personnes sont classées comme indisponibles en cas d’incapacité permanente, quand elles étudient à temps plein tout en cherchant un travail à temps plein et quand elles déclarent ne pas pouvoir occuper un emploi parce qu’elles vont à l’école ou pour une autre raison que celles invoquées plus haut. Cette définition de la disponibilité rejoint l’idée proposée lors de la 19e CIST, soit celle d’assouplir la définition du chômage en élargissant la population active aux « demandeurs d’emploi non disponibles » afin « d’exclure moins de femmes dans la mesure du chômage » (OIT, 2015, p.106).

Les choix opérés par les autres appareils statistiques nationaux peuvent différer substantiellement de ceux retenus par Statistique Canada. À titre d’exemple, les définitions du chômage construites par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en France présentent au moins trois différences notables. D’abord, les personnes absentes pour des raisons personnelles ou familiales ne sont classées occupées que si le congé non rémunéré est inférieur à trois mois. Ensuite, les chercheurs d’emploi doivent, pour être comptabilisés comme chômeurs, avoir entrepris une démarche « active » de recherche d’emploi. Autrement dit, non seulement ne faut-il pas uniquement avoir consulté des offres d’emploi ou avoir renouvelé son inscription dans une agence pour l’emploi, mais il faut avoir « étudié les annonces d’emploi », « avoir pris conseil » ou « avoir été contacté » par une agence d’emploi. Enfin, la disponibilité est définie non pas en fonction des raisons avancées pour ne pas pouvoir travailler la semaine précédant l’enquête, mais selon un seuil temporel futur de disponibilité équivalent à deux semaines.

L’arbre de décision des catégorisations de la population canadienne en trois grands statuts d’activité (personnes occupées, chômeurs et inactifs) est complexe. Tel que présenté par Statistique Canada dans le guide sur l’EPA, il comporte une trentaine de feuilles (2018 : 9). On doit ajouter aux feuilles de cet arbre un ensemble d’autres catégories aux frontières du chômage et de l’inactivité ou de l’emploi qui sont relatives au traitement des raisons personnelles et familiales d’être absent du travail, d’être indisponible ou de ne pas rechercher d’emploi, dont on a vu précédemment le rôle central.

En somme, l’absence de démarcation entre démarches actives et passives de recherche d’emploi et la définition inclusive de la disponibilité (conformément à la résolution de la CIST visant à élargir la population active à la main-d’oeuvre potentielle) conduisent certes à inclure relativement plus de femmes que d’hommes dans la population active. Mais in fine, les choix opérés par Statistique Canada ont des effets genrés importants qui contribuent à masquer des formes féminines de chômage (tableau 1).

Tableau 1

Répartition en pourcentage* de la population active de 20 à 64 ans en décembre 2010 selon les modalités de classification du statut d’activité

Répartition en pourcentage* de la population active de 20 à 64 ans en décembre 2010 selon les modalités de classification du statut d’activité

* La valeur totale peut ne pas correspondre à la somme des valeurs individuelles étant donné que le total et les totaux partiels sont arrondis séparément.

a : Les raisons personnelles ou familiales incluent une maladie ou incapacité de l’enquêté(e), soins à donner à ses enfants, soins à donner à un parent âgé (60 ans ou plus), autres obligations personnelles ou familiales. Inclut aussi les personnes non rémunérées, absentes en raison de congé parental ou de vacances.

Source : EPA, décembre 2010

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En premier lieu, si Statistique Canada comptabilise moins de femmes que d’hommes au chômage en décembre 2010 (5,6 % contre 7,5 %), c’est principalement parce que davantage de femmes sont classées comme occupées bien qu’étant absentes de leur travail pour des raisons personnelles ou familiales (4,7 % contre 2 %). Ainsi, les femmes sont certes plus souvent classées actives occupées que les hommes, mais elles sont moins souvent « au travail », en particulier parce qu’elles sont en congé maternité ou parental, ou encore parce qu’elles doivent s’occuper de leur enfant ou d’un proche.

Deux autres raisons expliquent aussi, dans une moindre mesure, qu’il y ait moins de femmes que d’hommes au chômage. D’abord, davantage d’hommes sont classés comme chômeurs parce que mis à pied temporairement de leur emploi (0,6 % contre 0,2 %). Ensuite, davantage de femmes sont classées comme inactives, car n’étant pas prêtes à travailler pour des raisons personnelles et familiales (1,1 % contre 0,7 %). On retrouve donc les raisons personnelles ou familiales comme critère discriminant, cette fois-ci pour catégoriser les femmes comme inactives plutôt que comme chômeuses.

Les définitions canadiennes du sous-emploi

Comme l’indique la résolution de la 16e CIST, la définition du sous-emploi lié à la durée du travail comporte trois critères : vouloir faire davantage d’heures, avoir travaillé moins qu’un seuil relatif à la durée du travail établi au niveau national et être disponible pour travailler davantage d’heures dans une période de référence ultérieure. C’est la résolution concernant la mesure du sous-emploi et des situations d’emploi inadéquat, adoptée par la 16e CIST en 1998, qui précise les paramètres de cette définition (OIT, 2015 : 127) :

Les personnes en sous-emploi lié à la durée du travail comprennent toutes les personnes pourvues d’un emploi — telles qu’elles sont définies dans les directives internationales en vigueur concernant les statistiques de l’emploi — qui répondent aux trois critères suivants pendant la période de référence utilisée pour définir l’emploi :

a) « disposées à faire davantage d’heures », c’est-à-dire souhaitant prendre un autre (ou plusieurs autres) emploi(s) en plus de leur(s) emploi(s) actuel(s) afin d’effectuer davantage d’heures de travail ; de remplacer tel ou tel de leurs emplois actuels par un autre (ou plusieurs autres) emploi(s) assorti(s) d’une durée de travail supérieure ; d’effectuer davantage d’heures de travail dans tel ou tel de leurs emplois actuels ; ou une combinaison de ces différents éléments. Dans la perspective de montrer comment la « disposition à effectuer plus d’heures de travail » est significative en termes d’action selon les circonstances nationales, il doit y avoir distinction entre ceux qui ont activement cherché à travailler plus et les autres. (…)

b) « disponibles pour faire davantage d’heures » c’est-à-dire prêtes, pendant une période ultérieure spécifiée, à faire davantage d’heures, si la possibilité leur en était offerte. (…)

c) « ayant travaillé moins qu’un seuil relatif à la durée du travail », c’est-à-dire les personnes dont « les heures de travail réellement effectuées » dans tous les emplois confondus pendant la période de référence, telles que définies dans les directives internationales en vigueur concernant les statistiques du temps de travail, étaient inférieures à un seuil à choisir selon les circonstances nationales.

Les définitions nationales du sous-emploi lié au temps de travail varient encore plus significativement d’un pays à l’autre que celles du chômage. Trois paramètres à définir sont susceptibles de faire varier la classification : la définition du seuil relatif à la durée du travail, les raisons spécifiques qui sont considérées comme « involontaires », et la prise en compte de la recherche active de davantage d’heures. Statistique Canada propose une démarche qui s’inspire directement des trois critères de la résolution concernant la mesure du sous-emploi et des situations d’emploi inadéquat. Comme le montre le Schéma 1, la démarche comporte trois étapes. D’abord, identifier au sein des travailleurs à temps partiel celles et ceux qui veulent travailler à temps plein. Ensuite, distinguer les travailleurs en fonction des raisons qu’ils avancent de travailler à temps partiel. Enfin, distinguer, au sein des personnes qui travaillent à temps partiel en raison de la conjoncture économique ou parce qu’elles n’ont pas pu trouver un travail à temps plein, celles qui ont cherché un travail à temps plein et celles qui n’en ont pas cherché.

Schéma 1

Arbre de décision de la classification du sous-emploi et définitions du temps partiel involontaire

Arbre de décision de la classification du sous-emploi et définitions du temps partiel involontaire
Source : Statistique Canada (2018 : 19)

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Cet arbre permet de distinguer trois définitions du temps partiel involontaire. Selon la première définition que l’on peut qualifier d’usuelle ou courante (définition 1), c’est une personne qui travaille à temps partiel, mais qui souhaite travailler à temps plein. Selon la deuxième définition que l’on qualifie ici de générale ou d’inclusive (définition 2), c’est une personne qui veut travailler à temps plein, mais qui travaille à temps partiel en raison de la conjoncture économique ou parce qu’il n’a pas pu trouver un travail à temps plein. Enfin, selon la troisième définition plus étroite ou exclusive (définition 3), c’est une personne qui a cherché un travail à temps plein et qui travaille à temps partiel en raison de la conjoncture économique ou parce qu’elle n’a pas pu trouver un travail à temps plein.

C’est en s’appuyant sur cet arbre de décision que Statistique Canada fait trois choix fondamentaux pour définir le sous-emploi. D’abord, l’organisme propose de se référer au seuil de 30 heures et plus qui définit le temps plein et donc exclut d’emblée celles et ceux qui travaillent 30 heures ou plus et veulent travailler davantage. Ensuite, il rejette la définition usuelle ou courante (définition 1) en avançant qu’il faut tenir compte des raisons de ne pas travailler à temps plein. Enfin, l’organisme choisit de ne pas adopter de définition officielle unique du sous-emploi en proposant deux définitions, l’une inclusive (définition 2) et l’autre exclusive (définition 3).

Ces choix contrastent, encore une fois, avec les définitions du sous-emploi adoptées par d’autres appareils statistiques nationaux. En France par exemple, l’INSEE distingue deux sous-catégories de sous-emploi : les personnes qui travaillent à temps partiel, souhaitent travailler davantage et sont disponibles pour le faire, qu’elles recherchent activement un emploi ou non, et les personnes qui ont travaillé moins que d’habitude pendant une semaine de référence en raison de chômage partiel (chômage technique) ou mauvais temps. Trois différences importantes peuvent ainsi être notées entre l’approche française et l’approche canadienne. D’abord, l’INSEE fournit une définition officielle alors que Statistique Canada propose deux définitions. Ensuite, l’INSEE remplace l’analyse des raisons de ne pas travailler à temps plein par la condition de disponibilité. Enfin, des personnes à temps plein peuvent aussi être classées en sous-emploi en France si elles travaillent moins que d’habitude.

En examinant les effets genrés des catégorisations du sous-emploi, on constate que l’adoption de définitions plus inclusives inverse l’écart genré de chômage (tableau 2). L’écart officiel de taux de chômage entre hommes et femmes est de 1,9 point. Lorsque l’on considère la définition la plus exclusive du temps partiel involontaire de Statistique Canada (définition 3) et que l’on inclut ces « chômeurs partiels » aux chômeurs officiels, l’écart passe de 1,9 point à 1 point (8,9 % des hommes contre 7,9 % des femmes). Quand on prend aussi en compte les personnes qui n’ont pas cherché un travail à temps plein, mais qui déclarent être à temps partiel en raison de la conjoncture économique ou parce qu’elles n’ont pas pu trouver un travail à temps plein (définition 2), le désavantage s’inverse selon le genre, touchant alors 12,3 % des femmes contre seulement 10,7 % des hommes (soit 1,6 point d’écart). Enfin, si on adopte la définition usuelle ou courante du temps partiel involontaire (définition 1), l’écart s’accentue encore en défaveur des femmes, le chômage et le sous-emploi réunis touchant 13,7 % des actives contre 11,3 % des actifs (soit 2 points d’écart).

Tableau 2

Répartition en pourcentage* de la population active (20-64 ans) en décembre 2010 selon les catégorisations de sous-emploi

Répartition en pourcentage* de la population active (20-64 ans) en décembre 2010 selon les catégorisations de sous-emploi

* La valeur totale peut ne pas correspondre à la somme des valeurs individuelles étant donné que le total et les totaux partiels sont arrondis séparément.

Source : EPA, décembre 2010

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En somme, alors que la défavorisation s’accroît de 50 % pour les hommes, elle augmente de près de 150 % pour les femmes quand on tient compte de toutes les catégories de sous-emploi. Notons que l’effet genré de perspective serait par ailleurs encore plus important si on tenait compte des personnes qui travaillent à temps plein tout en souhaitant travailler davantage ou si on haussait le seuil pour définir le temps plein de 30 à 35 heures.

LES EFFETS GENRÉS DE PERSPECTIVE DES TEMPORALITÉS

Si les catégorisations du chômage et du sous-emploi fluctuent d’un pays à l’autre, les appareils statistiques adoptent les mêmes approches des temporalités du chômage et du sous-emploi. D’une part, ils observent les situations des répondants la semaine qui précède l’enquête (ou semaine de référence) et d’autre part, ils mesurent le chômage et le sous-emploi à un moment donné, et ce même si les enquêtes de référence permettent bien souvent de suivre les personnes sur une plus longue période de temps. Dans cette section, nous examinons les effets genrés de perspective induits par le choix de la semaine comme unité temporelle de référence ainsi que par l’adoption d’une mesure transversale.

Un temps de mesure trop court ?

Les statistiques du travail des enquêtes nationales de référence se fondent, conformément aux recommandations internationales, sur l’identification de la situation des personnes pour une semaine de référence. L’unité temporelle de mesure du chômage et du sous-emploi est donc courte dans la mesure où elle est limitée à la semaine qui précède la date de l’enquête. L’utilisation d’une période de référence courte est généralement justifiée parce qu’elle permet de minimiser l’erreur de mesure liée aux problèmes de mémoire. Dans une perspective comparative des mesures du chômage et du sous-emploi, l’EDTR présente l’intérêt de se fonder sur une unité temporelle plus longue de référence, le mois. Quelles sont les implications de ce changement ?

Dans l’EDTR, Statistique Canada a fait le choix de définir le chômage simplement comme le fait de ne pas avoir eu d’emploi pendant le mois considéré tout en ayant fait au moins une fois des démarches de recherche d’emploi. Seules les personnes qui n’ont pas eu d’emploi pendant tout le mois sont identifiées comme chômeurs. Une définition sur le mois du chômage conduit ainsi à changer les seuils de temps utilisés. Alors que la définition des seuils de temps dans l’EPA conduisait à identifier les chômeurs temporairement mis à pied ou ayant un emploi devant commencer le mois suivant pendant la semaine de référence de l’EPA, seule la catégorie des chercheurs d’emploi subsiste dans l’approche adoptée dans l’EDTR, ce qui s’explique sans doute par la volonté de ne pas surcharger un questionnaire déjà très long.

Le tableau 3 permet de comparer les écarts entre hommes et femmes de taux de chômage et de sous-emploi (temps partiel non souhaité) dans la population des 20-64 ans et dans le sous-groupe des 30-39 ans en décembre 2010. Au sein des personnes travaillant à temps partiel et souhaitant travailler à temps plein, on a distingué les chômeurs partiels involontaires (au sens de la définition inclusive de Statistique Canada) des chômeurs partiels volontaires (soit celles et ceux souhaitant travailler à temps plein, mais travaillant à temps partiel pour des raisons autre que « conjoncture » ou « n’a pu trouver un travail à temps plein »).

Globalement, les taux de chômage partiels diminuent significativement pour les hommes comme pour les femmes quand l’unité temporelle de référence est le mois plutôt que la semaine. Cependant, alors que les taux de chômage masculins diminuent, les taux de chômage féminins augmentent. Ainsi, quand on compare les taux masculins et féminins dans la population des 20-64 ans, on constate que le sur-chômage masculin est significativement plus bas quand l’unité temporelle de référence est le mois (6,7 % des hommes contre 6,2 % des femmes, soit 0,5 point d’écart) plutôt que la semaine (7,5 % des hommes contre 5,6 % des femmes, soit 1,9 point d’écart). Au sein des 30-39 ans, on observe même une inversion de l’écart entre les sexes puisqu’il passe de +1,1 point (7 % des hommes contre 5,9 % des femmes) à -0,2 point (5,9 % des hommes contre 6,1 % des femmes).

Tableau 3

Répartition en pourcentage* de la population active en décembre 2010 selon les perspectives de temporalité adoptées par l’EPA et l’EDTR

Répartition en pourcentage* de la population active en décembre 2010 selon les perspectives de temporalité adoptées par l’EPA et l’EDTR

* La somme des répartitions en pourcentage, qui sont calculées à partir de données arrondies, ne correspond pas nécessairement à 100 %.

Sources : EPA et EDTR, décembre 2010

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On peut avancer deux explications principales à cet effet de perspective. D’abord, il y a davantage de femmes que d’hommes au chômage pendant le mois de référence de l’EDTR qui, pendant la semaine de référence de l’EPA, sont inactives. Cette sur-présence des femmes dans l’inactivité est encore plus grande dans la catégorie des 30-39 ans en raison de la fréquence élevée des grossesses qui conduisent à des interruptions d’activité. Ensuite, il y a plus d’hommes que de femmes en emploi pendant le mois de référence de l’EDTR qui, pendant la semaine de référence de l’EPA, sont au chômage. Cette sur-présence des hommes dans le chômage officiel est notamment liée aux personnes qui sont temporairement mis à pied pendant la semaine de référence de l’EPA, mais qui ont travaillé pendant le mois de référence de l’EDTR avant leur mise à pied temporaire ou après le retour au travail.

Les mécomptes du portrait transversal

Les mesures du chômage et du sous-emploi présentées précédemment sont des mesures transversales, c’est-à-dire qu’elles résultent d’une photographie ponctuelle d’une population soit une semaine donnée (dans le cas de l’EPA), soit un mois donné (dans le cas de l’EDTR). Cependant, les deux enquêtes sont aussi de nature longitudinale dans la mesure où elles résultent du suivi d’une population dans le temps. L’exploitation des cohortes de l’EPA et de l’EDTR permet donc d’évaluer dans quelle mesure l’adoption d’une approche longitudinale contribue à transformer la perspective sur les écarts de chômage et de sous-emploi entre les hommes et les femmes.

Dans les deux enquêtes, la réalisation d’une analyse longitudinale conduit à changer significativement le sens des catégories. En effet, dans un cadre longitudinal, une personne change de statut au cours du temps. Elle peut être au chômage à un moment t, inactive en t-1 et en emploi en t+1. Ce qu’il s’agit d’estimer, ce ne sont donc plus les pourcentages à un moment donné d’une variable à quatre modalités (pas de chômage, chômage partiel a, chômage partiel b, et chômage), mais les probabilités de passage dans des statuts donnés. Compte tenu de la hiérarchie des quatre modalités précédentes, on peut construire, sur la période de suivi considérée, la variable « Passage par le chômage » de la manière suivante : 1) passage par le chômage, 2) passage par le chômage partiel involontaire sans passage par le chômage, 3) passage par le chômage partiel volontaire sans passage ni par le chômage ni par le temps partiel involontaire, 4) pas de passage ni au chômage ni en sous-emploi. Dans le cas de l’EPA, Statistique Canada utilise un plan de sondage avec renouvellement de panel, selon lequel les logements sélectionnés restent dans l’échantillon pendant six mois consécutifs. Ainsi, en décembre 2010, le sixième des logements sélectionnés en sont à leur sixième mois d’enquête. Le groupe de renouvellement de juillet 2010 peut donc être utilisé comme un échantillon représentatif. Bien que Statistique Canada ne fournisse pas les poids associés aux cohortes, on peut utiliser les poids de l’échantillon du mois de décembre pour estimer les écarts entre hommes et femmes de chômage et de sous-emploi.

Le tableau 4 présente les résultats de la distribution de la variable « passage par le chômage » telle que définie plus haut, au sein des 20-64 ans. Mécaniquement les taux de passage par le chômage ou le sous-emploi entre juillet et décembre 2010 sont bien plus élevés que ceux observés seulement en décembre 2010. Cependant, l’adoption d’une mesure longitudinale conduit à inverser l’écart entre les hommes et les femmes et à accroître l’écart de sous-emploi. De juillet à décembre 2010, c’est 15,2 % des femmes de 20 à 64 ans contre 14,4 % des hommes de 20 à 64 ans qui passent par le chômage et 15,1 % des femmes contre 8,6 % des hommes qui passent par le chômage partiel sans avoir connu le chômage. Le même constat peut être fait au sein du groupe d’âge 30-39 ans.

Tableau 4

Répartition en pourcentage* de la population active de juillet à décembre 2010 selon les modalités de la variable « passage par le chômage »

Répartition en pourcentage* de la population active de juillet à décembre 2010 selon les modalités de la variable « passage par le chômage »

* La somme des répartitions en pourcentage, qui sont calculées à partir de données arrondies, ne correspond pas nécessairement à 100 %.

Source : EPA, cohorte de juillet 2010

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Dans le cas de l’EDTR, un nouveau panel est introduit tous les trois ans, les membres de chaque panel étant suivis pour une période de six années consécutives. Ainsi, décembre 2010 était le dernier mois d’observation. Le tableau 5 présente l’analyse des risques de passage par le chômage et le sous-emploi entre janvier 2005 et décembre 2010. Il apparaît que plus la période de suivi de la population est grande, plus les écarts entre les hommes et les femmes tendent à s’accroître, particulièrement au sein des 30-39 ans.

Au sein des 20-64 ans, les chances de ne pas passer par le chômage et le sous-emploi sont de 58,2 % pour les hommes contre seulement 51,6 % pour les femmes, soit un écart de 6,6 points. Ceci s’explique surtout par des écarts de risque de sous-emploi (9,1 % des femmes contre 4,5 % des hommes), et également, quoique dans une moindre mesure, par des écarts de risque de chômage (39,4 % des femmes contre 37,3 % des hommes).

Au sein des personnes âgées de 30 à 39 ans en décembre 2005, l’écart est beaucoup plus grand puisqu’il s’élève à 16,6 points : 68,2 % des hommes de 30 à 39 ans échappent au chômage ou au sous-emploi contre 51,8 % des femmes seulement. A contrario de ce qui se passe pour les 20-64 ans, l’écart des risques de chômage est très élevé (39,1 % des femmes contre 29,6 % des hommes), même si les écarts de sous-emploi restent forts (9,2 % des femmes contre 2,3 % des hommes).

On retrouve là encore comme principale explication à ces effets genrés de perspective la sur-présence des femmes dans l’inactivité tel que mesurée d’un point de vue transversal. Cette sur-présence est bien moindre sur une période de six années dans la mesure où la plupart des femmes inactives en décembre 2010 occupent un emploi ou recherchent un emploi sur la période 2005-2010. L’effet de perspective est donc principalement dû à l’exclusion des femmes temporairement inactives du dénominateur du taux de chômage. Cette sur-présence des femmes dans l’inactivité est plus grande dans la catégorie des 30-39 ans en raison sans doute de la fréquence élevée des grossesses qui conduisent à des interruptions d’activité.

Tableau 5

Répartition en pourcentage* de la population active en décembre 2010 et sur la période 2005-2010 selon les modalités de la variable « passage par le chômage »

Répartition en pourcentage* de la population active en décembre 2010 et sur la période 2005-2010 selon les modalités de la variable « passage par le chômage »

* La somme des répartitions en pourcentage, qui sont calculées à partir de données arrondies, ne correspond pas nécessairement à 100 %.

Source : Panel 2005-2010 de l’EDTR

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CONCLUSION

En somme, l’analyse de la quantification du chômage et du sous-emploi opérée par Statistique Canada permet de dégager trois effets genrés de perspective qui sont liés à trois types de choix méthodologiques : le choix des définitions du chômage et du sous-emploi (inclusives versus exclusives), le choix des périodes de référence (longues versus courtes), et le choix des méthodologies d’analyses (longitudinale versus transversale). De manière générale, les écarts de chômage entre hommes et femmes s’inversent avec des définitions plus inclusives, des périodes de référence plus longues et des analyses longitudinales.

Plus particulièrement, nous avons montré que la quantification du taux de chômage et du taux de temps partiel involontaire tend à donner une place centrale aux raisons personnelles et familiales que les personnes sont susceptibles d’invoquer pour expliquer quatre types de situation : l’absence du travail, l’indisponibilité, l’absence de recherche d’emploi, et le travail à temps partiel. La manière dont Statistique Canada traite ces raisons semble conduire à masquer certaines formes féminines de chômage qui sont classées comme de l’emploi ou de l’inactivité.

Les approches longitudinales des statuts d’emploi et d’activité apparaissent dès lors comme des instruments puissants pour mettre à jour ces formes féminines de chômage et de sous-emploi. D’abord, elles conduisent à inclure toutes les personnes, en majorité des femmes, qui sont inactives à un moment donné mais qui, pendant la période de suivi, redeviennent actives en passant plus souvent que les autres par des périodes de chômage ou par du sous-emploi. Ensuite, les approches longitudinales conduisent à requalifier les personnes, en majorité des hommes, qui sont mises à pied de manière temporaire, de chômeuses à non chômeuses dans la mesure où elles ne cherchent pas un emploi durant leur période de mise à pied. Enfin, elles permettent de montrer que sur une longue période de suivi, les personnes en sous-emploi sont aussi celles que l’on retrouve plus souvent au chômage.

La légitimité d’une définition unique du « chômage » ou du « temps partiel involontaire » semble contestable au vu des réalités genrées qu’elle masque. De ce point de vue, l’approche adoptée par Statistique Canada est ambivalente. D’une part, l’organisme donne une définition officielle du chômeur et du travailleur découragé, mais offre deux définitions du travailleur à « temps partiel involontaire » et ne publie pas de synthèses sur le « halo » entourant le chômage. D’autre part, des méthodologies alternatives sont certes explorées, mais ne conduisent pas à l’institutionnalisation d’instruments distincts des mesures officielles comme l’illustrent l’abandon des panels de l’EDTR ou l’absence d’exploitation du caractère longitudinal de l’EPA. Les effets de perspective identifiés dans cet article tendent de ce point de vue à militer en faveur de la multiplication des enquêtes et des indicateurs pour éclairer la diversité des formes de chômage et de sous-emploi et mieux outiller les politiques publiques.

Enfin, ces effets genrés de perspective tendent à démontrer le rôle crucial des politiques de conciliation travail-famille en vue de réduire les formes masquées de chômage et de sous-emploi qui affectent disproportionnellement plus de femmes que d’hommes. Les femmes actives occupées sont en effet bien plus souvent absentes de leur travail pour des raisons familiales. Par ailleurs, les femmes inactives à un moment donné sont particulièrement plus à risque de chômage ou de sous-emploi ultérieurement, particulièrement entre 30 et 40 ans. Ces résultats conduisent ainsi à recommander le développement des services publics de garde à bas coût et de systèmes d’assurance parentale protecteurs et davantage incitatifs pour les hommes.