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L’ouvrage Les discriminations au travail s’inscrit dans la foulée des enquêtes et des travaux scientifiques qui alimentent la réflexion sur les politiques nationales de lutte contre la discrimination en France. Dans une perspective anglo-saxonne, Carcillo et Valfort prolongent la recherche sur les traitements différentiels illégitimes vécus par des individus appartenant aux populations minoritaires au cours de leur vie professionnelle. L’attention se focalise sur les discriminations par coût (Becker, 1957) et par statistique (Arrow, 1973; Phelps, 1972 ; Akerlof, 1985). Ainsi donc, les auteurs abordent l’inégalité salariale sur le marché du travail dans une perspective économique.

Trois sections subdivisent le livre : 1- cadre théorique et méthodologique; 2- synthèse des résultats de recherche selon les populations; et 3- discussion des politiques publiques françaises. La discrimination est définie en tant que traitement inégal infligé aux individus appartenant à un groupe minoritaire en regard d’un critère illégitime. Plus précisément, Les discriminations au travail contribue à identifier, mesurer et décrire les effets de la discrimination sur les groupes tels que : « les femmes, les seniors, les LGBT, les minorités ethniques et religieuses, mais aussi les personnes discriminées sur la base de leur apparence physique » (p. 7). Par la suite, cet ouvrage s’attarde à plusieurs phénomènes, soit les effets négatifs de la maternité sur les carrières de femmes, la persistance des inégalités de sexes, la double pénalité ethnique et religieuse des Maghrébins en territoire chrétien, l’avantage de la beauté dans les industries de services et la discrimination en regard de l’orientation sexuelle et du genre. Dans les relations de travail, les stéréotypes prennent la forme de biais cognitifs défavorables qui maintiennent à l’écart des travailleurs productifs appartenant à des groupes minoritaires, favorisent l’entre-soi entre les membres du groupe majoritaire et nuisent au libre marché. En ce sens, les coûts de la discrimination sont non seulement sociaux, mais aussi économiques puisqu’ils affectent négativement la croissance nationale.

Les outils d’identification et de mesure de la discrimination sont explicités dans la première section de l’ouvrage. Qu’il s’agisse des processus discriminants lors de l’embauche ou des écarts illégitimes de salaire entre différents groupes sociaux, des méthodes tant quantitatives qu’expérimentales sont mobilisées. La présentation par chapitre des synthèses des résultats de recherche auprès des populations minoritaires permet d’identifier les processus discriminatoires en regard des groupes, ainsi que de comparer les méthodes communément utilisées. La structure du livre est appréciable; chaque chapitre peut être consulté individuellement, sans toutefois perdre de vue la trame narrative.

Publié sous les Presses de Science Po, l’ouvrage a aussi une portée normative et se penche principalement sur la société française. Au-delà de l’approche punitive, Carcillo et Valfort soutiennent des politiques préventives dans le marché du travail et dans le système éducatif. Ces dernières visent à contrôler la composition de la main d’oeuvre, réduire les écarts salariaux et dépasser les stéréotypes entretenus envers les groupes minoritaires. Premièrement, la distribution d’information et de techniques limitant l’impact des préjugés des employeurs viserait à diminuer la discrimination lors de l’embauche et favoriserait la prise de conscience des biais cognitifs de ceux-ci. Deuxièmement, la systématisation, l’objectivation et la formalisation des étapes du recrutement, notamment par l’utilisation de logiciels, permettrait de réduire aussi l’impact des biais cognitifs lors de la sélection des CV et de l’entrevue. Troisièmement, une meilleure évaluation des conséquences, notamment des congés parentaux sur les carrières féminines et des demandes à caractères religieux, contribuerait à transformer les stéréotypes entretenus par les entreprises à l’égard du coût associé aux différentes minorités. Quatrièmement, Carcillo et Valfort recommandent des mesures de discrimination positive. D’une part, en favorisant les subventions à l’embauche et en rendant ce calcul public — basé sur l’écart salarial en fonction des effets discriminatoires. D’autre part, en déployant des intermédiaires de l’emploi spécialisés pour favoriser l’intégration de ces individus sur les lieux de travail. En terminant, des politiques publiques en matière d’éducation pourraient aussi contribuer à amoindrir les biais cognitifs discriminants, ceci, afin que les individus appartenant aux groupes minoritaires modifient également leurs comportements et n’adaptent plus leurs performances scolaires et leur choix de carrière aux stéréotypes présents dans ces lieux de socialisation.

La perspective économique des auteurs laisse, néanmoins, un vide théorique quant aux facteurs sociaux, historiques et culturels soutenant les différentes discriminations vécues par les populations présentées dans l’ouvrage. Bien que certaines distinctions soient soulignées avec justesse dans la section méthodologique, vis-à-vis de la variation des effets affectant les différents groupes entre autres, l’absence des facteurs structurels dans cette étude constitue sa principale lacune. La publication d’un tel ouvrage en France qui ignore l’importante littérature féministe matérialiste produite sur le territoire surprend. La critique du système patriarcal en France possède des figures majeures, dont les études marquent encore à ce jour l’étude de la discrimination au travail (Delphy, Kergoat, Méda, etc.). Si les auteurs relèvent les coûts sociaux et économiques de la discrimination sur le plan national, ils négligent la dimension structurelle des rapports sociaux et sa contribution à l’accumulation et l’organisation du capital. Une discussion sur les théories du conflit féministe et post-colonialiste dans les relations industrielles aurait pu pallier ce vide. Néanmoins, l’élément novateur qui retient l’attention dans cet ouvrage est l’inclusion des discriminations envers les membres des communautés LGBT et l’apparence physique. Effectivement, les traitements différentiels vécus par ces individus constituent de nouveaux territoires d’études.

En conclusion, Les discriminations au travail peut être utilisé tant pour approfondir la question de la discrimination, ses impacts économiques et la situation dans la société française, que pour consulter une synthèse des résultats concernant les discriminations par coût et statistiques dans les relations industrielles. Bien que les pratiques discriminantes soient condamnées par le Code du travail français, l’application des sanctions demeure trop marginale. Les mécanismes juridiques issus du droit pénal comme civil imposent aux victimes la charge de démontrer la faute commise à leur endroit par l’entreprise ou l’employeur. Ces procédures découragent la dénonciation et participent à la reconduction des comportements discriminants. Ce faisant, sans contredire le bien-fondé et la nécessité du Code du travail, Carcillo et Valfort soulignent avec justesse les limites de l’approche punitive et les bénéfices des mesures préventives et correctrices.