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Comme le soulignait le musicien et théologien Pierre Charru (2012, 311), « les rapports entre la musique et la théologie restent un domaine de recherche encore peu exploré ». Pourtant, comme la théologie, la musique et les chants qui l’accompagnent ont souvent été utilisés pour dire Dieu. La musique fait en effet partie intégrante des différentes religions du monde depuis des millénaires. Que ce soit par des hymnes, des cantiques, etc., l’humain s’est servi de la musique pour tenter d’exprimer, de définir ce rapport entre lui et le divin. On peut donc dire que depuis les débuts de l’Histoire, on fait de la théologie avec la musique.

La musique peut certes avoir une « résonance théologique », pour reprendre l’expression de François Vouga (1983) et être utilisée pour propager la grandeur, la toute-puissance et la splendeur de Dieu. Comme l’ont fait les grands compositeurs baroques et classiques, tels que Bach, Verdi, Mozart, Beethoven, et comme le font encore de nos jours les artistes de musique gospel ou de rock chrétien. Mais la musique est ambivalente. Elle peut aussi être utilisée pour critiquer Dieu. Pour maudire Dieu. Cela est particulièrement vrai depuis la deuxième moitié du xxe siècle, alors que la musique a été utilisée pour proposer un discours différent sur Dieu. Une nouvelle théologie. Toujours dire Dieu, mais autrement. Pour le contester, le dénoncer, voire le renier. Pour exprimer le rapport entre l’humain et Dieu qui a changé, qui s’est transformé. Silence, impuissance, insouciance… Voilà ce qu’on reproche souvent à Dieu dans la musique contemporaine. Cette contestation, cette remise en question de Dieu, n’est toutefois pas nouvelle. Dans certains psaumes de la Bible hébraïque, la musique et le chant sont utilisés pour reprocher à Dieu son inaction, son insensibilité, sa condescendance ou encore sa colère injustifiée. Mais les auteurs bibliques ne rejettent pas Dieu, contrairement à certains musiciens contemporains et leurs « fidèles ».

Dans ce numéro de la revue Théologiques, nous proposons une série d’articles qui font état de cette ambivalence de la musique. Parfois utilisée pour dire Dieu, mais aussi pour maudire Dieu, la musique oscille entre promotion et dénonciation de Dieu et de la religion en général. Les onze articles que nous présentons ici, sur des sujets aussi variés que la musique classique, les hymnes nationaux, la musique de films d’horreur, en passant par le rock chrétien, la musique métal extrême ou encore la propagande guerrière, d’hier à aujourd’hui, démontrent que la musique forme et transforme le rapport entre l’humain et Dieu.

Ainsi, les actes du continuum de profession de foi et de dépossession des divers dieux trouvent leur sens dans la musique, que ce soit dans sa forme lyrique, par la cadence des chants élogieux ou des grondements démoniaques évoquant l’opposition, ou encore dans l’enchantement pur et sacré de la musique religieuse et de son antithèse, la cacophonie des scènes culturelles marginales qui en appellent à l’enfer plutôt qu’aux cieux. Comme certains louangent le Créateur et la générosité de ses nombreux sacrifices, d’autres maudissent la nonchalance dont on accuse souvent les religions organisées. Ce numéro spécial rassemble des chercheurs et des penseurs spécialisés dans des disciplines aussi variées que la sociologie, les sciences humaines, la culture de consommation, l’étude des sons, les arts visuels et, bien sûr, la théologie, dans le but d’aider à faire tomber certaines cloisons paradigmatiques renvoyant à des louanges vides, et ainsi favoriser un dialogue pluraliste sur certains thèmes évoluant au fil du temps, des endroits et, de toute évidence, d’un genre musical à l’autre.

Cette volonté de dire ou de maudire Dieu est habituellement influencée par le contexte historique, le vécu et les convictions de ses auteurs, mais aussi par des situations bien particulières. Devant la mort, par exemple. Dans l’article qui ouvre ce numéro (« Dire un dieu de vie devant la mort. Trois prises de parole : Johannes Brahms, Igor Stravinsky, Frank Martin »), François Vouga analyse les oeuvres de ces trois grands compositeurs. Brahms, Stravinsky et Martin ont, chacun à leur manière, pris l’initiative de re-créer un genre musical enraciné dans la tradition confessionnelle catholique, le Requiem, de le reformuler pour un auditoire universel et ainsi permettre une forme d’espérance pour l’humanité toute entière. Selon leurs convictions et une réflexion théologique personnelle, ces compositeurs ont imaginé un langage se voulant universel pour dire un Dieu d’espérance devant la mort. Selon Vouga, même s’il est associé à l’histoire de la chrétienté occidentale et à ses traditions confessionnelles et liturgiques, le Requiem est sans doute le genre musical qui s’adapte le mieux à l’environnement culturel de sociétés sécularisées ou laïques. Parce que l’humanité reste sans réponse devant la mort. Elle reste désarmée devant la mort. Vouga en conclu que « la pensée agnostique moderne n’a guère trouvé de langage alternatif à l’imaginaire symbolique médiéval pour accompagner ses angoisses, ses espérances et ses doutes devant la mort » (57).

Mais force est de constater que certains groupes de musique au style très différent et beaucoup plus extrême ont, depuis les années 1980, trouvé un langage alternatif pour aborder le thème de la mort. C’est le cas, notamment, du groupe Nuclear Death, qui fait l’objet de l’article de Daniel Butler, lui-même chanteur du groupe death métal Vastum, en plus d’être psychothérapeute et psychanalyste. Formé en 1985, le groupe Nuclear Death, dont la musique pourrait être qualifiée de deathgrind (une combinaison de death métal et de grindcore) est brutale et dérangeante. La chanteuse du groupe, Laura (« Lori ») Bravo, qui se qualifie de « sataniste catholique », se dit profondément spirituelle, mais attirée par le côté sombre. Nuclear Death ne s’attaque pas à la religion en tant que telle. Il ne glorifie pas Satan ni ne méprise Dieu. Le groupe présente un monde dans lequel Dieu est absent et où le genre humain n’est qu’une espèce que l’on ne peut distinguer des déchets, des animaux, des insectes… Les paroles du groupe sont dystopiques et véhiculent une théologie apophatique, une théologie négative. Par son absence, Dieu laisse l’humanité dans un état de détresse qui s’apparent à celui d’un vers de terre partiellement écrasé (« half-crushed worm »). L’image est dégoutante, mais tout aussi puissante : une partie du vers est morte alors que l’autre se démène, tente de survivre, mais en vain. Car Dieu ne fait rien. Il est absent. Selon Butler, les deux albums de Nuclear Death, Bride of Insect (1990) et Carrion for Worm (1991), invitent ses auditeurs à adopter une attitude tragi-comique face à l’absurdité de l’affliction. Son approche psychanalytique appliquée à la mystique du groupe deathgrind de l’Arizona est tout à fait originale. Très près de ce que Butler exprime dans son article, Wallin aborde avec une grande lucidité le rôle du « son » dans la recherche de mécanismes cognitifs directs, indirects et spéculatifs pour évoquer la puissance du rejet d’une autorité religieuse. Même si son article contient des exemples cinématographiques directs de possessions ayant de toute évidence marqué les esprits par leurs sons démoniaques terrifiants, il nous fournit également un cadre afin de repérer le mal au sein même de l’humanité. Ainsi, dans la mesure où les effets sonores entourant la possession de Regan dans L’Exorciste et les propos lugubres du mystérieux démon dans L’opéra de la terreur illustrent les horreurs de l’appartenance aveugle de la société aux religions organisées, Wallin met en lumière les tensions schizophréniques que les films d’horreur réveillent chez leur public. Ce sont ces sons et ce qu’ils évoquent en nous qui nous poussent à commettre le sacrilège de rejeter notre propre humanité et à chercher à révéler « l’autre » visage de la rigidité que nous imposent les structures sociétales néo-libérales. Il suffit de penser à Héréditaire, un film d’horreur psychologique (réalisé par Ari Aster en 2018) qui se moque de la possessivité matriarcale se complaisant dans la souffrance de la perte d’un enfant, mais réussit à trouver une solution féministe à cette dépossession en couronnant ce qui semble être un « faux » prophète, pour en venir à la conclusion que la société postmoderne est condamnée à reproduire les mêmes erreurs. Dans cette oeuvre, le son le plus dérangeant survient probablement lors du décès accidentel d’une enfant innocente causé par la distraction et l’irresponsabilité de son grand frère. La scène est d’autant plus frappante que le grand frère réalise silencieusement le rôle horrible que son immaturité a joué dans la mort de sa soeur. Dans ce numéro spécial, Nelson effectue une analyse tout aussi fondamentalement humaniste du film Mère !, dans laquelle il compare savamment les méthodes de la littérature espagnole du début de l’époque postmoderne et du cinéma contemporain pour aborder des idéaux féministes renvoyant à l’importance de la Sainte Vierge et du sacrifice ultime qu’elle fait en donnant naissance à Jésus pour le bien du monde. Son interprétation moderne du féminisme démontre parfaitement que l’étude de la littérature et des langues modernes et les spéculations qui en découlent jouent un rôle central dans la propagation d’idées ne trahissant pas nécessairement un paradigme guindé et solipsiste, mais ouvrant la voie au pluralisme par l’analyse des aspects inductifs de textes, d’images et de sons.

La théologie apophatique est aussi abordée dans l’article de Niall Scott : « Black Metal’s Apophatic Curse ». Scott s’attarde quant à lui au black métal, un genre musical reconnu pour son aversion envers Dieu et la religion en général. Selon l’auteur, le black métal est devenu partie intégrante de la tradition apophatique. En utilisant la théorie du désir et de la renonciation, formulée par Bruce Milem (2007), Scott propose une analyse de paroles apophatiques de certaines chansons de groupes black métal. Dans la tradition chrétienne, la théologie apophatique cherche à acquérir une compréhension plus approfondie de Dieu afin d’en souligner la transcendance. La théologie apophatique n’a donc rien de négatif à dire contre Dieu. Ce qui n’est pas le cas dans la musique black métal où un langage négatif et négationniste est utilisé. Mais il ne s’agit pas seulement d’un rejet de Dieu. Selon Scott, on s’en éloigne dans un état de déception. Ce que Dieu n’est pas, est ici négatif. Dieu n’est pas. Tout simplement. Dans ce cas, la théologie apophatique est véritablement négative : Dieu est maudit. Scott démontre qu’en plus de maudire Dieu, le black métal tourne le dos à Dieu. Et le rejette complètement.

L’étude de Unger apporte un regard différent. Bien qu’il admette d’emblée que la musique métal extrême entretient des rapports conflictuels avec la religion, Unger souligne, dans son article « Ode à un Dieu agonisant. Dégradation des symboles chrétiens dans le métal extrême », que ses rapports avec Dieu sont complexes et ne se limitent pas à la raillerie, au mépris ou à la dérision. Dans son article, l’auteur examine les rapports, souvent sincères et bienveillants, quoique critiques, du métal extrême avec Dieu, la théologie et la religion. Pour démontrer que la critique de la religion peut inverser les théologies et les métaphysiques normatives et les dégrader, Unger propose une analyse approfondie des paroles du dernier album du groupe culte Celtic Frost, paru en 2006 et intitulé Monotheist. Le groupe suisse s’en prend en particulier à la religion organisée et souligne les contradictions et les points nébuleux du monothéisme biblique selon le point de vue de Dieu, Jésus ou encore Satan. L’auteur en vient à la conclusion qu’en inversant les mythes de la religion et de la métaphysique chrétienne d’une façon créative et pessimiste, le métal extrême cherche à éroder la prédominance des récits normatifs sur la religion, l’éthique et le corps ; à exposer le côté sombre qui se cache derrière une façade de bonheur et de paix.

Bon nombre de groupes de musique de métal extrême dénoncent et s’en prennent à Dieu, ses adeptes et l’influence de la religion judéo-chrétienne sur la culture et la civilisation occidentale. Mais jusqu’à quel point ces groupes sont-ils sincères dans leur discours contre Dieu et les religions en général ? L’article de Podoshen (« Tracing the Trajectory of Cursing God in Extreme Metal ») apporte d’importantes nuances. En se basant sur une analyse détaillée des paroles de plusieurs groupes phares de la musique extrême depuis les années 1980, Podoshen en arrive à définir trois catégories ou trois vagues. Dans la première vague de métal extrême qui débute au début des années 1980, des groupes comme Venom ou encore Slayer utilisent à profusion une imagerie sataniste et anti-chrétienne (pentagramme et croix inversés, le « chiffre de la Bête » (666), titres d’album comme Welcome to Hell, At War with Satan, Hell Awaits, etc.) dans le but avoué d’attirer l’attention et de choquer, particulièrement les chrétiens conservateurs. Leur satanisme n’est évidemment pas sincère. Mais un mouvement résolument opposé à la religion judéo-chrétienne verra le jour au milieu des années 1980 et au début des années 1990 avec des groupes comme Death, Deicide et Morbid Angel. Ceux-ci s’attaquent aux courants dominants du christianisme et au télévangélisme et font de la critique systématique du christianisme la pierre angulaire des paroles de leurs chansons qui sont également marquées par les thèmes de l’horreur et de la dystopie. Une troisième catégorie, qui émerge particulièrement dans les pays scandinaves au début des années 1990, prendra une tangente beaucoup plus dramatique et sera marquée par une série d’incendies d’Églises et même d’assassinats. Influencés par l’iconographie satanique de groupes des années 1980, des groupes comme Mayhem, Burzum et Emperor, pour ne nommer que ceux-là, ont favorisé l’émergence d’une sous-culture qui a parfois débouché sur de réels actes de violence.

Heureusement, le discours sur Dieu ne débouche pas toujours sur des actes violents et condamnables. Stéphane Perreault, Marie-Chantal Falardeau et Jeanne Guèvremont nous amènent complètement ailleurs en s’interrogeant sur le rôle de la religion dans les hymnes nationaux. Que peuvent-ils nous apprendre au niveau théologique ? Quels discours sur Dieu proposent-ils ? Sans surprise, le ton diffère de la musique métal extrême, l’hymne national étant vecteur de contenu religieux. La religion est, en effet, un des thèmes les plus souvent présents dans les hymnes nationaux. L’étude de Perreault, Falardeau et Guèvremont montre que près de la moitié des hymnes nationaux étudiés (47 %) font spécifiquement référence à une entité religieuse, que 19 % (38/195) d’entre eux comportent des connotations religieuses, alors qu’à peine 34 % (66/195) ne contiennent aucun référent religieux. En croisant ce codage avec la religion pratiquée dans un pays, les auteurs ont remarqué que la mention d’une entité religieuse dans les hymnes nationaux est présente dans presque toutes les religions du monde et que l’entité religieuse a plusieurs « visages » : elle est parfois considérée comme étant au-dessus de tout et de tous, parfois comme un collaborateur ou un associé du pays et de ses citoyens. À noter que dans tous les hymnes nationaux où il est question de Dieu (quel qu’il soit), le discours est positif. Mais pour qu’une métaphore relative à une entité religieuse fonctionne, elle doit faire partie de la culture populaire. Or, dans un pays de plus en plus sécularisé comme le Canada, certains citoyens se questionnent à savoir si le mot « Dieu », dans la version anglophone de l’hymne national canadien, a encore sa place. Il serait par ailleurs intéressant de voir quelle place occuperait Dieu dans les hymnes nationaux si les paroles pouvaient être changées de nos jours…

Mais les discours positifs à propos de Dieu et/ou de la religion ne sont toutefois pas confinés à la musique classique ou aux hymnes nationaux. En effet, depuis les années 1980, et surtout depuis les années 2000, des individus profondément religieux — particulièrement dans la religion chrétienne — ont adopté des pratiques qui semblent en contradiction avec leur religion telle qu’elle est généralement perçue dans l’imaginaire populaire. En effet, la musique heavy métal, souvent associée au Diable, a été adoptée par plusieurs groupes de musique chrétiens. On y utilise une musique généralement considérée comme étant fondamentalement opposée au christianisme et associée à la rébellion contre Dieu pour véhiculer un message en faveur de Dieu et de la religion chrétienne. Le heavy métal chrétien, qui a gagné en popularité depuis le début des années 2000, et ce à l’échelle internationale, est étudié par le musicologue Éric Smialek. En appliquant les théories sur la formation de l’identité tirées de la psychanalyse freudienne et lacanienne, Smialek étudie trois cas distincts. Celui de Fratello Metallo (« Frère Métal »), un moine capucin chantant dans un groupe heavy métal, le cas des « messes métal » en Finlande et en Colombie, puis le cas de groupes de métal extrême chrétien, comme Horde, qui réutilise un son et des images généralement associés au black métal, mais à des fins de prosélytisme religieux. C’est ainsi que nous en venons aux réflexions de Varas-Diaz et de Morales et à leurs interprétations et perceptions uniques des effets de la religion sur la musique heavy métal postcoloniale dans les pays d’Amérique latine. En plus de la monumentale recherche qualitative entreprise aux fins de cette analyse, il faut absolument souligner le rôle de premier plan que Varas-Diaz a joué (et joue toujours) dans l’étude de la marginalisation contextualisée de la religion et de la capacité hypnotique des formes d’arts marginales à générer une résistance sociétale et politique. Varas-Diaz compte parmi les rares chercheurs en sociologie capable de s’immerger en profondeur dans les collectivités et d’utiliser ses exceptionnelles capacités de conteur et de réalisateur pour produire des récits audiovisuels qui donnent du pouvoir aux collectivités marginalisées en magnifiant leur voix et leur culture.

Les fans de métal chrétien, qui doivent faire face à l’opposition du milieu international de la musique métal et à la droite chrétienne conservatrice, tentent de se convaincre les uns les autres que les chrétiens peuvent écouter de la musique agressive la conscience tranquille. Pour se faire, ils se servent, entre autres choses, des réseaux sociaux pour élaborer des stratégies leur permettant de concilier conviction religieuse et intérêt pour un style de musique qui est, en grande partie, né d’une rébellion contre Dieu, contre la religion… Mais les chrétiens amateurs de musique métal ne sont pas les seuls à se servir des réseaux sociaux ou de vidéos diffusées en libre accès sur Internet pour véhiculer un discours théologique ou encore pour faire la promotion de leur idéologie et de leurs convictions religieuses. Des groupes, non pas musicaux cette fois, mais plutôt armés, se servent des mêmes médias, mais avec des objectifs bien différents. C’est le cas, notamment, de Daech, aussi connu sous le nom d’État islamique (EI), qui fait la promotion de son idéologie djihadiste-salafiste en accompagnant souvent ses vidéos diffusées sur Internet de chants a capella, connus sous le nom d’anachîds.

Certaines vidéos, dans lesquelles le groupe armé s’attaque au passé préislamique de l’Iraq, sont analysées par les co-directeurs de ce numéro spécial de Théologiques, Vivek Venkatesh et Éric Bellavance. Venkatesh qui est, entre autres choses, co-titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, a beaucoup travaillé sur les vidéos diffusées en libre accès sur Internet par Daech en utilisant des théories développées dans les domaines de la psychologie sociale, du marketing, de la culture de consommation et de la philosophie postmoderne. Bellavance, qui est historien et spécialiste de la Bible hébraïque a quant à lui travaillé sur les empires mésopotamiens du premier millénaire avant notre ère. Or, dans un certain nombre de vidéos, Daech présente le pillage, le saccage et la destruction de vestiges de l’Empire néo-assyrien, qui a dominé le Proche-Orient entre le xe et le viie siècle avant notre ère. Ironiquement, les Assyriens, dont certains vestiges archéologiques importants ont été détruits par Daech puisqu’ils appartiennent au passé préislamique de l’Iraq moderne, ont été les premiers à faire usage de musique dans leur propagande religieuse et militaire, ce qui sera analysé dans la première section de l’article. Dans la deuxième partie de l’article, les auteurs démontrent comment l’hyperviolence et la consommation morbide de dystopies des vidéos de Daech interagissent avec les concepts de religion, de blasphème et de politique sociale.

Parmi les décombres métaphoriques que Venkatesh et Bellavance ont tenté de dépoussiérer dans leurs analyses respectives et lors de la préparation de ce numéro collaboratif exclusif, un des thèmes clés est l’important rôle social et pédagogique que les arts et les sciences humaines doivent jouer dans l’élimination des cloisons entre les cercles universitaires. En fait, si le milieu universitaire n’a pas de capacités pédagogiques à la hauteur de son engagement envers les dieux théoriques et leurs antithèses, il demeurera insupportablement arrogant aux yeux du grand public. Heureusement, la pédagogie sociale mise de l’avant dans ce numéro spécial le rend convivial, inclusif et réfléchi. À preuve, notre large éventail de collaborateurs a démontré, par la qualité de leurs articles, une volonté manifeste de faire fi des frontières disciplinaires à laquelle leur formation (entre autres) les contraint habituellement. La réflexion des co-directeurs sur les articles de ce liminaire laisse place à certaines spéculations allant au-delà des théories habituelles ; et pourtant, ce numéro spécial dans son ensemble ne porte la marque d’aucune discipline précise. En tant que co-directeurs, Bellavance et Venkatesh sont très reconnaissants de la confiance et de la liberté qui leur ont été accordées par le comité éditorial de Théologiques. Ils ont ainsi pu donner une nouvelle saveur philosophique et, surtout, musicale à cette importante revue canadienne.