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Introduction et recension des écrits

Malgré que les taux de suicide mondiaux soient à la baisse depuis plusieurs années, le suicide demeure une préoccupation importante pour la santé publique, surtout chez les adolescents (OMS, 2012). Le suicide représente d’ailleurs la deuxième cause de décès pour ce groupe d’âge après les accidents de la route dans la majorité des pays industrialisés, dont 22 % des décès attribués à ce groupe d’âge au Canada (OMS, 2012 ; Gouvernement du Canada, 2017). L’adolescence est une période charnière puisque c’est souvent à ce stade de vie que les idées suicidaires apparaissent pour la première fois (Nock et coll., 2013). C’est aussi à l’adolescence que les idées suicidaires se transforment plus souvent en passage à l’acte, surtout chez les jeunes âgés de 13 à 17 ans (Nock et coll., 2013). Parallèlement, l’utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC) occupe une place de plus en plus grande dans la vie des adolescents. Les TIC se définissent par « l’ensemble de technologies fondées sur l’informatique, la microélectronique, les télécommunications (notamment les réseaux), le multimédia et l’audiovisuel, qui, lorsqu’elles sont combinées et interconnectées, permettent de rechercher, de stocker, de traiter et de transmettre des informations, sous forme de données de divers types (texte, son, images fixes, images, vidéo) » (Basque, 2005). Ces derniers y consacrent beaucoup de temps et certaines études (Chaulet, 2010 ; Lintvedt, 2013 ; Roy, 2009) rapportent aussi une augmentation, par rapport aux années précédentes, du comportement de recherche d’aide par les TIC chez les adolescents, des problèmes de santé mentale. La recherche d’aide correspond aux « Efforts effectués pour obtenir une meilleure compréhension, des conseils, de l’information, un traitement ou du soutien concernant un problème identifié, qu’il soit d’ordre émotionnel ou comportemental » (Rassy et coll., 2015). Concernant le suicide, les adolescents qui se tournent le plus vers les TIC pour la recherche d’aide sont souvent ceux dont le risque suicidaire est le plus élevé (Harris et coll., 2009 ; Labouliere et coll., 2015). Toutefois, très peu de programmes de prévention du suicide considèrent l’aide offerte en ligne (Greidanus et Everall, 2010). Afin de pouvoir pallier cette situation et éventuellement développer des interventions par les TIC adaptées aux besoins des jeunes, le but de l’étude était de comprendre le processus de recherche d’aide par les TIC d’adolescents, âgés de 13 à 17 ans, ayant un risque suicidaire.

Méthode

L’approche par théorisation ancrée selon Corbin et Strauss (2015) a permis de proposer une théorie sur le processus de recherche d’aide par les TIC à partir des données recueillies. Un échantillonnage théorique d’adolescents, âgés de 13 à 17 ans, a été privilégié afin de recueillir autant de données variées possibles pour identifier et préciser les relations entre les concepts. Plus précisément, certaines caractéristiques du choix des participants ont été déterminées à l’avance puis adaptées suite à l’analyse des données, selon une approche itérative. Par exemple, deux adolescents ont été recrutés pour avoir été hospitalisés contre leur gré, donc n’avaient pas cherché de l’aide professionnelle initialement. Les adolescents provenaient d’unités d’hospitalisation ainsi que d’une clinique externe d’un hôpital de la région de Montréal (Québec, Canada).

Participants

Une fois que le projet a été approuvé par le comité d’éthique de la recherche (CÉR) de l’établissement, des adolescents ont été recrutés. Des infirmières ainsi que d’autres professionnels de la santé de l’hôpital (éducateurs, psychoéducateurs, travailleurs sociaux, psychologues) ont été formés pour le recrutement. Plus précisément, ils ont tous reçu des informations sur la nature du projet ainsi que sur les modalités de recrutement des patients par la chercheure principale. Un consentement éclairé et continu a été obtenu, tant auprès des adolescents que de leurs parents. Le consentement parental des jeunes de 14 ans et plus a aussi été obtenu en réponse à une exigence du CÉR de l’établissement. Un échantillon de 12 à 24 jeunes était initialement visé. Les critères d’inclusion étaient d’être âgé de 13 à 17 ans, de maîtriser la langue française, d’être utilisateur de TIC et d’avoir un suivi pour son risque suicidaire (ont reçu de l’aide par l’équipe de soins actuelle). Aussi, si le patient était hospitalisé, il devait avoir le droit de sortie de son unité de soin afin de pouvoir participer à l’entrevue. Il n’y avait aucun critère d’exclusion. Puisque l’échantillonnage était théorique, certains critères ont été ajoutés selon le processus itératif.

Collecte de données

Plusieurs outils de collecte de données ont été utilisés pour cette étude, tel que recommandé en théorisation ancrée afin d’enrichir l’analyse et les résultats de l’étude (Corbin et Strauss, 2015). D’abord, un questionnaire sociodémographique a été rempli. Ensuite, des entrevues semi-structurées d’une durée de 60 à 90 minutes ont été menées par la chercheuse à l’aide d’un guide d’entrevue élaboré à partir d’une recension exhaustive des écrits (Rassy et coll., 2017) et prétesté auprès de deux adolescents. Ce guide était bonifié au cours de la collecte de données lorsque de nouvelles pistes surgissaient, ainsi que pour préciser les concepts émergents et clarifier les liens entre ceux-ci. Une recherche d’aide réelle par les TIC a aussi été observée avec l’aide d’une grille d’observation, à partir d’une vignette présentée au participant durant l’entrevue. Cette vignette provenait d’une version traduite et adaptée du General Help-Seeking Questionnaire (Wilson et coll., 2005).

Analyse des données qualitatives

L’analyse des données en théorisation ancrée a pour but de comprendre un processus. Les données recueillies des entrevues et des observations ont été retranscrites, puis soumises à une analyse par codification ouverte, axiale et sélective (Strauss et Corbin, 1998). Une co-analyse a été effectuée pour l’analyse de chaque entrevue. Un journal du chercheur, des mémos, des diagrammes et des notes réflexives et méthodologiques ont aussi été utilisés et intégrés à l’analyse des données. Le modèle paradigmatique de Corbin et Strauss (2015) servait comme toile de fond pour guider l’élaboration de la théorie. La méthode de la comparaison constante a été utilisée jusqu’à la saturation des données et l’émergence d’une théorie substantive, soit la théorie de la noyade émotive virtuelle. Un retour auprès de trois participants a aussi été effectué pour validation et des modifications ont été apportées à la théorie en fonction.

Résultats

Au total, 15 adolescents ont participé à l’étude, soient dix filles, quatre garçons et une personne transgenre. La moyenne d’âge des adolescents de l’étude était de 15,1 ans et ils fréquentaient tous l’école secondaire. Tous les jeunes de l’étude avaient également cherché de l’aide par les TIC pour leur risque suicidaire. Les concepts qui ont émergé de l’expérience de ces adolescents ont permis l’élaboration de la théorie portant sur le processus de recherche d’aide par les TIC chez des adolescents à risque de suicide (voir figure 1).

Figure 1

La théorie de la noyade émotive virtuelle

La théorie de la noyade émotive virtuelle

Catégorie centrale : composer virtuellement avec sa noyade émotive

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Dans les échanges avec les jeunes, il est devenu apparent qu’une énorme souffrance psychologique précipite la recherche d’aide par les TIC. La catégorie centrale qui ressort de l’expérience des jeunes est donc de : « composer virtuellement avec sa noyade émotive ».

Noyade émotive : « Je veux me tuer parce que je suis pus capable de vivre (…) j’étais pas capable de l’exprimer avec mes mots, d’autres mots, puis j’étais trop, trop émotive. »

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Composer virtuellement avec sa noyade émotive : « C’est vraiment moi qui a comme fait, qui m’a parlé dans ma tête… Puis que, je devrais aller voir sur Internet des trucs, ou des choses comme ça avant que j’arrive au suicide puis dire, je veux me suicider. C’est pas une solution se suicider là. »

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Concrètement, cette noyade émotive correspond à un sentiment de détresse émotive où le jeune se sent submergé par ses émotions et parvient difficilement à surmonter cette détresse. Vouloir composer virtuellement avec cette noyade émotive met en lumière la démarche de recherche de soulagement par les TIC des adolescents qui vivent cette détresse.

Contexte

Le désir de rechercher un soulagement par les TIC d’adolescents à risque de suicide débute dans un contexte qui comprend l’état du jeune, son environnement social et ses facteurs aggravants. L’état des jeunes était caractérisé par la sévérité du risque suicidaire, sa perception de la situation, ses stratégies d’adaptation ainsi que sa connaissance de soi. L’environnement social, qui comprend le soutien par les pairs, le soutien parental, le soutien d’intervenants scolaires ainsi que le soutien professionnel avait une certaine influence sur le désir ou non d’utiliser les TIC pour la recherche d’aide. Plus particulièrement, certains jeunes avaient un désir d’utiliser les TIC par manque de soutien social « réel », par peur d’être un poids pour leur réseau de soutien ou par manque de confiance envers les compétences de ce réseau de soutien. L’environnement social « virtuel » pouvait donc pallier cette limite.

« Si on va directement demander de l’aide à quelqu’un, c’est un peu inutile parce que cette personne-là a peut-être aucune solution pour toi. Et puis, si toi t’as aucune information à lui donner, on peut pas toute laisser ça à la personne. On peut pas juste toute lui mettre sur les bras, comme – tiens, je te donne mon problème. Non, c’est pour ça que, moi, je veux faire un petit bout de chemin, puis dire – ok, qu’est-ce qui pourrait être en train d’arriver chez moi en ce moment dans ma tête ? Donc c’est pour ça que, souvent Internet, c’est utile. »

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Aussi, en plus du contexte et de l’environnement social, il existe des facteurs aggravant la noyade émotive qui amènent les jeunes vers un désir d’utilisation des TIC pour chercher du soulagement et de l’aide. Les facteurs aggravants qui ressortent de l’étude sont l’intimidation, la reconnaissance ou le dévoilement de son orientation homosexuelle, la séparation ou le divorce des parents, une rupture amoureuse, un changement d’école, des conflits avec des amis ainsi qu’un déménagement. Enfin, le désir d’utiliser les TIC provient surtout des caractéristiques mêmes des TIC (facilité et fréquence d’utilisation, accessibilité, possibilité d’anonymat, rapidité, flexibilité), des expériences antérieures positives avec les TIC ainsi que de la croyance que ce moyen est aidant.

« L’Internet, ça rassure parce qu’on n’est pas obligé d’aller voir quelqu’un qui…, d’affronter le regard d’une autre personne. C’est anonyme, c’est neutre, et surtout, en même temps, on peut (le) faire à n’importe quelle heure de la journée, n’importe quel moment où est-ce qu’on en a besoin. Genre on a une question, on écrit sur Internet, puis on a une réponse tout de suite. »

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Stratégies pour composer virtuellement avec sa noyade émotive

Au total, quatre stratégies pour composer virtuellement avec sa noyade émotive émergent des résultats de cette étude : se distraire, s’informer, se dévoiler et aider les autres. Il est à noter que le processus de recherche d’aide par les TIC est à caractère dynamique et non linéaire. Plus précisément, les adolescents passent souvent d’une stratégie à l’autre sans ordre chronologique particulier, et ce, de façon spontanée.

Premièrement, plusieurs jeunes de l’étude ont choisi volontairement de se distraire par les TIC lorsqu’ils avaient des idées suicidaires et vivaient une noyade émotive. Plus précisément, les jeunes pouvaient se divertir par des textes, des images, des jeux, de la musique, des vidéos ou autres types de distraction qu’ils trouvaient en ligne.

« Je me sens triste à propos de la vie, et après que je vais sur ces sites parce que je trouve quelque chose d’autre à faire et ça va mieux. »

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D’autres jeunes de l’étude commençaient leur recherche avec une réelle intention de se soulager, de trouver de l’aide, mais se laissaient distraire par ce qu’ils trouvaient ou voyaient sur les sites consultés. Or, ces jeunes finissaient par « surfer » sur Internet en fonction de ce qu’ils trouvaient et oubliaient même parfois la raison initiale de leur recherche. Cette distraction était donc plutôt involontaire.

Deuxièmement, la stratégie la plus populaire chez les jeunes de cette étude était de s’informer sur leur condition sur Internet. Plus précisément, à partir de mots-clés (Greidanus et Everall, 2010), les jeunes cherchaient de l’information sur le suicide, les statistiques sur le suicide, les signes d’alarme d’une crise suicidaire, les signes et symptômes de la maladie mentale, les ressources d’aide disponibles ainsi que les traitements. En général, les jeunes cherchaient de l’information sur la nature de leur problème ainsi que des moyens de s’en sortir.

« Quand je cherche de l’aide, je vais aller sur Internet pour…, je sais pas, pour voir les expériences d’autres personnes, pour voir des exemples, pour voir des possibilités, n’importe quoi pour avoir plus d’information. »

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Toutefois, certains jeunes cherchaient plutôt des moyens de mettre fin à leurs jours et percevaient la recherche d’aide comme une recherche d’aide au suicide.

« Ben j’ai trouvé comme plein de moyens de comment se suicider, le nombre de pilules que tu prends, sur Internet, puis il est écrit le nombre de pilules que tu prends, ben ça, ça devrait te faire mourir dans le fond. »

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Malgré le fait que certains jeunes cherchaient de l’aide au suicide, certains d’entre eux aboutissaient tout de même à de l’aide à s’en sortir puisque plusieurs résultats des mots-clés utilisés par ces jeunes concernant l’aide au suicide faisaient émerger des sites de prévention du suicide. En somme, même si les sites d’aide au suicide sont peu nombreux, ces derniers coexistent avec les sites prosuicide dans les recherches que font les jeunes à risque de suicide.

Troisièmement, pour certains jeunes, les TIC leur permettaient de s’exprimer et dévoiler leur état d’esprit ainsi que leurs émotions. Certains jeunes se dévoilaient à une personne de confiance alors que d’autres s’exprimaient plutôt publiquement par des statuts sur des médias sociaux (p. ex. Facebook) ou sur des forums de discussion.

« J’ai décidé plutôt de m’exprimer en texte, alors, c’est pour ça que j’ai écrit des textes de comment je me sentais, pourquoi je vis ça. J’avais des questions incorporées dans ces textes-là que j’ai appliquées. J’ai mis ça sur des forums d’aide pour santé mentale. »

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Quatrièmement, une autre stratégie qui a émergé de l’étude était d’aider, par les TIC, d’autres jeunes qui vivaient des situations semblables. Étonnement, la majorité des jeunes de l’étude rapportait avoir aidé au moins un autre jeune alors qu’ils vivaient eux-mêmes au même moment des difficultés sur le plan émotionnel. La plupart des jeunes se sentaient valorisés lorsqu’ils réussissaient à aider les autres et cela les aidait dans leurs propres difficultés. Ils se considéraient aussi une bonne ressource d’aide parce qu’ils vivaient ou avaient déjà vécu des situations semblables. Certains jeunes avançaient même qu’ils trouvaient cela plus aidant pour eux d’aider les autres que de se faire aider.

« Tu sais, moi, si quelqu’un m’écrivait ça, ça me ferait rien dans le fond, mais on dirait que l’écrire aux autres, ça m’aidait. »

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Conséquences

Plusieurs conséquences résultent du contexte du jeune et de l’utilisation de ses stratégies pour composer virtuellement avec sa noyade émotive. Les jeunes pouvaient croître émotivement, obtenir de l’aide, obtenir un soulagement temporaire, n’avoir aucun changement, avoir une exacerbation de leurs idées suicidaires ou passer à l’acte suicidaire. Les conséquences variaient d’un jeune à l’autre, mais la majorité s’était développée sur le plan personnel (croissance émotive). Ils avaient également tous reçu de l’aide puisqu’il s’agissait d’un critère d’inclusion, mais certains ont partagé comment les TIC avaient contribué à leur obtention d’aide. Cependant, chez certains jeunes qui cherchaient de l’aide au suicide, leur tristesse était entretenue par les informations trouvées en ligne.

« Si je me sens triste, on dirait que moi, je vais faire le plus de trucs pour que je me sente encore plus triste. Fait que si je me sens vraiment déprimée, c’est là que je vais aller voir les photos sur Instagram, des trucs. »

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Il demeure très préoccupant que certains jeunes s’enfoncent davantage (exacerbation des idées suicidaires) et que leurs idées suicidaires se soient aggravées au point de passer à l’acte suicidaire lors d’expériences antérieures de recherche de soulagement et d’aide concernant le suicide. En somme, malgré le fait que les conséquences identifiées dans l’étude sont principalement positives, il demeure néanmoins possible d’observer des conséquences négatives.

Discussion

Le contexte, les différentes stratégies utilisées pour composer virtuellement avec sa noyade émotive ainsi que les conséquences engendrées par ces stratégies permettent d’obtenir une compréhension plus approfondie de l’expérience des adolescents qui cherchent du soulagement et de l’aide par les TIC concernant le suicide. La discussion qui suit portera davantage sur les stratégies utilisées et leurs conséquences ainsi que les recommandations associées.

Il ressort de cette étude que les adolescents ont choisi quatre stratégies pour composer virtuellement avec leur noyade émotive et ces stratégies pouvaient entraîner plusieurs conséquences.

Concernant la stratégie de se distraire, la littérature soulève qu’il pourrait s’agir d’un facteur de protection du suicide puisque la distraction diminue significativement le risque de manifester des idées suicidaires à l’adolescence (Burke et coll., 2016). Les résultats de la présente étude viennent préciser que cette distraction se fait aussi par les TIC pour plusieurs jeunes à risque de suicide. Jusqu’à présent, cette stratégie par les TIC n’a été identifiée qu’auprès d’une population adulte (Spijker et coll., 2014).

Concernant la stratégie de s’informer, il est connu que la littératie en santé mentale et sur le suicide permet au jeune de mieux comprendre ce qu’il vit et ainsi augmenter son utilisation des services en santé mentale, ce qui peut agir comme facteur de protection du suicide (Batterham et coll., 2013 ; Reavley et coll., 2011). Or, certains écrits soulèvent un impact négatif des TIC sur l’état de santé des adolescents (Durkee, 2011), soit qu’elles peuvent augmenter le risque suicidaire. Toutefois, ce qui ressort de l’expérience des adolescents de la présente étude est le caractère dynamique de cette recherche d’information. Celle-ci peut facilement se transformer de négative à positive et vice-versa. Malgré les effets néfastes que la littératie concernant le suicide peut engendrer, nos résultats suggèrent la possibilité que la recherche de moyens de suicide en ligne puisse être un facteur de risque du suicide qui est modifiable. Le caractère dynamique de la recherche d’aide offre une possibilité d’intervention intéressante.

Concernant la stratégie de se dévoiler, notre étude va dans le même sens que plusieurs autres. En effet, plusieurs études (Greidanus, 2010 ; Lux, 2011) rapportent qu’il est plus facile pour les adolescents de se dévoiler en ligne pour des raisons telles que l’anonymat, la disponibilité et l’accès à d’autres jeunes qui vivent des événements semblables. Le dévoilement par téléphone est également apprécié par les adolescents à risque de suicide pour des raisons semblables, telles que la disponibilité et l’anonymat (Desjarlais, 2015). Notre étude fait ressortir le dévoilement de la noyade émotive du jeune auprès d’amis qu’il a déjà. Les jeunes préféraient souvent utiliser la messagerie texte ou des médias sociaux (p. ex. iMessenger) pour communiquer avec leurs amis lorsqu’ils étaient en situation de crise suicidaire. Ils s’exprimaient en mots ou envoyaient des photos plutôt que de s’exprimer verbalement. La revue de littérature menée par Desjarlais et coll. (2015) confirme qu’il s’agit d’ailleurs de la nouvelle norme de communication pour le dévoilement chez les adolescents. Ce résultat démontre donc que l’anonymat n’est pas toujours recherché par les TIC. Dans la présente étude, toutes les situations de dévoilement ont permis au jeune d’obtenir de l’aide. Ces résultats diffèrent des autres études qui rapportent que certains dévoilements n’aboutissent à rien (Harris et coll., 2009). Le fait que tous les adolescents de l’étude avaient un suivi au moment de l’entrevue peut d’ailleurs expliquer cette différence.

Concernant la stratégie d’aider les jeunes, cette pratique a aussi émergé auprès d’une population majoritairement adulte dans l’étude de Greidanus et Everall (2010). Aider les autres procure un sentiment de valorisation chez la personne suicidaire et peut même devenir une raison de vivre, soit un facteur de protection important du suicide (Greidanus et Everall, 2010 ; Everall et coll., 2006). Dans la présente étude, les conséquences de cette stratégie étaient la croissance émotive ou un soulagement temporaire. Contrairement à certaines études qui rapportent que d’aider les autres en ligne peut engendrer des effets négatifs comme une augmentation des idées suicidaires ou un pacte suicidaire (Luxton et coll., 2012), la présente étude rapporte que d’aider les autres en ligne peut avoir des effets bénéfiques chez les adolescents à risque de suicide.

En somme, malgré la présence de stratégies négatives concernant la recherche d’aide au suicide, plusieurs stratégies utilisées par les jeunes de l’étude peuvent agir comme facteur de protection du suicide et être utiles dans l’élaboration de programmes de prévention du suicide par les TIC.

Forces et limites

Les critères de rigueur retenus pour cette étude, soit les critères de recherche qualitative de Beck (1993) adaptés pour la théorisation ancrée, mettent en évidence les forces de cette étude. D’abord, la crédibilité a été assurée par : l’utilisation de mémos, une description détaillée du processus d’analyse, l’utilisation de verbatim, le retour aux participants pour validation, le respect du processus itératif, la comparaison constante et la sensibilité théorique, la cohérence philosophique et méthodologique. La fiabilité a été assurée par la présence de mémos qui témoignent de la réflexivité du chercheur, l’enregistrement et la transcription des données, la description détaillée de la stratégie d’échantillonnage et la triangulation des chercheurs. Enfin, la transférabilité est possible grâce à la description détaillée du contexte de la recherche et de son échantillon. Concernant les limites de l’étude, il demeure que le recrutement s’est déroulé dans un seul établissement de santé, et ce, malgré la variété de suivis offerts, ce qui a causé certaines limites quant à l’échantillonnage théorique. Plus précisément, cela a rendu impossible d’aller rencontrer des jeunes qui n’avaient pas de suivi dans l’établissement. Aussi, pour des raisons éthiques, les adolescents avaient tous un suivi concernant leur risque suicidaire. Plus précisément, par souci d’accès aux ressources d’aide et aux services de santé pour cette clientèle vulnérable, le CÉR exigeait que tous les participants de l’étude aient un suivi. Enfin, il demeure que, somme toute, l’étude propose des pistes d’action intéressantes.

Recommandations et conclusion

Plusieurs recommandations pour la clinique, la formation et la recherche peuvent découler de la présente étude. En clinique, il serait pertinent d’intégrer les différents éléments du processus de recherche d’aide par les TIC à l’évaluation des jeunes à risque de suicide. Plus précisément, la prise en compte de la recherche d’aide par les TIC des adolescents permettrait de mieux évaluer le risque suicidaire du jeune en ayant une meilleure connaissance des « patterns » d’utilisation des TIC par ces jeunes (p. ex. recherche d’aide au suicide peut précipiter un passage à l’acte, ce qui augmente le risque suicidaire). Ainsi, il sera possible de mieux intervenir. En formation, il serait pertinent de sensibiliser davantage les infirmières et les différents professionnels de la santé ainsi que les intervenants qui travaillent auprès de jeunes à risque de suicide sur les bénéfices et les dangers des TIC pour la recherche d’aide afin qu’ils puissent mieux dépister, évaluer, accompagner et intervenir auprès de ces jeunes. En recherche, il serait d’abord intéressant, d’explorer la recherche d’aide par les TIC chez des adolescents n’ayant pas de suivi pour leur risque suicidaire. Il serait aussi pertinent de développer des outils d’évaluation de la recherche d’aide par les TIC pour les adolescents à risque de suicide ainsi que des interventions adaptées à leurs stratégies de recherche.

En conclusion, malgré certains dangers, les principaux résultats de l’étude mettent en lumière plusieurs effets bénéfiques des TIC sur la recherche d’aide concernant le suicide. Investir dans le développement de stratégies virtuelles de prévention du suicide devient donc une avenue intéressante et prometteuse pour ces jeunes à risque.