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Cet astucieux livret se situe à mi-chemin entre le compte rendu de recherche et le manuel de formation. Il présente en effet les résultats d’une enquête réalisée sur les manuels de rédaction de l’Union européenne et d’une interrogation sur la mise en application de leurs recommandations telles qu’on peut les constater à partir de la pratique traduisante. La principale originalité de cette analyse réside dans la réflexion qui est menée sur l’influence que les normes de rédaction exercent sur la traduction. Cette exploration se révèle très utile pour le traducteur en herbe car elle situe bien les enjeux entre conception de documents et transmission de textes, surtout réglementaires.

Le livre est divisé en trois parties, la première consacrée à la politique linguistique de l’Union européenne, surtout en ce qui concerne la traduction ; la deuxième à l’analyse des guides de rédaction, et la troisième à la confrontation entre les préconisations des manuels et la pratique traduisante telle qu’elle peut être constatée dans les textes de l’Union.

La première partie donc définit la politique linguistique en termes généraux et par rapport à la traduction en particulier, sans pour autant oublier de mentionner la terminologie. L’auteure prend comme exemple de politique linguistique menée au niveau européen les efforts de simplification de la langue juridique et administrative. La deuxième partie est dévolue à l’analyse de trois guides de rédaction parus entre 2009 et 2013. Après un aperçu des grandes préoccupations de ces manuels (clarté, simplicité, implication du destinataire…), on passe à une analyse minutieuse des passages où la traduction est explicitement évoquée et ceux, plus nombreux, où elle est sous-entendue, tout en prenant en compte non seulement les versions française et anglaise, mais aussi italienne, espagnole et allemande. Cet examen se termine par un inventaire des mesures à prendre pour garantir la qualité à la fois de la rédaction et de la traduction. La troisième partie est une analyse de certains points saillants repérés dans les manuels de rédaction tels qu’ils se manifestent dans des textes traduits de différentes institutions européennes. Un de ces points est la répétition, souvent tolérée, voire promue, dans la rédaction en langue anglaise mais considérée comme disgracieuse en français et en italien. Elle est analysée de plusieurs points de vue, exemples plurilingues à l’appui, encore une originalité du livre par rapport aux manuels de traduction existants. La question de la néologie, qui peut se manifester très différemment dans les différentes langues nationales, fait l’objet d’un développement considérable et l’analyse s’appuie sur de nombreux exemples. Une tendance à la néologie se manifeste sous la forme des resémantisations, sous la forme d’une spécialisation de sens, comme pour transparence, cohésion, coopération, harmonisation, subsidiarité, qui ont tous évolué au fil des révisions successives de définition dans le contexte institutionnel européen. Les métaphores – comme acquis communautaire ou déficit démocratique – peuvent également être comprises en termes des formules telles que Alice Krieg-Planque (2009) les décrit. Une partie du second corpus est composé de textes sur la cybersécurité, et il n’est donc pas étonnant de constater que les différentes langues réagissent diversement devant le déferlement de termes de langue anglaise, conçus et répandus dans la langue véhiculaire du cyberespace. Le français est la langue qui a le plus systématiquement recours à la néologie interne, et on constate que les préconisations du dispositif d’enrichissement de la langue française reçoivent souvent un meilleur accueil sur le plan européen que national.

Ce livre est extrêmement bien documenté : il s’appuie non seulement sur des sources primaires très fiables, mais aussi sur les études de traduction, de terminologie et de sociolinguistique réalisées dans l’espace francophone et parfois au-delà. La terminologie est souvent évoquée dans les pages de ce manuel, mais elle est rarement thématisée. Le sort des termes à traduire issus de systèmes juridiques différents et souvent peu compatibles n’est pas approfondi ni le rôle de la définition dans la désambiguïsation des quasi-synonymes ou dans l’enrichissement de la base de données terminologiques IATE[1].

Mais ce sont des sujets marginaux par rapport aux préoccupations principales de ce livre engagé. Pour l’auteure, il importe que le lecteur saisisse la relation entre rédaction et traduction, deux faces d’un même acte de communication où il en va de la réussite de l’aventure européenne. Son audience est donc au moins triple : il s’adresse bien entendu aux traductologues, qui trouveront une grande variété d’exemples finement analysés illustrant bien l’intérêt d’une théorisation de l’activité traduisante. Il est également destiné aux étudiants en traduction – surtout à ceux qui se destinent à exercer leur profession dans un milieu institutionnel, en les initiant à des dimensions de l’analyse traductionnelle traditionnellement peu explorées. Il intéressera enfin les responsables européens des services de rédaction et de traduction, qui profiteront de ce retour circonstancié sur leur travail.