Corps de l’article

Prime, Obadia et Vida (2009) ont étudié la littérature concernant la distance psychique dans les relations export en analysant des articles publiés entre 1997 et 2006. Leur diagnostic était préoccupant puisqu’ils ont détecté de sérieux problèmes affectant le construit de la distance psychique. Nous reprenons le cadre d’analyse de Prime et al. (2009) pour analyser les dix dernières années de la littérature export (2007-2016) sur la distance psychique de façon à voir si les problèmes soulevés par Prime et al. (2009) ont été résolus. En ligne avec l’esprit de cette première étude, nous nous focalisons sur les études dédiées aux relations sociales entre exportateurs et importateurs et nous étendons notre analyse à des construits connexes à la distance psychique tels que la distance ou la proximité culturelle.

L’extranéité (foreignness, dans la littérature anglophone) est un phénomène crucial qui distingue les relations export des relations locales (Rosson et Ford, 1982). En général, les études export conceptualisent l’extranéité sur la base de la métaphore de la distance, avec des construits comme la distance psychique (DP) ou la distance culturelle (DC). La DP est définie comme la somme des différences entre le marché d’origine et le marché étranger en termes de « culture, de langue, de systèmes juridiques et économiques, de pratiques commerciales et d’autres caractéristiques pays » (Katsikeas, Skarmeas et Bello, 2009, p. 7). Fedor et Werther (1995) indiquent que la performance des relations inter-entreprises internationales dépend de la capacité des firmes concernées à régler les problèmes associés à leur l’extranéité relative. Or, en dépit des récents débats sur les aspects potentiellement positifs de l’extranéité, celle-ci est toujours considérée comme un facteur de risque interrelationnel pour les entreprises actives sur le plan international (Edman, 2016). Il apparaît donc essentiel de comprendre le rôle de l’extranéité sous la forme de la distance psychique dans les relations sociales créées à l’occasion des échanges export.

Ces dix dernières années ont vu la publication de 12 articles sur les relations sociales entre exportateurs et importateurs qui incorporaient le construit de DP ou des construits connexes. Loin d’être résolus, les problèmes évoqués par Prime et al. (2009) semblent s’être perpétués lors de la dernière décennie. Pourtant, de nouveaux concepts sont apparus qui pourraient offrir une solution à ces problèmes.

Cette revue a pour but d’examiner le phénomène de DP dans les relations sociales exportateur-importateur au prisme des études académiques publiées ces dix dernières années, afin de consolider la recherche et de formuler des propositions sur la nature du phénomène, sa conceptualisation, son opérationnalisation et sa mesure. Elle contribue ainsi au développement des connaissances sur le sujet de la DP et à la résolution des problèmes propres à ce domaine d’étude. Compte tenu de l’importance du concept de DP dans le management international, nos résultats pourront être utiles pour la recherche sur l’impact des différences culturelles dans le processus d’internationalisation des entreprises.

Cet article est organisé comme suit : premièrement, nous proposons un examen critique de la littérature. Nous nous intéressons aux principaux aspects de la DP, à savoir sa conceptualisation, son opérationnalisation, sa mesure et son réseau nomologique. Deuxièmement, nous nous inspirons de la littérature examinée et, plus généralement, de la littérature traitant du management international, pour proposer des solutions aux problèmes les plus pressants révélés par notre examen. Troisièmement, nous proposons une alternative à la DP, prenant l’exemple des études que nous catégorisons dans l’approche de Shenkar (2012) sur l’extranéité : la métaphore de la friction.

Méthodologie

Notre revue couvre les recherches publiées dans la littérature de marketing ou de management international entre 2007 et la mi-2016. Les critères suivants ont été appliqués pour identifier les publications pertinentes. Ces publications devaient : a) porter sur l’étude de l’impact de la DP ou d’un construit connexe sur les relations sociales entre exportateurs et importateurs[1]; b) présenter des résultats de l’étude empirique/quantitative faite auprès d’au moins un côté de la dyade; et c) être publiées dans des revues universitaires internationalement reconnues, consacrées au sujet, en anglais et/ou en français. Des publications pertinentes ont été identifiées dans différentes bases de données électroniques au moyen de mots clés fréquemment utilisés dans la littérature pour examiner les concepts d’extranéité, notamment : psychic distance, cultural distance, distance, foreignness, cultural similarity/closeness (distance psychique, distance culturelle, distance, extranéité, similarité/proximité culturelle, etc.).

Ce processus a permis d’identifier douze articles publiés dans huit revues universitaires (présentés par ordre chronologique dans le Tableau 1). Les sources les plus fréquemment citées sont le Journal of International Marketing (quatre articles), l’International Business Review (trois articles), suivies de l’International Marketing Review (deux articles) et d’autres revues (un article chacune). Six de ces articles examinent les exportateurs et six étudient les importateurs, dans un ou plusieurs pays. Les recherches portent sur un large éventail de pays, les plus fréquents étant les États-Unis (trois études) et le Royaume-Uni (trois études), suivis du Bangladesh, du Canada, du Chili, de la Norvège, de la Suède et de Taïwan. Le Tableau 1 recense les principales caractéristiques des études que nous avons examinées selon les critères de sélection susmentionnés.

Tableau 1

Synthèse des études examinées

Synthèse des études examinées

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Les articles analysés ici ont été évaluées de façon indépendante par deux chercheurs sur la base des quatre critères de recherche suivants : la définition du concept de DP, son opérationnalisation, les mesures utilisées et la relation entre la DP et différentes variables dépendantes dans le domaine des relations sociales entre exportateurs et importateurs. Ce domaine de recherche traite des attitudes et comportements relationnels des exportateurs et importateurs dans leurs interactions commerciales. Globalement, on constate une bonne concordance entre les évaluateurs, et les différences mineures observées sur quelques points spécifiques ont été résolues par consensus entre les deux chercheurs.

Analyse de la littérature sur la DP dans les relations exporteurs-importateurs

Nous avons examiné quatre facettes de la DP et de construits similaires : (1) leur conceptualisation, (2) leur opérationnalisation, (3) leur mesure et enfin, (4) leur réseau nomologique.

Problèmes de conceptualisation

« Un construit est une abstraction formée par la généralisation de particularités »

Kerlinger, 1992, dans Diamantopoulos, 2005, p. 27

Le Tableau 2 indique les définitions conceptuelles utilisées dans les études que nous avons examinées.

Sur les treize études adoptant la métaphore de la distance, dix explorent la distance psychique, une la distance culturelle et deux la proximité ou la similarité culturelle (le contraire de la distance) entre les deux partenaires (Bianchi et Saleh, 2010; Solberg, 2008). Le Tableau 2 montre que quatre études (sur les douze recourant à la métaphore de la distance) ne donnent pas explicitement de définition. Cela concerne particulièrement les trois études sur la distance/similarité culturelle. Prime et al. (2009) montrent tout en le regrettant que les études export utilisant la distance culturelle tendent à la confondre avec la DP en utilisant des définitions quasiment identiques pour les deux phénomènes[2].

Tableau 2

Définitions conceptuelles de la DP[3]

Définitions conceptuelles de la DP3

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La métaphore de la distance a été introduite par Johanson et Wiedersheim-Paul (1975), lesquels ont défini ainsi la distance psychique : « la somme des facteurs empêchant ou perturbant le flux d’informations entre la firme et le marché. Des exemples de ces facteurs sont les différences de langue, de culture, de systèmes politiques, de niveau d’éducation, de niveau de développement industriel, etc. » (p. 308). Malgré l’importance incontestable et la pertinence de la problématique posée par ces auteurs, nous estimons qu’une bonne partie des problèmes de conceptualisation, d’opérationnalisation et de mesure constatés dans la littérature export procède du fait que la recherche en management international n’a pas fait progresser ni n’a affiné cette définition vieille de 40 ans.

En effet, les conceptualisations mises en oeuvre dans les études reprenant le paradigme de la métaphore de la distance (voir le Tableau 2) définissent essentiellement le phénomène comme la somme de ses composants, plutôt que comme « … une abstraction formée par la généralisation de particularités » (voir la définition du construit au début de cette section), dénotant l’absence d’une conceptualisation effective. La « distance » est une métaphore, une figure de style, et non pas un concept. Au mieux, la définition de Johanson et Wiedersheim-Paul est ce que Diamantopoulos (2005) qualifie de définition opérationnelle. Elle inclut les composants de la mesure (dénommés « stimuli de distance psychique » par Dow and Karunaratna, 2006) et les principaux effets du phénomène. Ainsi, du fait de ce manque de conceptualisation adéquate, les chercheurs sur les relations export ne connaissent toujours pas la véritable nature du phénomène de la DP ou de la DC. Comme Child, Rodrigues et Frynas (2009), nous pensons que la nature « psychique » de la DP a été négligée en faveur d’une approche factuelle focalisée sur les composants spécifiques de la définition de ce phénomène (à savoir les différences culturelles et les différences de pratiques commerciales entre les pays). Or, cette approche factuelle n’évalue pas la substance même de la distance et empêche donc les chercheurs de la conceptualiser convenablement.

D’autre part, Sachdev et Bello (2014) décrivent la distance psychique comme la difficulté de faire des affaires. Nous estimons que ces auteurs conceptualisent correctement leur construit. Cependant, leur conceptualisation n’est pas spécifique à l’extranéité. En effet, tous les marchés (et non pas uniquement les marchés étrangers) peuvent être difficiles; par exemple, dans un environnement extrêmement concurrentiel. Il se peut aussi que la difficulté du marché soit la conséquence de la DP, plutôt que l’essence du phénomène en soi. En effet, Obadia (2013) affirme que les problèmes cognitifs associés à l’extranéité rendent difficiles les opérations sur les marchés étrangers.

La conceptualisation de l’extranéité est véritablement problématique dans les études examinées qui emploient la métaphore de la distance, car la grande majorité ne donne pas de définition ou ne formule aucune notion majeure constituant un réel concept.

Problèmes d’opérationnalisation

Un des problèmes les plus fréquents rencontrés lors de la revue des articles publiés pendant la précédente décennie était celui de l’objectivation du construit. En effet, de nombreux chercheurs conceptualisent la distance comme une série de différences entre deux pays et la mesurent à l’aide de scores trouvés dans des bases de données comme celles de Hofstede. Cette approche est particulièrement inadaptée à l’étude des relations entre firmes où les perceptions des managers conditionnent les attitudes et les comportements. Ce problème est un peu moins flagrant dans les études que nous avons évaluées puisque seules deux d’entre elles adoptent une mesure objective de la distance. En effet, Nes et al. (2007) adoptent l’index de Kogut and Singh (1998) pour mesurer la DC et Griffith et al. (2014) utilisent un indice avec 59 indicateurs dérivés en partie de Hofstede pour mesurer la DP.

Le reste des études conceptualisent la distance psychique comme une perception des répondants. Néanmoins, des formes plus subtiles de l’objectivation du construit apparaissent. L’analyse de leur approche de la conceptualisation révèle que la plupart des études évoquant la métaphore de la distance définissent la distance comme les différences entre des marchés. Cette forme d’objectivation du concept fait que les chercheurs adoptent une unité d’analyse pays-pays pour mesurer la distance (voir le Tableau 3). Un examen de leur unité d’analyse révèle que douze études utilisent des scores de bases de données secondaires ou demandent aux répondants d’évaluer les différences entre le pays d’origine de leur entreprise et celui de leur partenaire étranger. Pour illustrer les problèmes posés par cette unité d’analyse, nous proposons le cas hypothétique où un répondant travaillant dans une entreprise argentine est invité à évaluer les différences de langue entre l’Argentine et la Chine (unité d’analyse pays-pays). Il est plus que probable que le répondant va attribuer un score très élevé à cette question. Or, il est tout à fait possible que le répondant et le personnel de l’entreprise parlent couramment chinois, voire qu’ils soient des citoyens chinois. Dans ce cas, la différence linguistique considérable entre l’Argentine et la Chine ne les touche nullement, ni eux ni leur entreprise. En outre, la plupart des cadres export ne gèrent pas d’opérations sur le marché du siège de leur entreprise. Ainsi, en général, les cadres export ne sont pas au fait des différences entre le marché d’origine et le marché cible (Prime et al., 2009). Comme l’unité d’analyse pays-pays est utilisée dans la plupart des cas, les réponses des sujets ne reflètent pas la situation réelle des répondants ni celle de leurs entreprises. Par conséquent, les scores donnés ne sont pas pertinents dans les études qui visent à évaluer la relation entre l’extranéité et les phénomènes sociaux inter-entreprises.

La pertinence managériale de certains indicateurs est également discutable en ce qui concerne la recherche sur les échanges relationnels. De fait, Prime, Obadia et Vida (2009) affirment que l’inclusion de composants de la distance dans des échelles de mesure, sans vérifier préalablement leur pertinence par rapport au contexte spécifique de l’exportateur/importateur étudié, constitue une forme d’objectivation des mesures qui, en fin de compte, altère leur qualité. En effet, il serait intéressant de vérifier auprès des exportateurs ou des importateurs interrogés la pertinence de composants de la distance tels que la masculinité (Nes et al., 2007) ou le revenu par habitant dans le pays étranger (Durand et al., 2016).

Problèmes de mesure

Les problèmes de mesure sont essentiellement le fait d’une mauvaise spécification des instruments de mesure, c’est-à-dire de l’utilisation inadéquate d’échelles réflexives lorsqu’une approche formative est requise. Ce problème est important, car il biaise les coefficients de régression des modèles où sont utilisées des variables mal spécifiées.

Les treize études examinées mesurent la distance métaphorique au moyen d’instruments comportant des stimuli de la distance (Dow et Karunaratna, 2006). Par définition, les stimuli sont des éléments qui causent la distance. Par conséquent, ce sont les différences en termes d’environnement et de langue qui créent (causent) la distance, et non le contraire. Ainsi, la causalité va des indicateurs (les stimuli) au construit, ce qui implique une spécification formative. Or, sur les treize études qui recourent à la métaphore de la distance, onze adoptent à tort une spécification réflexive où le construit est la cause des indicateurs.

Comme les variables de la distance sont souvent positionnées comme des construits exogènes, leur mauvaise spécification entraîne une surestimation des coefficients de régression vers les variables dépendantes. Diamantopoulos, Riefler et Roth (2008, p. 8) expliquent les problèmes associés à une mauvaise spécification du construit :

Un traitement réflexif d’un construit formatif réduit la variance du construit, parce que la variance d’un construit mesurée de façon réflexive est égale à la variance commune de ses items de mesure, alors que la variance d’un construit mesurée de façon formative englobe la variance totale de ses indicateurs. Par conséquent, si une spécification erronée réduit la variance de la variable exogène alors que le niveau de variance de la variable endogène est maintenu, l’estimation paramétrique de leur relation augmente.

Cela suggère une inflation des coefficients dans les onze études qui évoquent l’effet de la distance; ce qui met en doute les résultats de toutes les hypothèses vérifiées par ces études.

Les problèmes constatés dans les treize articles sont résumés dans le Tableau 3 ci-dessous. Dans ce tableau, les études sont groupées lorsqu’elles emploient la même échelle pour mesurer la DP ou la DC.

Tableau 3

Problèmes rencontrés dans les études utilisant la métaphore de la distance

Problèmes rencontrés dans les études utilisant la métaphore de la distance

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Réseau nomologique

Les douze études considérées examinent les effets de la DP sur un réseau nomologique étendu (voir le Tableau 4). En effet, elles comportent treize hypothèses de liens entre DP/DC et dix variables dépendantes distinctes, en sus des douze hypothèses de modération concernant chacune un lien spécifique entre deux variables. Dix-huit hypothèses sur vingt-six sont vérifiées, soit un taux de validation de 69 %. Deux variables seulement ont été étudiées plus d’une fois. L’impact de la similarité culturelle, de la DC et de la DP sur la confiance a été étudié trois fois (Bianchi et Saleh, 2010; Nes et al., 2007; Katsikeas et al., 2009), avec à chaque fois un résultat significatif indiquant un effet négatif de la distance sur la confiance (effet positif de la similarité). Deux études évaluent l’impact de la distance sur les normes relationnelles : Durand et al. (2016) et Griffith et al. (2014) ont formulé des hypothèses sur l’effet négatif de la distance psychique sur l’orientation des échanges relationnels (Durand et al., 2016) et l’adaptation de comportements relationnels (Griffith et al., 2014). Seuls Durand et al. (2016) ont pu valider leurs hypothèses. Les résultats concernant les autres variables dépendantes sont détaillés dans le Tableau 4.

En ce qui concerne les douze hypothèses de modération, l’extrême dispersion de ces résultats (modération de douze liens différents – voir le Tableau 4) et le faible taux de validation (58 %) rendent toute analyse impossible.

Malgré les problèmes susmentionnés, l’analyse du réseau nomologique de la DP dans les relations sociales export semble indiquer que l’extranéité a une influence négative sur les interactions entre entreprises. Néanmoins, au vu des problèmes touchant la conceptualisation, l’opérationnalisation et la mesure de la distance, il n’y a rien de surprenant à constater un taux de validation médiocre. En outre, il ne faut pas oublier que ce taux, plutôt faible, est artificiellement gonflé du fait de la spécification erronée des mesures de DP employées dans les études. La récente étude de Nordman et Tolstoy (2014) est peut-être celle qui incarne le mieux l’état de la littérature. En effet, ces chercheurs ne donnent aucune définition de la DP; ils adoptent une spécification erronée de la mesure et ne valident qu’une seule de leurs deux hypothèses concernant la DP. Plus regrettable encore, pour leur hypothèse non validée, ils trouvent un lien significatif mais de signe opposé à celui de leur hypothèse.

Tableau 4

Effet de la DP sur des variables relationnelles

Effet de la DP sur des variables relationnelles

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Solutions suggérées aux problèmes de la distance psychique

Dans cette partie, nous formulons des recommandations à l’intention des chercheurs souhaitant utiliser la métaphore de la distance. En premier lieu, nous proposons deux conceptualisations possibles de la DP issues de la littérature. Ensuite, nous discutons en détail le choix de l’unité d’analyse et présentons deux possibilités pour une mesure fiable de la DP.

Recommandations concernant la conceptualisation

Prime et al. (2009) ont réalisé une étude qualitative auprès d’exportateurs français pour aboutir à une définition de la DP dans le contexte de l’export. Ils affirment que la DP est un phénomène psychique interne chez le personnel de l’exportateur (ou de l’importateur). La distance psychique en soi ne peut être observée. Cependant, il est possible de l’expliquer en décrivant ses antécédents et conséquences immédiats. Ils suggèrent donc la définition suivante (pp. 195-196) :

« La DP perçue est un phénomène interne inobservable, résultant de la perception de problèmes culturels et de problèmes liés à l’environnement et aux pratiques professionnelles. Pour une entreprise, la DP rend difficiles la compréhension d’un marché étranger et les opérations sur ledit marché. »

Ces auteurs indiquent la nature de la DP – phénomène interne inobservable – qui se produit dans le cerveau de l’équipe export-import. Ils distinguent la DP en soi de ses stimuli et de ses conséquences immédiates. L’étude met en avant des stimuli de la DP tels que la façon de penser des interlocuteurs ou les us et coutumes des milieux d’affaires. Elle détaille aussi les conséquences de la DP telles que la difficulté à établir la confiance dans les relations d’affaires ou à travailler de façon coopérative. De nombreux problèmes conceptuels identifiés dans la littérature sont dus à une confusion entre ces trois facettes du phénomène. Deuxièmement, la DP est ancrée dans des questions et problèmes perçus sans référence au marché d’origine, car le point de référence des exportateurs est l’expérience de l’entreprise. Troisièmement, l’unité d’analyse est celle de entreprise-marché, et non pas pays-pays. Cette unité d’analyse permet d’obtenir une définition en cohérence avec le caractère perceptif de la DP qui est adaptée au contexte export. Cette approche est particulièrement adaptée aux études cherchant à montrer les difficultés causées par la DP lorsqu’une entreprise travaille avec un partenaire étranger.

Une autre conceptualisation est proposée par Baack et al. (2015) qui recourent à la psychologie sociale pour définir la nature de la DP comme les croyances d’un individu relatives à la dissemblance de cultures et de pratiques commerciales. Ils montrent comment ces croyances sont sujettes à des biais de confirmation (Wason, 1960). En effet, dans une expérience menée auprès de répondants australiens, les auteurs révèlent la façon dont les managers utilisent l’information pour confirmer leurs croyances sur la distance métaphorique entre l’Australie et d’autres pays. De plus, toute information contraire à leurs croyances initiales est ignorée et donc ne modifie pas les dites croyances. L’approche de la distance psychique en tant que croyance est particulièrement intéressante pour de nombreuses études sur les aspects sociaux dans les relations export, car celles-ci partagent la même base théorique que cette approche. En outre, du fait de sa nature, un construit tel qu’une croyance devrait s’insérer aisément dans des modèles conceptuels incluant attitudes et comportements relationnels dans des échanges internationaux.

Recommandations concernant l’opérationnalisation

Compte tenu de la portée des études consacrées aux relations sociales entre exportateurs et importateurs, il est nécessaire que les chercheurs s’abstiennent d’objectiver les données sur l’extranéité. Premièrement, il faut éviter de se servir d’échelles construites avec des scores obtenus à partir de bases de données secondaires concernant les différences entre des pays (ex. : Kogut et Singh, 1998), car de telles généralisations masquent la réalité des entreprises participantes ou de leurs répondants, ainsi que l’impact effectif de l’extranéité sur les phénomènes sociaux. En effet, la distance mesurée alors ne correspond souvent en rien à celle qui affecte les participants dans la relation d’affaires. Deuxièmement, lorsqu’une approche subjective de l’extranéité est appliquée, des efforts devraient être déployés pour garantir que les composants de la distance incorporés dans les mesures correspondent bien au contexte spécifique étudié. Des items de mesure générés par les chercheurs ne garantissent pas la pertinence de ces indicateurs. Compte tenu de l’état problématique de la littérature, des études qualitatives exploratoires pourraient s’avérer très utiles pour déterminer les indicateurs de tout instrument évaluant l’extranéité (pour un exemple, voir Obadia, 2013). Concernant l’unité d’analyse, nous recommandons d’éviter l’unité pays-pays qui objective la mesure. La littérature propose deux autres unités d’analyse : entreprise-pays (ex. : Obadia, 2013) où le répondant doit évaluer la distance perçue par le staff de son entreprise et entreprise-entreprise (ex. : Bianchi et Saleh, 2010) où le répondant évalue la distance qui sépare son entreprise (son staff) et une entreprise étrangère. L’unité d’analyse entreprise-pays semble être la mieux adaptée à l’étude des relations inter-entreprises, car elle évalue l’extranéité à partir de la perception d’une des firmes de la dyade et inclut tous les facteurs du marché étranger qui sont pertinents. En ce qui concerne l’unité d’analyse entreprise-entreprise, nous croyons qu’elle ne peut pas couvrir toutes les facettes de l’extranéité qui affecte les relations entre exportateurs et importateurs. En effet, dans ces relations, le partenaire étranger est le facteur le plus influent sur les attitudes et comportements de la firme étudiée. Cependant, les entreprises sont également affectées par les caractéristiques du marché étranger, par exemple l’environnement juridique et réglementaire ou les caractéristiques culturelles des consommateurs. En conclusion, nous recommandons l’unité d’analyse entreprise-pays qui convient mieux aux études centrées sur les relations inter-entreprises car elle est conforme à une approche perceptuelle de DP (perceptions du staff de l’entreprise) et elle inclut les caractéristiques du marché étranger pertinentes pour l’évaluation de la distance.

Recommandations concernant la mesure

Deux types de mesures sont à la disposition de chercheurs souhaitant employer la métaphore de la distance. La première convient particulièrement à ceux qui optent pour la définition de la DP selon Prime et al. (2009). En effet, les logiciels de modélisation Partial Least Square permettent de spécifier facilement des construits latents formatifs très bien adaptés pour évaluer des phénomènes non observables. Un exemple de cette approche se trouve dans Obadia, Bello et Gilliland (2015). Cela étant, les instruments formatifs exigent un processus de validation rigoureux et, par-dessus tout, les chercheurs sont tenus à une obligation d’exhaustivité. En effet, avec une spécification formative, il est essentiel que les indicateurs utilisés représentent le domaine du construit dans son entièreté (pour un exemple, voir Obadia, 2013).

Pour mesurer la DP, Baack et al. (2015) soumettent aux répondants la définition de Johanson et Wiedersheim-Paul (1975), puis leur demandent leur perception personnelle de la distance métaphorique entre leur pays (l’Australie) et divers marchés étrangers (voir les détails de la méthode dans Baack et al., 2015, p. 945). Cette façon de procéder conviendra aux études qui adoptent le concept de croyance de Baack et al. (2015). Mais, comme indiqué plus haut, nous ne recommandons pas une unité d’analyse pays-pays dans les études export consacrées aux phénomènes sociaux. De fait, la définition originale de la distance psychique de Johanson et Wiedersheim-Paul adopte une unité d’analyse entreprise-pays lorsqu’elle évoque « … le flux d’informations entre la firme et le marché » (1975, p. 308).

Une approche alternative de la distance : la métaphore de la friction

La DP et la DC sont deux façons d’évaluer l’extranéité d’un exportateur ou d’un importateur confronté à un marché étranger et/ou à un intermédiaire international. Zaheer (1995) indique que les problèmes d’extranéité résultent de « la non-familiarité de l’environnement [étranger], de différences culturelles, politiques et économiques et du besoin de coordination par-delà la distance géographique » (p. 341). La littérature export évalue l’extranéité avec plusieurs construits. La majorité des études emploie des définitions fondées sur la métaphore de la distance, comme la DP ou la DC. Cependant, d’autres approches de l’extranéité se fondent sur la métaphore de la friction pour évaluer l’extranéité avec des construits axés sur « l’interaction entre des entités viables » (Shenkar, 2012, p .15). Shenkar argumente sur l’effet réductionniste de la distance et sur la nécessité de dépeindre de façon aussi réaliste que possible l’interaction d’entreprises avec des cultures différentes. Il pense que seule l’approche de la friction peut permettre de mesure le véritable impact des différences culturelles lors de telles interactions. Il s’interroge sur la possibilité de mesurer directement cette friction. Nous pensons que l’approche de l’extranéité de certaines études peut être catégorisée dans le cadre de la métaphore friction car elles évaluent l’interaction des entreprises avec des marchés étrangers. Elles ne tentent pas de mesurer directement la friction ce qui nous ramènerait aux problèmes rencontrés lorsqu’une métaphore est utilisée au lieu d’un concept. Au lieu de simplement évaluer l’éloignement (ou la proximité) des cultures, les construits que nous catégorisons dans le paradigme de la friction correspondent à des phénomènes se rapportant à l’interaction d’acteurs de cultures différentes. Cela inclut les études qui conceptualisent l’extranéité avec la « sensibilité culturelle » (Styles et al., 2008; Lohtia et al., 2008; Skarmeas et al., 2016) ou la « désorientation cognitive induite par l’extranéité » (Obadia, 2013).

La sensibilité culturelle désigne la capacité d’une entreprise à comprendre et gérer les différences culturelles avec un marché étranger et les différences de pratiques commerciales avec une entreprise étrangère (Lohtia et al.; 2009). Quoique cette conceptualisation n’ait pas, à l’heure actuelle, de fondement théorique, nous pensons que la théorie des ressources (Brulhart, Guieu et Maltese, 2010) pourrait servir à définir la sensibilité culturelle comme la capacité de la firme à surmonter l’extranéité. En effet, la théorie des ressources prévoit que les ressources et compétences d’une entreprise lui permettent d’obtenir des performances supérieures à celles de ses concurrents. Le construit de la sensibilité culturelle pourrait donc être particulièrement bien adapté aux études sur les ressources et compétences mobilisées par les entreprises pour améliorer leur performance internationale. Ces ressources et compétences incluent, par exemple, l’expérience internationale de l’exportateur ou le niveau d’intelligence culturelle (Cerdin, 2012) atteint par les membres du département export. Par ailleurs, Obadia (2013) donne au phénomène qu’il étudie le nom de « Foreignness Induced Cognitive Disorientation » (FICD, désorientation, cognitive induite par l’extranéité) et a recours à la neuropsychologie et à la théorie de la catégorisation cognitive (Hogg, 2001) pour définir FICD comme un phénomène cognitif interne. La cognition offre une approche intéressante pour comprendre l’extranéité et son impact sur les relations export. Obadia (2013) montre que ce sont les processus fondamentaux du cerveau humain qui sont à la source de la plupart des problèmes dus à l’extranéité. La FICD est particulièrement adaptée pour explorer les processus cognitifs à l’origine des attitudes et des comportements des entreprises. Comme la FICD s’inspire de la théorie de la catégorisation, qui sert elle-même de fondement à la théorie du sensemaking (Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005), FICD est aussi particulièrement adaptée pour étudier les processus décisionnels utilisés pour l’amélioration de la qualité et de la performance des relations export.

Les deux approches de l’extranéité susmentionnées sont dûment conceptualisées, opérationnalisées et mesurées. La sensibilité culturelle est mesurée avec des échelles réflectives et la FICD est évaluée avec un instrument formatif. L’examen de leur réseau nomologique (voir le Tableau 5) indique un taux de validation adéquat, avec 7 hypothèses confirmées sur 8.

Tableau 5

Réseau nomologique de l’extranéité avec la métaphore de la friction

Réseau nomologique de l’extranéité avec la métaphore de la friction

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Conclusion

Suite à l’article de Prime et al. (2009), qui examine le concept de distance psychique dans la littérature export, nous avons analysé les publications de ces dix dernières années afin de voir si les problèmes évoqués par Prime et al. (2009) avaient été pris en compte. Le but de notre analyse n’était pas d’identifier une solution unique, en matière d’extranéité, qui conviendrait à tous les contextes de relations export-import, mais d’inciter les chercheurs à prendre conscience des écueils qui empêchent de faire progresser le concept de DP et de proposer des solutions adaptées aux différents contextes des études export.

Les études qui utilisent la métaphore de la distance continuent de pâtir d’une conceptualisation déficiente de ce construit. Nous avons montré comment une conceptualisation inadéquate entraînait une opérationnalisation déficiente et l’utilisation d’instruments de mesures biaisés. Notre analyse détaillée concernant l’unité d’analyse erronée utilisée dans la plupart des études rajoute à la préoccupation concernant la validité externe des instruments utilisés pour mesurer la distance. De plus, la plupart des résultats obtenus sont douteux du fait du biais introduit par l’utilisation d’instruments de mesure mal spécifiés.

Prime et al. (2009) avaient réalisé une étude qualitative leur permettant de proposer une nouvelle définition de la DP et de déterminer les composantes de ce construit. Prenant pour base Prime et al. mais aussi des études publiées dans d’autres domaines du management international, notre principale contribution consiste à proposer diverses solutions – exemptes des problèmes détectés – aux chercheurs qui souhaitent intégrer l’extranéité dans leurs études export. Ce faisant, nous prenons soin d’expliciter la conceptualisation, l’opérationnalisation et la mesure de chacune de ces solutions afin de permettre aux chercheurs de choisir l’option la mieux adaptée à leur étude. Dans un premier temps, nous proposons des solutions pour les chercheurs souhaitant utiliser la métaphore de la distance. Pour cela, nous commençons par associer les travaux de Prime et al. (2009) avec l’instrument de mesure réalisé par Obadia et al. (2015) de façon à offrir une solution complète (concept, opérationnalisation et mesure) et directement opérationnelle pour une évaluation de la DP. Puis, nous mobilisons les travaux de Baack et al. (2015). Afin de pouvoir utiliser la méthode de Baack et al. (2015) dans le cadre d’études sur les relations export, nous montrons comment il est nécessaire de changer l’unité d’analyse en passant de l’unité pays-pays à l’unité entreprise-pays. Nous offrons d’ailleurs une discussion détaillée des différentes unités d’analyses disponibles pour opérationnaliser l’extranéité. La notion d’unité d’analyse, très rarement traitée lorsqu’il s’agit un construit, est ici d’une importance considérable et doit être ajustée au contexte et au thème de l’étude. Dans un deuxième temps, nous présentons l’approche de la métaphore de la friction recommandée par Shenkar pour évaluer l’extranéité (2012). Jusqu’à présent la littérature export n’a pas utilisé de façon explicite la métaphore de la friction. Cependant, notre travail d’analyse permet de catégoriser a posteriori quatre études au sein de ce courant. Nous montrons comment les construits utilisés par ces études pour évaluer l’extranéité – la sensibilité culturelle et FICD – correspondent bien à une évaluation de l’interaction d’acteurs de cultures différentes. Contrairement à la littérature sur la distance, ces quatre études n’utilisent pas la friction elle-même, qui est une métaphore, pour conceptualiser l’extranéité. Les deux construits utilisés sont correctement conceptualisés et mesurés. C’est pourquoi nous pensons, en accord avec Shenkar (2012), que l’approche de la friction offre aux chercheurs une voie plus sûre et plus prometteuse pour conceptualiser l’extranéité.

Faisant suite à l’article de Prime et al. (2009), notre étude s’est focalisée sur le contexte des relations export pour analyser l’extranéité et en particulier le construit de la DP. Cependant, nous pensons que les apports de cette étude peuvent bénéficier à d’autres domaines de recherche. En effet, l’influence de la distance psychique et de la distance culturelle sur l’internationalisation des entreprises est un domaine important de la littérature en management international (ex., Moalla, 2016). Cela concerne aussi bien les exportateurs (ex., Ngo, Janssen et Jacquemin, 2012) que les alliances internationales (ex., Angué et Mayrhofer, 2010), les coentreprises (ex., Triki, 2015) ou les multinationales (ex., Meier et Meschi, 2010). Un examen rapide de ces études permet de penser que de nombreux aspects de notre analyse sur la DP pourront être utiles aux chercheurs qui se consacrent à l’étude des différences culturelles sur l’internationalisation des entreprises. En particulier, beaucoup de ces études continuent d’utiliser des approches objectives de la DP ou de la DC. Si ces approches conviennent parfaitement pour expliquer les flux commerciaux ou d’investissements entre pays, elles sont par contre inadaptées lorsqu’il s’agit d’expliquer les décisions de managers en matière de modes d’entrée, de gestion des ressources humaines ou de coopération internationale. Notre étude offre donc à ces chercheurs des options nouvelles pour conceptualiser, opérationnaliser et mesurer l’extranéité en accord avec le contexte et les objectifs de leurs études.