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Nous vivons à une époque de mutations rapides où le numérique revêt une influence importante sur l’évolution de l’ensemble des sociétés et affecte de façon significative toutes leurs dimensions économiques, sociales, ou culturelles.

Dans un monde où la place du numérique s’affirme chaque jour davantage, et où les jeunes – et moins jeunes – sont captivés par les technologies, la pédagogie universitaire ne semble avoir d’autre choix que de voir ses méthodes ou pratiques évoluer. Avec l’omniprésence du numérique dans toutes les sphères de la société, avec cette nouvelle façon que les étudiants ont d’accéder à l’information et avec la popularité grandissante des réseaux sociaux, il n’est plus envisageable d’exclure les technologies du contexte éducatif universitaire. En effet, en 2018, impossible de rester sourds aux transformations sociétales et aux nouvelles avenues que le numérique offre à la pédagogie universitaire, car il est clair que le numérique, même si son intégration en classe pose encore des défis certains, permet d’apprendre plus, d’apprendre mieux, d’apprendre autrement, de développer les compétences du 21e siècle, voire de développer le goût d’apprendre des jeunes (voir Chauhan, 2017), et ce, en replaçant le formateur et l’étudiant au coeur du rôle des technologies pour l’apprentissage (voir Zheng, Warschauer, Lin, et Chang, 2016).

À l’université, il n’est pas pour autant question de considérer l’intégration du numérique en éducation comme une panacée ou le Saint Graal. Les recherches récentes sur la question révèlent qu’il faudrait plutôt le voir comme un outil à grand potentiel cognitif (Depover, Karsenti et Komis, 2017), qu’il faut savoir exploiter sur le plan pédagogique : comme tout outil, l’impact sur l’apprentissage ou la réussite des étudiants universitaires dépendra surtout de l’usage qui en est fait, tant par les apprenants que par les formateurs.

Et si l’on souhaite réellement que le numérique puisse contribuer à l’engagement et à l’apprentissage des étudiants, dont le profil évolue constamment avec le numérique (voir Collin, Karsenti, Ndimubandi, et Saffari, 2016), le rôle des formateurs n’aura jamais été aussi important.

Ce numéro thématique est le fruit du travail des chercheurs du Groupe de recherche interuniversitaire sur l’intégration pédagogique des technologies de l’information et de la communication (GRIIPTIC), composé de 17 chercheurs passionnés de pédagogie et de numérique. Leurs travaux visent à déployer un ensemble d’activités structurantes (rencontres de travail, séminaires, conférences, ateliers, etc.) concernant le numérique à partir d’une programmation scientifique innovante et d’une vaste revue de la littérature en éducation. En 2017, afin de maintenir la pertinence scientifique de leurs travaux et de garder le rôle prépondérant du groupe de recherche dans le domaine de la recherche sur le numérique en éducation, les membres du GRIIPTIC ont redéfini les quatre axes majeurs orientant leurs travaux.

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L’axe 1, intitulé « Technologies et apprenants », a pour objectif d’étudier les conditions d’usage et les apports des technologies comme soutien à l’apprentissage et au développement des compétences des apprenants. Par exemple, c’est dans ce contexte que plusieurs travaux ont été menés sur les usages et impacts des tablettes tactiles sur l’apprentissage en contexte éducatif.

L’axe 2, intitulé « Technologies et acteurs de l’enseignement », vise à étudier les conditions d’usage et les apports des technologies comme soutien à l’intervention éducative de l’ensemble des acteurs de l’enseignement. C’est dans le cadre de cet axe, par exemple, que des travaux ont été menés sur la mise en place de communautés de pratique d’enseignants du primaire pour l’usage efficient des tableaux numériques interactifs (TNI).

L’axe 3, intitulé « Technologies, dispositifs et innovations », a pour objectif d’étudier les différentes technologies utilisées pour arrimer l’apprentissage et l’enseignement aux réalités éducatives du 21e siècle. Par exemple, c’est dans ce contexte que plusieurs travaux ont été réalisés sur les classes numériques d’apprentissage actif au collégial.

L’axe 4, « Technologies, société et culture », vise à étudier la dimension socioculturelle des technologies en éducation, à l’heure où la société, l’école et les technologies sont de plus en plus imbriquées. Dans le cadre de cet axe, plusieurs projets ont été menés sur les inégalités numériques ainsi que sur les compétences technologiques des immigrants et les implications sur leur inclusion linguistique, scolaire et sociale.

Le GRIIPTIC est ainsi un regroupement de chercheurs de renommée internationale et issus de plusieurs universités québécoises : l’Université de Montréal, l’Université du Québec à Montréal, l’Université de Québec à Chicoutimi, l’Université de Québec à Trois-Rivières, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, l’Université du Québec en Outaouais, l’Université TÉLUQ, l’Université Laval et l’Université de Sherbrooke. Le groupe de recherche compte également dans ses membres plusieurs chercheurs internationaux associés et de nombreux étudiants aux études supérieures[1].

Dans le cadre de ce numérique thématique, nous retrouvons donc les travaux de plusieurs des membres du GRIIPTIC.

Le premier texte intitulé Disparités d’adoption des technologies en pédagogie universitaire : un aperçu empirique est signé par Simon Collin, Glorya Pellerin, André Blanchard, Benoit Cordelier et Hamid Saffari. Il porte sur un domaine sur lequel très peu d’études se sont penchées : les disparités d’adoption des technologies parmi les enseignants universitaires. Aussi, l’objectif de leur manuscrit est de caractériser les profils d’enseignants universitaires adoptant les technologies.

Le deuxième texte, écrit par Soufiane Rouissi et Martine Mottet, s’intitule Gestion du temps, profils et réflexions d’étudiants inscrits dans un cours en ligne à leur premier trimestre universitaire. Leur texte présente les résultats d’une analyse effectuée sur des profils d’étudiants au regard de leur gestion du temps au sein d’un cours en ligne, un des principaux défis, selon la littérature sur la formation à distance.

Le troisième texte porte sur les MOOCs, les Massive Open Online Courses, ou encore cours ouverts en ligne et massifs. Intitulé Certification universitaire post-MOOC : entre attentes et contraintes, il est signé par Julien Bugmann, Alain Jaillet et Thierry Karsenti. Leur texte aborde la question de la reconnaissance des certifications délivrées par les MOOCs qui représente une sorte de plafond de verre qui limite leur développement. Leur étude a porté sur la caractérisation des différentes modalités d’évaluation avec une ambition de reconnaissance universitaire des MOOCs.

Le quatrième, intitulé Validation d’un questionnaire sur les stratégies de créacollage numérique d’étudiants universitaires québécois est signé par Martine Peters, François Vincent, Sylvie Fontaine et Caroline Fiset-Vincent. Ce texte s’intéresse particulièrement aux compétences et stratégies qui relèvent de la littératie numérique, chez les étudiants, dans la production de leurs travaux.

Le cinquième texte, issu des travaux de Nicole Racette, Bruno Poellhuber et Marie-Pierre Bourdages-Sylvain, a pour titre L’organisation du travail entre les responsables de cours et les tuteurs : un défi? Leur travail de recherche tente de mieux cerner la forme que prend l’organisation du travail entre les responsables des cours et les tuteurs et les impacts sur le travail de ces derniers.

Enfin, le sixième et dernier texte, intitulé Le e-sport, un nouveau « sport » numérique universitaire ?, présente une étude menée par Thierry Karsenti et Julien Bugmann sur un nouveau phénomène universitaire : le e-sport. Dans leur étude, ils dévoilent les conclusions de la plus importante recherche jamais réalisée sur la pratique du e-sport auprès de 522 étudiants universitaires, considérés comme des e-athlètes de cette discipline.

Ce numéro thématique est particulièrement important pour l’université du 21e siècle, non seulement parce qu’il aborde des thématiques novatrices comme les MOOCs ou le e-sport universitaire, mais aussi parce que les recherches présentées sont susceptibles de participer à réduire la nouvelle fracture numérique qui est de plus en plus présente à l’université (voir Karsenti et Bugmann, 2017). En effet, la nouvelle fracture numérique à l’université ne se situe plus entre les étudiants équipés de technologies récentes et ceux qui n’y ont pas accès. Elle se situe plutôt entre les apprenants capables de tirer profit des nombreuses possibilités qu’offre le numérique et les autres qui subissent cet univers, dans lequel il est parfois si facile de perdre pied. Comme l’écrivait Fourgous (2010), il y a huit ans déjà, « Seuls ceux qui sauront se former, s’informer, comprendre leur environnement au travers des médias d’aujourd’hui et de demain, sauront s’adapter à un monde en mutation constante » (p. 193).