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L’étude des motivations guidant des individus vers des idéologies radicales et des comportements violents est maintenant foisonnante. Why Terrorists Quit : The disengagement of Indonesian Jihadists contribue à cette sphère de recherche, mais adopte un point de départ différent. Julie Chernov Hwang propose en effet d’explorer les raisons poussant les terroristes à abandonner l’action violente plutôt qu’à la choisir.

Bien qu’elle soit ancrée dans le domaine des études stratégiques et de sécurité, il est impossible d’exclure les considérations socio-psychologiques de cette recherche sur le comportement d’individus engagés au sein de réseaux terroristes indonésiens. Cette contribution se trouve ainsi à une intersection des sciences humaines que certains considèrent déjà comme un domaine d’étude circonscrit : l’étude du terrorisme.

Pour comprendre le phénomène du désengagement – concept que l’auteure définit comme un processus menant à la fin de toute implication au sein d’activités violentes –, des événements aussi épars qu’un changement de gouvernement et une paternité récente sont à prendre en compte. Viennent témoigner de cette hétérogénéité factorielle les quatre éléments qu’énumère Chernov Hwang afin d’expliquer le phénomène : un désillusionnement vis-à-vis des tactiques et des têtes dirigeantes du groupe, une réévaluation des coûts et des bénéfices qu’implique un tel engagement, l’élaboration d’un réseau social externe au groupe extrémiste, et une priorisation du travail formel et de la vie de famille au détriment d’un investissement de temps au sein d’une organisation radicale.

L’auteure poursuit en étayant les récits personnels de cinq de ses interviewés. Les descriptions détaillées des réflexions les ayant menés à un désengagement permettent de soutenir empiriquement l’argumentaire de Chernov, mais également d’exploiter le principal avantage des entretiens semi-dirigés, soit un accès intime à la psychologie des participants. C’est d’ailleurs ici que repose la richesse de cet ouvrage : une centaine d’entrevues conduites avec cinquante-cinq individus issus de sept groupes terroristes indonésiens.

De longs et nombreux entretiens offrent également des portraits plus complexes et nuancés de la réalité. Ici, cette complexité offre une lumière sur les divisions marquant les groupes djihadistes. On apprend qu’une fracture importante autour de l’usage de la violence contre des populations civiles divise le groupe Jemaah Islamiyah, l’une des hordes terroristes les plus tristement célèbres d’Asie du Sud-Est. Le fait d’avoir perpétré un acte violent menant à la mort de femmes et d’enfants fut d’ailleurs pour beaucoup de participants l’élément déclencheur d’un désillusionnement croissant envers le djihad.

Des quatre facteurs explicités par l’auteure, celui dont l’influence semble la plus importante est la formation de liens sociaux avec des acteurs extérieurs au groupe terroriste. Seuls les interviewés ayant su tisser des liens forts et durables avec des membres de leur famille, des amis ou des mentors issus du monde professionnel ou académique présentent un risque réellement faible de renouer avec des démarches violentes. Ces interactions à l’extérieur du réseau terroriste permettraient l’exposition à des trames narratives différentes, et octroieraient à l’individu à risque les ressources mentales nécessaires pour une analyse plus critique des activités du groupe violent.

L’auteure pondère tout de même le potentiel de ces affinités nouvelles ou préservées, et souligne que le désengagement n’est pas toujours définitif. Par exemple, une éventuelle attaque de l’Indonésie par des troupes étrangères était pour plusieurs intervenants un événement qui pouvait justifier une reprise des activités au sein du camp djihadiste.

La dernière portion de l’ouvrage s’attarde aux programmes indonésiens visant le désengagement et la déradicalisation. Bien que prometteurs en théorie, les efforts gouvernementaux manquent de ressources, de modes d’évaluation efficaces et de systématicité dans leur implantation. Leur finalité (cachée) pose également problème selon l’auteure. Les programmes destinés aux prisonniers condamnés pour terrorisme visent avant tout à recueillir des informations stratégiques, au lieu de les amener à se désengager. L’ouvrage salue donc un traitement des détenus de plus en plus aligné avec les standards de la communauté internationale, mais considère que beaucoup reste à faire.

En matière de bonnes pratiques, Chernov Hwang suggère que les autorités gouvernementales calquent leurs programmes sur les initiatives mises en place par des organisations de la société civile. Bien que jusqu’à maintenant déployées à très petite échelle, ces initiatives consistent principalement à développer des compétences en entrepreneuriat et en agriculture chez d’anciens détenus; elles découlent d’une évaluation des besoins réels des désengagés et de leurs proches. Les instigateurs de ces projets évitent d’aborder des enjeux idéologiques avec ceux qui reçoivent ces mesures d’aide, étant conscients que ce type de débats peut facilement mener à la méfiance et au repli. En tout cas, la nature locale de ces programmes permet un suivi plus étroit et une évaluation plus constante des progrès réalisés.

Why Terrorists Quit explore les trames narratives adoptées par un groupe d’individus qu’il est difficile mais nécessaire de sonder. Ce type de travail permet d’élaborer des programmes de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent qui sont basés sur des données empiriques, et accroissent notre compréhension des logiques qui sous-tendent l’éclosion de groupes radicaux et violents. Or, en donnant autant de place aux témoignages, Chernov Hwang néglige par moment des éléments plus théoriques.

Des réflexions impliquant des contributions issues d’autres branches des sciences humaines, comme la psychologie, auraient pu venir structurer l’étude du comportement des Indonésiens désengagés ou en voie de l’être. L’auteure bonifierait ses recherches en les rattachant à des concepts tels que la théorie de l’identité sociale – une théorie selon laquelle les comportements d’un individu et leur évaluation sont influencés par son appartenance à un groupe. Ainsi, les liens entre l’importance qu’accordent les terroristes indonésiens à leur implication au sein d’une organisation extrémiste et leur participation au sein de ce celle-ci auraient pu être présentés de façon plus organisée. De même, ce cadre théorique aurait permis de saisir avec plus de précision la raison pour laquelle un être radicalisé décide de se départir de ses attaches groupales.