Corps de l’article

Introduction

Un débat sur la signification des faibles taux de certification

En 2012, les plateformes de MOOC américaines Coursera et edX sont créées et diffusent gratuitement les cours des plus prestigieuses universités américaines, entre autres établissements d’enseignement (Daniel, 2012). Le succès médiatique des MOOC est immédiat (Bulfin, Pangrazio et Selwyn, 2014), prestige de leurs partenaires oblige, et leurs statistiques vont faire le tour du monde : en moyenne, plusieurs dizaines de milliers d’internautes s’inscrivent à un cours donné. Un an plus tard, les pouvoirs publics français, soucieux de ne pas être tributaires de politiques de ces acteurs, financent la mise en place de la plateforme France Université Numérique (FUN), dont la mission affichée est de mettre en valeur l’offre de l’enseignement supérieur français. Si les audiences sont moindres — l’usage de la langue française restreignant sans doute le nombre d’usagers potentiels — la plateforme sera comme ses homologues américains témoin d’un phénomène qui a soulevé de nombreux débats chez les praticiens comme au sein de la communauté scientifique : la proportion des inscrits qui obtiennent le certificat d’un cours est généralement inférieure à 10 % (Cisel, 2016).

Cet état de fait n’a pas manqué de susciter nombre d’interrogations, aussi bien au sein de la communauté de praticiens que parmi les chercheurs (Karsenti, 2013). La question a été abordée sous différents angles, notamment celui des caractéristiques et du comportement des participants. Les usages du cours furent regardés à la loupe pour déterminer si le taux de certification constituait un indicateur pertinent (Breslow et al., 2013; Ho et al., 2014, 2015; Kizilcec, Piech et Schneider, 2013; Koller, Ng, Do et Chen, 2013). Certaines enquêtes cherchent à expliquer ce taux en le croisant avec des données autodéclarées, comme l’intention déclarée (Campbell, Gibbs, Najafi et Severinski, 2014; Greene, Oswald et Pomerantz, 2015; Reich, 2014), les variables sociodémographiques, dont le niveau de diplomation (Champaign et al., 2014; Colvin et al., 2014), ou les motivations pour s’inscrire (Kizilcec et Schneider, 2015; Barak, Watted et Haick, 2016). En revanche, le lien entre la persévérance au sein de la formation et les caractéristiques des cours a fait l’objet d’une attention moins soutenue de la part de la communauté scientifique. Nous nous proposons dans cet article, centré sur les orientations choisies par les concepteurs en matière de public visé, de nous pencher sur certaines variables liées aux cours susceptibles d’être impliquées dans la persévérance des participants.

Les questions de recherche qui guident ce travail, ainsi que des recherches plus qualitatives qui ont été réalisées en amont des analyses que nous présenterons ici, peuvent être formulées en ces termes : Dans quelle mesure les MOOC sont-ils issus d’une simple transposition en formation à distance de cours universitaires organisés en présentiel? Dans quelle mesure les concepteurs adaptent-ils ces cours à une audience supposée massive? Notons que par simple transposition, nous signifions que les adaptations qui auraient été faites par rapport à un cours existant sont principalement liées à la médiatisation des ressources, le contenu restant peu ou prou identique à celui d’un cours universitaire. Plusieurs hypothèses sous-tendent ces questions. Tout d’abord, le MOOC est le plus souvent issu d’un ou plusieurs cours universitaires. Ensuite, lorsque l’on se penche sur le problème des taux de certification, la question n’est pertinente que si l’on considère qu’un décalage trop important entre public effectif et public visé est susceptible de conduire à un désengagement des participants. Dans la mesure où l’audience des MOOC est constituée essentiellement d’adultes engagés dans la vie professionnelle (Cisel, 2016; Ho et al., 2014), cibler avant tout des étudiants maîtrisant un certain nombre de prérequis nuirait probablement à la persévérance des apprenants, une considération qui va nous amener à nous pencher sur les barrières épistémiques.

Quelques études corrélationnelles ont croisé le taux de certification et les caractéristiques du cours, comme sa durée ou la nature des évaluations proposées (Jordan, 2015). Certains travaux de modélisation ont approfondi la question des caractéristiques du cours, notamment sous l’angle de la réputation des établissements (Alraimi, Zo et Ciganek, 2015). Les pages de présentation des cours, en revanche, restent peu analysées. Les travaux de Vrillon (2017) constituent l’une des rares publications présentant une analyse des descriptifs des MOOC. Nous nous proposons de compléter ce travail en collectant des données sensiblement différentes, à partir des pages de présentation de cours de la plateforme française France Université Numérique.

La notion de barrière épistémique

Nous réaliserons cette analyse au prisme de la notion de barrière (Garland, 1992), développée dans le cadre des recherches sur l’attrition dans la formation à distance, dont nous allons retracer les grandes lignes. L’attrition est définie comme la part des inscrits qui n’obtiennent pas le diplôme dans le cadre d’un cursus, ou qui n’obtiennent pas le certificat dans le cadre d’un MOOC ou d’un cours organisé à distance. Elle correspond à l’inverse de la rétention. Les travaux sur cette thématique prennent leur essor dans les universités nord-américaines dans l’immédiat après-guerre; après un certain nombre de travaux empiriques en psychologie, les approches modélisatrices prennent leur essor (Tinto, 1975, 2006). Les premières recherches permettent de repérer différents mécanismes conduisant à l’attrition, et notamment le retrait volontaire, c’est-à-dire la décision, positive et non subie, d’interrompre le suivi d’une formation. Ce n’est que plus tardivement que les mécanismes qui conduisent au retrait volontaire deviennent centraux dans les recherches, qui suivent des approches modélisatrices d’une part et ethnographiques d’autre part.

Le modèle de rétention de Tinto (1975) constitue le point de départ d’une série de modèles qui auront valeur de référence (Munro, 1981); il sera adapté aux caractéristiques de la formation à distance (Bean et Metzner, 1985; Sweet, 1986). Ces adaptations visent à prendre en considération le fait que l’on étudie bien souvent des cours isolés, dont les caractéristiques particulières pèsent donc davantage dans la décision d’interrompre la formation; par ailleurs, le public est souvent constitué d’apprenants adultes engagés dans la vie professionnelle. Se développe parallèlement une littérature abordant la question sous un angle plus ethnographique (Cross, 1981; Garland, 1992), notamment par la réalisation d’une analyse qualitative d’entretiens avec les apprenants.

Les barrières, ou obstacles (Garland, 1992), sont définies comme les éléments, liés ou non au cours, et relevés par l’apprenant, qui font obstacle à la persistance au sein de la formation. Elles sont de diverses natures; certaines sont liées aux caractéristiques du cours, comme les barrières épistémiques et institutionnelles. Notons avec Garland (1993) que ces barrières sont des motifs correspondant à l’explication avancée par l’apprenant, qu’il s’agit avant tout d’une donnée autodéclarée. L’objectif des recherches qualitatives sur les barrières est de qualifier les éléments qui poussent les participants à se désengager au sens large, quelle que soit la forme d’attrition correspondante. Les recherches doctorales de Garland (1992) développent le travail de Cross (1981) et conduisent à définir quatre types de barrières; les illustrations que nous en donnerons ne sont pas exhaustives.

Dans le cas de la barrière situationnelle (Garland, 1992, p. 124), ce sont les circonstances particulières de la vie de l’individu qui sont à l’origine du retrait volontaire. L’auteur liste les éléments suivants : manque de soutien de la part des pairs ou de la famille, environnement de travail peu propice à l’apprentissage, notamment du fait de responsabilités domestiques, manque de temps dû à un changement de situation familiale ou professionnelle. Les barrières d’ordre dispositionnel (Garland, 1992, p. 131) sont liées aux croyances, attitudes, ou valeurs de l’étudiant. Ce sont des dispositions personnelles que l’individu met en avant pour justifier sa décision : le participant n’a pas d’objectif clair quant à ce qu’il désire, il éprouve des difficultés à gérer son temps, notamment parce qu’il a tendance à procrastiner. Ce sont les deux autres types de barrières, liées quant à elles aux caractéristiques du cours, qui nous intéresseront.

Dans le cas de la barrière institutionnelle (Garland, 1992, p. 126), l’individu invoque des manquements de l’établissement ou de l’équipe pédagogique, ou diverses caractéristiques des cours, pour justifier sa décision de se retirer. Le rythme du cours est insuffisant, ou au contraire trop rapide. L’équipe pédagogique est trop peu réactive aux yeux du participant, les retours éventuels se révèlent de médiocre qualité.

Enfin, dans le cas de la barrière épistémique (Garland, 1992, p. 134), qui constitue le coeur de notre réflexion, c’est sur le contenu du cours que l’individu trouve la justification de son abandon : difficulté avec une discipline particulière (exemple : je ne suis pas bon en mathématiques), manque de maîtrise des prérequis, décalage entre les attentes en matière de contenu et l’offre de cours, pour un cours qui, par exemple, ne serait pas suffisamment pratique. Le cours peut utiliser un vocabulaire trop technique, trop théorique eu égard aux attentes de l’apprenant. Dans les exemples cités par l’auteur, le participant déclare ne pas parvenir à appliquer à son activité professionnelle ou personnelle le contenu du cours. Il s’attendait à ce qu’une thématique particulière ait été abordée, ou au contraire constate que les thématiques abordées dans la formation ne sont pas celles qu’il escomptait.

Parmi les nombreuses hypothèses qui ont été avancées pour expliquer les faibles taux de certification, plusieurs barrières ont été évoquées sur la base d’entretiens avec des utilisateurs de MOOC (Cisel, 2016). Parmi ces dernières, le décalage entre les attentes du public inscrit, essentiellement composé d’adultes engagés dans une activité professionnelle, et la nature du public apparemment visé par certains concepteurs, à savoir les étudiants, semble prégnant. Cette considération nous a amenés à chercher dans les descriptifs des cours des éléments susceptibles de rendre compte de cette barrière et à récolter des informations sur le public des formations. Nous nous proposons, dans les paragraphes qui suivent, de revenir sur la méthodologie que nous avons suivie pour réaliser ce travail.

Méthodologie

Les pages de présentation des cours correspondent à des pages Web sur lesquelles les concepteurs de MOOC réalisent un descriptif visant à renseigner l’apprenant potentiel sur le contenu de la formation. L’inscription se déroule directement à partir de cette page, qui contient un certain nombre d’éléments qui reviennent de manière récurrente, comme un descriptif court, précisant généralement le public visé et les prérequis associés aux MOOC, ainsi qu’une bande-annonce de quelques minutes. Un certain formalisme est parfois imposé par les plateformes d’hébergement, notamment sur FUN, chaque équipe pédagogique se voyant exiger de fournir des éléments prédéterminés par la plateforme, ce qui tend à homogénéiser les informations présentées sur cette page. Une fois les formations terminées, les pages de présentation ne disparaissent généralement pas des catalogues des plateformes d’hébergement; elles peuvent dès lors faire l’objet de recherches plusieurs années après la fermeture d’un cours. Nous nous sommes attachés à extraire des pages de présentation de MOOC français un certain nombre d’informations fournies par les concepteurs de manière presque systématique : public visé par la formation, prérequis éventuels, nombre de semaines que dure le cours, nombre de membres dans l’équipe pédagogique, rôle dans le MOOC et structure de rattachement.

Entre janvier et mars 2016, l’ensemble de ces informations ont été extraites à partir du seul texte disponible sur la page de présentation, et les bandes-annonces n’ont pas été analysées à cet effet. Les informations, quand elles étaient accessibles, étaient copiées telles quelles dans une base de données. Une fois les données brutes copiées, elles étaient codées manuellement et de manière indépendante par deux chercheurs, selon un code préétabli. Le codage effectué, les cas pour lesquels subsistait une ambiguïté étaient analysés conjointement jusqu’à ce qu’un consensus soit trouvé.

La première variable d’intérêt est le public visé. Nous avons défini trois modalités non mutuellement exclusives : les étudiants, le grand public et un public de professionnels. Dès lors que les concepteurs déclaraient s’adresser à « toute personne curieuse » quant au sujet du MOOC, nous avons considéré que le grand public était visé. La modalité « étudiant » était choisie notamment lorsque les concepteurs déclaraient s’adresser à des lycéens. Dès qu’il était fait référence à une application du cours au contexte professionnel, nous choisissions la modalité « professionnels ». Nous nous sommes ensuite intéressés à la question des prérequis, en construisant six variables booléennes. La première variable prenait la valeur 1 dès lors que le concepteur de la page de présentation déclarait explicitement qu’aucun prérequis n’était nécessaire pour suivre la formation, et 0 dans le cas contraire. Les cinq autres variables portaient sur les différentes formes de prérequis. Nous avons catégorisé les pages de présentation selon qu’elles faisaient référence à la maîtrise d’une connaissance ou d’un savoir-faire technique en particulier, à un niveau de formation — ce niveau variant du baccalauréat à un niveau master —, à une expérience professionnelle ou à une autre formation, comme un MOOC qu’il faudrait suivre au préalable pour bien comprendre le cours.

Une attention toute particulière a été portée aux membres de l’équipe pédagogique décrits sur la page de présentation du cours ainsi qu’à leurs structures de rattachement. Les membres de l’équipe pédagogique ont été catégorisés selon qu’ils appartenaient ou non au milieu académique et, dans le cas contraire, selon qu’ils travaillaient ou non dans une structure privée. Lorsque le membre de l’équipe pédagogique appartenait au milieu académique, son statut était rapporté dès que l’information était disponible : maître de conférences, professeur des universités, chercheur, doctorant, chercheur postdoctoral. Les structures de rattachement des membres des équipes étaient collectées de manière systématique et catégorisées selon qu’elles correspondaient à un établissement public d’enseignement supérieur, université ou grande école, ou à des structures autres, privées ou publiques. Lorsque tous les membres présentés appartenaient au milieu académique, nous avons apposé le label milieu académique. L’équipe pouvait également être composée entièrement d’intervenants non académiques ou d’un mélange des deux cas de figure. Nous parlons dans ce dernier cas d’équipe mixte.

On notera que les pratiques varient fortement d’un cours à l’autre eu égard à la présentation des membres de l’équipe pédagogique. Alors que dans certains cas l’ensemble des personnes étant intervenues à un titre ou à un autre dans la conception du cours sont mises en avant — technicien vidéo, chef de projet, assistant sur les forums —, il arrive que seules les personnes intervenant dans les vidéos pédagogiques soient représentées. Nous avons pour cette raison cantonné l’analyse qui suit à cette dernière catégorie de participants. Est défini en tant que membre de l’équipe pédagogique, ou concepteur, toute personne qui intervient dans les vidéos pédagogiques.

Soulignons que les analyses qui suivent ont fait l’objet d’un certain nombre d’échanges avec l’équipe de la plateforme FUN, et que celle-ci nous a communiqué les données relatives au nombre d’inscrits par cours, que nous présenterons succinctement.

Concluons enfin sur le fait que les résultats présentés incorporeront de nombreuses statistiques descriptives. Il est important de noter à cet égard que les chiffres introduits par le symbole ± correspondent à des écarts-types.

Résultats

Après avoir présenté l’évolution de FUN sur le plan du nombre de cours et des inscriptions engrangées, nous commencerons par montrer que ces dispositifs sont avant tout conçus par des acteurs de l’enseignement supérieur, mais pour un public plus large que les seuls étudiants en formation initiale.

Figure 1

Évolution temporelle du nombre de MOOC diffusés trimestriellement sur la plateforme FUN[1]

Évolution temporelle du nombre de MOOC diffusés trimestriellement sur la plateforme FUN1

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FUN rassemble l’essentiel des MOOC produits par des établissements français (Cisel, 2016). Nous proposons de revenir succinctement sur l’évolution quantitative de son offre ainsi que sur celle du nombre d’inscrits par MOOC au cours de ses premières années d’existence. Cette approche descriptive permettra de mieux appréhender le contexte dans lequel s’inscrivent les analyses qui suivront.

L’offre de la plateforme est essentiellement en langue française, 86 % des cours sont en français, le reste étant diffusé en anglais. L’analyse des données fournies par FUN montre l’évolution quantitative de l’offre de la plateforme entre l’automne 2013 et l’automne 2015, période qui correspond à un pic de lancement de MOOC. La figure 1 présente l’évolution du nombre de cours ouverts aux inscriptions sur cette période. La chute apparente du nombre de MOOC observée en dernière période n’en est pas une. Elle correspond simplement au fait que peu de cours avaient annoncé leur lancement sur cette période au moment de l’analyse des données. Pendant cette même période, le nombre moyen d’inscrits par cours chute d’une moyenne de 9 218 (± 3 425) à une moyenne de 3 927 (± 2 937), les cours étant regroupés par trimestres pour le calcul de ces moyennes (figure 2).

Figure 2

Évolution du nombre d’inscrits par cours pour les MOOC de FUN en fonction de la date de lancement des inscriptions (N = 119 cours)

Évolution du nombre d’inscrits par cours pour les MOOC de FUN en fonction de la date de lancement des inscriptions (N = 119 cours)

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Les quelques données que nous avons présentées ci-devant font apparaître FUN comme une plateforme de taille moyenne en comparaison des plateformes américaines, tant par le nombre de cours qu’elle diffuse — Coursera disposant d’un catalogue près de dix fois plus important (Cisel, 2016) — que par le nombre d’inscrits (Ho et al., 2014, 2015).

Nous allons voir maintenant que si les établissements d’enseignement supérieur collaborent parfois avec des structures autres pour la conception des cours, ils sont à l’origine de l’essentiel des dispositifs. Dès lors, il est vraisemblable que l’essentiel des MOOC découlent d’un cours universitaire, indépendamment du degré d’adaptation par rapport à la forme originale du ou des cours. Pour corroborer le fait que les cours sont pour l’essentiel issus du milieu académique, nous nous sommes intéressés à la composition des équipes pédagogiques. Notons que dans les paragraphes qui suivent, le mot « structure » désigne indistinctement tout établissement d’enseignement supérieur ou toute structure privée ou publique. Pour près de la moitié des MOOC étudiés, plusieurs structures sont impliquées dans la conception du dispositif. Dans 14 % des cas, deux structures investissent dans la création de la formation, et dans 16 % des cas, ce sont cinq structures ou davantage qui s’impliquent. Les équipes pédagogiques décrites sur les pages de présentation varient sur le plan tant quantitatif que qualitatif. Celles qui sont composées d’un seul intervenant ne représentent que 23 % des cas; dans 37 % des cas, l’équipe est composée de plus de cinq intervenants.

Il nous faut aborder la question de l’hétérogénéité des équipes sous l’angle de l’appartenance ou en l’occurrence de la non-appartenance des intervenants au milieu académique. Dans 64 % des cas, l’équipe est composée exclusivement de représentants de l’enseignement supérieur : enseignants-chercheurs, post-doctorants, ATER ou chercheurs. Dans 14 % des cas, la totalité des intervenants ne sont pas issus du milieu académique, les 22 % restants correspondant à des équipes mixtes. Le milieu académique domine donc dans la conception des MOOC de FUN. Ceci tient en grande partie au fait que toute structure non académique qui souhaiterait diffuser un cours sur FUN doit, selon les règles édictées par la plateforme[2], s’associer à un établissement d’enseignement supérieur pour bénéficier des services de la plateforme, ce qui explique l’existence d’un certain nombre d’équipes mixtes. Il reste à déterminer dans quelle mesure ces cours ont été adaptés à un public qui n’est pas celui de la formation initiale. Si des entretiens avec les concepteurs de cours représentent sans doute l’approche la plus précise pour aborder la question, les pages de présentation des cours fournissent néanmoins un certain nombre d’indices, à commencer par la charge de travail associée au cours, que l’on peut mesurer tant en nombre de semaines qu’en charge de travail horaire estimée par l’équipe pédagogique.

Nous constatons que 13 % des cours durent quatre semaines ou moins, 22 % durent cinq semaines, 40 % durent six semaines et 25 % durent sept semaines ou davantage. On constate que ces MOOC sont sensiblement plus courts que les cours homologues diffusés sur les plateformes Coursera ou edX (Cisel, 2016), qui durent en moyenne près de huit semaines au cours des premières années d’existence de ces plateformes. Nous ne saurions nous contenter de ce seul indicateur, dans la mesure où la charge de travail hebdomadaire peut varier considérablement. Si l’on multiplie le nombre de semaines que dure un cours par la charge hebdomadaire estimée par l’équipe pédagogique, on constate que la durée moyenne totale d’un cours est de 19 (± 6) heures[3], ce qui place FUN à nouveau nettement en dessous des plateformes américaines comme Coursera ou edX, dont les cours duraient environ une quarantaine d’heures en moyenne (Cisel, 2016). À cet égard, on peut émettre l’hypothèse selon laquelle les MOOC français sont moins exigeants en investissement temporel du fait d’une plus grande velléité des concepteurs de s’adapter à un public non captif — c’est-à-dire qui n’est pas contraint de suivre la formation et donc peu susceptible de persévérer dans une formation jugée trop longue — et composé d’apprenants n’étant pas inscrits en formation initiale. Tâchons maintenant de déterminer si une telle hypothèse est corroborée par les données sur les prérequis et le public visé.

Dans 19 % des cours, les concepteurs ne mentionnent que le grand public parmi les publics ciblés; dans 5 % des cas, ils ne déclarent viser qu’un public de professionnels (tableau 1). Ce n’est que dans 3 % des cas que seuls les étudiants sont visés. Dans 32 % des cas, les concepteurs déclarent viser ces trois publics distincts : étudiants, professionnels et grand public. Le reste est composé de combinaisons des différents types de publics. Si l’on se fie aux pages de présentation, les concepteurs cherchent à atteindre des publics variés, et rarement uniquement un public d’étudiants.

Tableau 1

Publics cibles mentionnés dans la page de présentation[1] et prérequis annoncés aux participants

Publics cibles mentionnés dans la page de présentation1 et prérequis annoncés aux participants

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On peut néanmoins envisager que, bien que soit souvent visé le grand public, le niveau de prérequis soit suffisamment élevé pour constituer une barrière épistémique à même de contribuer à l’attrition. Nous allons voir maintenant que cette seconde hypothèse est elle-même peu vraisemblable au vu du faible niveau de prérequis exigés. On constate en effet que 57 % des équipes déclarent explicitement qu’il n’existe aucun prérequis pour suivre le cours; seules 39 % font référence à des connaissances ou à des notions à maîtriser préalablement au suivi du cours (tableau 1). Seule une minorité (6 %) des équipes fait référence à la maîtrise d’un savoir-faire technique ou à une expérience professionnelle (10 %). Elles sont 29 % à faire référence à un niveau de diplomation recommandé pour suivre le cours. Lorsqu’elles font référence à un niveau de formation, il s’agit dans 41 % des cas du baccalauréat (tableau 1), le plus souvent pour désigner le niveau scientifique correspondant à un bac scientifique; 25 % font référence à une première année d’études supérieures; moins de 10 % des références correspondent à un niveau master.

L’analyse systématique des caractéristiques des cours disponibles sur la page de présentation suggère que les MOOC se veulent relativement introductifs et que le niveau de prérequis exigé des participants est assez bas. L’hypothèse selon laquelle la faiblesse des taux de certification découlerait d’un niveau trop élevé de prérequis, une forme particulière de barrière épistémique, semble mise à mal par un tel résultat. Ce constat n’exclut en aucune façon l’existence d’autres formes de barrières épistémiques, liées notamment à l’existence d’une mauvaise adéquation entre les thématiques abordées dans le cours et les attentes des participants. Par ailleurs, on ne peut guère exclure la sous-estimation, consciente ou non, par les enseignants des prérequis associés au cours lorsqu’ils déclarent que ceux-ci sont inexistants. Autant d’éléments qui méritent d’être approfondis plus avant dans la discussion qui suit.

Discussion

L’analyse des descriptifs des cours de FUN n’apporte que peu de crédit à l’hypothèse d’un décalage entre le public effectif des formations et le public visé par les concepteurs, si l’on se place du point de vue de la dichotomie étudiants/adultes engagés dans la vie professionnelle. Ensuite, il semblerait qu’en comparaison avec les cours des plateformes américaines, la durée des MOOC français soit relativement faible et le niveau de prérequis assez bas. Un tel résultat peut signifier que les difficultés liées à la persévérance des apprenants au sein de ces dispositifs ont été prises en considération au moment de la conception. Il faut noter à cet égard que les cours que nous avons étudiés ici ont débuté à la fin de l’année 2013, soit près de deux années après le lancement des premières expériences américaines. La question des faibles taux de certification de ces cours revenait de manière récurrente, dans les médias (Bulfin et al., 2014) comme dans la littérature scientifique (Cisel, 2016). L’analyse d’entretiens menée par ailleurs auprès de concepteurs suggère qu’une telle considération pourrait avoir incité les enseignants impliqués dans la conception des MOOC à diminuer le niveau d’exigence de la formation par rapport au niveau initial d’un éventuel cours existant. En allégeant la charge de travail hebdomadaire et la durée de la formation, un certain nombre d’enseignants disent vouloir adapter le format du dispositif à un contexte qui n’est pas celui de la formation initiale.

Si sur le plan de la charge de travail horaire comme sur celui de l’affichage sur le descriptif du cours l’adaptation semble prédominer sur la transposition, la question reste en suspens dès lors que l’on s’intéresse au contenu du cours, au lexique employé, aux thématiques abordées. Dans la mesure où la volonté d’engranger un nombre d’inscrits élevé constitue l’une des motivations des concepteurs (Hollands et Tirthali, 2014; Kolowich, 2013), il est plausible que ceux-ci soient réticents à décourager les inscrits potentiels en affichant des prérequis ou en annonçant viser un public restreint. Dès lors, ils pourraient être conduits à sous-estimer les prérequis et à surestimer la diversité des audiences auxquelles s’adresse la formation.

En d’autres termes, une déclaration réalisée par une équipe pédagogique sur une page de présentation d’un cours ne reflète pas nécessairement les prérequis effectivement nécessaires pour suivre le cours dans de bonnes conditions, ni n’implique qu’une adaptation conséquente au public visé ait été réalisée sur le plan didactique. Quand bien même une réflexion sur l’adaptation aurait été menée, on ne peut exclure l’hypothèse selon laquelle des barrières épistémiques résultent d’une méconnaissance des caractéristiques et attentes d’un public d’apprenants adultes engagés dans la vie professionnelle, malgré des velléités d’adaptation. Dès lors, les différences entre cours en matière de prise en compte de ces attentes pourraient contribuer à expliquer les différences de taux de certification observées.

Les données que nous avons présentées ne sauraient corroborer une telle hypothèse, aussi celle-ci apparaît-elle comme une piste de recherche à explorer à l’avenir. Plusieurs approches pourraient être suivies pour traiter de la question. Une analyse fine du contenu de chaque cours constituerait une approche laborieuse, d’autant que la diversité des thématiques abordées dans les MOOC compliquerait la comparaison. On pourra en revanche chercher à déterminer dans quelle mesure les enseignants impliqués dans la conception de ces dispositifs s’inscrivent dans une logique andragogique chère à Malcolm Knowles (1973).

Certains travaux ont été publiés sur les motivations des enseignants pour créer des MOOC, aussi bien dans la littérature scientifique — sous la forme de recherches qualitatives (Gerber, 2014; Kassabian, 2014) ou quantitatives (Evans et Myrick, 2015) — que dans la littérature grise (Hollands et Tirthali, 2014; Kolowich, 2013). Néanmoins, ils ne nous permettent que difficilement d’inférer quant aux éventuelles adaptations réalisées, et l’on gagnerait à utiliser des instruments visant à déterminer si les concepteurs sont sensibles aux spécificités de l’apprentissage des adultes. De tels instruments ont été développés à cette fin dès les années 70. Conti (1979, 1985a, 1985b) a notamment développé à destination d’enseignants et de formateurs un instrument visant à mesurer leur inclinaison envers les principes de l’andragogie, la Principles of Adult Learning Scale, ou PALS. Nous suggérons de l’adapter au contexte des concepteurs de MOOC pour prolonger l’approche suivie par Evans et Myrick (2015), en diffusant un questionnaire auprès de plusieurs centaines d’enseignants.

Néanmoins, cette approche ne saurait se suffire à elle-même et impose que l’on s’intéresse aux motivations des utilisateurs de MOOC (Karsenti et Bugmann, 2016) afin de permettre une mise en perspective analogue à celle que nous avons réalisée dans cet article eu égard aux publics visés. Nous partons du principe que les apprenants adultes engagés dans la vie professionnelle attachent une grande importance à la transférabilité du contenu de la formation à des problèmes concrets. Il reste à déterminer dans quelle mesure ces considérations sont valables dans le cas des MOOC de FUN. De premières analyses en ce sens ont été réalisées au sein d’une douzaine de ces cours (Cisel, 2016); il pourrait être intéressant de les étendre et de les approfondir, notamment en mobilisant des théories de la motivation comme la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985a, 1985b), une démarche notamment suivie par Karsenti et Bugmann (2016). Cette approche pourrait nous permettre d’aborder la question des barrières épistémiques sous l’angle du besoin de compétence et de la capacité des concepteurs de dispositifs à satisfaire ce besoin.

Soulignons pour conclure que la question des prérequis et du public visé par la formation, si elle est nécessaire à la compréhension des comportements des utilisateurs de MOOC, est également centrale dès lors que l’on s’intéresse à l’intégration de ces dispositifs dans la formation initiale. Quelques travaux empiriques sur la question ont été réalisés (Israel, 2015). Néanmoins, force est de constater que, malgré une littérature abondante sur l’impact présumé des MOOC sur les systèmes éducatifs (Godwin-Jones, 2014; Mirrlees et Alvi, 2014; O’Connor, 2014), peu de réflexions ont été menées sur le lien entre audience visée et intégration dans la formation initiale. Il reste à déterminer comment les orientations prises en matière de public visé ont influencé les trajectoires de ces dispositifs au sein des systèmes éducatifs.

On ne peut écarter l’hypothèse selon laquelle, de manière tendancielle, le format de ces cours ait été trop altéré pour que ceux-ci puissent être intégrés dans des cursus académiques, mais qu’ils aient gardé trop de caractéristiques des cours universitaires pour correspondre aux attentes d’un public d’apprenants adultes engagés dans la vie professionnelle. Une telle contradiction, si elle était avérée, pourrait contribuer à expliquer la faible prégnance des usages de ces cours dans la formation initiale.