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Fig. 1

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Boualem Kadri est professeur au Département d’études urbaines et touristique de l’Université du Québec à Montréal. Ses intérêts de recherche se concentrent sur le tourisme urbain, les métropoles arabes de la Méditerranée ainsi que l’épistémologie de la recherche en tourisme. Danielle Pilette est professeure associée au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de la même université. Ses domaines d’expertise sont la gestion municipale et métropolitaine, les finances et la fiscalité municipales, et la gouvernance des organisations territoriales.

Ces deux auteurs ont conjointement publié en 2005 le livre Le tourisme métropolitain : Le cas de Montréal (Québec, Presses de l’Université du Québec), dans lequel ils analysent le tourisme métropolitain comme stratégie de requalification des territoires centraux des métropoles nord-américaines. Douze ans plus tard, Le tourisme métropolitain renouvelé s’intéresse à la façon dont la multiplication des métropoles concourt à la mise en tourisme des territoires. Les liens entre ville et tourisme sont anciens, mais la récente extension du domaine des métropoles force la (re)construction des territoires métropolitains. Afin de saisir la complexité de ce mouvement d’ampleur, le tourisme métropolitain sert de révélateur des mutations capitalistes, des transformations urbaines, des innovations sociales et technologiques ou encore de l’état de la vie démocratique, mais sert également d’objet de construction de la gouvernance métropolitaine pour répondre aux défis auxquels l’accroissement des métropoles fait face.

Le premier chapitre constate l’insuffisant outillage conceptuel dont disposent les études urbaines et touristiques pour prendre toute la mesure de l’intensification du tourisme métropolitain. Trois transformations l’expliquent : la ville postmoderne n’est plus homogène, mais diverse tant dans ses représentations que dans la matérialité de son environnement urbain ; le tourisme urbain s’est fragmenté afin de s’adapter à cette nouvelle complexité ; le tourisme urbain est devenu un vecteur de la globalisation économique. En dépit de l’ampleur du phénomène, la recherche en tourisme urbain chemine. Trois raisons sont détaillées : le statut scientifique mineur du tourisme ; la perception réductrice du tourisme urbain dans l’économie urbaine ; le flou et la complexité qui entoure le concept de tourisme urbain. Ce chapitre se clôt sur les quinze principales problématiques scientifiques auxquelles font face les chercheurs francophones.

Devant la nécessité d’un tel renouvellement théorique, le second chapitre revient sur la popularité que suscite l’expression mise en tourisme dans la communauté scientifique. Bien qu’il n’existe pas de définition unanimement partagée, l’intérêt conceptuel et opérationnel de l’expression tiendrait dans sa capacité à saisir l’« activité de transformation touristique d’un lieu » (p. 46). Plusieurs notions rendent compte de la transformation touristique d’un territoire, telles que la touristicité (potentiel attractif d’un lieu), la touristification (mise en marché d’un lieu) ou la tourismification (production de l’espace touristique). Néanmoins, seule l’expression mise en tourisme a la faveur des auteurs pour englober l’ensemble des processus à l’œuvre. Ces derniers proposent un modèle de mise en tourisme d’un territoire en quatre temps : la représentation (visions artistique, politique et stratégique) ; la réalisation (économie, aménagement et commercialisation) ; la régulation (processus d’organisation, gouvernance) ; et la résilience (observation des résultats, coordination). Les facteurs de réussite et d’échec de la transformation touristique d’un lieu terminent le chapitre.

Dans la continuité d’un travail de clarification de concepts stratégiques, le troisième chapitre tente de caractériser le phénomène de la métropolisation, défini comme « un mode d’organisation économique dans un contexte de mondialisation » (p. 75), sous les angles de la taille des métropoles, des caractéristiques démographiques, des activités économiques et industrielles, de la fiscalité, des migrations, de la sécurité et de la vie démocratique. Sur le débat de l’extraterritorialité des métropoles, territoires hautement stratégiques de la mondialisation, les auteurs, comme d’autres avant eux, affirment qu’en dépit des discours, les (hyper)métropoles ne s’extraient pas de leur contexte national respectif. L’analyse des flux touristiques des métropoles est univoque à ce sujet. Cette conclusion ouvre la question de la construction d’une gouvernance métropolitaine face aux trois défis majeurs que sont l’application du droit de chaque État, le développement durable et la sécurité.

Le quatrième chapitre expose les enjeux de la gouvernance métropolitaine et touristique en explorant les nouveaux modèles d’organisation. La métropolisation appréhendée comme « un phénomène macrosociologique en lien avec une redéfinition identitaire territoriale » (p. 96) est en passe de redéfinir les découpages territoriaux historiques, l’exercice du pouvoir et les processus de prise de décision. La construction d’une gouvernance métropolitaine s’articule autour de trois piliers : un État impliqué dans le financement des infrastructures ; un leadership territorial fort et une identité métropolitaine émergente ; une ouverture aux milieux économiques et une main-d’œuvre hautement qualifiée. Pour accompagner ce processus, les auteurs défendent l’idée selon laquelle la gouvernance touristique peut servir à la « construction du leadership métropolitain […] à la mise en place de processus métropolitains […] [et] à la construction d’une identité métropolitaine » (p. 117). Les analyses de la gouvernance touristique de New York sur la fiscalité et les retombées économiques du tourisme, de Londres et de Montréal sur les processus de conciliation des intérêts particuliers, et de Paris sur la recherche en faveur d’un tourisme durable soutiennent le propos.

Le cinquième chapitre traite de l’expérience touristique dans les métropoles. Là encore, un concept sibyllin, mais hautement stratégique dans un contexte où les pratiques touristiques changent : développement de séjours courts, besoin plus important de se déplacer ailleurs, rites de voyage et risques plus nombreux. Deux pôles constitueraient l’attractivité de l’expérience touristique métropolitaine. D’un côté, la vie urbaine ordinaire, mais culturellement intense, des quartiers métropolitains ; de l’autre, l’extraordinaire richesse des expérimentations offertes par les métropoles (audace architecturale, nouvelles technologies ou sensation du risque). Les auteurs finissent le chapitre sur la tendance de l’expérience touristique à se co-construire par l’individu, l’organisation et le système touristique.

Ce court ouvrage travaille à la consolidation conceptuelle (mise en tourisme, gouvernance métropolitaine touristique et expérience touristique) d’un champ de recherche fragile, le tourisme métropolitain, qui pâtit d’un manque d’interdisciplinarité pour revoir ses approches et ses méthodes d’analyse. En toute logique, le livre a les défauts de ses qualités. S’il réussit à poser un diagnostic convaincant de l’état de la recherche, le lecteur, qu’il soit historien, géographe, sociologue ou politologue, risque de rester sur sa faim à la lecture des passages sur l’histoire du tourisme, la métropolisation, l’expérience urbaine ou la gouvernance métropolitaine… ou bien cette lecture suscitera des motifs d’enthousiasme en voyant se dessiner devant lui de nouveaux défis de recherche. Boualem Kadri et Danielle Pilette auront alors brillamment réussi leur pari.