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Introduction

Le concept des technologies de l’information et de la communication (TIC) renvoie à l’ensemble des technologies qui se situent à l’interface entre l’informatique, le multimédia, les télécommunications, la microélectronique et l’audiovisuel. Leur usage dans le domaine de la technopédagogie a entraîné un changement de paradigme pédagogique. En effet, les TIC assurent la transition d’un environnement éducatif axé sur l’enseignant dans la transmission des savoirs à un nouvel environnement plus proactif basé sur l’apprenant lui-même dans la production de son apprentissage (Lebrun et Laloux, 1999). Le niveau de cette transition peut être apprécié par le degré d’intégration des TIC dans la pédagogie (Basque, 2005; Coen et Schumacher, 2006; Dwyer, 1995).

Suivant les recommandations du rapport de la Banque mondiale sur l’enseignement supérieur tunisien en 1998, le ministère de l’Enseignement supérieur en Tunisie a placé les nouvelles technologies au centre de ses préoccupations stratégiques pour participer activement à la construction de la « société du savoir », ce qui représente un choix politique ferme durant les deux dernières décennies.

Par conséquent, cet article vise à évaluer le degré d’appropriation de ces nouvelles technologies dans l’enseignement universitaire tunisien. Pour cela, nous présentons tout d’abord une revue de la littérature pour mettre en exergue la problématique de notre recherche. Ensuite, nous exposons la méthodologie adoptée et les résultats obtenus. Enfin, ce travail se clôture par une conclusion ainsi que par les principales limites de cette recherche.

1. Cadre théorique

1.1 Revue de la littérature

L’apport des TIC est indéniable dans l’évolution de l’enseignement et la mutation des actions pédagogiques. En effet, Lebrun et Laloux (1999) considèrent que les TIC ont une contribution majeure dans le passage d’une approche traditionnelle d’apprentissage « instructiviste » vers une approche moderne d’apprentissage « constructiviste ». La forme d’apprentissage « instructiviste » se base sur l’enseignant qui filtre et transmet un ensemble de ressources à ses apprenants. Par contre, l’approche « constructiviste » est centrée sur l’apprenant lui-même, pour construire ses savoirs et développer ses propres compétences, du moment que les technologies éducatives permettent d’accéder à des bases d’informations variées et de dévoiler et analyser de nouvelles situations d’apprentissage (Lebrun, 2004). Par conséquent, l’utilisation judicieuse des TIC stimule et développe chez l’étudiant des habiletés cognitives, comme l’esprit critique et la résolution de problèmes, et des habiletés sociales telles que la collaboration en équipe de travail, en plus des habiletés méthodologiques (Jefferson et Edwards, 2000). Cet engagement cognitif médiatisé par les TIC dans la production des savoirs peut mener, selon Viau (2009), à la persévérance, à la motivation en classe et à l’amélioration des résultats escomptés.

Ainsi, les TIC favorisent des potentialités importantes pour les professeurs qui souhaitent mettre en oeuvre des activités d’apprentissage susceptibles de rendre les apprenants plus actifs et plus dynamiques et de les faire travailler ensemble dans le processus de construction de leurs connaissances (Rasmy et Karsenti, 2016).

Cependant, les TIC ont envahi tous les domaines de la vie courante et particulièrement celui de la technopédagogie, générant ainsi un arrimage entre la technologie et les pratiques pédagogiques. Le questionnement qui s’attachait autrefois aux raisons de l’intégration des TIC dans l’enseignement porte désormais sur l’efficacité et le niveau d’incorporation de ces technologies (Guichon, 2012). Dans ce cadre d’analyse, les apports qui tentent d’évaluer le degré d’intégration des TIC dans l’enseignement divergent (voir Coen et Schumacher, 2006; Depover et Strebelle, 1997; Fiévez, 2017; Moersch, 1995, 2001; Raby, 2004; Sandholtz, Ringstaff et Dwyer, 1997). Pour leur part, les travaux de Moersch (1995, 2001) ont permis de développer un instrument de mesure appelé « Levels of Technology Implementation (LoTi) » destiné à apprécier les divers niveaux d’implantation des TIC en classe par les enseignants :

  • La non-utilisation, qui se caractérise par l’inaccessibilité et l’indisponibilité de temps pour utiliser les TIC.

  • L’exploration, où l’enseignant engage ses apprenants dans l’utilisation des TIC lors d’activités d’enrichissement des savoirs, d’évaluation et de recherche d’idées sur un contenu à l’étude.

  • L’infusion, qui reflète une utilisation ponctuelle des outils technologiques au cours des activités pédagogiques basées sur le traitement de l’information, l’analyse des résultats, la prise de décision, etc.

  • L’intégration, qui représente un usage permanent des TIC et une implication explicite des étudiants dans un contexte d’apprentissage riche comme les applications multimédias, les télécommunications, les bases de données, les feuilles de calcul, etc.

  • L’expansion, où l’utilisation des TIC ne se limite pas uniquement à la classe, mais permet aussi d’entrer en contact avec le monde extérieur, par exemple dans le cadre de projets de partenariat et de coopération.

  • Le raffinement, qui indique une exploitation des TIC par le professeur afin de permettre aux étudiants de rechercher de l’information, de remédier aux problèmes et de développer un travail en lien avec leurs propres intérêts et attentes.

Par ailleurs, le modèle d’intégration des TIC de Sandholtz et al. (1997), conçu dans le cadre du projet « Apple Classrooms of Tomorrow (ACOT) », est formé de cinq stades qui reflètent les niveaux d’intégration des TIC dans les classes d’apprentissage. On distingue les phases de l’entrée, de l’adoption, de l’adaptation, de l’appropriation et de l’invention. Ainsi, l’enseignant passe du stade de l’entrée, où il se familiarise avec l’équipement technologique accessible dans sa classe, au stade de l’adaptation, où il exploite les TIC lors d’exercices répétitifs. Il passe ensuite au stade de l’appropriation, où il transforme ses pratiques d’enseignement pour favoriser l’acquisition de nouvelles compétences chez ses apprenants. Dans le dernier stade, celui de l’invention, l’enseignant centralise ses méthodes d’enseignement sur la construction des savoirs et le développement de l’esprit critique, tout en profitant des potentialités offertes par les TIC.

De leur côté, dans un souci de simplification, Depover et Strebelle (1997) ont développé un modèle qui présente uniquement trois niveaux d’intégration d’une innovation technologique :

  • L’adoption, qui renvoie à une évolution dans la pratique de l’enseignant soit par conviction personnelle soit sous la pression de l’environnement externe.

  • L’implantation, qui se caractérise par la concrétisation des activités pédagogiques innovantes ayant un impact sur l’environnement.

  • La routinisation, qui suscite une utilisation régulière des nouvelles pratiques dans l’élaboration des savoirs.

Pour sa part, le modèle de Raby (2004) propose un processus qui mène de la non-utilisation à l’utilisation exemplaire des TIC, tout en passant par quatre niveaux :

  • La sensibilisation, qui consiste à comprendre les intérêts et le rôle des TIC dans la conception des cours, la résolution des exercices, etc.

  • L’utilisation personnelle, qui comprend trois étapes : la motivation, la familiarisation et l’exploration-appropriation. À l’étape de la familiarisation, l’enseignant acquiert une connaissance de base de certains logiciels. L’enseignant progresse ensuite vers une étape d’exploration, pendant laquelle il recherche des informations sur des sujets d’intérêt personnel, communique avec sa famille et ses amis et utilise les outils technologiques pour produire des documents en lien avec ses besoins personnels.

  • L’utilisation professionnelle, où l’enseignant traverse une étape de familiarisation plus ou moins longue, puis parvient au stade de l’utilisation pédagogique par l’usage des TIC à des fins éducatives. C’est d’ailleurs durant ce stade que l’enseignant amène ses élèves à utiliser les TIC en classe.

  • L’utilisation pédagogique, qui débute par une curiosité, un besoin ou une obligation d’ordre pédagogique (motivation) de la part de l’enseignant. Les enseignants qui se sentent obligés d’intégrer les TIC à leur enseignement, sans avoir préalablement entrepris les stades d’utilisation personnelle et/ou professionnelle, peuvent traverser une étape de familiarisation longue et pénible. Durant cette étape, ils apprennent lentement à maîtriser les rudiments techniques.

De leur côté, Coen et Schumacher ont présenté en 2006 un modèle simplifié qui s’inspire largement de celui de Depover et Strebelle (1997). Les niveaux d’intégration des TIC de leur modèle se présentent sous la forme de scénarios pédagogiques, appelés également des vignettes de situation d’intégration des TIC (Visi-TIC). À la lumière de ce modèle, chaque enseignant se positionne par rapport à chacune des Visi-TIC, qui se font selon trois niveaux d’intégration :

  • L’adoption, qui se caractérise par un usage réduit et limité des TIC dans les activités éducatives. Par exemple, l’utilisateur tâtonne et apprend de ses erreurs.

  • L’implantation, où l’enseignant intensifie l’utilisation des supports pédagogiques numérisés et opte pour des activités d’évaluation basées sur les TIC.

  • La routinisation, où les TIC deviennent un outil fondamental dans l’apprentissage et la constitution des savoirs. Elles sont alors parfaitement maîtrisées par l’enseignant qui introduit des activités innovatrices et réflexives auxquelles il fait participer tous ses apprenants.

Quant à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), elle a élaboré en 2008 et en 2011 un projet de référentiel de compétences TIC pour les enseignants s’articulant autour des TIC, de l’éducation et de l’économie. Ce référentiel est conçu sous la forme de trois niveaux d’exploitation des TIC dans l’enseignement :

  • L’alphabétisation technologique, qui se caractérise par une utilisation des TIC à des fins d’apprentissage et de développement d’une culture numérique au sein de l’environnement éducatif. Ce niveau marque le passage d’un mode d’apprentissage instructiviste à un mode socioconstructiviste.

  • L’approfondissement des connaissances, qui implique que les enseignants incitent les apprenants à approfondir leurs connaissances dans les modules étudiés et les appliquent dans la résolution de problèmes concrets. Ce niveau représente une intégration moyenne des nouvelles technologies dans le système éducatif.

  • La création de connaissances, qui est une phase plus développée d’utilisation des TIC permettant une coopération réelle et efficace entre les apprenants et les acteurs économiques afin de créer et de concevoir de nouveaux savoirs et procédés indispensables à l’efficacité économique et au bien-être social.

Cette revue de la littérature souligne la difficulté de mesurer le degré d’utilisation des nouvelles technologies dans les pédagogies d’apprentissage. Ainsi, le modèle d’évaluation d’intégration des TIC développé par Coen et Schumacher (2006) tient compte d’un jumelage entre des aspects technologiques et pédagogiques. De même, il se base sur des mesures d’intégration des TIC plus fines et claires qui sont les niveaux d’adoption, d’implantation et de routinisation, permettant donc de surmonter les entraves méthodiques. Cependant, ce modèle demeure un peu rigide dans la mesure où il ne prend pas en compte les phases intermédiaires entre les niveaux. Par conséquent, dans le cadre de notre recherche, nous emploierons ce modèle et nous lui associerons les niveaux intermédiaires adoption-implantation et implantation-routinisation pour avoir plus de flexibilité et de rigueur dans la collecte des données relatives aux Visi-TIC.

1.2 Problématique

Les différentes contributions dans la littérature technopédagogique convergent sur l’utilité et l’importance des TIC en tant que support incontournable dans la production et la transmission des savoirs (Béziat, 2012; Karsenti, 2005). Cependant, elles divergent sur l’évaluation et la détermination de leur niveau d’intégration dans l’enseignement (voir Coen et Schumacher, 2006; Depover et Strebelle, 1997; Moersch, 1995; Sandholtz et al., 1997).

Dans le contexte tunisien, on compte peu d’études sur les TIC en enseignement supérieur et celles-ci ne fournissent pas une idée claire et détaillée de l’exploitation des nouvelles technologies dans les établissements universitaires tunisiens. En effet, l’étude de Mehdi (2011) est effectuée durant le deuxième semestre de l’année 2008 au sein des départements de géographie des facultés des lettres et sciences humaines de Sousse et de Sfax. Cette étude se base sur une enquête par questionnaire menée auprès des 56 enseignants et 1 198 étudiants des deux départements, mais les réponses obtenues ne proviennent que de 23 enseignants et de 364 étudiants. Les résultats de cette étude ont démontré tout d’abord une faible intégration des TIC dans les pratiques éducatives, puis une difficulté importante de diffusion des nouvelles technologies dans l’enseignement de la géographie au sein des universités tunisiennes. De son côté, l’étude de Ben Taziri (2016), effectuée dans deux établissements universitaires tunisiens précédemment sélectionnés, porte sur une enquête exploratoire en matière d’usage des TIC par les enseignants dans leurs représentations pédagogiques. Cette enquête est réalisée à l’aide d’un questionnaire de 46 questions visant à collecter des informations sur le profil de l’enseignant enquêté, ses pratiques professionnelles avec les nouvelles technologies et le niveau d’intégration des TIC dans son établissement d’enseignement. Les résultats de cette étude mettent en évidence les faibles structures technologiques des établissements universitaires étudiés, une utilisation réduite des TIC par les enseignants dans leurs activités d’apprentissage et l’absence de stratégies clairement définies par les décideurs dans le domaine de la technopédagogie.

En vertu du nombre réduit de données sur l’intégration des TIC dans les établissements supérieurs de Tunisie, la présente recherche vise à examiner les moyens d’accompagner les actions pédagogiques innovantes par l’usage des TIC et d’évaluer leur degré d’intégration dans l’enseignement universitaire tunisien.

2. Méthodologie

Afin d’avoir une vision plus complète du degré d’appropriation des TIC par les enseignants universitaires en Tunisie, nous considérons qu’il est crucial d’utiliser une méthodologie mixte dans laquelle des méthodes qualitatives exploratoires sont jumelées à des méthodes quantitatives confirmatoires. Nous avons entamé notre démarche par la formulation d’un questionnaire à partir des principaux items de mesures recensés par les différents apports de la littérature (voir Coen et Schumacher, 2006; Depover et Strebelle, 1997; Fiévez, 2017; Raby, 2004) et particulièrement les niveaux d’intégration des TIC suggérés par le modèle de Coen et Schumacher (2006), soit l’adoption, l’implantation et la routinisation des technologies. Puis, nous avons réalisé une série d’entrevues avec quatre spécialistes de la formation en pédagogie universitaire afin de mieux comprendre les spécificités du phénomène étudié et d’élaborer des vignettes de situation, qui constituent une partie fondamentale de notre enquête.

Les données recueillies ont été soumises à des techniques quantitatives confirmatoires permettant de généraliser nos résultats de recherche. Cette étape du travail nous a permis d’atteindre plusieurs objectifs. Tout d’abord, elle a amélioré notre degré de maîtrise du phénomène étudié et de la réalité des construits établis. De même, elle nous a permis d’élaborer une partie du questionnaire de l’enquête.

2.1 Échantillon

Pour collecter les données sur l’intégration des TIC en pédagogie universitaire, nous avons soumis un questionnaire en février 2014 à 221 enseignants universitaires tunisiens, toutes spécialités confondues. Plus précisément, 181 questionnaires ont été transmis par courrier électronique et 40 questionnaires en version papier ont été mis à leur disposition dans quelques bureaux de directeurs de département.

En juin 2014, nous avons recueilli 42 questionnaires dûment remplis, dont 39 retournés par courrier électronique (taux de réponse de 21,4 %) et 3 par voie postale (taux de réponse de 7,5 %). Le tableau 1 présente en détail les caractéristiques de l’échantillon.

Tableau 1

Profil de l’échantillon empirique

Profil de l’échantillon empirique

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Ainsi, l’échantillon est formé principalement par une équipe relativement dynamique et ambitieuse (64,28 % des enseignants ne dépassent pas 40 ans et 54,75 % ont une expérience de 5 ans au plus).

2.2 Instruments de mesure

Pour avoir de plus amples informations sur l’appropriation des TIC dans les établissements universitaires tunisiens, il semble plus pertinent d’enquêter auprès de notre échantillon sur les niveaux d’intégration des TIC dans l’enseignement. À cette fin, nous avons soumis un questionnaire basé sur la recension des principaux items approuvés dans la littérature liée à la technopédagogie. Ensuite, nous avons conçu trois scénarios d’intégration des TIC, appelés également des vignettes de situation d’intégration des TIC (Visi-TIC) conformément aux apports de Depover et Strebelle (1997), Fullan (1996), Karsenti, Savoie-Zajc et Larose (2001) et Coen et Schumacher (2006). Le tableau 2 illustre les trois niveaux d’intégration des TIC.

Tableau 2

Caractéristiques des niveaux d’intégration des TIC

Caractéristiques des niveaux d’intégration des TIC
Source : Coen et Schumacher (2006)

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Après lecture de ces trois situations, nous avons demandé aux répondants de se situer – sur une échelle de cinq points – en estimant leur degré de proximité par rapport à chacune des situations présentées. Pour plus de flexibilité, notre instrument (Visi-TIC) a été remodelé pour envisager des situations intermédiaires entre l’adoption et l’implantation, d’une part, et entre l’implantation et la routinisation, d’autre part. Au total, nous avons envisagé cinq vignettes de situations d’intégration des TIC (adoption, implantation, routinisation, adoption-implantation, implantation-routinisation).

3. Résultats

La procédure de validation empirique se divise en deux parties. D’abord, il est indispensable de valider les mesures adoptées pour s’assurer que les vignettes de situation présentées reflètent les trois niveaux d’intégration des TIC. Ensuite, nous avons estimé leur degré d’intégration dans la pédagogie universitaire.

3.1 Validation des mesures

Les données recueillies ont fait l’objet d’analyses factorielles exploratoires puis confirmatoires afin d’évaluer la fiabilité et la validité de chaque instrument de mesure utilisé. Ainsi, l’étude en composantes principales (ACP) avec rotation varimax a été conduite sous SPSS 18.0 et l’analyse de validité a été effectuée avec Amos 16.0. Le tableau 3 présente les résultats de la validité des construits utilisés.

Tableau 3

Validation des construits utilisés

Validation des construits utilisés

* Sig. : p < 0,01; KMO : Kaiser-Meyer-Olkin; GFI : Goodness of Fit; AGFI : Adjusted Goodness of Fit; NFI : Normed Fit Index; RMSEA : Root Mean Square Error of Approximation. 

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Ces résultats démontrent que les analyses factorielles valident clairement la dimensionnalité de chaque construit qui s’explique par plusieurs facteurs, les tests de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) et de Bartlett étant significatifs (Churchill, 1979). Ainsi, les items de chaque construit expliquent plus que 68 % de sa variance totale. D’autre part, la fiabilité de l’instrument de mesure et la consistance interne des items de mesure sont validées puisque les valeurs prises par l’alpha de Cronbach dépassent 0,8 (Chin, 1998).

Pour évaluer la qualité d’ajustement de notre modèle de mesure, nous avons conduit une analyse factorielle confirmatoire (AFC) qui a abouti à des indices statistiquement significatifs. En effet, le critère du khi 2 rapporté au degré de liberté s’interprète comme un test de différence entre le modèle théorique et le modèle empirique. Une valeur de khi 2/dl égale à 1,72 accepte l’hypothèse nulle (absence de différence). Les critères du GFI (Goodness of Fit) et de l’AGFI (Adjusted Goodness of Fit) indiquent la part des covariances qui est expliquée par le modèle. Leurs valeurs qui excèdent 0,8 confirment un ajustement de qualité. Le NFI (Normed Fit Index) et le CFI (Comparative Fit Index) comparent l’ajustement du modèle empirique à celui du modèle théorique. Ces critères NFI = 0,966 et CFI = 0,924 sont proches de 1 et indiquent donc un bon ajustement du modèle adopté. Enfin, le RMSEA (Root Mean Square Error of Approximation), qui mesure le défaut d’ajustement du modèle aux données collectées, prend une valeur de 0,04 située dans l’intervalle d’acceptabilité [0,01; 0,08].

En conséquence, l’analyse factorielle confirmatoire effectuée permet de retenir cette structure factorielle à trois dimensions (adoption, implantation et routinisation) pour envisager les Visi-TIC de notre étude.

3.2 Évaluation du degré d’intégration des TIC

Afin d’estimer le degré d’appropriation des TIC dans la pédagogie universitaire, nous avons sélectionné la vignette de situation la plus significative. Pour cela, nous avons calculé pour chacune des vignettes l’indice de correspondance de Burry-Stock (Burry-Stock, Shaw, Laurie et Chissom, 1996), noté par le RAI (Rater Agreement Index), en utilisant la formule suivante :

Les éléments de cette formule s’expliquent ainsi :

n : la taille de l’échantillon

m : le nombre de vignettes dans le modèle

p : le nombre de niveaux qui composent l’échelle de mesure adoptée

EAMi : l’écart absolu moyen = equation: 2096109.jpg, et Xi est la note accordée par l’enquêté i à une situation donnée.

Ensuite, nous avons calculé la distance de proximité à chacune des situations, notée par dp selon la formule qui suit :

Enfin, nous avons retenu la vignette de situation qui présente la distance de proximité la plus faible, permettant ainsi d’approximer convenablement le degré d’intégration des TIC. Le tableau 4 présente les résultats de nos calculs à cet égard.

Tableau 4

Détermination des degrés d’intégration des TIC

Détermination des degrés d’intégration des TIC

RAI : indice de correspondance de Burry-Stock; dp : distance de proximité

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Nos résultats démontrent que l’utilisation des TIC dans l’enseignement supérieur tunisien reste encore dans une phase débutante qui se situe entre l’adoption et l’implantation. En effet, la distance de proximité minimale est de 0,36 × 10-4, ce qui illustre que la majorité des enseignants enquêtés se positionnent davantage à une phase intermédiaire entre l’adoption et l’implantation des TIC. Par conséquent, nous pouvons affirmer que le modèle pédagogique le plus répandu dans les universités tunisiennes semble être le modèle instructiviste qui se base sur l’enseignant pour transmettre les savoirs aux apprenants.

Par ailleurs, afin de savoir si le dynamisme et l’ambition d’utilisation des TIC dans des actions pédagogiques varient significativement selon le sexe (femme – homme) et l’expérience (moins de 5 ans – plus de 5 ans) de l’enseignant, nous avons regroupé les réponses de la question sur le nombre des activités intégrant des TIC en classe selon les facteurs « femme » et « infcinq ». Nous avons ensuite effectué un test d’ANOVA à deux facteurs pour vérifier s’il existait un effet conjoint du sexe et de l’expérience sur les activités pédagogiques intégrant des TIC (voir tableau 5).

Tableau 5

Test ANOVA à deux facteurs sur le sexe et l’expérience des enseignants

Test ANOVA à deux facteurs sur le sexe et l’expérience des enseignants

a R deux = ,286 (R deux ajusté = ,085); ddl : degré de liberté; F : statistique de Fisher; Sig. : seuil du risque

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Nos résultats montrent que le sexe et l’expérience exercent effectivement une influence significative sur l’utilisation des TIC dans les activités en classe. Plus précisément, nous constatons que les femmes ayant une expérience de moins de cinq ans en enseignement utilisent davantage les TIC dans leurs activités pédagogiques chez les établissements tunisiens participant à notre étude.

Conclusion

L’avènement des TIC marque un bouleversement dans l’environnement éducatif, favorisant l’émergence d’expériences technopédagogiques novatrices qui permettent le passage d’une approche instructiviste vers une forme socioconstructiviste de l’apprentissage (Roberts, 2004). Toutefois, la vision des TIC en tant que simples véhicules d’information reste encore assez répandue chez les enseignants universitaires tunisiens. En effet, comme le suggèrent les résultats de la présente étude, la scénarisation de processus d’apprentissage par le biais du modèle basé sur les Visi-TIC démontre clairement que la majorité de ces enseignants sont encore à la phase des premières utilisations des TIC dans leurs parcours pédagogiques.

Pour remédier à cette situation, nous proposons aux enseignants de suivre des cycles de formation C2i[1]afin de consolider leurs compétences techniques et de développer des pratiques pédagogiques intégrant des TIC (Béziat, 2012; Fourgous, 2010) en plus de participer à des séminaires et à des colloques pour développer leurs habiletés en matière d’utilisation de logiciels et d’applications technologiques (Rasmy et Karsenti, 2016). Il importe aussi de mobiliser les milieux universitaires tunisiens afin qu’ils adoptent des démarches stratégiques favorisant la motivation de leur corps enseignant pour exploiter davantage le potentiel technologique dans leurs approches d’enseignement.

Enfin, soulignons que cette recherche comporte quelques limites, notamment la non-représentativité de l’échantillon des différents grades d’enseignants universitaires qui peut avoir généré des résultats quelque peu biaisés. De plus, notons que l’utilisation du Visi-TIC est, en fait, un modèle statique qui reflète un positionnement momentané et figé d’un enseignant par rapport à une vignette de situation d’intégration des TIC. Par conséquent, l’usage d’un modèle dynamique pour évaluer le degré d’appropriation des TIC des enseignants tunisiens pourrait faire l’objet d’une investigation future et offrir des résultats plus exhaustifs quant à leurs pratiques.