Corps de l’article

Introduction

Le recours à l’incarcération pour les femmes reconnues coupables d’un crime augmente au Canada, tout comme au Québec. Le nombre de femmes incarcérées au Canada a augmenté de plus de 50 % depuis la dernière décennie et elles représentent maintenant 4,6 % de la population carcérale fédérale (Bureau de l’enquêteur correctionnel, 2015 ; Maidment, 2006). Au Québec, cette proportion atteint 6 % (Chéné, 2014). Force est de constater que de plus en plus de femmes se retrouvent happées par ce filet pénal élargi (Beall, 2018 ; Chesney-Lind et Pasko, 2013 ; Frigon, 2002).

Selon le profil de la population correctionnelle féminine provinciale[3] dressé par Giroux et Frigon (2011), les infractions en 2008-2009 reprochées aux femmes seraient largement (39,2 %) en lien avec l’administration de la justice, soit, pour la plupart, un défaut de se conformer à une ordonnance de probation. Suivent les infractions contre les biens comme le vol simple (21 %) et les délits contre la personne comme les voies de fait (11,8 %), puis les infractions relatives aux substances psychoactives (SPA) (10,5 %). Ce portrait contribue à dépeindre une criminalité, le plus souvent non violente et de faible gravité.

La population carcérale féminine se distingue également par la victimisation vécue par les femmes au cours de leur vie (Chesney-Lind et Pasko, 2013 ; DeHart, 2008 ; Salisbury et Van Voorhis, 2009). Elles seraient ainsi plus susceptibles d’avoir vécu des sévices de toutes sortes. Selon le rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel (2015), 68 % d’entre elles ont déclaré avoir été victimes d’une agression sexuelle et 86 %, de la violence physique. Selon la Société Elizabeth Fry du Québec (2011), les femmes impliquées dans le système pénal, et plus particulièrement celles incarcérées, sont moins scolarisées, occupent plus souvent un emploi à faible revenu ou ont un faible revenu. Elles ont également davantage de problèmes de santé mentale et de toxicomanie (Barker, 2009 ; Chesney-Lind et Pasko, 2013).

Au Québec, tout comme au Canada, la majorité des femmes incarcérées sont mères : il est estimé qu’entre 50 et 70 % ont des enfants de moins de 18 ans (Bureau de l’enquêteur correctionnel, 2014 ; Giroux et Frigon, 2011) et que la majorité d’entre elles sont monoparentales (Société Elizabeth Fry du Québec, 2011). Bien qu’il soit connu que l’incarcération d’une mère ne représente pas à elle seule un motif de retrait de la garde des enfants (Lafortune et al., 2004), une détention implique nécessairement des changements dans le quotidien de la mère et de ses enfants. Des auteurs (Giroux et Frigon, 2011 ; Kenny, Barrington et Green, 2015 ; Moe et Ferraro, 2007) ont par ailleurs montré que, pour plusieurs de ces femmes, leurs difficultés (dépendance à une substance psychoactive, pauvreté, incarcération antérieure, etc.) avaient préalablement entraîné des changements dans leur situation familiale. Par exemple, certaines d’entre elles s’étaient vu retirer la garde de leurs enfants ou imposer des restrictions dans leurs contacts avec eux (Kenny et al., 2015).

Être mère de l’intérieur

Une fois incarcérées, les mères n’ont que peu de possibilités de maintenir des liens avec leurs enfants. Les visites[4], les appels téléphoniques et les lettres sont les seules occasions où elles peuvent exercer leur rôle et tenter d’assumer leurs responsabilités parentales (Arditti et Few, 2006 ; Blanchard, 2002 ; Mignon et Ransford, 2012). Certaines mères tentent alors de maintenir leur lien maternel auprès de leurs enfants, notamment en s’informant de leur cheminement scolaire et en cherchant à s’impliquer dans la prise de décision les concernant (Celinska et Siegel, 2010). Selon Mignon et Ransford (2012), 79 % des communications entre la mère et ses enfants se font par courrier, 61 % par téléphone et seulement 15 % par des visites en établissement. Ces chiffres sont corroborés par l’étude d’Arditti et Few (2006), qui rapporte que la majorité des répondantes entretenaient des contacts téléphoniques hebdomadaires avec leurs enfants alors que seulement 14 % des femmes avaient pu recevoir leurs enfants dans l’établissement.

Même si diverses initiatives permettant des rencontres entre la mère et ses enfants existent au sein des établissements de détention, plusieurs travaux ont relevé des entraves importantes au maintien des contacts familiaux. Certains auteurs mentionnent que la distance entre le lieu de résidence des enfants et l’établissement de détention ainsi que les coûts élevés engendrés par ces déplacements (l’essence, l’hébergement et les frais de subsistance) sont des obstacles importants à la fréquence des visites (Mignon et Ransford, 2012 ; Schubert, Duininck et Shlafer, 2016). De plus, l’étude de Michalsen, Flavin et Krupat (2010) rapporte que les technologies d’aujourd’hui (messagerie texte, Facebook, Messenger, etc.), auxquelles les jeunes sont habitués entraînent une baisse importante de leur intérêt pour des modes de communication traditionnels, lesquels sont encore les seuls possibles pour rejoindre une personne détenue. De plus, les auteurs rapportent que les politiques des établissements quant aux conditions d’accès varient et peuvent représenter des barrières suffisantes pour limiter les contacts. Il n’est donc pas étonnant de constater que bien des mères finissent par ne plus avoir de visite de leurs enfants durant la période de détention (Celinska et Siegel, 2010 ; Friestad, 2016).

Être mère à l’intérieur

Au cours des dernières décennies, divers programmes et stratégies ont été conçus dans le but de compenser l’absence de la mère et de maintenir les liens entre celle-ci et ses enfants. À cet égard, au Canada, le programme de cohabitation mère-enfants, lancé en 2001 dans la foulée des recommandations de La création de choix (Service correctionnel Canada, 1990), est offert aux femmes purgeant une peine fédérale (Frigon, 2002). Son objectif est de favoriser les relations positives entre la mère et ses enfants en offrant un milieu qui favorise la stabilité et la continuité de la relation (Service correctionnel Canada, 2016). L’enfant peut ainsi séjourner à temps plein ou partiel avec sa mère en détention, avec la possibilité de résider dans une unité spéciale, adaptée à la présence d’un enfant[5]. Les taux de participation au programme sont toutefois en déclin. Selon les données disponibles au mois d’août 2012, une seule femme au Canada se prévalait du programme à temps plein alors qu’aucune femme, et ce, depuis 2009, ne participait au programme à temps partiel (Brennan, 2014). Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce faible taux de participation, notamment des changements introduits en 2008 en regard des critères d’admissibilité, rendant inadmissible toute femme ayant été reconnue coupable d’un crime violent[6]. De plus, certaines pratiques institutionnelles davantage axées sur une philosophie punitive ont également contribué à réduire l’accès au programme (Brennan, 2014). Par ailleurs, tel qu’il est soulevé par Belknap (2007), la cohabitation entre la mère détenue et ses enfants est loin de faire l’unanimité : alors que certaines estiment qu’il est inconcevable pour un enfant innocent de résider dans une prison, pour d’autres, il est tout aussi injuste de le séparer de sa mère. De plus, d’autres auteurs comme Haney (2013) critiquent les fondements d’un tel programme en affirmant que le statut de détenu est prioritaire et l’emportera sur tous les autres rôles sociaux, empêchant les rapports attendus entre la mère détenue et ses enfants.

Un tel programme n’est toutefois pas offert dans les établissements de détention provinciaux au Québec[7]. L’organisme communautaire Continuité Famille auprès des détenues (CFAD) soutient par ailleurs un programme de visites privées, communément appelé « la roulotte », où une mère incarcérée peut pendant 24 heures bénéficier de la présence de ses enfants, âgés de 16 ans et moins, dans un contexte plus intime que lors des visites régulières au parloir (Blanchard, 2002 ; Société Elizabeth Fry du Québec, 2011). Outre les programmes de visite, tant sous la forme de fêtes communautaires ou de courts séjours mère-enfants, d’autres programmes sont également offerts dans les établissements de détention provinciaux. Ceux-ci visent tant la sensibilisation à la parentalité et l’acquisition de compétences parentales que le maintien (ou le rétablissement) du lien entre la mère incarcérée et ses enfants.

La littérature consultée tend à dresser un portrait plutôt imprécis des implications de l’incarcération d’une mère. Pour elle, comme pour ses enfants, la détention aura des conséquences, mais l’ampleur de celles-ci demeure peu abordée. Dans un souci de valoriser l’expérience subjective de mères en difficultés (Davies, Krane, Collings et Wexler, 2007 ; Krane et Davies, 2000), cette recherche vise à leur donner une voix et à examiner leur perception des conséquences de leur détention (actuelle et passée) pour leurs enfants et surtout, pour elles.

Méthodologie

Cette recherche s’intéresse à la perception de mères détenues quant aux effets de leur incarcération sur leurs relations avec leurs enfants. En plus de documenter leur perception quant aux conséquences de leur dernière incarcération et aux réactions de leurs enfants, l’étude vise à explorer la perception de ces femmes de certaines difficultés, notamment la délinquance et la criminalité, que leurs enfants pourront vivre.

Cette étude est basée sur un corpus de 15 entrevues menées auprès de mères incarcérées dans un établissement de détention provincial. Alors détenues depuis au moins 30 jours, ces femmes ont été rencontrées en 2005 pour un entretien semi-structuré d’une durée moyenne de 60 minutes. Lors de cet entretien, elles ont décrit leur expérience en tant que mère incarcérée et ont exposé leurs perceptions quant aux conséquences de leur détention sur leurs relations avec leurs enfants. La nature des questions et le contexte d’ouverture de l’entrevue ont permis aux répondantes de partager un contenu qui dépassait le canevas d’entretien. Leurs propos permettent de décrire, d’exemplifier et de saisir ce qu’implique pour elles, un épisode de détention. Cette étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche de l’Université du Québec à Trois-Rivières de même que par le comité de la recherche des Services correctionnels du Québec (SCQ).

Les participantes étaient âgées de 20 à 49 ans (moyenne : 32 ans). Onze d’entre elles purgeaient une peine moyenne de 21 mois alors que quatre étaient incarcérées en tant que prévenues[8]. Six d’entre elles étaient détenues pour la première fois alors que les autres avaient été incarcérées de 2 à 15 reprises par le passé. Pour la majorité des femmes rencontrées, le vol et le non-respect des conditions (de libération conditionnelle ou de probation) expliquaient leur dernière incarcération. Les femmes rencontrées avaient en moyenne deux enfants. Elles ont eu leur premier enfant à l’âge de 20 ans en moyenne. Cinq d’entre elles avaient l’entière responsabilité de leurs enfants au moment de leur détention (ce qui représente sept enfants[9]). Les enfants des dix autres femmes rencontrées avaient été placés en famille d’accueil (quinze enfants), vivaient exclusivement avec leur père (six enfants), étaient en garde partagée (un enfant) ou avaient été confiés à un membre de la famille (un enfant).

Notre objet d’étude s’intéresse aux perceptions des mères incarcérées, lesquelles se réfèrent à leur expérience et à la signification qu’elles lui donnent. La notion de perception est liée à ce que Kelly aborda dans sa théorie des construits personnels en 1955. En effet, la perception est alors définie comme une « action propre de l’esprit sur les sens et qui implique un processus de construction » (p. 6) (Blowers et O’Connor, 1996). La perception est alors imprégnée de la notion de construit, base de la théorie de Kelly. Les construits sont définis comme des « modèles transparents » utilisés par la personne dans le but d’organiser ses impressions au sujet de son environnement et des gens qui y évoluent. Cette théorie étudie comment les gens comprennent le monde qui les entoure. La personne est vue comme active dans l’interprétation de son environnement. Elle choisirait ensuite des modes de fonctionnement en accord avec ses interprétations, avec ses construits. Dans l’optique de la compréhension de l’expérience des femmes détenues et de leurs enfants, la notion de perception est ici très appropriée.

Après avoir retranscrit les entretiens, une analyse thématique a été menée (Paillé et Mucchielli, 2016). Celle-ci vise à relever dans le corpus les thèmes pertinents aux objectifs de recherche ainsi qu’à cerner les regroupements et les récurrences afin d’en arriver à une lecture complète de la problématique à l’étude. Cette thématisation a débuté par la lecture approfondie des entretiens afin de s’approprier le corpus. Ensuite, à l’aide d’un échantillon du matériel de recherche, les thèmes émergents ont été dégagés et ont permis la construction d’une grille de codification. Par la suite, chaque thème de cette grille a été défini en vue de faciliter le repérage de ces mêmes thèmes dans le reste du corpus. Chaque entretien a été codé à l’aide de cette grille. Au final, onze thèmes, déclinés en plusieurs sous-thèmes ont été définis et explicités. Trois d’entre eux seront décrits dans cet article.

Résultats

Notre analyse a permis de décrire l’ampleur du bouleversement qu’une période de détention peut avoir pour une mère, pour ses enfants ainsi que pour la relation qu’elle a avec ceux-ci. Trois grands thèmes ont ainsi émergé des propos : la relation entre la mère et ses enfants (avant et depuis la détention), les réactions des enfants à l’incarcération et, enfin, les perceptions sur les influences déviantes qu’elles ont vécues.

La relation entre la mère et ses enfants

Une relation idéalisée avant la détention

Pour les femmes rencontrées, aborder la relation mère-enfants a soulevé de vives émotions. Bien que plusieurs d’entre elles aient spontanément décrit leur relation avant leur détention en termes positifs, mettant alors l’accent sur la complicité et sur l’honnêteté, l’analyse met clairement en exergue les conditions précarcérales dans lesquelles elles et leurs enfants évoluaient. S’il est connu que les enfants de mères incarcérées sont plus susceptibles de vivre de grandes instabilités, qu’elles soient financières, résidentielles ou matérielles (Dallaire, 2007 ; Geller, Garfinkel, Cooper et Mincy, 2009), les portraits des conditions précarcérales adverses qu’elles ont dressés s’inscrivent en continuité. Il semble alors que celles-ci ont parfois compromis les relations avec leurs enfants. En outre, le contexte de violence conjugale et d’instabilité à l’extérieur des murs représente une trame de fond pour plusieurs mères rencontrées.

Parce que moi, ce qui est arrivé, je suis sortie avec un conjoint violent, pendant deux ans. Fait qu’après ce deux ans là, quand j’ai dérapé, j’ai déménagé premièrement parce que lui faisait des menaces puis des menaces… Puis deuxièmement, j’étais sur la go, fait que… Cela me faisait des bonnes raisons de déménager là. C’est sûr qu’en plus, cela ne l’a pas aidé parce que là, il [son fils] a changé d’école.

Isabelle[10], 27 ans

Par ailleurs, différentes formes de restrictions imposées par la Cour ont entravé les contacts avant l’incarcération et, conséquemment, la relation entre plusieurs mères et leurs enfants. Pour plusieurs d’entre elles, la Cour avait préalablement ordonné le placement des enfants en famille d’accueil, réduisant ainsi au minimum les contacts avant l’actuelle incarcération. La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) est d’ailleurs impliquée auprès de plusieurs participantes à la présente recherche. En fait, près d’un enfant sur deux (16 sur 33 enfants) était en famille d’accueil trois mois avant l’incarcération de la mère. La DPJ s’avère ainsi être un acteur important dans la relation mère détenue-enfants.

Puis [ma fille] m’appelait en cachette parce qu’elle ne pouvait, je n’avais pas le droit de rentrer en contact avec elle. J’avais une interdiction de la Cour de communiquer avec ma fille puis avec la famille d’accueil. […] la famille disait que j’étais une mauvaise influence pour elle.

Nicole, 39 ans

Non, parce que j’ai eu une première sentence, fait que j’ai perdu mon fils puis là, bien écoute, quand cela fait deux ans que tu n’as pas ton enfant, tu t’en retournes pas avec… Puis premièrement ici, je n’avais pas des contacts réguliers avec. Là quand j’ai retourné dehors, j’ai recommencé à avoir des contacts réguliers avec, cela faisait un an. J’avais des contacts réguliers puis là, je le connais plus, je sais c’est qui, mais avant cela, j’allais voir mon petit gars puis j’étais dépaysagée bien raide. J’étais comme « hein, c’est mon fils, cela là ? » Tu sais, il est bébé pour moi encore là, tu sais. Il est au biberon quasiment là, pour moi, mais il a vieilli lui.

Geneviève, 23 ans

La consommation de SPA de la mère avant son incarcération s’impose également dans la vie de la majorité des femmes rencontrées. Dix répondantes ont expliqué avoir eu des problèmes de consommation à un moment ou un autre dans leur vie et que ces difficultés ont eu des répercussions bien réelles dans la relation avec leurs enfants. Comme l’illustrent les propos de Danielle, sa consommation entravait le quotidien avec ses enfants.

Dans ma vie, ok, bien moi, mes enfants, cela a toujours bien été sauf quand je consommais […] je devenais agressive, c’est sûr que je ne faisais plus, je ne faisais pas le souper, je ne faisais pas faire les devoirs à ma fille […]. Je pouvais devenir méchante aussi, très agressive et puis je pouvais lancer des méchancetés aussi, au niveau de ma grande. Mais je suis pas une fille qui a été violente envers mes enfants, ni de là à les frapper ou quoi que cela soit, au contraire, parce que j’adore mes enfants là, puis ma relation a toujours été très bonne.

Danielle

Pour certaines, l’emprise de la consommation contribue à les enfoncer dans un épisode de criminalité économico-compulsive (Brochu, Brunelle et Plourde, 2016) où la relation entre la mère consommatrice et ses enfants prend nécessairement un rôle de second plan.

Moi et mon chum, on était rendus accrochés, cela faisait une semaine qu’on en faisait à tous les jours, jour et nuit, puis on se couchait pas. […] Fait qu’on a commencé à faire des fraudes et des vols puis c’est pour cela que j’étais ici en 2003. Mon dossier, j’ai 34 chefs d’accusation de vols, de fraudes de cartes de crédit. J’ai deux intros par effraction, c’est pour cela que je suis rentrée en prison. […]. C’était rendu que c’était ma quasiment, ma principale affaire dans ma journée. Vol pour consommer, vol pour consommer. C’est cela, le 3 septembre, je me suis fait arrêter, ils ont défoncé chez nous, à 6 h 45 du matin.

Annabelle, 23 ans

Ainsi, pour plusieurs des femmes rencontrées, la consommation de SPA a contribué au placement de leurs enfants, comme l’illustrent les propos de Gabrielle.

J’avais trop de problèmes de consommation. Après six mois, ils [la DPJ] venaient écoeurés puis bien là, je n’avais pas donné de nouvelles, « on signe les papiers puis on veut le mettre en adoption ». Moi, je n’ai pas signé cela pareil. […] Je voulais pas l’abandonner moi là, là, comme cela tu sais, je savais que je n’étais plus là, j’étais gelée, j’étais… pas capable de m’en occuper. Mais je voulais le voir pareil.

Gabrielle, 27 ans

Différents auteurs ont discuté de l’importance pour ces femmes de ces éléments structurels (Geller et al., 2009 ; Maidment, 2006), rappelant alors la position sociale précaire dans laquelle se trouvent plusieurs mères marginalisées (Ali et al., 2013). Bien qu’elles décrivent spontanément leurs relations avec les enfants comme positives, la présence de violence conjugale, d’instabilité, d’ordonnance de placement et la consommation de SPA laissent penser que certaines dressent un portrait peu réaliste, voire magnifié, de la situation. Il pourrait être possible de penser qu’il s’agit là d’une tentative d’atténuer des sentiments de culpabilité et de honte ou, encore, de laisser paraître une image positive d’elles-mêmes en tant que bonne mère, et ce, malgré le fait qu’elles sont actuellement incarcérées (Celinska et Seigel, 2010 ; Couvrette, Brochu et Plourde, 2016).

Une relation secouée depuis la détention

L’analyse des propos des mères rencontrées révèle qu’il est difficile pour certaines d’entre elles d’aborder de manière précise les changements dans leurs relations avec leurs enfants depuis qu’elles sont incarcérées. Ce qui prédomine dans leurs discours est plutôt les impacts pour elles de leur emprisonnement. De l’impuissance à la culpabilité, les réactions évoquées par ces mères relativement à leurs enfants sont récurrentes et font suite aux contacts parfois pénibles qu’elles ont avec eux depuis la détention. Pour la plupart, elles s’en veulent de susciter des réactions chez leurs enfants, d’avoir à leur annoncer qu’elles sont (de nouveau) incarcérées[11], et ce, même si elles ne résidaient pas avec eux avant la détention. Elles mentionnent alors qu’elles craignent que leurs enfants soient en colère et qu’elles perdent leur place auprès d’eux. Une mère s’est confiée ainsi avec une voix chargée d’émotions : « J’ai eu peur qu’il me rejette, j’ai eu peur qu’il se referme, que quelqu’un d’autre prenne ma place » (Valérie, 27 ans). L’insécurité de la mère pour sa fille, citée dans le prochain extrait, est palpable lorsqu’elle s’exprime sur les lettres qu’elle écrit régulièrement à sa fille.

Je lui demande souvent : « Est-ce que tu me considères comme une mère ? », « Tu m’aimes-tu comme une mère ? », « Est-tu contente de m’avoir comme mère ? » tu sais, c’est des questions que je lui pose puis elle ne me répond pas. Tu sais… Je sais que quand je lui parle au téléphone puis que je finis le téléphone, je lui dis : « Je t’aime et je t’embrasse ». Elle me dit la même chose : « Je t’aime, je t’embrasse, à demain », puis elle est douce au téléphone tu sais elle n’est pas bête, elle m’envoie pas promener, rien de cela là.

Nicole, 39 ans

D’autres femmes décrivent plutôt leur relation avec leurs enfants comme conflictuelle et tendue depuis leur récente incarcération. Une participante l’a explicité alors qu’elle décrivait ses derniers échanges avec sa fille adolescente, lesquels étaient devenus ardus depuis sa rechute et sa détention. Sa fille exprime beaucoup de colère à son égard, rendant les contacts plus difficiles.

« Ah, rien de cela ne serait pas arrivé si tu n’avais pas fait encore la folle, tu t’en es encore envoyé un. » Elle me parlait de même hier au téléphone. Puis après, j’ai parti à pleurer. Elle a dit : « Tu t’es encore, tu t’en as crissé un autre dans le bras » […]. C’est de même qu’elle me parle, qu’elle répond. Cela fait que (tousse), fait que là, elle retourne chez son père, j’espère qu’ils vont l’encadrer plus, tu sais plus ferme. Mais j’ai peur qu’elle explose.

Jeanne, 41 ans

Quelques mères rencontrées ont relevé, non sans regret et tristesse, la distance qui s’est installée dans les contacts avec leurs enfants depuis leur incarcération. Une mère tenait les propos suivants quant aux téléphones hebdomadaires qu’elle faisait à sa fille de 6 ans.

Là j’ai dit, j’ai parlé deux-trois minutes avec. Elle dit : « Tu sais, je veux raccrocher. » Bien j’ai dit : « Raccroche. » Tu sais, (rit), tu sais on dirait que, moi je me sens mal quand elle me fait cela, tu sais je me sens comme rejetée là. Je n’aime pas cela quand elle me fait cela par exemple […] Tu sais ma fille, elle veut tout le temps raccrocher, on dirait qu’elle, qu’elle me fuit tu sais ? On dirait qu’elle a tout en dedans, on dirait qu’elle a de la peine, mais on dirait qu’elle ne veut pas la vivre sa peine.

Patricia, 31 ans

En plus de rappeler l’importance de l’influence des conditions de vie précarcérale, dans les portraits que ces mères ont dressés de leurs relations avec leurs enfants, l’analyse montre que l’incarcération s’impose comme un facteur aggravant et complexifie une situation, bien souvent déjà tendue entre la mère et ses enfants. Par ailleurs, le fait que certaines mères ont plutôt discuté de leurs réactions et difficultés témoigne de la signification particulière que prend l’incarcération pour l’identité maternelle fragile d’une femme détenue, et ce, chaque fois qu’elle est incarcérée (Couvrette, Plourde et Brochu, 2016).

Les réactions à l’incarcération de la mère

Les mères rencontrées ont expliqué que leurs enfants avaient été très affectés par l’annonce de leur nouvelle incarcération. À l’instar des mères rencontrées par Snyder, Carlo et Mullins (2002), les répondantes ont dénombré une foule de réactions tant émotives que comportementales. Celles-ci sont consignées dans le Tableau 1. La déception a été la réaction la plus souvent rapportée. Elles ont également mentionné que leurs enfants ont éprouvé de la tristesse, de la colère, de la peine, de la honte et de l’ennui. « Bien, il a pris mon enveloppe et il l’a jetée à terre. Tu sais, la réaction que je, c’est sûr qu’il est fâché là… » (Patricia, 31 ans).

Diverses réactions comportementales ont également été relatées par les mères rencontrées. Celles-ci varient en fonction de l’âge des enfants. L’énurésie et des difficultés d’attention sont rapportées pour les enfants d’âge scolaire alors que des comportements délinquants et de l’absentéisme scolaire sont plutôt les réactions observées chez les adolescents. Ce portait concorde par ailleurs avec la littérature (Kjellstrand et Eddy, 2011).

Enfin, les contacts avec les enfants peuvent devenir plus difficiles, voire restreints par le jeune lui-même. Comme le raconte Louise, sa fille a rompu tout contact après sa récente incarcération.

Puis ma fille elle, c’est rendu au point qu’elle me dit : « Je ne veux plus te parler, je me protège de me faire mal, parce que je me fais des fausses joies à toutes les fois. » Fait que je n’ai pas le choix comme de la respecter là-dedans. C’est sûr que même quand cela allait bien, c’est sûr que, quand elle me l’a annoncé au téléphone, qu’elle ne m’appelait plus, tout cela parce que j’étais rentrée juste un trois mois pour une sentence, elle était bien déçue de cela. Fait qu’elle a dit : « J’aime mieux que tu ne m’appelles plus. »

Louise, 38 ans

Tableau 1

Réactions des enfants rapportées par les mères rencontrées

Réactions des enfants rapportées par les mères rencontrées

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Si certaines ont expliqué que l’impact principal de leur incarcération a été le manque de leur présence dans la vie de leurs enfants, plusieurs ont rapporté de nombreuses réactions concrètes vécues par leurs enfants à l’annonce de cette (nouvelle) incarcération. Encore une fois, l’analyse de leurs propos laisse penser qu’elles semblent peu considérer les contextes de vie précarcérale dans lesquels elles avaient placé leurs enfants et qui avaient pu avoir un impact sur leur relation. Certaines des réactions observées chez les enfants pourraient ainsi être dues à d’autres facteurs que l’incarcération, notamment à un changement dans la garde de l’enfant ou à une séparation due à une période de consommation intensive. Les femmes rencontrées attribuent toutefois l’ensemble des réactions de leurs enfants à leur actuelle incarcération. Car, pour elles, celle-ci s’inscrit avant tout comme une punition injuste pour leurs enfants ; ils ne devraient pas être séparés de leur mère de la sorte.

Des influences déviantes…

Lorsqu’elles ont été invitées à discuter des enjeux auxquels pourraient faire face leurs enfants en regard de la délinquance, plusieurs femmes rencontrées ont spontanément discuté de leur propre histoire familiale et de la « mauvaise influence » qu’ont eue leurs parents sur elles. Ainsi, il s’est avéré que plusieurs blâmaient leurs parents, et plus spécialement leur mère, quant à leur trajectoire déviante.

Si ce n’était pas elle qui m’avait élevée, bien, si je ne n’avais pas suivi son exemple, osti, je serais jamais arrivée là. […] Il me reste juste ma mère, c’est juste elle mon problème. C’est rien que cela, en sortant je coupe les liens au complet, je coupe tout, je veux même plus la voir, c’est tout.

Gabrielle, 27 ans

Si Gabrielle est ferme quant à sa relation nuisible avec sa mère, la plupart ont dressé des portraits plus nuancés, mais qui traduisent la présence de difficultés importantes dans la relation avec leur mère. Plusieurs affirment ne s’être jamais senties aimées par celle-ci. Une répondante a mentionné ce sentiment lorsqu’elle a parlé des motifs pour lesquels la DPJ lui refusait la garde de ses enfants : « Parce que je n’ai pas eu d’amour quand j’étais jeune, je ne suis pas capable d’en donner à mes enfants » (Julie, 29 ans). Elles sont plusieurs à avoir eu une relation avec leur mère qui a été altérée en raison de l’incarcération de cette dernière, de sa consommation ou d’un contexte de violence.

J’ai été battue par ma mère, j’ai mangé des toasts au beurre de peanuts d’année en année. Il n’y avait jamais de bouffe. Ma mère et mon père étaient des alcooliques chroniques, il battait ma mère. Mon père est mort, ma mère a commencé à prendre de la coke après.

Geneviève, 23 ans

Par ailleurs, il s’est avéré que la plupart des femmes rencontrées sont très conscientes de l’influence de leurs propres choix de vie sur leurs enfants.

Je ne ferais pas des anges avec cela là […] Puis lui [son fils], il avait commencé à voler, à prendre l’argent dans la sacoche de la madame de sa famille d’accueil, la première chose qui ne lui appartenait pas là. […] Mon gars, il a 12 ans puis il prend mes plis tu sais. Puis la semaine passé, il me disait qu’il avait été sur Internet, puis là il avait acheté de la coke puis tout, du pot, ces affaires-là, fait que… […] Je suis sûre qu’ils vont vivre une délinquance puis ils vont se révolter puis tout.

Patricia, 31 ans

Bien qu’elles reconnaissent l’influence que pourraient avoir leurs comportements déviants et certaines de leurs erreurs, plusieurs femmes soutiennent qu’en raison de l’enseignement et des discussions qu’elles auront avec leurs enfants, il est peu probable que ceux-ci se tournent vers un mode de vie semblable au leur. Pour ces mères, elles sont l’exemple à ne pas suivre, l’exemple dont ils doivent tirer des leçons. Les enfants seront ainsi mieux informés, voire plus expérimentés, compte tenu de l’expérience de leur mère. Les propos d’Isabelle illustrent bien cette idée.

De cacher des affaires puis de, de ne pas être ouvert d’esprit avec mes enfants, c’est bien plus dangereux que du monde qui ont fait du temps. Puis au contraire, moi je dirais que ceux qui ont fait du temps et qui ont une bonne ouverture d’esprit là, c’est, cela fait des enfants plus intelligents, cela fait des enfants qui ont l’expérience de leurs parents, de consommation, de prison, plus les expériences de vie. Fait que cela fait des enfants qui peuvent aller loin en criss dans la vie.

Isabelle, 27 ans

Selon les propos des mères rencontrées, leurs enfants craignent aussi le milieu carcéral et la consommation de SPA. Ils ne seraient alors pas portés à se tourner vers un mode de vie déviant : « parce qu’elle, elle a vécu de la violence, elle a vu de la drogue, elle a comme tout vu là » (Marie, 37 ans). Enfin, plusieurs mères se sont décrites comme des éléments de soutien importants auprès de leurs enfants. Par leur présence (une fois libérée), leur ouverture et leurs conseils, elles arriveraient à prévenir les comportements déviants de leurs enfants.

Moi j’ai tellement eu une mauvaise expérience puis je ne veux pas que mon fils passe par là, mais j’avais tendance à trop le surprotéger, je ne laissais pas faire ses expériences finalement. Ce que asteure, je lui laisse faire un peu, mais, je suis tellement (rires). Je pense que je vais avoir un bon contrôle là-dessus. Une bonne compréhension, une bonne écoute en partant cela va… Tu sais, je vais savoir les signes avant-coureurs, il me semble (silence).

Valérie, 27 ans

Les propos de ces mères laissent penser qu’elles se positionnent comme faisant partie de la solution. Elles croient que, malgré tout, elles peuvent toujours être utiles et sollicitées. Comme la plupart des mères, et malgré leur vécu et leur incarcération, elles souhaitent se dévouer à leurs enfants (Lewis, 2002). Il se dégage également du discours une forme de rationalisation permettant de minimiser leur sentiment de culpabilité, car elles sont généralement bien conscientes des risques auxquels elles ont exposé leurs enfants. Enfin, il émerge des propos de plusieurs répondantes un ardent désir de changer, de briser le cycle de transmission intergénérationnelle. Alors qu’elles ont contribué à placer leurs enfants dans des contextes similaires à ce qu’elles ont elles-mêmes vécu et déplorent, leurs enfants s’en sortiront mieux. Ce souhait tend à persister et s’inscrit en continuité avec le désir, largement documenté dans la littérature auprès de mères judiciarisées toxicomanes, de changer leurs pratiques parentales (voir notamment Coyer, 2003 ; Polansky, Lauterbach, Litze, Coulter et Sommers, 2006).

Conclusion

Cette recherche visait à décrire les effets perçus de l’incarcération de la mère sur la relation qu’elle entretient avec ses enfants. L’analyse des résultats souligne d’abord la difficulté de plusieurs femmes rencontrées à se centrer sur l’expérience de ces derniers. La plupart décrivaient spontanément leurs relations en termes positifs, parlant de complicité et d’honnêteté. Toutefois, plusieurs témoignent de relations marquées par des circonstances d’une vie ardue avant l’actuelle détention : la violence conjugale, le placement d’enfants, des absences plus ou moins prolongées de la mère en raison de sa consommation et de ses incarcérations. Leurs propos font état de la perte antérieure de la garde de leurs enfants, de contacts peu fréquents et difficiles. Considérant leurs difficultés relationnelles et celles liées à l’exercice de leur maternité, il n’est alors pas étonnant qu’elles aient parfois plutôt parlé spontanément d’elles et de leurs craintes quant à leur rôle de mère que des enjeux de l’incarcération pour leurs enfants.

Pour les femmes rencontrées, l’incarcération impliquerait bien plus qu’une séparation d’avec leurs enfants. Elle s’apparente à un choc, une blessure distincte, une rupture s’inscrivant dans la relation entre la mère et ses enfants. À l’image de Kenny et al. (2015) où la perte de la garde des enfants est décrite en termes de trauma, les propos des femmes rencontrées laissent entendre que la détention, et ce, même si les enfants ne résidaient pas toujours avec elles avant, s’apparente à un trauma, trauma auquel elles devront faire face, une fois en détention, en utilisant diverses stratégies. Certains travaux ont par ailleurs démontré la difficulté des mères incarcérées à redéfinir et à se réapproprier leur rôle de mère en raison de la détention (Celinska et Siegel, 2010 ; Easterling, Feldmeyer et Presser, 2018 ; Enos, 2001 ; Jensen et DuDeck-Biondo, 2005). Tout en étant abstraite et symbolique durant l’enfermement (Coll, Surrey, Buccio-Notaro et Molla, 1998), la maternité représente une stratégie pour anticiper l’avenir (Couvrette et al., 2016 ; Ferraro et Moe, 2003) une fois qu’elles seront libérées.

Les femmes rencontrées se sont montrées sensibles aux réactions de leurs enfants à la suite de leur récente incarcération, leur propos laissant alors paraître un grand sentiment de culpabilité. Pour elles, la séparation est réelle, longue et souffrante (Foster, 2012). À l’instar des mères rencontrées par Snyder et al. (2002), les femmes rencontrées dans le cadre de notre étude affirment que leurs enfants réagissent fortement à l’incarcération. Elles ont rapporté différentes réactions allant de la tristesse à la colère, allant même jusqu’à une volonté manifestée par l’enfant de rompre tout contact avec sa mère. Alors qu’elles rendent leur détention responsable d’avoir endommagé, et même détruit, leurs relations avec leurs enfants (Plourde, Brochu, Couvrette et Gendron, 2007), elles semblent pourtant assez peu disposées à reconnaître la portée des contextes préalables dans lesquels elles les ont placés. Alors que plusieurs blâment leurs propres mères pour les choix de vie déviants qu’elles ont faits, peu évoquent clairement que ces mêmes choix ont des impacts sur leurs enfants. Toutefois, de façon contradictoire, il existe un souci que les mères rencontrées, toutes sans exception, ont soulevé pour leurs enfants. Elles souhaitent ardemment que leurs enfants ne vivent pas le même mode de vie qu’elles ont mené. Elles aspirent même à être un élément de solution ou de prévention à la délinquance potentielle de leurs enfants, démontrant qu’elles portent en elles les attentes normatives entourant la maternité : être une bonne mère, dévouée au bien-être de ses enfants (Green, 2010 ; Lewis, 2002). En fait émerge l’idée qu’elles arriveront à rompre avec ces « cycles de souffrances » (Greene, Haney et Hurtado, 2000) et les modèles de mauvaises pratiques parentales qu’elles ont eus et qu’elles deviendront l’exemple à suivre.

Certains constats s’imposent pour l’intervention. D’abord et avant tout, la maternité représente un ancrage important pour ces femmes détenues. Cet ancrage est d’autant plus crucial pour elles, une fois qu’elles se retrouvent entre les murs et qu’elles réfléchissent à leurs enfants, laissés à l’extérieur. Miser sur la construction ou la réaffirmation de leur identité de mère fragilisée apparaît alors être un levier motivationnel important dans leurs démarches de rétablissement et de changement (Van Olphen, Eliason, Freudenberg et Barnes, 2009). En raison de la réprobation sociale et le stigma soulevé par leurs comportements déviants passés, il est aisé de saisir, comment pour ces mères, la question de la maternité et plus spécifiquement celle de la nécessité de devenir une bonne mère deviennent centrales. De plus, la reconnaissance de leur volonté de changer des pratiques et leur style de vie pour leurs enfants représente un élément important pour bonifier les programmes d’intervention. C’est pourquoi le maintien des contacts entre la mère détenue et ses enfants demeure incontournable et bénéfique tant pour la relation que pour la réinsertion sociale de la mère (Foster, 2012 ; Michalsen et al., 2010 ; Mignon et Ransford, 2012). En plus d’augmenter la fréquence des visites et de favoriser l’accès des enfants à la prison, divers programmes visant l’acquisition et l’amélioration d’habiletés parentales pourraient être encouragés, rappelant ainsi que les visites entre la mère et ses enfants ne devraient pas servir de privilège puisqu’elles représentent avant tout un droit de la mère incarcérée. De plus, les personnes qui ont soin des enfants durant la détention de la mère ont également besoin de soutien. Il semble primordial de mieux les outiller afin qu’elles soient en mesure de gérer efficacement les réactions et les conséquences des visites pour les enfants, misant alors sur l’idée que si les contacts sont plus fréquents et moins chaotiques, ceux-ci seront plus faciles et profitables pour la mère et ses enfants.

Dans un rapport du Service correctionnel Canada abordant les effets de La création de choix près de 20 ans plus tard, des répondantes ont exprimé beaucoup de frustration en regard des services téléphoniques offerts aux détenues en établissement, notamment en raison du fait qu’elles ne peuvent pas communiquer par cellulaires et qu’elles doivent payer pour leurs communications (Barrett, Allenby et Taylor, 2010). Considérant qu’il s’agit d’un outil précieux pour le maintien du contact entre la mère et ses enfants, il pourrait être intéressant de rendre accessible le téléphone pour de courtes périodes quotidiennes ou régulières, de 5 à 10 minutes, et ce, gratuitement, aux mères d’enfants de 18 ans et moins. Les nouvelles technologies, comme la visioconférence, pourraient également être mises à contribution, toujours dans le dessein de maintenir un lien entre la mère détenue et ses enfants. Enfin, même si des programmes de cohabitation sont offerts dans le monde et semblent être bénéfiques pour l’attachement des enfants (Byrne, Goshin et Joeslt, 2010), leur accessibilité limitée inquiète. Rappelons, tout comme Haney (2013), que le modèle idéal de ce type de programme visant à maintenir les liens mère-enfants se trouve peut-être hors des murs de béton, à l’extérieur de l’enceinte carcérale… Là où une mère détenue serait, avant tout, une mère.

Cette recherche tend à montrer que bien plus qu’une simple séparation d’une mère avec ses enfants, l’incarcération a des conséquences implacables sur la relation entre la mère détenue et ses enfants. Le fait que ces entrevues se sont déroulées il y a plus de 10 ans représente une limite importante de cette étude. Cela dit, le fait que ces entrevues sont encore pertinentes à notre lecture de la situation des mères incarcérées incite à la réflexion quant à la façon dont celles-ci sont intégrées dans le système pénal actuel, à leurs conditions de détention et aux programmes qui leur sont offerts dans les établissements de détention. Si de belles initiatives ont été instaurées ces dernières années, dont la possibilité pour les mères détenues d’enregistrer la lecture d’histoires à envoyer à leurs enfants, d’autres projets favorisant le maintien des contacts devraient continuer à être encouragés mais, surtout, ils devraient être soutenus et financés par les services correctionnels.