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Introduction

L’impact de l’activité humaine sur les sociétés et sur l’environnement devient de plus en plus visible, ce qui exige des entreprises de différents pays de mettre en oeuvre des politiques de développement durable (DD), indépendamment de leur taille. Le DD se traduit au niveau des entreprises en pratiques managériales couramment regroupées sous le vocable de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Celle-ci fait référence à l’intégration dans les entreprises de modèles de gestion économique, sociale et environnementale pour assurer leur durabilité (Jenkins, 2009). Le DD et la RSE ne sont ni un effet de mode ni une simple tendance, mais un enjeu à prendre en considération dans toutes les décisions et à tous les niveaux. Les PME sont restées longtemps écartées des débats relatifs à la thématique, du fait de leur taille modeste. Malgré la prise de conscience collective de leur impact cumulatif à partir des années 2000, les recherches portant sur la RSE des PME restent limitées par rapport à la RSE des grandes structures (Vázquez-Carrasco et López-Pérez, 2013). L’objectif primordial de cet article est de contribuer à l’enrichissement de ce champ de recherche toujours en émergence.

Au fur et à mesure que les recherches se développent, les académiciens ont réalisé l’importance des réalités locales dans l’étude de la RSE des PME (Jenkins, 2004, 2009 ; Labelle et St-Pierre, 2015 ; Vives, 2006 ; Nkakleu, 2016). Plusieurs auteurs ont montré un intérêt croissant pour des contextes peu étudiés notamment dans les pays du Sud, où les réalités relatives à la RSE et aux PME sont particulières (Benaicha, 2017 ; Ben Boubaker Gherib, Spence et Biwolé, 2012 ; Biwolé, 2014 ; Cherkaoui, 2016 ; Elbousserghini, Berger-Douce et Jamal, 2016 ; Frimousse, 2013 ; Hattabou et Louitri, 2011 ; Hniche et Aquesbi, 2015 ; Labaronne et Gana-Oueslati, 2011 ; M’Hamdi et Trid, 2009 ; Nkakleu, 2016 ; Sotamenou, 2014 ; Spence, Ben Boubaker Gherib et Biwolé, 2011 ; Turki, 2014). L’originalité de ce travail réside dans l’adoption d’une démarche de contextualisation qui ne se limite pas à la seule présentation des contextes et du cadre institutionnel d’un contexte donné. En effet, les grilles de lecture élaborées en Occident ne sont pas forcément applicables à tous les contextes, notamment pour une thématique telle que la nôtre, par nature sensible aux réalités locales. De ce fait, Louitri et Sahraoui (2014) proposent « une méthodologie de contextualisation » afin de cerner les problématiques managériales dans leur contexte spécifique.

Nous visons ainsi à poser les jalons de la recherche sur la RSE des PME dans les contextes spécifiques, notamment des pays du Sud. Nous approfondissons l’étude du cas marocain quant à la RSE des PME, afin de mettre en évidence les éléments propres audit contexte. Plus précisément, nous tentons, à travers cet article, d’explorer les institutions formelles et informelles influençant le DD et la RSE des PME marocaines, et d’en identifier les facteurs déterminants. Nous formulons ainsi notre question centrale de recherche : « Quel rôle jouent les réalités du contexte marocain dans l’intégration de la RSE par les dirigeants de PME ? »

L’intérêt d’une étude de contextualisation est de contribuer à la construction d’un « modèle de sciences de gestion » contextualisé qui se rapproche le plus possible des réalités empiriques vécues par les entreprises (Louitri et Sahraoui, 2014).

L’article est structuré en trois parties principales. Nous proposons en premier lieu un cadre conceptuel en mettant en avant le rôle des institutions formelles et informelles ainsi que l’encastrement des PME dans la définition de leur RSE et de ses déterminants. Dans une deuxième partie, nous présentons la méthodologie de la démarche de contextualisation, fondée sur neuf entretiens semi-directifs avec des experts marocains de différents domaines d’influence de la RSE en PME. Enfin, nous mettons en avant, dans une troisième partie, les principaux résultats issus de la recherche.

1. La RSE des PME : quels enjeux pour le contexte local ?

L’objet de cette première partie est de mettre en avant les éléments théoriques essentiels à l’exploration des enjeux des réalités locales dans les questions du DD et de la RSE des PME, et ce à travers la présentation des institutions formelles et informelles les plus influentes.

1.1. L’institutionnalisation de la RSE des PME et l’enjeu du contexte

Le concept de RSE est en cours d’institutionnalisation dans les organisations depuis deux décennies. Une mise en place de lois et règles et la création de normes relatives au DD et à la RSE s’est accentuée suite aux sommets internationaux de Rio en 1992, de Johannesburg en 2002 et de Rio en 2012.

L’institutionnalisation est l’ensemble des « règles, normes et croyances qui décrivent la réalité de l’organisation, expliquant ce qui est et ce qui ne l’est pas, ce qui peut être mis en pratique et ce qui ne le peut pas » (Hoffman, 1999, p. 351). La recherche d’une légitimité et le souhait d’être alignée aux exigences des marchés reviennent comme un moteur d’institutionnalisation (Meyer et Rowan, 1977). Ces pressions et cette recherche de légitimité s’expliquent par les isomorphismes coercitif, normatif, et mimétique définis par Di Maggio et Powell (1983). Ces trois types d’isomorphismes qui s’exercent sur les organisations se traduisent souvent par des règles, des outils, ou des dispositifs de gestion (Gautier, Elbousserghini et Berger-Douce, 2016). Ceux-ci sont les objets qui font le vecteur du changement d’institution au sein d’un champ organisationnel (Scott, 1995), comme cela peut être le cas de la RSE (Gautier, Elbousserghini et Berger-Douce, 2016).

Les institutions influencent les organisations et leurs stratégies. Peng, Sun, Pinkham et Chen (2009) précisent qu’il ne s’agit pas toujours d’institutions formelles, et mettent l’accent sur la dimension informelle des institutions (Tableau 1).

Tableau 1

Les dimensions des institutions influençant les entreprises

Les dimensions des institutions influençant les entreprises
Adapté de Peng et al. (2009), p. 64.

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Pour reconnaître les institutions et leur rôle dans les modèles d’analyse de la RSE, le courant néo-institutionnel s’avère d’une grande utilité. Il met l’accent sur l’ensemble des règles et des valeurs véhiculées par les institutions pour aider à comprendre les comportements des organisations (Labelle, Aka et Pichette, 2013). Les « règles du jeu » à suivre (Dupuis et Le Bas, 2009, p. 85 ; Peng et al., 2009, p. 64) sont une métaphore pour décrire la façon de jouer entre acteurs ou organisations, et qui incorporent souvent une vision normative en définissant les meilleures façons de jouer, à travers les « bonnes » règles, normes ou croyances. Ces organisations sont contraintes par leur environnement (Quairel-Lanoizelée, 2012), que ce soit par le biais des institutions formelles ou informelles.

L’institutionnalisation de la RSE apparaît comme un déterminant des stratégies responsables des entreprises (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2016), même si elle n’exerce pas une pression visible sur les PME (Quairel et Auberger, 2005). Les auteures la considèrent comme « un processus d’actions répétées et d’habitudes qui traduisent des conceptions partagées et qui semblent naturelles ; dans le contexte » (p. 121). De façon déterministe, et d’après cette approche, la survie des entreprises dépend de leur conformité aux règles et normes en vigueur (Ben Boubaker Gherib, Spence et Biwolé, 2012) dans chaque contexte donné. Ces règles à respecter pour « jouer le jeu » sont définies par les institutions régulatrices, normatives et cognitives. D’après Labelle Aka et Pichette (2013), les institutions régulatrices sont les structures formelles, à savoir les lois, les organismes de surveillance, les normes et standards industriels et commerciaux, tels que les séries de l’ISO, ainsi que les exigences normalisées faites aux entreprises, comme les plans d’affaires. Pour les institutions normatives, ce sont les dimensions culturelles d’une société qui se construisent par les valeurs et les normes sociales. Quant aux institutions cognitives, elles reflètent les cadres mentaux d’où sont issues les interprétations subjectives des règles et des valeurs sociales.

Pour les PME, l’approche néo-institutionnelle de la RSE vise la recherche d’une « nouvelle image convenable », allant dans le sens d’une recherche de légitimité interne et externe afin de répondre aux attentes des parties prenantes (Spence, Ben Boubaker Gherib et Biwolé, 2007 ; Wolff et Bosia, 2014). Selon cette approche, la RSE est mobilisée par les dirigeants de PME dans l’objectif d’asseoir leur légitimité auprès de leurs parties prenantes (Suchman, 1995 ; Quairel et Auberger, 2005). Celle-ci est une ressource « symbolique » que l’entreprise est amenée à gérer (Quairel et Auberger, 2005 ; Paradas, 2007). Elle est déterminée subjectivement et varie d’un contexte à un autre. Ce postulat s’explique par le fort encastrement qui caractérise les PME.

1.2. La RSE et l’encastrement des PME

L’encastrement est un aspect qui qualifie bien les PME notamment dans une approche contingente, car il s’aligne avec leur divergence et se manifeste sous différentes formes (Del Baldo, 2006). Granovetter (1985) distingue trois types d’encastrement qui sont « naturellement et très étroitement liés les uns aux autres comme un tricot, et constituent le contexte spatial et temporel de l’activité socioéconomique » : l’encastrement territorial, réseau et sociétal (Obrecht et Rahetlah, 2014, p. 211). Le premier type permet l’ancrage des acteurs dans un territoire ou lieu particulier, avec ses activités économiques et ses dynamiques sociales. Le deuxième fait référence à la relation qui lie l’entreprise ou le dirigeant, aux structures incluant les acteurs du monde des affaires, ainsi que les acteurs institutionnels et les organisations gouvernementales et non gouvernementales. Le troisième type d’encastrement fait référence à « l’arrière-plan culturel, politique ou code génétique qui influence et façonne l’action individuelle et collective… Il reflète aussi la représentation que le système des affaires se fait du cadre institutionnel et régulateur qui affecte, et en partie détermine le comportement des acteurs » (Granovetter, 1985 ; Obrecht et Rahetlah, 2014, p. 211). L’encastrement des PME, sous ses trois formes, pourrait tout à la fois expliquer et favoriser l’expression de considérations plus éthiques qu’économiques envers le développement durable chez les dirigeants de PME (Hattabou et Louitri, 2011). L’effet de proximité (Torrès, 1999) intervient dans ce sens comme caractéristique principale des PME, peu susceptible d’engendrer des ruptures entre l’économique et le social. Cet effet de proximité qui caractérise la gestion des PME (Torrès, 1999) les rend dépendantes des réglementations, des valeurs, de la culture et des normes sociales d’un contexte donné, et accentue leur encastrement, quelle que soit sa forme. Ainsi, leur activité s’y encastre davantage, donnant au territoire de proximité un rôle déterminant (Capiez, 2007). L’étude de la RSE des PME est fédérée par ce principe de proximité (Jenkins, 2006) qui se positionne dans le centre de la définition de la RSE des PME. Il s’avère donc essentiel de s’intéresser aux composants de contexte et de les prendre en considération pour comprendre la RSE des PME. Le contexte définit « la toile de fond » des obligations et des perceptions en matière de RSE, et peut inciter ou contraindre l’entreprise à y adhérer (Labelle et St-Pierre, 2015). Selon Lefebvre et Radu-Lefebvre (2012), le système de valeurs du pays, les attentes spécifiques du secteur, les pressions de la communauté et des pairs ainsi que le niveau de bien-être du pays sont des facteurs déterminants du comportement socialement responsable dans les PME. Ce postulat rejoint les résultats de plusieurs travaux ayant montré la dépendance de la RSE en PME aux réalités locales (Biwolé, 2014 ; Coppa et Sriramesh, 2013 ; Elbousserghini, Berger-douce et Jamal, 2016 ; Spence, Ben Boubaker Gherib et Biwolé, 2011 ; Turki, 2014 ; Vives, 2006). La société définit ce qui est attendu de l’entreprise pour qu’elle obtienne une acceptation sociale, qui se renforce par le capital social du dirigeant fondé sur la confiance (Labelle et St-Pierre, 2015 ; Obrecht et Rahetlah, 2014). C’est ainsi que l’entreprise acquiert une légitimité auprès de son environnement proche. La légitimité se définit selon les attentes qui varient en fonction des territoires, ce qui peut justifier les différences dans la RSE soulevées dans différents contextes (Labelle et St-Pierre, 2015). Dans ce sens, un nombre grandissant de travaux prennent de plus en plus en compte l’aspect contextuel des pratiques de RSE et tentent de comprendre le rôle des valeurs dominantes d’un territoire donné (Frimousse, 2013). Nous citons, à titre illustratif, les travaux d’Azmat et Samaratunge (2009) qui ont porté sur le Nigéria, le Kenya et la Zambie, et ceux de Turki (2014) qui se sont intéressés à la comparaison de l’engagement des PME avant et après la révolution tunisienne de 2011.

Pour le cas du Maroc, nous avons l’ambition de construire une base pour les études futures qui porteront sur des cas de PME responsables, dans ce contexte précisément, ou dans des contextes similaires.

2. Aspects méthodologiques

L’influence des valeurs locales sur les stratégies RSE des entreprises est non négligeable. Biwolé (2014) met l’accent sur la culture nationale et la religion d’un pays et sa détermination de l’idéologie économique comme déterminant de la RSE. Il est donc important de s’intéresser aux spécificités du contexte local avant de s’attarder sur les problématiques managériales relatives à la RSE, notamment pour des structures comme les PME, dont l’encastrement est fort.

2.1. Échantillon de l’étude

Les résultats des recherches de D’Iribarne (2008) sur le management dans les pays du Sud recommandent d’appliquer, pour chaque contexte culturel, une approche du management adaptée à la conception de l’homme et de la société qui domine localement, et ce afin d’interpréter la connaissance en fonction du contexte où elle existe (Louitri et Sahraoui, 2014). Pour ce faire, nous adoptons une démarche de contextualisation (Sahraoui, 2011 ; Louitri et Sahraoui, 2014) afin d’adapter au mieux les grilles de lecture issues majoritairement des recherches occidentales relatives à la RSE des PME à la réalité marocaine. L’objectif est de confronter les comportements organisationnels ou problématiques managériales aux constantes sociales qui constituent la culture marocaine.

Notre démarche de contextualisation consiste à identifier les spécificités culturelles pour mieux cerner la question de la RSE dans les PME marocaines. La méthodologie de contextualisation se fonde sur la théorie des représentations sociales afin de « comprendre comment une société “pense” à propos d’un domaine, d’un objet déterminé, à partir de la façon de voir et de penser des membres de la société » (Louitri et Sahraoui, 2014). La représentation sociale est présentée par Abric (1994) comme un noyau et ses éléments périphériques qui sont susceptibles de changer. Louitri et Sahraoui (2014) considèrent cette voie encore plus intéressante dans le contexte du fait qu’il soit en perpétuel mouvement. En s’appuyant sur les principes de cette théorie, les auteurs recommandent de procéder par des entretiens semi-directifs avec des experts marocains afin de définir les variables de base qui constituent le modèle managérial marocain, et d’en identifier les spécificités historiques, éthiques, politiques, sociales et humaines marocaines. Dans cette optique, nous avons mené neuf entretiens semi-directifs avec neuf experts marocains de différents domaines, de décembre 2015 à mars 2016, que nous avons, nous-mêmes, jugé experts en RSE à travers leurs position et travaux sur la thématique. Le qualificatif « expert » leur est attribué selon leurs statuts et leurs rôles de consultants, sollicités également comme experts par leurs confrères dans le domaine ainsi que par les médias, sans pour autant acquérir ce statut officiellement. Ces experts relèvent de cinq principales catégories touchant directement les questions du DD et de la RSE au Maroc à savoir, le cadre législatif et politique, le représentant des entreprises au Maroc étant lui-même concepteur du label RSE, les consultants en RSE, la société marocaine et la religion musulmane. Chaque guide d’entretien débute par une phase générale qui concerne le domaine de compétence de l’expert, puis par la suite, les questions portent sur des dimensions spécifiques qui relient son domaine d’expertise avec le DD et la RSE dans les PME, telle que se veut la méthodologie de contextualisation (Louitri et Sahraoui, 2014).

Ces entretiens débutent par une phase générale qui concerne le domaine de compétence de l’expert et sa relation avec la thématique du DD et de la RSE. Ensuite, les questions s’orientent vers des dimensions spécifiques qui relient le domaine d’expertise de l’interviewé avec l’entreprise, et spécialement la PME, son dirigeant et ses pratiques RSE.

En premier lieu, nous avons pris contact avec les personnes disponibles pour répondre au guide d’entretien. À travers ces personnes-ressources, il était possible par la suite de fonctionner par effet « boule de neige », c’est-à-dire qu’à la fin de l’entretien, nous demandions aux répondants de nous indiquer d’autres personnes concernées par cette recherche et qui seraient prêtes à nous accorder un entretien (Combessie, 2007). Le tableau 2 regroupe l’ensemble des experts interrogés, les justificatifs de leur choix ainsi que les principales thématiques que nous avons abordées lors des entretiens.

Tableau 2

Présentation détaillée de l’échantillon

Présentation détaillée de l’échantillon

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2.2. Méthode de collecte des données

Les entretiens semi-directifs avec les experts interrogés ont duré entre 40 et 100 minutes. Ils ont tous été enregistrés, retranscrits et analysés par thématiques par la technique du codage avec le logiciel NVivo 7. Le tableau 3 liste l’ensemble des thématiques abordées avec les experts pendant les entretiens.

Tableau 3

Les thématiques abordées avec les experts pendant les entretiens

Les thématiques abordées avec les experts pendant les entretiens

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Nous avons procédé à une triangulation des données (Wacheux, 1996), entre les données primaires issues de ces entretiens et les secondaires issues des travaux antérieurs portant sur le Maroc (revues de presse, sites internet, rapports officiels). L’encadré 1 représente les principales thématiques issues de l’analyse. Nous avons identifié les principales thématiques qui émanent des institutions formelles et informelles et qui définissent la RSE des PME au Maroc.

Encadré 1. Principales thématiques d’analyse de l’étude contextuelle

  • Politiques publiques

Prise de conscience

Constitution

Discours publics

Lois

Points de blocage

Impacts

Positionnement international

Sensibilisation

  • Société

Connaissance du DD

Conscience de l’importance du DD

Droit de l’homme

Position des femmes

Respect de l’environnement

Pratiques sociales

Traditions et DD

Points de blocage

Perceptions religieuses

  • Religion musulmane

Relations avec les autres espèces

Gaspillage

Relations dans les marchés

Relation patron-salarié

Respect de l’environnement

Relations sociales

  • RSE

Compréhension des dirigeants

Dirigeants

Entreprises

Société et RSE

Freins

Apports des politiques publiques

  • Label RSE

Approche générale du label

Intégration des PP

Conception

Lancement

Coût

Motivation pour la création

Spécificité du Maroc

Recommandations aux entreprises

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Nous avons analysé les résultats issus de notre analyse en deux principaux axes, suivant les dimensions des institutions proposées par Peng et al. (2009). Le premier axe est relatif aux institutions formelles de la RSE, il met en avant l’état des lieux du DD et de la RSE au niveau institutionnel marocain. Quant au deuxième axe, il se focalise sur la RSE des PME d’un point de vue des institutions non formelles qui influencent la RSE dans les PME marocaines et qui sont les volets social et religieux.

3. Résultats de l’étude contextuelle

Pour présenter les résultats de cette recherche, nous les avons regroupés en trois principales catégories. La première est relative à la dimension institutionnelle formelle, la deuxième est liée à la dimension informelle de la RSE et du DD au Maroc, quant à la troisième, elle met en évidence les principaux déterminants de la RSE dans les PME marocaines, en fonction de ces dimensions formelle et informelle.

3.1. Le DD et la RSE au niveau institutionnel formel marocain

Au niveau institutionnel formel, le DD et la RSE se concrétisent dans les politiques publiques mises en place par l’État marocain et dans le processus d’institutionnalisation que connaît la RSE au Maroc.

3.1.1. Les politiques publiques pour le DD

Depuis le début des années 2000, l’économie marocaine connaît une ouverture sans précédent. Elle s’est concrétisée avec l’arrivée des filiales internationales et leurs partenariats avec les entreprises locales, ce qui a accéléré l’introduction de la RSE. Son développement a été soutenu et renforcé par une multitude de grandes réformes et projets institutionnels, juridiques et économiques relatifs au DD. L’engagement du Maroc en la matière s’est intensifié à partir des années 2000 par la ratification de la Convention de Johannesburg en 2002. En 2003, un arsenal juridique a été mis en place pour contraindre par la loi à la protection et à la mise en valeur de l’environnement. En 2004, le Code du travail a été promulgué par la loi no 65-99 pour assurer de meilleures conditions de travail aux employés et garantir une meilleure productivité aux entreprises. En 2005, le roi Mohammed VI a lancé l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), qualifiée d’« innovation institutionnelle marocaine » (E1). Elle se fonde sur une nouvelle philosophie et un nouveau style de management. Elle vise la réalisation de projets sociaux afin de lutter contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Le pays a procédé par la suite à l’élaboration d’une charte nationale pour le DD en 2009 pour concrétiser la stratégie du développement et favoriser l’équilibre entre l’environnement, la société et l’économie. En 2013, le gouvernement marocain « s’est enrichipar la mise en place d’un ministère délégué chargé de l’environnement pour concrétiser la volonté nationale à protéger l’environnement » (E1).

En 2010, une loi pour les énergies renouvelables a été promulguée pour répondre à l’impératif du respect de l’environnement. La première concrétisation de cette stratégie est la centrale solaire « Noor I » inaugurée en 2016 et, dont l’extension est programmée en trois étapes, pour en faire la plus grande centrale solaire au monde. La problématique de l’eau est très présente dans la stratégie marocaine de DD. La qualité ainsi que l’accès à l’eau sont des contraintes à gérer du fait que le pays est proche du seuil de stress hydrique majeur. Plusieurs programmes de gouvernance des ressources en eau ont été lancés depuis 1995 pour préserver les ressources hydriques. L’ensemble de ces réformes témoignent du passage du Maroc d’une logique pure de croissance, à une logique de développement à la fois humain et durable à travers de grands projets de développement (Hniche et Aquesbi, 2015).

Ces politiques nationales ont été soutenues par la société civile. Plusieurs associations se mobilisent pour la promotion du DD au Maroc à travers des actions environnementales et sociales multiples. Pour la promotion de la RSE, quelques associations professionnelles assurent la communication sur le sujet auprès des entreprises, elles essaient « d’avoir au moins un débat sur le terrain, de lancer la réflexion pour créer de la sensibilité…, mais il est temps de passer à la pratique » (E5). Cette mobilisation en faveur de la RSE reste insuffisante et « le travail des associations reste très faible au niveau de la RSE » selon E2.

3.1.2. L’institutionnalisation de la RSE

Au niveau des entreprises, le discours royal aux Intégrales d’investissement en 2005 a clairement invité les entreprises marocaines à se responsabiliser. Il était hautement symbolique de l’engagement des autorités en faveur du DD et la RSE (Hniche et Aquesbi, 2015) et est considéré comme la naissance institutionnelle de la RSE au Maroc.

Les PME, comme les grandes structures, ont été concernées par ce mouvement. Les mutations du marché national ont engagé le Maroc à mettre en oeuvre une série de programmes pour soutenir les dirigeants face à ces grands changements, essentiellement à travers l’ANPME (Agence nationale pour la promotion de la petite et la moyenne entreprise). L’objectif était de moderniser la PME marocaine pour qu’elle puisse faire face à la concurrence internationale à travers plusieurs programmes d’appui. Ceux-ci couvrent une grande partie des problématiques de gestion afin de moderniser les petites structures, et ciblent des aspects environnementaux et sociaux afin d’inscrire les entreprises dans la démarche responsable (Benaicha, 2017). Dans ces conditions et dans la même lignée, il a fallu donner une visibilité et une distinction aux entreprises marocaines. La CGEM a ainsi créé le label RSE. La confédération a conçu un projet de charte, qu’elle a amélioré au fur et à mesure en consultant les entreprises, les partenaires sociaux, les ONG, les organismes internationaux, le Bureau international du travail… La charte a été officiellement adoptée en 2006, une « époque où personne ne savait ce que c’était la RSE… Le label est une reconnaissance de la CGEM de l’engagement des entreprises dans le DD » (E4). Il y a eu une traduction de la charte qui s’est déclinée en objectifs en fonction desquels les entreprises sont évaluées par des cabinets de conseil expert dans le domaine. « Le label CGEM répond aux critères universels de la RSE » (E4) et évalue les réalisations des entreprises en s’adaptant aux réalités du contexte, tout en corrigeant certaines problématiques saillantes de la société marocaine comme « l’intégration des handicapés dans le milieu professionnel … ainsi que l’égalité des genres » (E5). Ces questions d’égalité et de diversité ont attendu l’intégration de la notion de RSE dans les discours au Maroc pour qu’elles soient abordées par les grandes entreprises multinationales qui y sont implantées (Igalens et Sahraoui, 2010). En revanche, le milieu professionnel marocain reste « bloqué » par rapport à ces thématiques. L’égalité des genres n’est pas assez intégrée dans la société, dans les administrations et les entreprises marocaines où la mentalité masculine est prégnante et empêche les femmes de « se libérer » à cause d’une « interprétation masculine de la religion » (E8). Les sociétés maghrébines se distinguent par une domination de l’homme et un rôle d’éducation et de socialisation pour la femme (Frimousse et Peretti, 2006). « Les femmes dans des postes à responsabilités sont limitéesles valeurs sociales n’aident pas la femme à prendre des initiatives » (E8). « Il y a eu un grand progrès depuis les années 1960, mais l’égalité au niveau des entreprises n’est pas encore bien intégrée… » (E7). Concernant les personnes en situation de handicap, elles ne sont pas totalement acceptées ni dans la société ni dans les entreprises. Un expert souligne que les quelques dirigeants qui dépassent ce préjugé et recrutent des handicapés le font par souci d’éthique et conviction personnelle : « … même leurs familles ne les acceptent pas… il ne faut pas attendre que les patrons les acceptent… Ceux qui recrutent des handicapés c’est par éthique… Un patron pensera que ce handicapé bloquera la production et pensera à lui donner de l’argent sans un travail en contrepartie » (E7).

La CGEM assimile la démarche RSE à une approche d’amélioration continue, notamment pour les PME. Elle est relative à plusieurs critères comme la taille de l’entreprise, le secteur d’activité ou la région d’implantation… Elle s’inscrit dans une démarche d’accompagnement pour l’amélioration des performances en fonction des recommandations de l’évaluateur. Dans ce sens, E4 définit la vision de la CGEM par rapport à la RSE : « C’est une politique qui va dans le cadre de l’amélioration continue. Tant que tu respectes la loi et tu augmentes tes performances… La première fois dans le label je ne vais pas être très exigeant, je le serai plus au renouvellement. »

Un expert propose deux lectures possibles à ce label (E2). Premièrement, il s’inscrit dans « la progressivité », tel qu’il est visé par son concepteur. Deuxièmement, il est condamné par la stagnation, car « il ne lève pas les standards, ce qui peut accuser ce label de manque d’ambition » (E2).

La principale difficulté soulevée par l’ensemble des experts interrogés est la définition de la RSE auprès des entrepreneurs dirigeants marocains. D’après la CGEM, il existe une grande confusion entre la RSE et la philanthropie. Il a fallu, simultanément, diffuser le concept et le réajuster à travers des conférences et des formations gratuites au profit des entreprises intéressées. Aujourd’hui, la CGEM note une véritable prise de conscience et un intérêt des entreprises pour les démarches de RSE parce qu’elles en perçoivent l’impact positif sur leur productivité et leur compétitivité. Le nombre croissant des entreprises labellisées en témoigne, il est passé de 8 en 2007 pour atteindre 78 entreprises en 2016. Concernant les PME, le nombre des labellisées ne dépasse pas six entreprises en 2016. Elles ont tendance à être responsables intuitivement et n’optent que rarement pour une formalisation de leurs démarches. Elles sembleraient être au dernier rang à cause de la faible formalisation des procédures (E1, E2 et E6). Les PME marocaines seraient donc peu influencées par les institutions formelles de la RSE. Qu’en est-il des institutions informelles ?

3.2. Le DD et la RSE au niveau institutionnel informel marocain

Quant au niveau institutionnel informel, le DD et la RSE sont définis par la perception de la société marocaine et sa religion dominante, qui déterminent considérablement la RSE des PME au Maroc.

3.2.1. La société marocaine et le DD

Du point de vue des sociologues, le discours relatif au DD et à la RSE est adopté par « une élite sociale » (E7) influencée par le développement occidental relatif à la thématique. Généralement, le Marocain vit dans des contraintes, principalement économiques, qui l’empêchent de penser à l’environnement dans son sens large. Une personne ayant comme seul souci « la recherche de son repas au jour le jour, ne peut penser ni au lendemain ni aux générations futures » (E8). Le Marocain se comparerait au citoyen de pays occidentaux où la consommation individuelle est beaucoup plus importante, ce qui l’encourage à ne voir « aucun intérêt dans la réduction de ses consommations qui n’ont pas d’impact d’après ses estimations personnelles » (E7). Cette situation est comparable à celle des chefs d’entreprises marocains qui ne considèrent pas avoir une industrie très polluante en se comparant aux pays industrialisés, d’où la difficulté de les convaincre de l’impact de leur activité. Ces dirigeants sont des citoyens marocains ayant généralement « une vision de court terme, ne s’intéressant ainsi qu’à leur environnement proche interne et externe » (E7) à cause d’une multitude de contraintes quotidiennes qui les empêchent de penser au futur lointain. Nous rejoignons sur ce point Hniche et Aquesbi (2015) qui soulignent à leur tour la faible prise de conscience des consommateurs et des citoyens en général quant à l’importance des questions sociales et environnementales.

Malgré la modernité observée dans la société, on ne peut parler de valeurs sociales au Maroc en dehors de la religion, où les principes de DD et de RSE sont omniprésents. « Une grande partie des Marocains n’identifie pas de lien de causalité entre les problématiques environnementales et les pratiques humaines, et préfère lier ces enjeux aux croyances religieuses musulmanes. » (E8) Certains Marocains, malgré un niveau intellectuel modeste, adoptent des pratiques prouvant leur intérêt pour les questions de DD par conviction religieuse. À titre d’exemple, « à la fin du repas, les restes alimentaires servent à nourrir les animaux par conviction religieuse. Cela reflète une forte conscience qui existe dans la culture, mais qui commence à disparaître chez les nouvelles générations » (E8).

3.2.2. La religion musulmane et les principes de RSE

L’Islam, comme toute autre religion, est susceptible de jouer un rôle dans le fonctionnement des entreprises, du fait qu’il contribue à « modeler l’univers mental au sein duquel le management prend sens » (D’Iribarne, 2007). « La religion musulmane est partie prenante de la culture marocaine » (E8). À ce titre, elle intervient dans les principaux sujets relatifs au DD et à la RSE.

Au niveau de la relation avec la nature et les autres espèces, l’Islam incite au respect de l’autre (D’Iribarne, 2007), et « détermine clairement la relation que doit avoir l’être humain avec la planète » (E9). Les êtres humains sont appelés à préserver la nature et à respecter les animaux et leurs milieux. C’est une relation « d’usufruit, de profit et non de possession qui lui interdit ainsi toutes sortes de gaspillage… La planète n’appartient pas aux humains qui y sont de passage. Ils ont intérêt à la préserver pour leurs enfants » (E9).

« Pour une solidarité sociale, l’Islam a imposé la “Zakate” », ou l’aumône légale, troisième pilier de la religion musulmane. C’est une obligation pour tout musulman possédant une richesse minimum qui doit être versée deux fois par an. Elle représente « une charité qui purifie les possessions du musulman et lui rappelant que la richesse doit être partagée et qu’elle ne lui appartient pas à lui seul » (E9). Le jeûne, quatrième pilier de la religion musulmane, est un moyen de mettre « les riches et les pauvres à pied d’égalité en sentant les mêmes souffrances de faim et de soif » (E9). Le but est d’inciter les riches à sentir la souffrance de la faim de manière à créer une solidarité sociale. Dans une étude sur le management de la qualité totale (TQM) et l’Islam dans les entreprises marocaines, D’Iribarne (2007) évoque le proverbe de religion : « il faut chercher à apprendre même en Chine ». Il explique qu’il est louable d’aller au-delà de ses frontières pour demander à étudier, à savoir et à connaître, et inscrit cette posture dans une logique d’amélioration continue. Pour la relation entre l’employeur et ses salariés, elle se traduit dans la religion musulmane par une relation de « fraternité et d’égalité. Le salaire doit être connu avant que l’employé ne commence son travail, et qu’il soit payé immédiatement après l’exécution de la tâche. L’imposition d’un travail au-delà de ses forces est interdite. » (E9)

Dans le cas où on se trouve dans cette situation, l’employeur « compense » le salarié « par un salaire supplémentaire » (E9). Le droit de l’employeur est également reconnu par la religion musulmane qui « impose aux salariés d’accomplir leur travail minutieusement et sans retard » (E9) pour ne pas porter préjudice à l’employeur. Le respect des lois est assuré en Islam par la notion de « “Hisba” qui signifie l’inspection générale » (E9). Elle est définie par Ibn Khaldoune[1] comme « commander le bien et réprimer le mal ». Cette notion stipule que l’autorité doit nommer des inspecteurs compétents pour veiller au respect des lois morales islamiques, combattre les fraudes commises par les commerçants et garantir l’ordre sur les marchés (au niveau des marchandises, des prix, des relations entre concurrents ou entre employeurs et employés).

Formellement, les institutions marocaines, notamment la CGEM, rejettent tout lien entre la religion musulmane et les pratiques RSE. Ceci s’explique par le fait qu’ils « préfèrent employer le mot “éthique” que “religion”… n’oubliez pas qu’une élite au Maroc est en partie francophone, formée en France qui est un pays laïque… je pense qu’on est influencé par ça, même si on est des fois des pratiquants, mais on est influencé par ça et on essaie d’éviter de mélanger la religion avec la pratique du business » (E5).

3.3. Les facteurs déterminants de la RSE des PME au Maroc

Le cadre institutionnel formel de la RSE au Maroc s’est enrichi par la ratification du Maroc de plusieurs lois et textes internationaux et par l’institutionnalisation de la RSE qui a émergé au milieu des années 2000. Le principal objectif de ces institutions formelles de la RSE est d’aligner cette dernière sur les standards internationaux. Ces lois, normes et standards RSE sont méconnus et peu appliqués par les PME. La solution semblerait être « le changement de paradigme dans la gestion de la chose publique » (E1). Étant « très présent au Maroc, l’État doit être très engagé dans la RSE si on veut qu’elle se développe » (E5). Il doit « impulser la RSE pour convaincre les entreprises… Pour un pays en voie de développement tel que le Maroc, l’État est amené à élever les standards légaux pour assurer le respect des droits fondamentaux. » (E2) Un expert souligne qu’aucune commune ou mairie n’a de service dédié à l’environnement, ce qui reflète le manque d’encouragement de l’État à la RSE, malgré ses enjeux reconnus par les pouvoirs publics (E7). « Le DD est un droit aux citoyens marocains tel que la Constitution le détermine dans l’article 31… Les lois relatives aux volets du DD sont présentes dans la législation marocaine…, mais leur application et leur suivi posent toujours problème. » (E3) Il serait pertinent de penser à « contextualiser » les standards RSE aux entreprises marocaines, dont la majorité sont des PME, pour qu’ils soient plus adaptés à leurs réalités, avant de veiller à leur application. Du côté des PME, la RSE est très présente dans leur management, mais sous une forme différente des standards internationaux. Elle est synonyme de philanthropie et de bienfaisance, et est animée par une recherche du dirigeant d’une légitimité et d’une reconnaissance sociale. Les PME marocaines ne se sentent pas concernées par les lois et textes du DD et des standards RSE. Elles vivent dans des contraintes économiques les empêchant de penser à l’environnement au sens large (générations futures, écologie…). Le tableau 4 résume l’institutionnalisation formelle et informelle de la RSE des PME en contexte marocain.

Tableau 4

Dimensions des institutions de la RSE des PME au Maroc

Dimensions des institutions de la RSE des PME au Maroc

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4. Discussion

De ces premiers résultats de notre étude de contextualisation, nous pouvons déduire comme principal postulat, le fait que l’institutionnalisation informelle de la RSE des PME soit plus puissante que l’institutionnalisation formelle. Ceci pourrait s’expliquer par la faible proximité entre les PME et les institutions formelles de la RSE, contre une proximité plus forte entre les PME et les institutions informelles de la RSE au Maroc. Les institutions informelles seraient ainsi un important facteur déterminant de la RSE en PME marocaines. Nous proposons comme élément explicatif potentiel de ce postulat, les spécificités managériales des PME marocaines et leur rapport avec la RSE, découlant de cette recherche ainsi que d’autres travaux ayant porté sur le management des PME en contextes marocain, maghrébin et africain. Au Maroc, le dirigeant d’entreprise, notamment de PME, est l’archétype d’une forte hiérarchie et d’une centralisation du pouvoir chez « le patron qui décide de tout » (E5). Entre employeurs et travailleurs, la relation se base davantage sur « les liens sociaux que sur les compétences, et dépasse le contrat de travail. Le fait de manger ensemble ou de se nourrir de l’argent/l’effort de l’autre, signifie dans l’esprit du Marocain un engagement envers l’autre » (E8). Dans les relations avec les clients et fournisseurs, tout est basé sur « la confiance et le sérieux » (E8). Le rapport économique et juridique est très faible, voire inexistant dans ces relations. Les dirigeants sont dans le développement de stratégies de confiance envers les partenaires ayant un « capital symbolique qui est la réputation » (E7). Ceci peut s’expliquer par un « art de vivre » qui existe dans les pays du Maghreb, fondé sur la « hchouma » (pudeur et honte) et une recherche d’un sentiment de l’honneur (Frimousse et Peretti, 2006). En PME, « les relations sont très directes et affectives et se caractérisent par une autorité traditionnelle basée sur l’affectif et la non-rationalité. Même les nouvelles entreprises modernes n’ont pas encore dépassé ces liens affectifs, l’attachement à la culture où les liens sociaux sont très présents restent toujours aussi forts. » (E8) Nous rejoignons ainsi les apports des chercheurs sur les transactions managériales au Maroc qui sont basées essentiellement sur la confiance, l’instinct, la solidarité, les valeurs familiales, claniques et tribales (Louitri et Sahraoui, 2014). Le « jeu affectif » est très présent dans les relations managériales marocaines qui dépassent souvent le cadre du travail (Benabdejlil, 2007). Dans les pays du Maghreb, Frimousse et Perreti (2006) soulignent l’existence d’une forte dépendance de l’individu à l’égard du groupe. En contrepartie de cette pression, le groupe fournit la solidarité et un sentiment d’appartenance à ses membres et une fidélité à la tradition. En effet, Spence, Ben Boubaker Gherib et Biwolé (2011) soulignent que dans de nombreux pays africains, il existe un esprit d’entreprise commun. Les propriétaires se sentent naturellement responsables non seulement de leurs employés, mais aussi des familles de ceux-ci. Le contexte culturel africain est particulier en raison d’une GRH marquée par un management autoritaire, et par un paternalisme qui se matérialise à travers « l’allégeance du salarié au pouvoir du dirigeant contre sa protection » (Nkakleu, 2016). Ce fait apparaît comme un levier de coopération au travail et d’implication des salariés dans les PME africaines (Nkakleu, 2016). Au Maroc, le dirigeant est souvent considéré comme un père pour son équipe. Il forme, oriente, conseille, protège, félicite et sanctionne (Louitri et Sahraoui, 2014). C’est « la famille élargie » qui est liée par l’appartenance ethnique, la langue et la religion. L’effet de proximité (Torrès, 1999) peut également expliquer ce fait. Plus l’entreprise grandit et moins il y a d’effet de proximité, ce qui rend les rapports affectifs et émotionnels moins présents. Le type de relations change avec l’augmentation de la taille, ce qui conduirait à un changement dans la nature de l’engagement responsable de la firme (Lepoutre et Heene, 2006). Nous retrouvons également la bonne intention que veulent prouver les dirigeants auprès de leurs parties prenantes. Celle-ci est une variable importante dans le management des entreprises au Maroc, et peut même remplacer l’engagement par écrit dans les relations managériales. Elle est reconnue au Maroc comme « un gage du bon déroulement des différentes transactions » (Louitri et Sahraoui, 2014, p. 97).

Conclusion

À l’issue de cette recherche, nous retenons des éléments synthétisant nos apports et perspectives. L’objectif de cet article était de mettre en lumière une étude contextuelle de la responsabilité sociale des PME au Maroc pour faire ressortir les facteurs déterminants.

Les apports théoriques sont fondés sur l’examen des institutions formelles et informelles de la RSE des PME au Maroc. Les premières sont d’une grande richesse en termes de lois, de textes et de standards RSE, mais souffrent d’une faible connaissance et d’une application limitée, ce qui leur donne peu de pouvoir dans la détermination des démarches responsables des PME. Quant aux institutions informelles, elles se retrouvent plus puissantes et plus déterminantes de la RSE des PME marocaines. Celle-ci serait ainsi plus alignée sur la philanthropie, la bienfaisance et les valeurs sociales et religieuses chez les dirigeants marocains qui veulent « se montrer bons » par des pratiques responsables. Ce résultat se justifie par la spécificité du management au Maroc déduite aussi bien de cet article que dans d’autres recherches antérieures. Ce résultat s’explique également par la grande importance accordée à l’image que donne l’individu à sa société et par la recherche de la légitimité et de la conservation de la réputation. Le mode familial de relations, caractéristique du management en PME, donne une base à la gestion par la confiance et la bonne intention. Nous retenons comme principal apport de cette étude de contextualisation que les institutions informelles de la RSE seraient plus significatives pour les PME que les institutions formelles. L’effet de proximité (Torrès, 1999) qui caractérise le management des PME peut être considéré comme un élément explicatif de la puissance des institutions informelles de la RSE en PME. Dans ce sens, nous proposons comme perspective de recherche prometteuse des études qui se baseront sur les résultats de cet article et mobiliseront des cas de PME marocaines. Leur objectif serait d’examiner l’éventuel rôle de la proximité, d’une part, et de mettre en avant le type de proximité qui intervient le plus dans la relation entre les PME et les institutions, formelles et informelles, de la RSE au Maroc, d’autre part.

D’un point de vue pratique, cette recherche permet aux institutions formelles un rapprochement de la réalité de la RSE des PME. Nous soulignons un réel besoin d’incitations de la part de l’État marocain. Le secteur public est amené à donner l’exemple aux entreprises privées, en commençant par la responsabilisation de l’administration publique, la veille sur l’application des lois relatives au DD et à la RSE, l’insertion des notions du DD et de la RSE dans les formations fondamentales et universitaires, le soutien de la recherche scientifique dans le champ du DD, la sensibilisation du secteur privé via les réseaux professionnels, la multiplication de programmes efficaces de soutien et d’accompagnement des PME souhaitant aller dans la voie du DD… Nous invitons les institutions formelles de la RSE au Maroc à mettre en place des démarches de sensibilisation et d’accompagnement en faveur des PME. Le poids de celle-ci ainsi que leur rôle aussi bien économique que social devrait les placer au coeur des préoccupations publiques quant à la question du DD.

Les faiblesses soulignées à ce niveau forceraient-elles la considération des PME qui suivent des démarches formalisées de RSE comme des entreprises proactives en la matière ? Le cas des PME labellisées pourrait-il être réducteur de la réalité des PME marocaines responsables ? L’ensemble de ces questionnements représentent des pistes de recherches prometteuses.

Sur le plan théorique, nous n’ignorons pas l’aspect déterministe de la théorie néo-institutionnelle, principale théorie mobilisée dans cette recherche. Il serait intéressant de la combiner à d’autres théories à savoir la théorie de la dépendance à l’égard des ressources, ou encore à la théorie des parties prenantes (Ben Boubaker Gherib, Spence et Biwolé, 2012), sous le postulat qui stipule la dépendance des PME aux parties prenantes qui détiennent les ressources indispensables à la survie ou au développement.

Sur le plan méthodologique, nous soulignons que cette étude de contextualisation ne constitue qu’une base pour les recherches futures qui porteront sur la RSE des PME dans des contextes similaires au Maroc, n’intégrant pas les dirigeants de PME, malgré la place centrale qu’ils occupent. Ceci constitue une forte limite à ce travail, au-delà du nombre limité des experts interrogés. Ainsi, il serait judicieux d’élargir l’investigation en mobilisant des cas de PME marocaines et en interrogeant leurs dirigeants, pour mettre en évidence les résultats tirés de cette recherche. Ensuite, nous proposons des approfondissements de recherches futures portant sur d’autres contextes spécifiques comme la Tunisie, la Guinée ou le Liban.