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L’historique de cette école-chercheur

Du 3 au 11 mars 2016 se tenait à Puy Saint-Vincent l’école thématique du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) « SCEnarisations, Modélisations et SImulations spatialisées pour le Territoire » (SCEMSITE), avec une trentaine de jeunes chercheures et chercheurs confirmés provenant d’un large éventail d‘institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche : universités, écoles d’ingénieurs, CNRS, Institut national de la recherche agronomique (INRA), Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), Institut de recherche pour le développement (IRD), Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) et une dizaine de membres de l’équipe organisatrice et pédagogique, du CNRS, de l’Université et de l’INRA (SCEMSITE, 2016). Cette école thématique avait pour objectif de fournir aux participants une base de connaissances et de compétences à la croisée de ces trois domaines méthodologiques pour traiter des problèmes émergeants au sein des territoires. Le message général reposait sur le principe que, s’il est nécessaire de coupler ces trois approches (prospective, participation, modélisation spatiale) pour aider à la gestion durable des territoires, il n’existe pas d’approche unique pour y parvenir. Il importait de faire comprendre que chacun des choix méthodologiques dans chacun des domaines peut avoir des incidences méthodologiques sur les autres et qu’il fallait être rigoureux pour assurer la crédibilité, la cohérence et la transparence des scénarios produits. Une présentation synthétique de cette école thématique a déjà paru dans un numéro précédent des Cahiers de géographie du Québec (Houet, 2016).

L’évaluation enthousiaste des participants de la première édition nous a amenés à reconduire l’expérience, cette fois-ci sous l’égide de l’INRA en reprenant les principaux fondements et en les adaptant aux enjeux institutionnels et territoriaux. Ainsi, les acquis des travaux sur le landscape modelling (Houet et al., 2010) et sur la géoprospective (Gourmelon et al., 2012 ; Houet et Gourmelon, 2014) ont été couplés et enrichis des apports en prospective territoriale (Lardon et Noucher, 2016), en Landscape sustainability science (Wu, 2013), en accompagnement des transitions agroécologiques (Duru et al., 2014) et en analyse de la diversité des agricultures dans les territoires (Thérond et al., 2017).

Déroulement de l’école-chercheurs

Cette école-chercheurs s’est déroulée à Mérignac (33), du 4 juin après-midi au matin du 8 juin 2018, en présence d’une vingtaine de participants de divers organismes (INRA, CIRAD, IRSTEA, enseignement supérieur). Coconstruite par l’équipe pédagogique, composée de chercheurs spécialistes en prospective, en approches participatives et en modélisation spatiale, elle était structurée autour de journées successives portant sur chacun de ces trois domaines. Le matin (9h-12h30), les fondamentaux théoriques et conceptuels, agrémentés d’exemples, étaient présentés. L’après-midi (14h-18h), des travaux dirigés avaient lieu en sessions parallèles pour favoriser l’appropriation des compétences en sous-groupes. Afin de bénéficier de la richesse de leurs expériences et d’approfondir l’analyse réflexive de leurs projets de recherche, des séances introductives et conclusives, basées sur l’utilisation de cadres théoriques et méthodologiques, ont permis aux participants de positionner leurs projets de recherche. Les acquis de la précédente école ont facilité cette formalisation. Ainsi, l’école-chercheurs s’est déroulée en cinq séquences, sur cinq jours.

Lors de la première demi-journée, après une courte introduction sur l’historique de l’école et les objectifs visés, les participants ont été invités à se positionner physiquement dans un triangle « prospective, participation et modélisation spatiale » matérialisé dans la salle tout en explicitant le pourquoi de ce positionnement (figure 1). Dans la foulée, un cadrage théorique et méthodologique des trois domaines et de l’intérêt de leur combinaison pour répondre aux enjeux d’une gestion durable des ressources dans un territoire a été mis en débat. Puis, une grille d’analyse des approches de prospective participative basée sur la modélisation spatiale a été proposée comme support de réflexion. Enfin, une séquence apéritive de présentation interactive des projets des participants par des mini-affiches a clôturé la journée (figure 2).

Figure 1

Positionnement des participants dans le triangle « prospective, participation et modélisation spatiale »

Positionnement des participants dans le triangle « prospective, participation et modélisation spatiale »
Source : Lardon et Thérond, 2018

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Figure 2

Des participants en interactions autour de leurs projets de recherche

Des participants en interactions autour de leurs projets de recherche
Source : Lardon et Thérond, 2018

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La seconde journée s’est focalisée sur la présentation des démarches de prospective avec une focalisation sur la construction de scénarios suivant la méthode d’analyse morphologique et la présentation de la prospective Agrimonde-Terra (INRA et CIRAD, 2016). Elle a permis de se familiariser avec les raisonnements de la prospective et de la construction de scénarios possiblement couplés à une démarche de modélisation et simulation. L’après-midi, deux travaux dirigés (TD) sur la construction de scénarios selon la méthode d’analyse morphologique appliquée à la gestion de biomasse dans l’Aude et sur l’étalement urbain ont permis de mettre à l’épreuve les apports théoriques du matin. Les démarches de participation ont été discutées le troisième jour, avec une diversité d’exemples pour, à la fois, appréhender les étapes d’une démarche et développer un regard critique sur les présupposés et les modalités de telles démarches. Les deux TD ont porté respectivement sur un jeu de rôle selon la démarche ComMod (Collectif ComMod, 2005) et un jeu de territoire appliqué à l’alimentation de demain (ACTERRA, TAM et Lardon, 2017). En soirée, les participants ont été invités à positionner ces démarches dans des grilles visant à comparer les méthodes participatives selon leurs objectifs, les échelles traitées, la gestion des jeux de pouvoir, le statut des chercheurs et des acteurs, le rôle des objets intermédiaires.

Les démarches de modélisation spatiale à l’échelle des territoires et les grands enjeux de la modélisation informatique et de validation des modèles ont été présentés le quatrième jour. L’objectif était d’appréhender la gamme des démarches et modèles existants, les conditions de leur utilisation et les façons de simuler et analyser les résultats. Les deux TD ont porté sur la simulation de l’étalement urbain et la modélisation multi-agents de la gestion de l’eau (Thérond et al. 2014). La dernière demi-journée était organisée pour favoriser l’appropriation individuelle et collective des démarches de prospective participative par un retour d’expérience sur sa propre pratique, en petits groupes, et en positionnant sur le triangle « prospective, participation, modélisation spatiale » les points d’attention à retenir à l’issue de cette école-chercheurs. Cette immersion progressive et continue des participants dans l’interdisciplinarité et la transversalité a permis d’assurer leur montée en compétences. Chacun des participants a pu alors mobiliser les connaissances acquises lors de cette école pour discuter, voire (ré)orienter la démarche envisagée initialement en la confrontant aux propositions de ses collègues. Chacun a ainsi pu développer une analyse critique basée sur les différents points de vue exprimés.

Les acquis de l’école-chercheur

Au-delà des apports théoriques et méthodologiques de chacune des interventions et de la mise en pratique lors des ateliers, les apports de l’école-chercheurs ont été triples.

Tout d’abord, l’école-chercheurs a montré non seulement que l’articulation des trois démarches est une question pertinente pour nos institutions et au coeur des enjeux de société relatifs à la durabilité des territoires, mais aussi que cela concerne une grande diversité de disciplines et de métiers. C’est ainsi qu’en combinant expériences concrètes et cadres conceptuels, se sont côtoyés et mutuellement enrichis des chercheurs, jeunes ou expérimentés, provenant des disciplines humaines et sociales et ceux des disciplines plus techniques, du chargé de mission au directeur d’unité expérimentale, du doctorant à l’expert international. Ensuite, l’école-chercheurs a montré que l’apprentissage collectif transcende les frontières disciplinaires et administratives pour focaliser sur l’essentiel, la confrontation de l’expérience et de la théorie, dans une démarche de modélisation croisée (Legay, 1973). Les compétences acquises au cours de l’école ont été variées et n’ont pas touché seulement au savoir, mais aussi au savoir-être et au savoir-faire. Enfin, et ce ne fut pas le moindre bénéfice, l’intelligence collective a produit une image des enjeux et des difficultés de l’articulation des trois domaines méthodologiques, pouvant servir de base à des prolongements futurs, comme cela est détaillé ci-dessous (figure 3).

Figure 3

Des points d’attention pour la transversalité des démarches

Des points d’attention pour la transversalité des démarches

Note : Les couleurs correspondent aux groupes de travail constitués pour débattre des enjeux et difficultés de la combinaison des trois domaines méthodologiques et restitués collectivement.

Conception : Lardon et Thérond, 2018

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Le premier constat commun est relatif à la pertinence de l’articulation des trois domaines. Considérant le temps, les moyens et les compétences disponibles, ainsi que les attentes des acteurs du territoire, il y a un équilibre pragmatique à trouver entre ces trois domaines. Cet équilibre nécessite souvent un décloisonnement disciplinaire et dépend de la volonté scientifique et institutionnelle de portage d’un dispositif plus ou moins ambitieux (ex. en termes de participation) et équipé (ex. par l’utilisation de modèles).

Le second constat, qui a fait consensus, c’est la nécessité de la participation dans les démarches de prospective à base de modélisation spatiale. Cette participation doit être assumée par le chercheur. Elle est nécessaire, même dans les démarches de prospective équipée d’un dispositif de modélisation spatiale. Pour cela, il est important de réfléchir à la constitution du forum prospectif et à l’intérêt d’hybrider les connaissances locales et génériques dans une démarche qui fasse sens localement. Il faut des temps de partage des discours et analyses autour des modèles pour permettre la construction d’une vision partagée et l’appropriation collective. Une interrogation porte sur la réalité de la contribution des participants dans le processus de modélisation.

En ce qui concerne la prospective, on reconnaît une limite des méthodes de recherche fondamentale, pour donner une place aux savoirs profanes, à côté des savoirs scientifiques, et pour éviter les écueils du volontarisme prospectif. L’influence du modèle sur les représentations du futur et les deux façons de contribuer à l’aide à la décision, en partant des scénarios pour construire le modèle ou en partant du modèle pour construire les scénarios, ont été activement discutées. Il est question ici de la reconnaissance de la pluralité des démarches possibles.

Quant à la modélisation, qu’elle soit spatialement explicite ou non, plusieurs points de vigilance ont été établis. La nécessaire transparence, mais surtout l’explicitation de la nature et du rôle des outils, est une étape-clé dans la démarche de prospective participative pour éviter que la modélisation soit parfois un obstacle (modèle boîte noire). La prise en compte des bifurcations, des effets de seuil, des ruptures dans les anticipations du futur est un enjeu à relever par les modélisateurs. Le difficile équilibre entre le temps consacré à la participation et le moyen alloué à la modélisation (le risque du modèle objectif) et entre le domaine d’application du modèle et le domaine d’intérêt pour les acteurs (le modèle réducteur) sont aussi des sujets d’attention. Et si l’on reconnaît le modèle comme un objet d’intermédiation, avec une diversité d’objets intermédiaires possibles (cartes, indicateurs, méta-modèles, etc.), on peut se demander dans quelle mesure la participation est capable de remettre en cause le modèle. Il faudrait qu’il y ait dépassement du modèle pour lui donner vie, que le modèle ait du sens pour les acteurs.

Au final, c’est un changement de posture du chercheur qui est attendu. Cela demande un engagement de chacun. Mais qui ne peut être tenu que collectivement (figure 4)!

Figure 4

Photo de groupe (incomplet)

Photo de groupe (incomplet)
Source : Lardon et Thérond, 2018

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