Corps de l’article

Les auteurs

Zebedee Nungak, intellectuel et homme politique bien connu du Nunavik, est l’auteur de Wrestling with Colonialism on Steroids : Quebec Inuit Fight for Their Homeland. Ce livre nous présente un survol de l’histoire politique des Inuit du Nunavik selon la perspective d’un personnage ayant participé activement au processus d’organisation politique et de revendications territoriales. De ce court rappel de l’histoire de la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), deux aspects principaux ressortent : premièrement, l’auteur souligne le rapport de force dans lequel les négociateurs étaient pris et leur impossibilité de dire « non » à leurs opposants ; deuxièmement, Nungak signale la rupture sociale produite par ces négociations au sein des communautés inuit du Nunavik, la considérant comme l’un des effets les plus destructeurs du traité.

Originaire de Puvirnituq et vivant à Kangirsuk, Zebedee Nungak est un personnage très actif dans la politique du Nunavik. Ayant participé aux négociations de la CBJNQ en tant que membre de la Northern Quebec Inuit Association (NQIA), il a été signataire de l’entente en 1975. Il a également occupé diverses positions de leadership au Nunavik. Nungak a notamment été président de la Société Makivik de 1995 à 1998. Aujourd’hui, il continue d’être actif dans sa communauté pour renforcer la culture et l’influence politique des Inuit, tout en étant très impliqué dans la préservation de la langue inuit. En 2017, il a été nommé chevalier de l’Ordre national du Québec.

Tagak Curley, président fondateur de l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), contribue à la préface du livre. Originaire des Territoires du Nord-Ouest (TNO) et contemporain de Zebedee Nungak, il s’est également très impliqué dans l’organisation politique des Inuit de ce qui est aujourd’hui le Nunavut et a participé dans les négociations qui ont mené à sa création. Il a notamment été directeur de l’Inuit Cultural Institute, de 1975 à 1983, et a aussi fait carrière dans la politique des TNO et du Nunavut où il continue d’être actif. En 2003, il a été nommé chevalier de l’Ordre du Canada et en 2015 de l’Ordre du Nunavut.

Contexte

Wrestling with Colonialism on Steroids : Quebec Inuit Fight for Their Homeland commence par un survol du contexte historique des changements politiques au Nunavik et raconte le processus dramatique des négociations qui ont eu lieu entre les Inuit, les Cris et le gouvernement du Québec. Il se termine avec une rétrospection quant aux effets de la signature de la convention sur les communautés inuit.

Zebedee Nungak débute son récit en rappelant l’histoire de l’inclusion du Nunavik dans la province du Québec en 1912 et l’absence totale du gouvernement provincial dans la région pendant plus de cinquante ans. Il souligne le fait que ce changement d’administration fut un acte de colonialisme et que le gouvernement fédéral a failli à sa responsabilité fiduciaire en omettant de consulter les Inuit avant d’opérer ce transfert. L’auteur parle notamment de ce processus comme d’une « osmose non naturelle » du fait que le Québec refusait sa responsabilité devant les peuples inuit (Nungak 2017 : 26). Ceci n’était en réalité qu’un avant-goût de l’imposition du « projet du siècle » qui suit le même modus operandi, en vertu duquel le gouvernement force un changement et essaye ensuite de convaincre la population locale de l’accepter (Ibid. : 39). Il est ainsi possible de voir pourquoi l’attitude du gouvernement québécois paraissait aussi absurde aux yeux des Inuit.

Nungak fait un lien entre l’atmosphère politique du « maître chez nous » et les politiques coloniales du gouvernement. Il explique que l’intérêt des Québécois pour le Nouveau-Québec était avant tout tourné vers les ressources naturelles. Ceci se reflète dans les commentaires de Gourdeau (2009 : 38) qui indique que l’objectif du gouvernement était de préparer les Inuit à jouer un rôle clé dans le développement du territoire, donc l’intérêt principal de la prise en charge fut toujours le territoire et non les Inuit. Pour faire face aux projets gouvernementaux, les Inuit avaient très peu de leadership organisé à un niveau régional comparable à celui de l’Association des Indiens du Québec. Mais plusieurs individus, dont l’auteur lui-même, ont su être à la hauteur de la tâche et prendre en main la défense de la cause inuit.

Début de l’organisation politique

Après une bonne introduction à cette problématique et à son contexte, Zebedee Nungak nous mène au coeur de la pensée inuit. L’ontologie inuit privilégie la préservation des relations tant interpersonnelles que politiques (Hervé 2014 : 139) et l’auteur le démontre parfaitement dans son récit. En 1971, Robert Bourassa annonce le projet de la Baie-James et les travaux commencent sans avertissement pour les Cris et les Inuit chez qui le projet se déroulerait. La création de la Northern Quebec Inuit Association (NQIA) fut l’un des premiers pas vers l’organisation politique des Inuit du Nunavik. Le projet de la Baie-James a catalysé le processus d’organisation à cause de l’urgence de stopper les travaux et de faire entendre la voix des Inuit. Ils voulaient s’exprimer eux-mêmes au gouvernement, ils ne voulaient pas être des pions qui pouvaient être déplacés bon gré mal gré, ils voulaient décider de leur propre sort (Nungak 2017 : 48). On remarque, toutefois, dans tout le récit que l’intention des Inuit n’était pas de rompre les relations, mais plutôt de les améliorer, de faire en sorte d’établir une relation à double sens avec le gouvernement. Cette importance accordée à la préservation des relations se trouve aussi à l’origine du ressentiment à l’égard du gouvernement fédéral qui a trahi la confiance des Inuit en étant visiblement absent des négociations, au lieu de venir à leur défense.

Rupture des relations

Le deuxième aspect couvert par ce livre, qui revient une fois de plus sur le sujet des relations, est l’effet qu’a eu la CBJNQ sur les rapports entre les communautés inuit. La difficulté des négociations et l’ampleur de la tâche à achever ont produit un résultat qui fut dur à avaler pour la plupart des Inuit. Zebedee Nungak parle d’une histoire de succès avec des échecs abjects (2017 : 67). Le plus grand échec, aux yeux de celui-ci, n’est pas l’extinction de droits fonciers ou l’impossibilité d’avoir dit « non », mais plutôt l’hostilité entre les Inuit qui découla du résultat des négociations. En fait, la rupture des relations qui perdure jusqu’à aujourd’hui, commence à peine à guérir. Cette rupture a mis un frein à la vie politique du Nunavik et aux efforts d’atteindre l’autonomie politique de manière unifiée. Le ton final de Wrestling with Colonialism on Steroids : Quebec Inuit Fight for Their Homeland est marqué par la tristesse liée à ce résultat qui illustre clairement le désir de la bonne entente et des relations si présentes dans l’ontologie inuit. La relation doit passer, avant tout, par une bonne communication entre tout un chacun (Hervé 2014 : 141). Nungak termine en évoquant le résultat du référendum de 2011 sur la création d’un gouvernement autonome au Nunavik, lors duquel la majorité des Nunavimmiut a voté « non » justement parce qu’il manquait de dialogue et d’unité par rapport à l’objectif du projet d’autonomie (2017 : 127).

Wrestling with Colonialism on Steroids : Quebec Inuit Fight for Their Homeland apporte un point de vue enrichissant à la littérature concernant le processus d’autonomie politique des Inuit. C’est avant tout le témoignage personnel d’un Inuk qui nous permet de mieux comprendre les enjeux et l’imaginaire politiques des Inuit. Pour le lecteur inuit, ce livre est aussi un appel à la fierté d’être Inuit et sert d’encouragement, l’appelant à prendre en main son futur, en sachant que le chemin vers l’autonomie a été tracé et qu’il doit être continué par la prochaine génération. Wrestling with Colonialism on Steroids : Quebec Inuit Fight for Their Homeland affirme que le chemin à prendre doit passer, premièrement, par la réconciliation et que le colonialisme peut être vaincu.