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Comprendre les choix des grands hommes qui ont façonné le Québec est une grande inspiration pour plusieurs historiens. Dans cet ordre d’idée, Mathieu Pontbriand offre un regard nouveau sur la pensée politique d’un Premier ministre du Québec méconnu parmi plusieurs. Issu de son mémoire de maîtrise[1], Lomer Gouin, entre libéralisme et nationalisme nous montre toute l’ambiguïté qui découle de ce personnage. À travers les journaux et les travaux parlementaires, il nous dépeint un homme à plusieurs visages. Peu étudié, Lomer Gouin, Premier ministre libéral du Québec de 1905 à 1920, ne donne pas un consensus dans le milieu universitaire. Pontbriand cherche à comprendre l’homme et ces choix politiques dans une période où le Québec est en grande transformation. Il désire attirer notre attention sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une biographie dans le sens que nous la connaissons. Il désire davantage parler de la pensée politique de l’homme que de l’homme lui-même. Ainsi, dans ce petit livre de 134 pages, Mathieu Pontbriand cherche à définir cette pensée politique qui flirte entre libéralisme, conservatisme et nationalisme.

L’histoire a retenu de Lomer Gouin cette montée au pouvoir de 1905. Lui et plusieurs de ses compères se retirent du gouvernement laissant sans autre choix au Premier ministre de l’époque, Simon Napoléon Parent, de démissionner. Ainsi, Gouin hérita de la plus haute marche du pouvoir. Certains parlent d’un coup d’État alors que d’autres parlent d’une rupture de sa pensée libérale et progressiste.

Un des grands objectifs de Mathieu Pontbriand est de nuancer le caractère progressiste qui colle à Lomer Gouin jusqu’à 1905. La question de l’instruction publique revient fréquemment au fil des divers chapitres et permet de résumer les propos de l’auteur. Gouin devient l’une des images de cette volonté de réforme. Il devient membre du comité catholique du Conseil de l’Instruction publique. En s’impliquant ardemment dans ce dossier, il se forge, auprès de plusieurs, une réputation de libéral radical. Lorsqu’il veut se faire élire dans la circonscription Montréal #2, les journaux parlent de lui comme d’un partisan des réformes et ami du progrès. Pontbriand se questionne sur la motivation à revoir le système scolaire de Gouin. Est-il un farouche radical ou bien un homme défendant le parti ? Pour ce qui est du vote du rétablissement de l’instruction publique, il donne son accord comme la majorité des députés libéraux. Pourquoi en serait-il autrement ? se questionne Pontbriand. On remarque rapidement que l’éducation et le progrès tiennent à coeur à l’homme politique. Nous remarquons aussi qu’il agit avec loyauté envers le parti. Il s’inspire beaucoup de ses proches, de son ami Godefroy Langlois à son beau-père Honoré Mercier.

Toutefois, Mathieu Pontbriand nous présente un Gouin plutôt mitigé durant son avancée sur les marches du pouvoir. Gouin va renoncer à toute remise en question de l’instruction publique. Il préfère nettement le statu quo et ne pas trop s’avancer dans le domaine du clergé. Il se met à dos son ami et collègue Godefroy Langlois ainsi que toute l’aile progressiste du parti. Lorsque les questions sur la fréquentation scolaire obligatoire surgissent en assemblée, il se réfugie derrière le pouvoir paternel. Plus tard, suivant l’initiative d’autres députés, il crée les HEC. Selon Gouin, ces établissements permettent aux Canadiens-français de sortir de la misère et de mieux s’insérer dans le monde industriel.

L’ouvrage de Mathieu Pontbriand recèle de nombreux axes d’analyse de la pensée de Lomer Gouin comme la question des monopoles, des ressources naturelles, de l’équilibre budgétaire et des problèmes ouvriers. Nous nous sommes conscrits à l’instruction publique, car nous croyons que cette analyse de Pontbriand est la plus évocatrice. Progressiste, homme de parti et respect du statut quo, chacune de ces étiquettes colle à la peau de Gouin dans divers moments de sa vie politique.

Ce livre s’adresse sans aucun doute à un public ayant une certaine connaissance de cette période : le choix de faire des chapitres par thématique oblige à la connaître pour ne pas se perdre. Son utilité réside non seulement dans la compréhension de la mentalité d’un Premier ministre, mais surtout dans l’exploration de cette pensée libérale modérée émergente à laquelle plusieurs personnes se rallient au tournant du XXe siècle. Toutefois, c’est ce que l’auteur prétend. Ce livre ne nous donne pas cette impression. Il faudrait peut-être ajouter quelques volets pour mieux comprendre ce constat. Il reste néanmoins que la question que se pose Mathieu Pontbriand est très intéressante et enrichit notre connaissance de l’homme et de la politique du tournant du XIXe siècle.