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Biographie

Reflets a rencontré madame France Gélinas, la députée de Nickel Belt depuis 2007 pour le Nouveau Parti démocratique de l’Ontario. Après des études en physiothérapie à l’Université Laval, France Gélinas décroche un emploi de physiothérapeute à l’Hôpital Laurentien de Sudbury. Par la suite, elle devient directrice du Centre de santé communautaire de Sudbury et elle a supervisé l’expansion des services des soins de santé dans de nombreuses collectivités rurales du Nord Est de l’Ontario. Actuellement, elle défend les résidentes et résidents de Nickel Belt autour d’enjeux locaux importants : soins de santé et de longue durée, écoles rurales, protection de l’eau, aide aux petites entreprises, etc. L’entrevue a été réalisée par Sylvie Rivard et Isabelle Côté, toutes deux professeures à l’École de service social de l’Université Laurentienne.

Reflets : Dans un premier temps, pourriez-vous présenter un survol de votre parcours professionnel?

France Gélinas : J’ai d’abord travaillé à l’Hôpital Laurentien en physiothérapie et ensuite dans la communauté. J’ai complété une maîtrise en administration des affaires et avec ce diplôme, j’ai eu l’opportunité de faire des remplacements en ressources humaines, direction de services et en administration, tant en milieu hospitalier que communautaire. À ce moment, la Loi 8 sur les services en français prévoyait des coordonnatrices ou coordonnateurs des services en français dans tous les hôpitaux, un poste que j’ai occupé pendant plus d’un an.

Par la suite, j’ai travaillé au Centre de santé communautaire de Sudbury, d’abord à titre de promotrice de la santé, pour ensuite en devenir la directrice générale. Donc, je suis passée du milieu hospitalier au milieu communautaire, pour ensuite être recrutée pour devenir politicienne, chose que je n’avais jamais envisagée. Pour moi, la politique c’était pour des hommes blancs, riches, d’un certain âge, et qui parlaient l’anglais. Mais j’ai tout de même accepté de me présenter. Ma première élection fut en 2007. Arrivée à Queen’s Park, venant du milieu de la santé, j’avais pour la plupart du temps travaillé en français, avec des femmes et dans un milieu collaboratif où on essaie de regrouper des gens, de trouver les liens qui unissent plutôt que ceux qui divisent. En politique, c’est l’inverse. De plus, il s’agit d’un groupe d’hommes plus vieux, riches, anglophones qui sont en place et qui ne se gênent pas pour te faire comprendre qu’une femme francophone n’est pas la bienvenue. En 2007, je pense que nous étions 23 % de femmes.

Donc j’ai fait le saut en politique, et j’ai compris qu’il y a du bon monde dans les trois partis, des gens qui sont là pour les bonnes raisons. Quand nous travaillons en comité et qu’il n’y a pas de caméra, les gens veulent tous la même chose. Nous voulons tous que le projet de loi sur lequel nous travaillons soit le meilleur possible. Et si tu fais tes devoirs et que tu amènes des arguments solides, les gens sont prêts à écouter. Je le sais parce que j’ai été témoin de changements. Pour les francophones, pour les gens du Nord, pour les femmes, ça fait une différence. Pour les gens marginalisés avec qui j’ai travaillé toute ma vie, je vais avoir fait une différence. Ça, c’est très valorisant.

Reflets : Quelles sont les valeurs qui vous animent lorsque vous prenez des décisions, ou encore dans votre parcours personnel et professionnel, dans votre vision de la santé et de la francophonie.

France Gélinas : Mes valeurs me viennent de ma famille. Mon père vient d’une famille de 14 enfants et ma mère d’une famille de 12 enfants. En grandissant, j’allais chez mes grands-parents tous les jours. Ma grand-mère était une femme d’avant son temps. Elle était professeure et ne s’est pas mariée avant d’avoir 25 ans parce qu’à l’époque les femmes mariées n’avaient pas le droit de travailler. De ma grand-mère, j’ai appris que ce n’est pas parce qu’une personne vit avec un handicap ou des défis dans sa vie qu’elle n’a pas le droit d’être heureuse ou d’avoir des ressources pour l’appuyer. Beaucoup de mes valeurs viennent de ces moments. Et quand tu as ce genre de mentorat, tu apprends que tout le monde a le droit au respect, et que les droits, c’est pour tout le monde. Tu apprends aussi lorsque tu viens d’une grande famille et que tu n’as pas beaucoup de ressources que si tu les mets ensemble, tu réussis à faire bien des choses.

Je pense que les valeurs du Parti néo-démocrate sont similaires aux miennes : le partage de la prospérité et la justice sociale. Certes, nous n’avons pas tous les mêmes ressources, mais il faut que ça marche pour tout le monde. La prospérité c’est correct, mais elle doit profiter à tous afin que nous ayons une société meilleure. Si chacune et chacun a l’opportunité et l’équité d’accès aux ressources sociales, nous serons alors capables de contribuer et de faire quelque chose de valable. Mais, parfois, il faut le développer d’une façon différente…

Reflets : Vous avez été témoin, au cours des 30 dernières années en Ontario français, de plusieurs événements marquants. Selon vous quels sont les événements ou les moments clés qui ont facilité le développement du système de santé pour les francophones à l’échelle de la province?

France Gélinas : Le moment le plus important a été l’entrée en vigueur de la Loi 8 sur les services en français en 1989. Les conseils scolaires francophones ont alors pu complètement changer l’accès à l’éducation francophone en Ontario et la Loi 8 a aussi eu cet effet-là dans d’autres domaines. Sa mise en oeuvre a permis d’établir des postes de coordination des services en français dans de nombreux organismes et de mettre sur pied des centres de santé communautaire francophones. À l’époque, Sudbury comptait quatre postes de coordination de services en français et plus de 50 dans la province. Plusieurs communautés francophones en ont alors beaucoup bénéficié. Par contre, les politiques de la « révolution du bon sens » de Mike Harris des années 90 ont suivi et la francophonie a subi un recul important. Par contre, avec les démarches de consolidation hospitalière qui visaient la fermeture de l’Hôpital Montfort, beaucoup de francophones se sont mobilisés et la décision fut infirmée. Montfort est encore là! Et la décision juridique de Montfort est un gros atout pour les francophones lorsqu’il s’agit du système de la santé.

Avant l’élection de Mike Harris (en poste de 1995-2002), on était dans une phase de consolidation des acquis pour les francophones. On tentait d’identifier les services existants et les lacunes. Les conseils régionaux de santé qui faisaient la planification dans les régions désignées francophones ont tous eu des coordonnateurs de services en français, et ont mis sur pied des comités de services en français. Plusieurs francophones s’intéressant à la santé et aux services sociaux se sont alors rencontrés afin de commencer à identifier les opportunités et faire avancer les dossiers importants pour la francophonie. Entre 1987 et 1996, cinq centres de santé communautaire furent mis en place. On a aussi vu des hôpitaux changer la façon d’organiser leurs horaires pour offrir des services en français tout en tentant d’identifier les francophones. En effet, lorsque les francophones étaient accueillis dans un service de santé ou dans les services sociaux on disait « Ici, on parle français » et cela leur permettait de s’identifier.

Vers 1996, alors que j’étais la directrice du Centre de santé communautaire de Sudbury, on avait fait une demande de subvention pour deux points de service, des satellites à Chelmsford et à Hanmer. On avait déjà recruté les médecins, infirmières, nutritionnistes et travailleuses sociales. Lorsqu’on a finalement reçu le financement, il y avait une phrase dans le document d’entente de financement du ministère de la Santé qui indiquait que le Centre devait offrir des services en français et en anglais. J’ai alors rayé le terme « et en anglais », apposé mes initiales et l’ai retourné au Ministère. Bien entendu, quelqu’un l’a remarqué. Le Ministère a donc refusé en disant : « Si vous voulez les fonds vous devez offrir des services bilingues ». Comme nous étions un centre de santé communautaire francophone, il n’était pas question d’offrir des services bilingues. Ça a duré pendant près de deux ans et demi et pendant tout ce temps, les équipes étaient en place, et nous devions payer les salaires. C’était une période très stressante. Le conseil d’administration était pleinement au courant de son mandat fiduciaire et qu’en fin de compte, nous étions responsables des déficits — on soumettait des budgets déficitaires d’une année à l’autre. Puis, nous avons embauché maître Caza, qui avait représenté la cause de Montfort, afin d’enlever un mot dans un document de cinq pages qui traitait des services bilingues. Nous avons gagné la cause, mais c’était en partie parce que Montfort avait déjà été gagné. Et depuis ce temps-là, le jugement Montfort a été utilisé des douzaines de fois dans d’autres services où ils avaient mis en place un service pour les francophones et qu’ils étaient à risque de perdre.

La nomination du Commissaire aux services en français fut aussi un moment important. Chaque année, il fait son rapport. Il agit en quelque sorte comme un « chien de garde » qui non seulement reçoit des plaintes, mais qui a maintenant le droit de faire des enquêtes et signer ses rapports de manière indépendante. Or, c’est au sujet du système de la santé qu’il reçoit le plus de plaintes. J’aimerais qu’il ait aussi l’autorité d’assurer un suivi à ses recommandations. En ce moment, il y a des recommandations faites depuis plus de dix ans qui ne sont toujours pas mises en place.

Reflets : Est-ce que la prochaine étape inclurait aussi l’autorité d’imposer des sanctions?

France Gélinas : Oui. Je ne suis pas certaine qu’elles viendraient du bureau du Commissaire. Mais, il va falloir penser à la façon d’assurer la mise en oeuvre des recommandations.

Reflets : Selon vous, quelles sont les améliorations qui ont été faites en matière de santé et d’accès aux services de santé pour les francophones?

France Gélinas : Les améliorations sont sur deux plans. Dans un premier temps, demander un service de santé en français n’était pas dans notre « nature ». Or, ce mouvement s’est produit un peu au même moment que l’obtention des conseils scolaires francophones. Donc, ce sont les parents qui ont d’abord demandé des écoles francophones pour leurs enfants et ensuite des services de santé en français pour leurs enfants, etc. Les demandes des personnes âgées, qui utilisaient le système de santé, ont alors suivi. Puis, à un moment, on a introduit l’idée de la demande et de l’offre active de services en français. Donc, d’une part, les francophones se sont rendu compte qu’ils avaient des droits et, d’autre part, ils ont commencé à les exercer. Ainsi, plusieurs services de santé et services sociaux ont décidé d’offrir des services en français basé sur la demande. Toutefois, il fallait s’assurer de faire entendre la demande. Finalement, pour les francophones, le désir de s’identifier est directement relié à la qualité du service : plus le service en français est de qualité et plus les gens ont tendance à s’identifier, et vice-versa. Si un organisme n’est pas capable d’offrir un service en français, peu de gens y vont. Par conséquent, l’offre active devient encore plus importante parce que si personne ne demande de services, il n’y a pas de raison d’améliorer le service.

Dans un deuxième temps, parce qu’on avait mis des agences et des postes dont le mandat était de s’assurer de l’accès à des services en français, il s’est développé un réseau informel dont un inventaire des spécialistes qui parlent français dans les centres de santé communautaire. Ça a permis de développer des réseaux internes, à savoir par exemple, qui fait telle chirurgie, ou en psychiatrie, c’est un tel. Après plusieurs références, on a réussi à établir des relations entre francophones ce qui nous a permis de développer beaucoup plus de services. Par exemple, une chirurgienne francophone qui acceptait des références et offrait des services en français, ses patients pouvaient être admis dans la même unité à l’hôpital; on les regroupe dans la même unité. C’était alors beaucoup plus facile de s’assurer que les infirmières de l’unité soient capables de communiquer en français. Voici un autre exemple : dans les maisons de soins de longue durée, ou les hôpitaux spécialisés en santé mentale, on voit maintenant des unités qui regroupent les francophones. Certes, ils peuvent avoir des besoins un peu différents, mais pour s’assurer de les servir en français, alors, on les regroupe ensemble. Mais, ce n’est pas formel et cela est possible parce que les gens qui sont là ont appris à travailler ensemble afin d’offrir un meilleur service. Ça n’enlève rien à personne et ça marche.

Reflets : Dans votre parcours professionnel, quels enjeux ou quelles embûches importants avez-vous rencontrés quant à l’accès aux soins de santé et sur les droits linguistiques des francophones en Ontario?

France Gélinas : Il y en a eu plusieurs. Plusieurs des services qui auparavant étaient offerts par les hôpitaux sont maintenant offerts dans la communauté. En effet, pendant plusieurs années les budgets des hôpitaux étaient gelés, et ce, malgré que les dépenses continuaient d’augmenter. À cette situation, la réponse du gouvernement a été « Si ce ne sont pas des soins hospitaliers 24/7, vous n’êtes pas obligés de les offrir. Laissez la communauté les offrir ». Mais, ce qui s’est passé, c’est que la plupart de ces services communautaires ont été transférés au système privé. Et le problème c’est que la Loi 8 ne s’applique pas pour ces agences privées. Ça ne devrait pas être comme ça. Selon moi, si une agence privée offre un service qui était là auparavant, qui était offert dans un hôpital désigné pour offrir des services en français, lorsque le service s’en va dans la communauté, ça devrait être la même chose. Mais en tout cas, ça n’a pas été mis en place et ça cause des problèmes.

Il y a aussi les problèmes liés à l’accès aux services. Les listes d’attente sont telles qu’il y a beaucoup de francophones qui vont hésiter à s’identifier comme francophones. Par exemple, tu peux attendre pendant 18 heures aux services d’urgence, mais si tu demandes ton service en français, ça va prendre 24 heures pour obtenir le service… Ainsi, les engorgements des salles urgences, les listes d’attente, que ce soit en santé mentale, en services sociaux, en soins de première ligne, il y a tellement de longues listes d’attente partout que ces pressions sur le système font en sorte qu’on est en train de perdre du terrain face à nos droits linguistiques. Le système fonctionne tellement mal que les gens vont se contenter de n’importe quel service parce que le temps d’attente est trop long. En ce moment, je le vois dans mon rôle en politique pour les services à domicile. Les gens disent : « Ma mère parle à peine l’anglais. Il n’est pas question d’avoir une assistante aux soins ou une infirmière qui parle l’anglais. Ma mère ne comprendra pas. On veut quelqu’un de francophone. » Et la réponse est qu’il n’y a pas de préposé aux soins personnels qui parle français et la patiente va sur une liste d’attente qui peut aller de six à huit mois. Six à huit mois avant d’avoir un bain! Les gens répondent « Envoie-moi l’anglophone. Je n’attendrai pas six à huit mois ». Quand le système fonctionne bien, les gens demandent leurs services en français. Quand le service en français est disponible, est équitable, on le demande. Mais lorsque certaines parties du système fonctionnent mal, les services en français tombent en même temps que bien d’autres choses : la qualité des services, rencontrer les attentes des patients et les services en français également.

Reflets : En Ontario, on a vu le développement des centres de santé communautaire. Vous avez justement parlé de ce qui s’est passé ici à Sudbury quant à l’exigence ministérielle d’offrir des services bilingues. Pouvez-vous parler du développement de ces organismes communautaires, leurs enjeux, les batailles et ce qui fut gagné dans le processus?

France Gélinas : Initialement, cinq centres de santé communautaire francophones ont été créés suite à la Loi 8. La plus grande demande de services était sur le plan des soins primaires, de la promotion de la santé, du développement communautaire. Et je dirais qu’à Sudbury, mais également ailleurs, c’était surtout les femmes francophones qui demandaient des services en français pour elles, leurs enfants et leurs parents. Ces cinq premiers centres de santé communautaire francophones ont ainsi mis l’accent sur ces groupes sociaux. À l’heure actuelle, ils desservent tout le monde, tant sur le plan des soins primaires qu’en promotion de la santé, en développement communautaire et en prévention des maladies.

Au début, tous les centres ont eu des problèmes de recrutement. Les professionnelles et professionnels de la santé n’avaient jamais vécu ce modèle dans lequel les médecins sont à salaire. Il y a eu toutes sortes de défis reliés au modèle. Même chose pour les personnes qui utilisent les services. C’était quelque chose de différent. Dans un centre de santé communautaire, la personne est prise en charge par une équipe interdisciplinaire. Donc les personnes appelaient parce qu’elles voulaient voir le médecin, mais on demandait : « Pour quelles raisons voulez-vous un rendez-vous? » « Ah, bien c’est parce que mon mari est mort. Je dors mal et je veux avoir des pilules pour dormir ». Mais pour cette personne, le prochain rendez-vous était avec la travailleuse sociale afin de l’aider à gérer le deuil, et pas nécessairement avec le médecin.

Ce fut donc un apprentissage pour tout le monde, mais un grand succès. Les gens aimaient être capables de parler à une travailleuse sociale, une nutritionniste ou à une infirmière qui avait le temps. Ils se sont vite rendu compte qu’il y avait d’autres gens bien meilleurs que le médecin pour parler de ces affaires-là. Donc, c’est vite devenu un modèle gagnant. Mais l’autre côté du modèle gagnant, c’est le grand nombre de demandes et une insuffisance des ressources. Il y a des listes d’attente dans tous les Centres de santé communautaire partout dans la province. S’ils recevaient du financement pour une équipe supplémentaire, ils seraient capables de satisfaire instantanément les besoins.

Dans la province, le Centre communautaire de Sudbury a été le seul des centres qui n’a pas accepté d’offrir des services bilingues. À Chelmsford et à Hanmer, il y avait déjà beaucoup de médecins anglophones, donc les anglophones n’avaient pas de problème d’accès. La seule exception était la Clinique du coin qui dessert les sans-abri. Nous savions qu’il n’y avait pas de médecins anglophones pour servir cette population-là. Par conséquent, le Centre a accepté de servir la population des sans-abri. Tout le monde qui travaille là est francophone, les dossiers sont en français, etc.

Reflets : À l’heure actuelle quels sont les enjeux en matière de santé pour les francophones en matière de santé physique et mentale, pour les populations marginalisées, les femmes, les immigrantes et les immigrants, les jeunes ou les personnes âgées, ou pour la communauté LGBTQ+?

France Gélinas : Je crois qu’il y a encore des problèmes d’accès aux services. Près d’un million de personnes en Ontario n’ont pas accès à des soins primaires, elles n’ont pas de médecin de famille. Et, malheureusement, c’est particulièrement plus difficile pour les groupes marginalisés. Par exemple, pour la communauté LGBTQ+, l’École de médecine du nord de l’Ontario fait de réels efforts afin de s’assurer que leurs diplômées et diplômés soient prêts à accueillir ces gens dans leur pratique. Cela a eu des effets positifs.

Des stratégies ont été élaborées afin de développer des modèles de renvoi aux organismes francophones. Mais ces stratégies ne fonctionnent pas lorsque le médecin de famille est anglophone, parce qu’il ne connait pas les services en français. Donc, si tu n’as pas un médecin de famille francophone, non seulement tu n’auras pas de services en français, mais il y a bien des chances que tous les autres services seront en anglais parce que les références ne se feront pas vers des services en français.

Donc dans le système de santé, il n’y a pas, de façon systémique, une garantie de recevoir des services en français. Par ailleurs, il est très difficile d’obtenir une désignation[1]. Le Commissaire aux services en français l’a aussi déclaré : il faut que le processus de désignation soit changé, car c’est beaucoup trop difficile pour une agence malgré sa bonne volonté d’obtenir une désignation. Sans désignation, le public n’a pas la garantie d’obtenir des services en français et il est à la merci de la bonne volonté des professionnelles et professionnels. On a eu de beaux succès avec les soins primaires. Maintenant, il est temps de changer les critères pour la désignation afin qu’on soit capable de desservir tant sur le plan des soins à domicile que sur celui des soins de longue durée où, en ce moment, il y a les plus grandes demandes pour des services en français.

Pour d’autres personnes marginalisées, il y a encore de la discrimination. Par exemple, envers les personnes ayant un diagnostic de santé mentale. De plus, pour plusieurs personnes ayant des besoins complexes, leur maladie fait en sorte qu’ils ne sont pas capables d’aller voir le médecin à cette journée spécifique de leur rendez-vous, parce qu’ils font de l’anxiété, ou quoi que ce soit. Mais le médecin avait planifié une demi-heure de rendez-vous avec elles. Si elles ne se présentent pas, le médecin ne peut facturer son temps. Selon moi, la facturation à l’acte apporte des problèmes systémiques qui sont des barrières à la qualité des soins et à l’accès.

Reflets : Comment les déterminants sociaux de la santé peuvent-ils être intégrés dans la perspective des minorités linguistiques et comment cela pourrait-il améliorer, influencer ou alimenter les politiques sociales?

France Gélinas : Le déterminant de la santé numéro un, c’est le revenu. Chaque 1 000 dollars de plus de revenus peut apporter une amélioration dans la santé. Pour les francophones, le deuxième déterminant de la santé ce sont les groupes sociaux; cela signifie d’avoir la possibilité d’être entourés, d’avoir des îlots de francophonie, des endroits pour se réunir, où c’est naturel et sans risque de parler français. C’est important. Par exemple, les centres pour les personnes aînées francophones, on ne les veut pas bilingues parce qu’on veut que les personnes âgées aient une place. Pourquoi est-ce qu’on ne veut pas d’écoles bilingues? Parce qu’on veut que nos petits francophones se sentent confortables de parler en français. Le gouvernement actuel a un rôle à jouer afin de s’assurer que ces îlots francophones existent. Que ce soit dans les services culturels, des arts de la scène, partout où les communautés se rencontrent, il devrait y avoir des places où on peut se rencontrer en français.

Ensuite il y a l’éducation. Le système d’éducation en français est présent aux niveaux primaire, secondaire et collégial. On offre des programmes en français ou bilingues dans nos universités. Malgré tout, l’accès à l’éducation postsecondaire en français est problématique, autant pour le type de cours disponibles, que l’endroit où ils sont offerts, ou, comment s’assurer qu’ils seront vraiment offerts en français? Les jeunes demandent de plus en plus d’avoir une université francophone. Dans la majorité des cas, la vie étudiante se déroule dans un milieu bilingue. Pour les jeunes qui ont grandi en français, de la garderie, à l’école primaire puis secondaire, arriver dans un milieu bilingue est un choc à vivre en plus de faire le saut vers des études universitaires. Quand je parle avec les jeunes, ils veulent un milieu francophone pour les aider à faire la transition.

Il faut aussi considérer l’importance de la promotion de la santé et de la prévention des maladies, car on a beaucoup de chemin à faire dans ces domaines. Pour les gens ayant des problèmes de santé mentale, d’enseigner la résilience, reconnaître les signes et les difficultés associés à la santé mentale. Par exemple, quand les enfants démontrent les premiers symptômes, il est important de leur donner un accès rapide à des soins pour les aider. Plusieurs situations peuvent être prévenues. Une fois qu’on a identifié les besoins d’une personne en santé mentale, les soins devraient être là. Ils devraient être adéquats. La famille devrait être appuyée.

Reflets : Quant aux politiques sociales et de santé publique, quelle est votre analyse des politiques gouvernementales en matière de santé et d’accessibilité aux soins de santé pour les francophones?

France Gélinas : Du côté de la santé publique, les francophones continuent d’avoir un taux plus élevé de tabagisme et d’obésité. En fait, en prenant n’importe lequel des déterminants de la santé, que ce soit la consommation excessive d’alcool, le niveau d’activités physiques, le taux d’obésité, l’utilisation du tabagisme, l’utilisation des drogues illicites, etc., les francophones ont toujours des taux plus élevés que les anglophones de l’Ontario. Donc la santé publique a un rôle important à jouer. Il y a quand même des efforts qui ont été faits à l’échelle de la province pour tenter d’améliorer la santé de la population, mais, pour les francophones, ces stratégies ne fonctionnent pas aussi bien. Par exemple, chez les francophones, on a encore plus de bébés nés avec un faible poids, plus de jeunes filles qui deviennent enceintes, etc. On a encore du chemin à faire par rapport à nos grandes responsabilités en santé publique. Par ailleurs, les intervenantes et intervenants en santé publique ont recours aux outils que leur donne le gouvernement. Toutefois, les outils spécifiques pour les soutenir et aider les francophones sont très peu développés.

Reflets : Selon vous, quelles sont les nouvelles voies à défendre afin d’améliorer la situation des francophones?

France Gélinas : En santé publique, il devrait y avoir une initiative de stratégies qui s’adresserait spécifiquement à la population francophone. Par exemple, si le gouvernement se donne comme objectif la réduction du taux de tabagisme, quelles sont les stratégies visant spécifiquement la population francophone? Attendre le plan d’action et le faire traduire, ça ne nous sert pas. C’est correct d’avoir une stratégie pour toute la province, mais dans les étapes pour atteindre les objectifs il devrait y avoir une analyse visant la population et non seulement une traduction.

Reflets : Un des enjeux importants dans le développement des services et le développement de la connaissance de l’état de santé des francophones est la difficulté du système à identifier les francophones et à colliger les données sur la santé des francophones tant sur le plan des services que sur celui du gouvernement. Cette situation rend difficiles le développement et l’accès à des données probantes pour appuyer l’offre et l’accès aux services en français. Selon vous, quelle est, la responsabilité du gouvernement dans l’obtention de données probantes sur l’état de santé des francophones et quel genre d’action devrait être entreprise pour y arriver?

France Gélinas : Cette question est souvent le nerf de la guerre, parce que si on ne peut pas mesurer alors on ne peut pas en parler de façon probante. En fait, l’identification des francophones avec la carte santé, c’est boiteux; et il serait difficile de mandater tous les organismes qui offrent des services de colliger ces statistiques. Il faudrait un acte du gouvernement. En effet, les données selon les composantes linguistiques, ça changerait tout.

Certaines composantes du système de santé sont ouvertes à cela et il y a plein d’autres données à analyser : l’ethnicité, le genre, la langue et qui ne sont pas disponibles. C’est aussi la même chose avec les personnes indigènes, autochtones et Premières Nations. On a très peu de statistiques. Il est temps que ça change. Partout où on a l’opportunité de recevoir un service, il devrait y avoir une façon sécuritaire de le demander, de le capturer en données et ensuite d’être capable d’en extraire des analyses. Rien de cela n’est fait. Mais ça devrait l’être.

Reflets : Nous aimerions discuter de l’empowerment individuel et collectif des francophones, quelle est ta réflexion sur l’empowerment en lien avec la santé et l’accessibilité des services? Est-ce que vous considérez que la population francophone est solidaire malgré ses différences?

France Gélinas : Oui et non. L’empowerment, c’est crucial et capital. Il faut outiller les gens à être capables de demander ce qui est un droit pour nous — les services en français — être capables de faire la promotion de la santé et la prévention des maladies. Il faut de l’empowerment pour que ça marche. Mais, est-ce que, comme francophones, nous nous tenons ensemble? Oui et non. Par exemple, on constate de beaux efforts dans les communautés afin d’intégrer les nouvelles et nouveaux arrivants, ou pour que la mosaïque de la francophonie en Ontario se tienne ensemble. En même temps, je suis très consciente qu’il y a encore des différences entre les francophones de souche et les francophones qui arrivent de l’extérieur. L’Association de la francophonie de l’Ontario (AFO) parle d’une seule voix pour l’ensemble, mais ce n’est qu’un organisme. Il faut davantage d’organismes représentationnels qui écoutent et font entendre une voix mitoyenne afin que l’on comprenne les différentes régions de la province et leurs besoins. On a encore beaucoup de travail à faire. On est chanceux d’avoir la Télévision française de l’Ontario (TFO) qui donne l’opportunité d’entendre parler des francophones et de voir ce qui se passe dans la francophonie ailleurs en province.

Reflets : Dans les services de santé, c’est aussi le rôle des Entités de planification des services de santé en français[2] de solliciter l’engagement et de comprendre les besoins de la communauté francophone afin de représenter les besoins de la francophonie à l’échelle de la province via les Réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS)[3]. Quel est votre point de vue sur la capacité décisionnelle qui est accordée aux Entités dans leurs relations avec les RLISS?

France Gélinas : Les Entités de planification font une bonne job. Elles sont connectées à la communauté francophone et aux services de santé. Elles connaissent les milieux où les services en santé fonctionnent et ceux où ils ne fonctionnent pas, ainsi que les besoins de la communauté francophone. Mais elles n’ont pas beaucoup de ressources. Les Entités de planification sont là pour donner des avis, point à la ligne, et les RLISS sont dominés par les anglophones. Donc, il faut se fier à la bonne volonté des RLISS pour arriver à passer d’un avis à l’action. Au sein de certains RLISS, certaines recommandations des Entités sont mises suffisamment en évidence pour que le lien avec l’action se fasse, mais ce n’est pas toujours le cas. Tant que l’on ne leur donne pas l’opportunité de passer de la recommandation à l’action, la situation ne changera pas vraiment.

Reflets : Selon vous, quelles seraient les institutions clés de l’avenir des francophones en matière de santé?

France Gélinas : En ce moment, les soins pour les adultes et pour les personnes aînées tant sur le plan des soins de longue durée que des soins à domicile sont une priorité. Vieillir, ce n’est pas une maladie. Mais en ce moment, le système a peu d’options : soit que tu demeures tout seul chez toi à t’occuper de la maison, de l’épicerie, du déblayage de la cour, de couper l’herbe, ou dans un établissement avec 400 autres personnes aînées frêles. Pourtant, d’autres modèles existent pour soutenir la population aînée, mais on les connait peu en Ontario. Pour les francophones, il existe plusieurs opportunités de créer des logements avec du soutien, des endroits où les personnes aînées peuvent vivre en communauté dans une maison qui ressemble à une maison, qui sent comme une maison, qui fonctionne comme une maison et où on peut continuer de vivre en français.

Pour l’avenir des francophones, tout ce qui touche la vitalité de la culture est important; il faut que la langue, ça soit aussi du plaisir. Il faut avoir des raisons d’aimer la langue avec des opportunités de vivre de beaux moments en français, soit par des spectacles, des activités familiales qui peuvent se vivre en français. Le gouvernement a un rôle à jouer pour s’en assurer par l’octroi de subventions. C’est peut-être un peu loin des services de santé, mais ça fait partie de la santé d’une communauté et ça fait partie des déterminants de la santé.

Reflets : Les besoins de la santé francophone en Ontario convergent vers divers ministères, entre autres, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée, le ministère des Services sociaux et communautaires, le ministère des Affaires des personnes âgées, le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse. Quels sont les ponts qui pourraient être créés afin de favoriser l’accès aux services en français entre ces divers ministères?

France Gélinas : J’aimerais avoir des coordonnatrices et des coordonnateurs des services en français sur le terrain, et qu’elles ou ils possèdent suffisamment de pouvoir pour être en mesure d’appeler des tables interministérielles et intersectorielles qui favoriseraient le développement de liens au niveau local avec des solutions locales aux problèmes d’accès et de l’offre active des services en français. Est-ce que ça va être facile? Non. Je ne suis pas contre une table intersectorielle francophone sur le plan de la santé, mais j’aimerais beaucoup plus voir des ressources sur le terrain qui seraient là pour ça. Et, plaçons ces ressources où elles sont nécessaires : universités, centres de santé communautaire, agences, etc. Mais l’idée c’est d’avoir une personne responsable de créer ce lien entre les organismes qui existent pour les francophones. Peut-être que la meilleure stratégie pour certaines communautés, c’est la création d’une agence à nous, les francophones, et qui offre les services sociaux, les services à l’enfance, les services de santé mentale, les services de soins primaires, la promotion de la santé, le développement communautaire. Peut-être que c’est ce type de modèle qui serait le plus approprié dans une communauté, mais pas nécessairement dans toutes les communautés. Mais ce modèle offre une flexibilité.

Par ailleurs, je crois beaucoup aux îlots pour et par les francophones. Nous avons parlé d’une université francophone, mais j’y crois également sur le plan des services communautaires, tant en santé qu’en services sociaux. Il y a des communautés qui sont prêtes à ça. Et d’autres communautés où les organismes de santé, sociaux et communautaires sont suffisamment forts et organisés afin d’offrir des services en français. Ils pourraient continuer de travailler en réseaux, mais il est important qu’ils aient le mandat de le faire, comme l’équivalent des RLISS qui ont pour tâches de planifier, d’intégrer et de financer les soins de santé locaux ainsi que d’améliorer l’accès aux soins et l’expérience des patients. Bref des réseaux qui mettent de l’avant les services en français. À ce jour, on ne l’a pas vu. Mais ça pourrait très bien être les Entités de planification, si on changeait leur mandat afin qu’elles aient un volet opérationnel. Et, avec ça, viendraient le financement et le contrôle de nos ressources. Mais en ce moment, rien de cela n’est en place.

Reflets : Selon vous, quelles sont les pratiques qui devraient nous animer quand on pense aux services sociaux et aux services de santé en français?

France Gélinas : Les services de santé, sociaux et communautaires pour et par les francophones. Obtenir la gouvernance des services en français, ça changerait tout. De collectivement créer un îlot de compétences, une place où il est sécuritaire de se présenter et de parler en français, c’est très porteur. Cela pourrait englober les services de santé mentale, les services aux enfants, les services communautaires, les soins primaires, les références entre les services, les services de justice, l’accueil des nouvelles arrivantes et nouveaux arrivants francophones, etc. Aussi, cela dépend de la taille de la communauté. Dans certaines, il y aurait un large organisme pour et par les francophones qui aurait des mandats variés. Tous ces organismes auraient un point en commun : ils seraient là pour la santé des francophones. Dans d’autres communautés, qui sont peut-être plus grandes, il pourrait y en en avoir plusieurs.

L’idée des agences bilingues, ça ne sert vraiment pas bien la communauté francophone, car on doit toujours dépendre de la bonne volonté d’un groupe anglophone. Or, dans un système de gouvernance pour et par les francophones, il est certain que les francophones seront servis en français. Et dans ces organismes, il sera alors facile de colliger des statistiques au sujet des francophones. Il est facile de demander à quelqu’un s’il est francophone quand il fréquente une agence francophone; et on peut alors voir ses besoins et les autres besoins de services. À un moment donné, ça peut facilement être un organisme de santé qui revendique le besoin d’une nouvelle école francophone parce que les enfants de ce voisinage ont des problèmes d’accès à l’éducation en français. Quand une personne travaille dans le système de santé en soins primaires, il lui est facile de savoir ce qui se passe dans la communauté. Finalement, avec une gouvernance pour et par les francophones, les gens des conseils d’administration sont les yeux et les oreilles de la communauté; ils sont la conscience francophone. Ils peuvent nommer ce qui se passe et où sont les besoins. Donc, pour nous les francophones, il s’agit de briser les silos, d’obtenir la gouvernance pour et par nous. C’est un modèle gagnant.

Comme dernière chose, je nommerais l’importance de l’équité d’accès aux services en français. En ce moment, le ministère de la Santé a passé en projet de loi l’Excellence des soins pour tous (2010)[4] où les Centres d’excellence sont soutenus dans leur capacité d’offrir des standards de soins; par exemple, faire 500 chirurgies de la hanche par mois. Cela augmente les taux de réussites et produit de meilleurs résultats qui coûtent moins cher. Mais, ça vient toujours à un prix. En effet, pour les francophones, cette initiative a un prix très élevé. Par exemple, cela oblige les gens du Nord à devoir voyager vers ces centres d’excellence. Par ailleurs, pour les francophones, ils doivent faire affaire avec une grosse boîte anglophone… qui pense à nous de temps en temps seulement.

Les Centres d’excellence sont économiques et fonctionnent bien. Mais le coût à payer est horrible pour les gens qui ne vivent pas dans les grands centres urbains et doublement horrible pour les francophones. Donc, mon mot de la fin, c’est l’équité d’accès aux services en français. Comment fait-on pour s’assurer que les services sont équitables pour toutes et tous? Quels sont les services qui devraient être disponibles, peu importe le lieu où une personne habite? Quels sont les services qui devraient être disponibles en français, peu importe la région? On n’a jamais fait cet exercice-là, mais on devrait le faire.

Les francophones continuent de vivre surtout en milieu rural ou non urbain. Elles et ils sont encore très présents dans le Nord, et n’ont pas l’équité d’accès. Il n’y a aucune raison qui justifie pourquoi un petit hôpital ne peut pas faire d’accouchements, ne peut pas faire de chirurgie, ne peut pas garder son anesthésiste, etc. La seule raison qui l’en empêche ce sont les règlements du gouvernement.

Reflets : Merci, madame Gélinas, pour cette entrevue.