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Peu de domaines du droit international peuvent se vanter d’avoir une histoire aussi riche et complexe et de demeurer aussi vivement d’actualité que le droit international humanitaire (DIH). On peut aisément remonter l’histoire afin de mettre en lumière de nombreuses tentatives d’encadrement normatif de la conduite des hostilités et de la guerre.

Pourtant, encore en 2017, les formulations générales et imprécises des conventions, ainsi que de nombreux conflits doctrinaux et interprétatifs produisent des zones d’incertitude pour les juristes qui étudient les interactions entre la guerre et le droit. De plus, il faut garder en tête qu’entre la bataille de Solférino, qui a stimulé la création du DIH contemporain, et la bataille actuelle dans le Rojava, qui oppose plusieurs groupes ethniques, religieux ainsi que des forces armées étatiques, le monde et les conflits armés ont changé et se sont complexifiés à un rythme effarant.

En effet, avec le développement des technologies des communications, des équipements militaires, ainsi que l’évolution de la société internationale qui s’accompagne d’une remise en question progressive mais persistante des formes traditionnelles des États, de nombreuses questions émergent. Ces questions sont d’autant plus complexes qu’elles se penchent sur des conflits armés qui s’animent sur des théâtres d’opérations de plus en plus vastes et variés. Au demeurant, le développement de compagnies de sécurité privées occupant des fonctions d’appui et de soutien aux forces armées traditionnelles, l’émergence de groupes terroristes transnationaux et le déploiement d’opérations militaires conjointes contre des groupes armés qui contestent l’ordre westphalien ne sont pas des situations qui étaient envisagées lorsque les principaux traités de DIH ont été élaborés dans la première moitié du XXe siècle.

C’est dans l’espoir de permettre au lecteur ou à la lectrice de s’orienter dans cet espace juridique qu’a été écrit ce dernier ouvrage du professeur Claude Emanuelli. Les conflits armés et le droit est un livre pédagogique qui permet à la fois la synthèse et la vulgarisation du DIH. Il s’inscrit dans la lignée de l’impressionnante bibliographie publiée par Emanuelli qui, rappelons-le, est professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Dans une certaine mesure, ce livre semble être une forme de continuité, ou même une synthèse, de son ouvrage anglophone précédent, International Humanitarian Law[1] publié en 2009. Soulignons également qu’Emanuelli a aussi rédigé plusieurs travaux en droit international public, privé et humanitaire. Cependant, si ce livre s’aventure parfois dans des discussions autour des tensions qui animent le DIH, ces aventures demeurent anecdotiques et le corps de l’oeuvre s’adresse plus aux néophytes qu’aux juristes aguerris et rompus à l’étude du DIH.

Les conflits armés et le droit se divise en quatre titres qui sont chacun subdivisés en plusieurs chapitres, sections puis paragraphes. L’auteur dresse dans un premier temps une vue d’ensemble du DIH, de ses particularités et de son histoire, puis recense les différentes règles applicables avant de se pencher sur les mécanismes de mise en oeuvre. Il conclut par un sommaire des défis et des enjeux du DIH contemporain. Le livre s’inscrit dans une analyse proche du positivisme classique, qui rompt dans une certaine mesure avec un pan des juristes du DIH qui pratiquent une certaine forme d’activisme doctrinal[2]. Bien que ce conservatisme n’enlève rien à la validité des affirmations et des arguments posés, nous sommes toutefois d’avis qu’il peut s’avérer pertinent de demeurer sensible à l’existence d’un courant au sein de la doctrine qui étend plus largement l’application des normes du DIH.

Dans le premier titre, l’auteur présente une vue d’ensemble du DIH. Il clarifie dans un premier temps les enjeux de terminologie et pose le DIH comme un ensemble capable d’englober le DIH, le droit de la guerre et le droit des conflits armés. S’ensuit un retour historique sur les origines du droit des conflits armés avant de se pencher plus précisément sur les particularités propres à ce domaine du droit. Il poursuit ensuite en recensant et en commentant les différentes sources invoquées du DIH. Il termine ce titre en offrant une liste des acteurs et des sujets du DIH, avant de souligner les différentes considérations qui accompagnent la qualification des conflits armés.

Le second titre est subdivisé en deux chapitres. Dans le premier, Emanuelli détaille les différentes règles de protection qui régissent les conflits armés alors que dans le second, il recense les différents signes distinctifs qui jouissent d’une protection particulière. Il énonce d’abord les règles fondamentales produites par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et les propose comme règles d’application potentiellement générales. Il poursuit en explorant les régimes spécifiques de protection pour les personnes combattantes et pour les civils, chacune de ces catégories étant traitée dans un premier temps sous la loupe des conflits armés internationaux, puis sous la loupe des conflits armés non internationaux.

Dans le troisième titre, Claude Emanuelli se penche sur la mise en oeuvre du DIH. Il débute par une étude des mécanismes de mise en oeuvre nationaux qui découlent directement des obligations conventionnelles des États au sein des Conventions de Genève et des protocoles additionnels. Il poursuit par une recension des différents mécanismes onusiens, notamment en ce qui concerne le déploiement de juridictions pénales internationales. Il termine ce titre en énonçant les différents mécanismes juridiques mis en place par le Canada afin de permettre la mise en oeuvre de ses obligations conventionnelles relatives au DIH.

L’auteur clôt le livre sur un quatrième titre dans lequel il vise à présenter les défis contemporains du DIH. Il relève différents efforts récents visant à élaborer de nouvelles normes de DIH et souligne la tension inhérente à un domaine qui est à la jonction des principes d’humanité et de la nécessité militaire. Selon lui, bien que les initiatives unilatérales permettent un développement du DIH qui soit positif, cet unilatéralisme nuit grandement à la crédibilité des normes qu’il produit. L’auteur énonce ensuite une liste de chantiers pour lesquels les États devraient prévoir la mise en place de nouvelles règles. Il s’agit du recrutement d’enfants-soldats, du développement de stratégie de guerre cybernétique, de l’utilisation de système d’armement autonome, de l’utilisation des satellites à des fins militaires, ainsi que de l’encadrement des compagnies militaires et de sécurité privée. Il poursuit en suggérant des pistes interprétatives des articles des différents traités et conventions. Il profite de la fin de ce titre pour élaborer une liste de pistes exploratoires afin de permettre un plus grand respect des règles du DIH, notamment dans le cas de conflits armés non internationaux. Selon l’auteur, l’octroi de protection spéciale aux membres combattants de groupes insurrectionnels et la reconnaissance en droit commun de la particularité de leurs situations encourageraient, chez les membres de ces groupes, le respect des règles du DIH.

Dans ce livre, Claude Emanuelli offre un portrait général du DIH qui permettra aux néophytes de se familiariser avec les principaux enjeux du domaine ainsi qu’avec les principes généraux qui l’animent. Il ne faudrait pas se surprendre que ce livre ne fasse pas grand bruit, car il ne semble n’en avoir ni la prétention ni l’intention. L’auteur cartographie efficacement l’état du DIH conventionnel, mais n’offre pas de proposition méthodologique ou théorique qui pourrait guider un exercice de lex ferenda du DIH. Cependant, ce qu’il ne propose pas en termes d’innovation, il le compense largement par la précision de son propos, la clarté de ses raisonnements et la richesse de ses références, qui sont nombreuses, variées et pertinentes.

Aussi faut-il noter que l’auteur, qui s’est souvent montré critique des volontés d’interprétation extensive des normes du DIH, ne rompt pas avec cette posture qu’il a développée précédemment, notamment dans sa critique de l’étude des règles coutumières du CICR[3]. Conséquemment, l’ensemble du livre est empreint d’un certain conservatisme propre aux analyses volontaristes du droit international public en ce qu’il reconnaît très peu, voire aucun, espace pour la création de normes internationales à l’extérieur de l’expression d’une volonté claire et manifeste des États. Ceci ne constitue pas une faiblesse en tant que telle de ce livre, mais suggère tout de même une certaine prudence du lecteur ou de la lectrice afin de prévenir un rejet trop précipité d’interprétation doctrinale qui puisse être certes imaginative, mais également plausible et reconnue par certaines juridictions ou autorités internationales.