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Les codirecteurs de cet ouvrage paru récemment, Aurélie Choné, Isabelle Hajek et Philippe Hamman, entendent faire de leur livre un « guide » pour aider les sciences sociales francophones à « penser » les bouleversements environnementaux actuels. Y sont mobilisés de nombreux collaborateurs spécialistes de ces questions, issus d’universités de France, Belgique et Allemagne.

Répartis en plus de 60 rubriques, les textes ont vocation de répondre à deux questions fondamentales : comment penser la nature ? comment vivre avec la nature ? Dans la première partie, qui porte sur les théories, sont présentées les principales approches de sciences sociales associées à l’analyse environnementale dans une perspective multidisciplinaire. Sont ainsi abordées des approches liées à l’éthique et à la philosophie (dont l’écosophie et l’écospiritualité), à l’histoire, à la psychologie, au droit, à l’éducation et aux communications, aux arts et lettres (y compris la poétique et l’esthétique), ainsi que des approches convoquant les sciences politiques, la sociologie et l’anthropologie (écologie politique, épistémologie, ethnoécologie). Des perspectives d’urbanisme et de santé sont également mises en exergue. La seconde partie explique comment des thématiques posant question actuellement sont abordées en recherche sociale. Les sujets, variés, vont d’enjeux vastes (« le vivant ») à des questions très spécifiques (« la protection juridique de l’animal »). Des thèmes aussi différents que le développement durable, la paysannerie ou les catastrophes naturelles s’y côtoient, le tout visant à mettre en lumière l’apport des Humanités dans des questions d’actualité posant débat dans nos sociétés. Le souci d’exhaustivité de l’ensemble est évident, et donne tout son sens à la désignation de « guide » pour l’ouvrage. Au-delà de ces thèmes, l’ensemble montre donc toute la complexité des rapports entre les humains et la nature, ainsi que la nécessité de les aborder aussi par des sciences humaines et sociales lorsque vient le temps de réfléchir et de prendre action.

Certains éléments traversent l’ensemble des chapitres et donnent une couleur particulière à l’ouvrage. D’abord, le souci réel de présenter clairement les thèmes abordés, en moins de dix pages habituellement, et de manière à ce que des lecteurs d’horizons variés puissent saisir les notions et les enjeux abordés. Cet effort d’une écriture simple – mais non simpliste – fait de cet ouvrage un puissant outil pédagogique pour les milieux universitaires et professionnels, et s’avère d’autant plus louable que les auteurs sont des chercheurs reconnus dans leurs disciplines et domaines respectifs. Une autre force du volume et de ses rubriques réside dans le souci général (sauf quelques exceptions) de présenter de manière critique les approches permettant de se saisir socialement des questions environnementales, sans tenter de masquer les controverses scientifiques autour des théories ou des notions abordées. Enfin, à chaque chapitre, la présentation systématique d’exemples de travaux scientifiques en lien avec les thèmes traités permet de bien saisir les propos et de les ancrer dans des situations plus concrètes.

L’ouvrage suscite donc attention et vif intérêt. Il demeure cependant un produit de la francophonie européenne, et nous pouvons déplorer l’absence d’auteurs issus d’autres espaces francophones, dont le Québec et le Canada. Ces apports auraient diversifié les exemples, mais surtout auraient permis de relativiser – ou de voir d’une autre perspective – certains enjeux présentés comme des crises. Par exemple, les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont traités très différemment selon les continents. Autre exemple, les questions des hydrocarbures et de l’extractivisme suscitent de chauds débats en Amérique du Nord, mais aucune place ne leur est consacrée dans la seconde partie, sur le « comment vivre avec la nature ». Par ailleurs, l’angle de la francophonie européenne teinte parfois le choix des auteurs – voire des acceptions – mobilisés pour expliquer certaines notions. Ce constat ne s’applique pas à tous les chapitres, mais certains demeurent assez peu ouverts au milieu scientifique anglophone, par exemple les auteurs traitant d’écoformation ou d’écologie politique, alors que ces théories tiennent une large place dans la littérature des « humanités » de langue anglaise.