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Présentation

Cet ouvrage collectif s’inscrit dans la foulée d’un rapprochement de plus en plus fréquent entre les sciences du travail et les sciences de l’éducation. Il réunit les contributions de 22 auteurs associés à des équipes de recherche provenant de la France et de la Suisse. Adoptant les postulats de l’ergonomie de langue française (Guérin, Laville, Daniellou, Duraffourg et Kerguelen, 2007; Leplat, 2000, 2008), les contributeurs de ce volume conçoivent le travail comme l’articulation entre tâche (travail prescrit) et activité (travail réel) d’opérateurs ou de praticiens. Sous cet angle, l’apport escompté de l’analyse du travail – c’est-à-dire de l’analyse des tâches et de l’activité – de praticiens des métiers de l’éducation (enseignants, dirigeants scolaires, formateurs, etc.) consiste à développer une connaissance plus affinée et plus exhaustive de la réalité de leur travail. Cette connaissance, une fois réintroduite en formation, offrirait le potentiel de mieux les préparer à l’exercice de leur métier. Les travaux menés dans cette optique, dont ceux rassemblés dans cet ouvrage, contribuent ainsi au courant de recherche de «l’analyse du travail dans une visée de formation» selon les termes des directeurs, Lussi Borer, Durand et Yvon.

En présentant une pluralité de situations et de dispositifs de formation, cet ouvrage a pour objectif de susciter «une réflexion relative à la dynamique épistémologique et professionnelle propre insufflée par cette convocation de l’analyse du travail dans le champ des sciences de l’éducation» (p. 23). À cette fin, le volume présente dix chapitres répartis selon quatre parties, lesquelles offrent autant de focales sur la nature des liens entre l’analyse du travail et la formation dans les métiers de l’éducation. La première partie porte sur l’analyse du travail et la conception de formations. Elle regroupe les textes de Veyrunes, Yvon et Poizat et al. Ces auteurs abordent la façon dont les résultats de l’analyse de l’activité d’acteurs expérimentés (dont des enseignants et des dirigeants scolaires) alimentent des modélisations du travail réel et la conception de contenu de formation. La deuxième partie, elle, prend pour ancrage l’analyse du travail et la formation de formateurs. Elle présente les travaux de Rogalski et Robert, de Goigoux et Serres, ainsi que de Chaliès et Bertone, dont l’objectif est de former des formateurs d’enseignants aux outils et aux concepts de l’analyse du travail dans une optique d’accompagnement et de transmission de savoirs académiques ou de règles du métier. La troisième partie traite de l’analyse d’activité en formation. Elle rassemble les textes de Filliettaz et Trébert, de même que de Flandin, Leblanc et Muller. Ces contributions interrogent les effets de dispositifs de formation relevant de l’analyse de l’activité sur le développement professionnel d’acteurs (praticiens), le rapport au métier, à l’institution, aux espaces de formation et aux collectifs de professionnels. Enfin, la quatrième et dernière partie fait état de travaux où l’analyse de l’activité est mobilisée comme démarche de formation et d’intervention en milieu de travail. Cette partie, qui réunit les textes de Félix et Saujat et de Lussi Borer et Ria, expose ainsi des contributions mettant en exergue la participation d’acteurs à une recherche-intervention ou à un dispositif d’analyse du travail et les effets de cette participation sur leur développement, par exemple en termes de réflexivité et de prise de conscience. La conclusion de l’ouvrage revient, quant à elle, à Durand, qui propose une réflexion en trois temps: d’abord, sur la configuration des recherches en analyse du travail dans une visée de formation; ensuite sur les apports spécifiques de ce courant en éducation et, finalement, sur la notion de métier de l’éducation et sur sa spécificité à la lumière d’une analyse du travail.

Point de vue

Bien que cet ouvrage présente une variété de contributions, la cohérence d’ensemble, qui se concentre sur l’articulation entre l’analyse du travail et la formation, est notable. En outre, l’effort de clarification, réalisé en introduction par les directeurs, oriente de façon astucieuse le lecteur pour lui permettre de saisir aisément trois dimensions importantes du courant de l’analyse du travail dans une visée de formation, à savoir: 1) les différentes fonctions associées à l’analyse du travail, notamment les liens qu’elle entretient avec la formation, 2) l’unité et la diversité des approches dans le courant de l’analyse du travail en formation et 3) la rencontre entre l’analyse du travail et la formation aux métiers de l’éducation prise dans le mouvement de la professionnalisation. Aux dires de Lussi Borer, Durand et Yvon, «cet ouvrage est [d’ailleurs] fédéré par la conviction partagée que le prise en compte du travail et son analyse en formation professionnelle recèlent des réponses aux questions qui se posent aujourd’hui au courant de la professionnalisation» (p. 253). La question de la professionnalisation reste toutefois implicite dans la plupart des contributions. Par ailleurs, en cherchant à connaître et à comprendre l’activité de professionnels des métiers éducatifs en situation de travail, les auteurs des textes présentés tendent à laisser quelque peu dans l’ombre de leur analyse la tâche de ces professionnels. En référence aux postulats ergonomiques de langue française (Guérin et al., 2007; Leplat, 2000, 2008), l’analyse du travail admet pourtant d’examiner aussi bien la tâche que l’activité des travailleurs. Les normes du travail éducatif sont, elles aussi, peu abordées au fil des contributions. Or, nous croyons qu’il aurait été opportun de les considérer, notamment dans les textes de la première partie portant sur l’analyse du travail et la conception de formations, puisque ces normes sont, entre autres, reconnues pour influencer considérablement l’activité enseignante (Maroy, 2005).

Néanmoins, force est de constater que, dans cet ouvrage, la diversité des articulations proposées entre analyse du travail et formation témoigne d’une inventivité certaine, laquelle se traduit notamment par des protocoles de recherche renouvelés et par des résultats empiriques inédits, souvent contre-intuitifs. Les dispositifs de formation originaux ainsi conçus ne manqueront pas d’intéresser celles et ceux qui souhaitent approfondir leur réflexion sur les liens entre l’analyse du travail et les sciences de l’éducation, autant que des chercheurs confirmés. Ces derniers y verront diverses illustrations des manières de penser les conditions à partir desquelles des approches théoriques relevant de l’analyse du travail peuvent se compléter en formation, et ce, malgré leurs divergences épistémologiques dans le domaine de la recherche (Durand, 2009).