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L’image d’entreprise est un concept complexe (Virvilaite et Daubaraite, 2011), « plurivoque et flou… abondamment utilisé et peu interrogé au fond » (Le Moënne, 2008). L’absence d’une définition admise de tous constitue un frein à toute recherche structurée, chaque auteur ayant sa propre perception (Gioia et Al., 2000), créant un désintérêt pour le concept, d’autant que celui-ci a souvent des connotations négatives et est interprété comme manipulatoire (Corley et Al., 2001). En effet, l’accent mis sur l’image se fait souvent au détriment de la réalité (Boorstin, 1961). L’image peut représenter une réalité « fausse ou fabriquée » (Gotsi et Wilson, 2001) dans le but de manipuler l’opinion publique. Il est impossible de savoir ce qu’elle représente réellement (Grunig, 1993), ce qui amène à son rejet (Cutlip 1991). Par ailleurs, les recherches traitent rarement du concept lui-même mais de ses effets sur les parties prenantes, notamment externes (Corley et Al., 2001). L’image d’entreprise apparaît être un actif de valeur à gérer (Abratt et Mofokeng, 2001). Au final, le concept est décrié dans la littérature du fait qu’il apparaît manipulatoire (Cutlip 1991), difficile à gérer (Dowling, 1988), instable (Schwebig 1988), volatile et versatile (Boutin et Al, 2008). Le faible intérêt académique s’explique par les théories habituellement mobilisées sur le concept :

  • L’image d’entreprise est principalement définie comme un concept de réception, ce qui conduit à le rejeter puisque « la perception est une expérience et un processus par lesquels les consommateurs sélectionnent et interprètent les informations qui parviennent à leurs sens » (Lewi et Lacoeuilhe, 2007). Ainsi se posent les questions du rapport entre l’objet et l’image, de la stabilité de l’image dans le temps et de la multiplicité des réceptions possibles qui conduisent à considérer que l’image n’est pas unique mais multiple. Puisque chaque individu est unique, chaque perception l’est aussi, de sorte qu’il y a autant d’images que d’individus rendant le concept instable et non gérable, le monde objectif laissant la place au subjectif (Gimenez, 1997).

  • L’image d’entreprise étant conceptualisée du point de vue du destinataire (Grunig, 1993), elle existe dans les esprits des cibles et n’est pas une possession de la société (Brown, 1998), et n’est donc pas contrôlable par l’entreprise. Les auteurs se sont en conséquence tournés vers la variable d’émission (l’identité). La construction de l’image suppose l’utilisation de facteurs d’émission que les auteurs nomment identité d’entreprise, correspondant aux caractéristiques uniques enracinées dans le comportement des membres de l’organisation (Larcon et Reitter, 1979).

Au-delà des théories de la réception et/ou de l’émission, si l’on considère que l’image correspond à la compréhension de l’entreprise par n’importe quelle partie prenante (Chattananon et Lawley, 2007), elle peut s’inscrire dans le cadre de l’asymétrie de l’information étudiée par la théorie du signal (Spence, 1973). Un signal peut être défini comme toute action (ou caractéristique manipulatoire) qu’une entreprise peut entreprendre et qui communique aux parties prenantes une information sur elle-même afin de la différencier (Kelly, 1991). Les parties prenantes confrontées à l’évaluation des entreprises la font reposer sur les éléments fournis par des sources contrôlables comme l’entreprise et incontrôlables comme d’autres groupes (clients, internautes …) (Yeo et Youssef, 2010), chaque information apparaissant comme un signal disponible pour interpréter les caractéristiques organisationnelles (Spence, 1974). Ainsi, l’image peut être considérée comme un signal. La théorie du signal distingue deux caractéristiques à un signal, l’information et l’interprétation, qu’il est possible de transposer à l’image (l’information provenant de l’identité et l’interprétation s’appuyant sur la réception). La prise en compte de la théorie du signal apporte un lien entre les différentes définitions et perceptions de l’image puisque « la perception est avant tout une expérience sensorielle par laquelle le consommateur reçoit des informations qu’il va sélectionner, organiser et interpréter pour donner du sens à ce qui l’entoure » (Lewi et Lacoeuilhe, 2007). L’image s’intègre dans ce cadre puisque toute information peut être perçue comme un signal perçu ou non par la cible permettant de créer un sens.

Cet article a pour objectif d’apporter une vision du concept d’image d’entreprise à travers la théorie du signal et de proposer une définition à travers cette conception permettant de relier toutes les visions du concept. A cette fin, il convient de revenir sur les différentes conceptions du concept d’image, puis de réfléchir aux fondements théoriques de l’image comme signal.

Qu’est-ce que l’image d’entreprise ?

Trois courants définissant l’image d’entreprise se dessinent dans la littérature : certains auteurs ne s’intéressent qu’au concept, d’autres le définissent par rapport à des concepts liés (identité ou réputation), d’autres encore le décomposent en plusieurs images.

L’approche holiste de l’image d’entreprise

L’image d’entreprise est perçue comme ayant un sens intrinsèque provenant des associations et des impressions qu’un consommateur a en mémoire à propos d’une entreprise (Keller, 2003). Elle correspond aux impressions générales des cibles laissées par l’ensemble des symboles distincts d’une société (Barnett et Al, 2006). C’est « ce qui vient à l’esprit quand on entend le nom ou voit le logo de la firme » (Gray et Balmer, 1998).

La théorie des représentations sociales de Moscovici (1961) est utilisée par analogie pour élucider la notion d’image. Le processus d’objectivation qui produit la figure (l’image d’entreprise) et le processus d’ancrage qui lui donne du sens sont sources de l’analyse :

  • Le processus d’objectivation qui a pour finalité de rendre tangible l’abstrait possède pour l’image d’entreprise cinq observables concrets (Le Blanc et Nguyen, 1995) : l’identité; l’environnement physique; le personnel de contact; les services offerts; l’individualité d’entreprise (philosophie de l’entreprise, valeurs et culture, gestion stratégique, mission et objectifs). Ce processus est lié à la raison sociale, l’architecture, la variété de produits/services, la tradition, l’idéologie et l’impression de qualité communiquées par chaque personne interagissant avec l’organisation (Nguyen, 2006) bien que les trois dernières puissent paraître litigieuses en raison de leur caractère immatériel.

  • Le processus d’ancrage qui construit le sens se forme pour l’image d’entreprise à partir de deux types d’antécédents : les expériences de consommation et l’ensemble des informations que reçoit le consommateur à propos de l’entreprise concernée (publicité, bouche à oreille …). Ainsi, l’image peut être considérée comme la résultante d’une accumulation, au cours du temps, d’expériences et/ou d’informations issues du marché (Selnes, 1993). Elle est l’ensemble des impressions générales laissées aux observateurs internes ou externes issues de l’ensemble des symboles d’une société (Barnett et Al, 2006) et est de plus en plus conceptualisée comme un réseau mental d’associations affectives et cognitives connectées à la société (Bernstein, 1984; van Riel, 1995). Ces associations incluent des perceptions, des inférences et des croyances d’une société, des informations sur les actions antérieures de la société, des caprices et émotions expérimentés par la personne en ce qui concerne l’entreprise (Brown et Dacin, 1997). Ces antécédents sont à considérer comme une base de connaissances dans laquelle l’image d’entreprise va s’intégrer.

L’image renvoie à une impression holistique et vive, tenue par un groupe particulier à l’égard d’une société, résultant en partie de la fabrication de sens effectuée par ses membres et en partie de la communication de la firme concernant sa nature, c’est-à-dire l’image qu’elle a fabriquée et qu’elle projette (Gioia et Al., 2000). Ainsi l’image est la compréhension de la firme par n’importe quelle partie prenante (Flavian et Al., 2007). Heller (2008) précise que « la notion d’image d’entreprise oscille entre deux orientations de sens, entre ce qui se passe dans les têtes et ce qui se passe dans les discours ». Il distingue dans le concept le processus d’objectivation et le processus d’ancrage rappelé précédemment. L’image devient « ce que les individus ont perçu de cette entreprise, ce qu’ils en savent, ce qu’ils en pensent et la manière dont ils l’évaluent » (Moliner, 1996). Sur la durée, ces éléments forment une mosaïque d’impressions créant l’image (van Riel, 1995).

Le schéma suivant permet de visualiser la perception de l’image d’entreprise dans une approche holiste du concept :

FIGURE 1

Approche holiste de l’image d’entreprise

Approche holiste de l’image d’entreprise

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L’approche restrictive de l’image d’entreprise

L’image d’entreprise est perçue soit comme un élément inclus dans la réputation, soit comme la résultante de l’identité.

L’image et l’identité sont considérées comme les composantes de base de la réputation (Fombrun et van Riel, 1997). L’image représente la perception des cibles externes et l’identité correspond à la perception que les salariés se font de leur entreprise. La réputation est le résultat net de l’agrégation de ces perceptions (Chun, 2005). Ainsi, il existe une certaine confusion amenant à un amalgame entre les trois concepts utilisés de manière interchangeable (Wartick, 2002). Par exemple, la définition de l’identité de Fombrun (1996) (groupe de valeurs et principes des employés et des managers) est identique à celle de l’image d’entreprise de Whetten et Mackey (2002) conçue comme ce que les salariés souhaitent que leurs patries prenantes externes comprennent, ou encore à celle de Bromley (2001) la considérant comme l’état d’esprit collectif interne se situant à la base des efforts de communication d’entreprise pour se présenter aux autres parties prenantes.

En terme de hiérarchie des concepts, certains pensent que la réputation intègre l’image (Fombrun, 1996), d’autres considérant le contraire (Wei, 2002). Wei montre que l’image correspond à l’impression que les parties prenantes ont de la société, tandis que l’identité est l’ensemble de faits définissant la société, ses buts et sa culture. Ainsi, l’image apparaît liée à chaque partie prenante. Il existe des images d’entreprise qui se construisent par les relations que chaque partie prenante entretient avec l’organisation (Fombrun, 1996). Chun (2005) fait une distinction entre l’image, l’identité et l’identité désirée. L’image se réfère à « comment d’autres nous voient, » l’identité est « comment nous nous voyons, » et l’image désirée est « comment nous voulons que les autres nous voient ». L’image est considérée comme une représentation mentale subjective, sélective et simplificatrice, qui évolue selon une logique qui tient de la rationalité limitée. Celle-ci résulte d’une série de messages perçus exprimant l’identité de l’organisation et qui détermine l’attitude du public vis-à-vis de l’organisation (Boutin et Al, 2008). Cette approche conduira à la dernière conception de l’image d’entreprise exposée dans le paragraphe suivant.

Les liens entre les variables selon cette conception sont présentés à travers le schéma suivant :

FIGURE 2

Approche séparative de l’image d’entreprise

Approche séparative de l’image d’entreprise

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Les processus d’objectivation et d’ancrage précédents restent identiques pour la création des différentes images, mais l’identité est un élément supplémentaire d’objectivation. Les processus n’ont pas été ajoutés dans ce schéma pour le rendre lisible.

L’approche dichotomique et/ou multiple de l’image d’entreprise

Certains auteurs, dont Grunig (1993) retiennent deux éléments dans l’image d’entreprise : l’image créée et projetée par l’organisation et l’image considérée comme une perception d’une cible. Cette dernière conduit à un rejet du concept car il est difficile de gérer une réception. La première est gérable car elle est le reflet dont les organisations communiquent avec les parties prenantes sur des valeurs réelles et désirées, des croyances et des comportements de l’entreprise (Gioia et Al, 2000).

Si le concept apparaît divisible, les auteurs ne s’accordent, ni sur le nombre de divisions, ni sur leur appellation. Rindell et Al. (2010) distinguent l’héritage d’image créé par le consommateur à partir de ses expériences et l’image en utilisation résultant des activités de l’entreprise, les deux réunis formant l’image d’entreprise. Celle-ci est étudiée sous deux perspectives : l’angle du consommateur et l’angle de l’entreprise. Le schéma proposé par Kapferer (1988) résume ce point de vue :

FIGURE 3

L’approche de Kapferer de l’image

L’approche de Kapferer de l’image

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L’approche entreprise est dirigée vers l’amélioration des activités marketing tandis que l’approche consommateur est basée sur leur interprétation. Les parties prenantes sont influencées par l’image résultant des actions de l’entreprise qui la créent ainsi. Marion (1989) décompose l’image d’entreprise en trois éléments : l’image déposée, représentation collective des parties prenantes de l’entreprise; l’image voulue, symbole des valeurs déclarées par le noyau stratégique; l’image diffusée, discours tenu par et sur l’entreprise.

Dès lors, l’image peut être à la fois l’expression d’une volonté institutionnelle à destination de l’extérieur et le résultat de la perception de l’organisation par son environnement direct. La question de la sincérité de l’image projetée se pose (Gioia et Al., 2000). Représente-t-elle les caractéristiques essentielles de l’identité organisationnelle ? Est-ce la projection d’une image future désirée (Gioia et Thomas, 1996) ? Est-ce un essai de transmission d’une impression socialement désirable de l’organisation ou n’est-ce pas une tentative de dissimulation ou de déformation de l’identité ?

L’image d’entreprise peut être aussi décomposée en image produit, image de marque et image que se font les consommateurs de la marque (Worcester, 2009). Ce n’est plus la volonté de l’entreprise de manager son image qui est important mais l’analyse de la complémentarité des images : quel rôle chaque image (produit, marque, entreprise) joue dans la création des autres images ? Quels sont les sens des relations entre les images ? Il s’agit plus d’une gestion de portefeuille des images que de la perception de l’image d’entreprise en tant que telle à travers la décomposition du concept.

Cette conception est matérialisée dans le schéma suivant :

Si ces trois courants considèrent l’image d’entreprise comme un concept de réception, il existe des différences majeures présentées dans le tableau suivant.

La théorie du signal comme vision unificatrice

Ces trois conceptions de l’image d’entreprise peuvent être réunies par la théorie du signal tendant à une vision unificatrice du concept.

Retour sur le signal et la théorie du signal en gestion

L’étude des signaux a pour objectif d’obtenir de l’information ou de rendre l’information porteuse de sens (Kunt, 1999) à travers deux axes d’étude : l’émission et la réception du signal. En théorie des organisations, les travaux portent plus sur le premier axe (Spence, 2002), le signal est considéré comme « envoyé intentionnellement vers un ou plusieurs récepteurs ciblés qui seront sans doute en position d’entendre le signal » (Lesca et Blanco, 2002), mais il peut être aussi une émission non délibérée de la part d’un émetteur. Le signal peut être délibéré ou non délibéré.

Un signal en cybernétique est « une variation d’une grandeur physique de nature quelconque porteuse d’information » (Le Petit Larousse, 1995). En linguistique, il sera « toute marque porteuse d’information, mais à condition qu’elle ait été délibérément produite par quelqu’un escomptant qu’elle sera comprise comme telle » (Baylon et Mignot, 1999). En gestion, c’est une action (ou une caractéristique manipulable) qu’une organisation peut développer et qui communique une information sur elle-même de manière à la distinguer (Kelly, 1991). En stratégie d’entreprise, Porter (1980) définit les signaux comme les actions et/ou les annonces d’une société transmettant des informations sur ses intentions et capacités. En économie, il représente une activité ou un attribut qui, soit par conception, soit par accident, modifie les croyances ou transmet de l’information à d’autres (Spence, 1974). Les signaux sont une forme de communication crédible véhiculant de l’information des vendeurs aux acheteurs (Spence, 2002). Les définitions apparaissent proches puisqu’un signal semble être un élément quelconque porteur d’information plus ou moins interprété correctement.

La théorie des signaux cherche à expliquer comment les décideurs interprètent et répondent aux situations où les informations sont tant incomplètes qu’asymétriquement distribuées parmi les parties d’une transaction (Spence, 1974). La théorie est fondée sur l’idée selon laquelle une entreprise dispose d’une parfaite information alors que les parties externes doivent s’appuyer sur ce que l’entreprise est prête à partager (Nelson, 1970). Ce contexte crée un risque de sélection adverse et d’aléa moral (Akerlof, 1970). Un signal est ainsi un attribut ou une activité qui prouve que l’une des parties dispose d’informations personnelles et difficilement vérifiables (Riley, 1989) pouvant servir à réduire l’incertitude de l’autre partie quant à la qualité intrinsèque mais non observable de l’émetteur (Spence, 1974).

FIGURE 4

Approche dichotomique de l’image d’entreprise

Approche dichotomique de l’image d’entreprise

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Pour être efficace, le signal doit répondre à deux conditions interdépendantes : il doit être suffisamment coûteux pour différencier les entreprises ce qui nécessite une forte mobilisation de la part de l’émetteur (Spence, 1974); les parties externes doivent croire qu’il existe une corrélation positive entre le signal et la qualité sous-jacente de la source (Stigler, 1961). Le lien entre les deux éléments (signal et sens) est devenu indissociable au point que personne ne peut plus les envisager l’un sans l’autre (Benveniste, 1966). Ainsi, un signal est une « action crédible et informative car ceux qui tenteraient de signaler de façon malhonnête la qualité non observable souffriraient de fortes conséquences financières » (Rao et Al, 1999). Cette action peut prendre différentes formes : une part de marché élevée (Hellofs et Jacobson, 1999), un prix élevé (Spence, 1974), des marques (Rao et Al, 1999), des dépenses de publicités (Kirmani et Wright, 1989), des offres de garantie (Grossman, 1981). Pour réduire les risques, les parties prenantes identifient les caractéristiques observables et modifiables influant sur la probabilité conditionnelle de la performance de l’organisation qui sont dénommées signaux.

La théorie des signaux stipule qu’une organisation peut réduire des problèmes d’asymétrie d’information en adressant et interprétant des signaux (Spence, 1974). Si les parties informées émettent activement des signaux, les audiences non informées reçoivent et interprètent passivement ces signaux. En conséquence, en situation de grande incertitude, les audiences peuvent se mettre en quête active de filtres - des attributs organisationnels - leur permettant d’opérer un tri entre les différentes organisations émettrices (Sanders et Boivie, 2004).

Dans le cadre concurrentiel, l’interprétation des signaux dépend non seulement de la nature de l’information véhiculée, mais aussi des caractéristiques du signal envoyé, et précisément de sa visibilité (Heil et Robertson, 1991). Un signal est visible s’il est perçu et analysé rapidement avec une faible marge d’erreur. En conséquence, la cible est capable d’évaluer les intentions de l’organisation émettrice. Il existe donc deux types de signaux : des signaux de conformité visibles et d’autres peu visibles.

L’image d’entreprise comme signal

L’image d’entreprise est le principal moyen de traiter l’ignorance des consommateurs dans une économie de marché (Kay, 2004). En la considérant comme un signal, il est possible de comprendre les différents courants liés à l’image d’entreprise. Le premier s’est intéressé à la perception du signal et conduit à une interprétation du sens attribué au signal par les cibles. L’image d’entreprise est considérée comme une représentation de ce sens et est fonction des différentes cibles puisque chacune d’entre-elles ne reçoit pas nécessairement les mêmes signaux et ne les décode pas obligatoirement de la même manière. Ce courant s’intéresse cependant au processus d’objectivation et d’ancrage, en d’autres termes aux éléments d’émission et au processus de création du sens du signal. Dans l’approche restrictive, les signaux qui partent de l’entreprise sont distingués de ceux qui proviennent de toutes les autres cibles et intervenants de l’environnement. La dernière approche différencie les deux niveaux d’un signal : l’information contenue et le sens attribué à cette information.

Tableau 1

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L’image peut s’inscrire comme un signal intentionnel de l’organisation, signal que celle-ci souhaite maîtriser et qui doit apporter un sens à travers l’information et l’interprétation. Cela permet de comprendre la distinction entre les différentes images (Grunig, 1993) : une image créée et projetée par l’organisation et une image considérée comme une perception. En réalité, il s’agit de la décomposition du signal. L’information sert à définir l’image créée et projetée et l’interprétation concerne l’image perçue. Tous les éléments liés à sa création (nom, communication …) sont autant de signaux plus ou moins visibles que l’entreprise adresse à l’ensemble de ses parties prenantes. Moscovici (1961) postule l’existence de liens étroits entre les images et les croyances collectives. Selon lui, l’image et l’objet sont deux processus qui ont pour fonction « de doubler un sens par une figure, donc objectiver d’un côté... et une figure par un sens, donc ancrer de l’autre côté… les matériaux entrant dans la composition d’une représentation déterminée ». Le processus d’objectivation produit la figure et le processus d’ancrage lui donne sens (Moliner, 2008). Weick (1995) précise que si le sens naît de la confrontation d’un existant qui relie le travail de l’interprète (les parties prenantes) et de son auteur (l’organisation), c’est dans l’interprétation que la conception du sens se construit. Le rôle de l’image d’entreprise apparaît plus évident, en distinguant le processus d’objectivation qui produit la figure (l’image d’entreprise) et le processus d’ancrage qui lui donne du sens.

Avec la théorie du signal, la difficulté à manager l’image d’entreprise s’explique car il s’agit de gérer des signaux qui peuvent être produit délibérément par l’organisation pour communiquer avec une partie prenante et être reconnu comme tel par celle-ci ou de manière involontaire (par exemple le retour à l’atelier d’un produit défectueux) et le sens n’est pas toujours évident pour les cibles (une publicité peut avoir un sens caché). De plus avec le Web 2.0, les messages maîtrisés par l’entreprise se réduisent et tendent à provenir plus des parties prenantes que de l’entreprise. La difficulté de manager l’image est tout simplement un problème de signaux, de réception et d’interprétation de ceux-ci.

FIGURE 5

La difficulté de manager l’image d’entreprise

La difficulté de manager l’image d’entreprise

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Le contexte dans lequel les signaux sont envoyés et reçus est autant une source d’informations que les signaux eux-mêmes et le contexte peut changer la manière dont un signal est interprété (Eliashberg et Robertson, 1988). L’image d’entreprise peut donc être perçue différemment d’une cible à une autre.

Les réponses des récepteurs aux signaux compétitifs peuvent différer le long de plusieurs dimensions, comme leur force, leur vitesse et la direction. La force d’une réponse se réfère aux types de signaux du récepteur pouvant être agressifs ou coopératifs. La vitesse de réponse a trait à la rapidité dont un récepteur répond à un signal compétitif; un signal peut être envoyé immédiatement à compter de la réception du signal ou après un certain laps de temps. La direction de réponse matérialise le fait que la réponse va dans le sens ou non de l’annonce ou de l’action de l’émetteur.

Afin de bien comprendre comment l’image d’entreprise peut être conçue comme un signal, il est utile de mettre en relief à travers le tableau suivant les éléments principaux de la théorie du signal et leur adaptation à l’image d’entreprise.

Conclusion

Cette analyse de l’image d’entreprise à partir de la théorie du signal conduit à des apports académiques et des questions managériales :

Les apports académiques :

La théorie du signal a permis de montrer une possible réconciliation entre les trois courants sur l’image d’entreprise. Elle a conduit à proposer une définition intégrative : impression générale laissée par les signaux émis volontairement et involontairement par l’entreprise et d’autres entités (clients, pouvoirs publics …) sur une partie prenante. De variable de réception, l’image devient variable d’émission, ce qui conduit à ne plus la rejeter. En prenant ce statut, elle devient gérable puisqu’il s’agit de maîtriser des signaux émis. L’image peut être considérée comme une action volontariste de signes diffusés dans un système ouvert de transfert de signes entre l’organisation et son environnement. Il n’y a donc plus une multiplicité d’images puisque l’entreprise crée un ensemble cohérent de signaux sur elle. Le management de l’image passe par les processus d’objectivation et d’ancrage, ce qui a permis de proposer un modèle de management de l’image (schéma 7).

Les apports managériaux :

Considérer l’image d’entreprise comme un faisceau de signes conduit pour le manager à :

  • Rechercher la cohérence des signaux émis. Le nouveau nom ENGIE de GDF SUEZ véhicule l’idée d’une présence sur toutes les formes d’énergies ainsi qu’une ambition mondiale puisqu’il est compréhensible dans toutes les cultures. Ce changement est conforme à la nouvelle stratégie : être l’entreprise énergétique de référence sur les marchés à forte croissance. Le management des signaux a été opéré de manière hiérarchique. Il est possible d’ordonner les éléments d’activation en tenant compte de trois temps : le temps de la réflexion (projet d’image), le temps des actions préalables (mise en oeuvre du projet) et le temps de la communication du projet. Le schéma suivant illustre la démarche :

FIGURE 6

L’approche de l’image d’entreprise comme signal réunit les trois conceptions traditionnelles du concept

L’approche de l’image d’entreprise comme signal réunit les trois conceptions traditionnelles du concept

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Tableau 2

L’image d’entreprise analysée sous l’angle de la théorie du signal

L’image d’entreprise analysée sous l’angle de la théorie du signal

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Trois éléments d’activation apparaissent modérateurs (valeurs, culture et patrimoine d’image) en ce qu’ils pèsent sur les autres éléments. Le patrimoine d’image peut paraitre un frein à toute évolution rapide. Peut-on penser qu’une entreprise automobile puisse se lancer sur le marché agroalimentaire avec le même nom ?

  • Réfléchir au poids des éléments d’activation dans la création de l’image. Chaque partie prenante considère des signaux spécifiques. Un projet d’image d’entreprise est nécessaire pour constituer un socle devant être perçu de manière identique par toutes les personnes. A partir de cette base, le manager de l’image adapte son message à chaque cible pour l’intéresser avec les signaux adaptés. Ainsi, il sera possible d’insister pour l’actionnaire sur les profits à venir en respectant une responsabilité sociale et sur un achat citoyen pour le consommateur. Ben & Jerry’s a construit son image sur la qualité de ses produits et sur des engagements effectifs. Quel que soit le public visé, la marque est synonyme de gourmandise et de bonne hygiène de vie. Les fondements du management de l’image en tant que signal expliquent ces choix. L’entreprise a réfléchi aux signaux qu’une partie prenante perçoit de l’entreprise. Elle apparait responsable socialement, innovante autour de produits de qualité.

  • Comprendre la perception et l’interprétation d’un signal avant sa diffusion. Un signal doit être décomposé sous son angle positif et son aspect négatif. L’annonce de profits importants émet le signal d’une société qui se porte bien (signal positif) mais faisant payer cher ses produits, discutant âprement avec ses partenaires et rémunérant faiblement ses salariés (signaux négatifs). L’entreprise doit considérer les effets pervers de son discours avant de devoir rectifier le contenu suite à une opposition de tiers. Ainsi, La Tribune (Verdevoye, 2012) indiquait « Porsche va verser à ses 8.500 salariés une prime exceptionnelle de 7.600 euros, ce au titre de l’année 2011 ». En associant tous les salariés à la réussite de l’entreprise, Porsche arrive à faire accepter par tous des profits exceptionnels. Le signal positif l’emporte sur tous les aspects négatifs qu’aurait pu entrainer cette annonce.

  • Renforcer la Direction de la Communication au sein du processus de décision. Le Directeur de la Communication a pour mission de veiller aux signaux émis par l’entreprise, aux actions entrainant des signaux pour les cibles (retour des produits, …) et aux signaux véhiculés notamment sur les réseaux sociaux. Pour cela, il doit s’assurer que les signaux diffusés sont bien décryptés par les différentes parties prenantes en vérifiant que le processus d’activation et le processus d’ancrage sont en harmonie. En 2009, Toyota, suite à un incident mortel en Californie (une Lexus avait eu des freins et un tapis de sol défaillants), rejette la faute, après un silence de sa part, sur ses fournisseurs. Ce signal a été mal perçu et a conduit à un déferlement négatif de messages sur l’entreprise. En 2010, Toyota change de stratégie, adopte des décisions claires, ouvre ses portes aux media et adopte un nouveau slogan « Une bonne entreprise répare ses erreurs, une grande entreprise en tire les leçons » conduisant à restaurer l’image.

FIGURE 7

Modèle de management de l’image d’entreprise

Modèle de management de l’image d’entreprise

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Cet article met en évidence que l’entreprise a autant besoin de se connaître que de comprendre sa perception par ses parties prenantes (Bronn et Wiig Berg, 2005). La mesure de l’image, sa fréquence et les variables à considérer sont essentielles. La mesure est délicate car elle combine à la fois des éléments émotionnels et rationnels (Golden et Al, 1987) qu’il convient de pondérer (Doyle et Fenwick, 1974). Faut-il étudier l’image de toutes les parties prenantes ? Les caractéristiques sont-elles généralisables à toutes les parties prenantes ? La réponse à ces interrogations fera l’objet de travaux futurs.