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Introduction

Le domaine de la gestion de projet est caractérisé depuis une dizaine d’années par une tendance à la normalisation de ses pratiques, via l’adoption des « best practices » diffusées par les référentiels et méthodologies tels que PMI, Prince2 ou IPMA. Certains y voient une bureaucratisation des activités de management de projet (Damian Hodgson 2002), d’autres un levier d’amélioration continue. Ce phénomène répond en partie à la complexité croissante des projets SI mobilisant des acteurs issus de plusieurs entreprises, de plusieurs zones géographiques (Bharadwaj et Saxena 2005) (Carmel, Espinosa, et Dubinsky 2010), impactant des processus organisationnels appartenant à des domaines fonctionnels variés.

Dans la mise en oeuvre de ces « best practices », valorisées dans la littérature (Winter et Szulanski 2001), il apparait souvent un décalage entre la volonté des dirigeants à mettre en place une approche normalisée de la gestion de projet dans leurs entreprises, et sa mise en oeuvre au sein des entreprises, tant au niveau de l’organisation, qu’au niveau de chaque projet. Pour certains auteurs, il s’agit là d’un phénomène vertueux d’apprentissage et d’appropriation progressive des « best practices » (Lervik et al. 2005).

Plusieurs auteurs se sont intéressés au processus par lequel les approches en gestion de projet se sont développées au fil des années, diffusant progressivement un ensemble de pratiques en gestion de projet aujourd’hui référencées comme des « best practices » (voir notamment : (Garel 2013), (Mignerat et Rivard 2009)). Au sein des organisations, l’adoption des pratiques de gestion de projet peut être vue comme un processus d’institutionnalisation qui s’appuie sur différents vecteurs que sont les routines, les artefacts, les systèmes symboliques ou relationnels (Scott, 2008). Ces vecteurs agissent sur les pratiques en transmettant et modifiant les structures sociales dans l’organisation. Ils agissent toutefois de manières différentes, en jouant sur des registres différents : registre relationnel, structurel, procédural, matériel.

Dans cette recherche, nous nous interrogeons sur l’état des bonnes pratiques de gestion de projet SI telles qu’elles sont mises en oeuvre ou « institutionnalisées » au sens de Mignerat et Rivard (2006) (c’est-à-dire « considérées comme appropriées ou légitimées »)au sein des entreprises, à un instant donné, dans un contexte social et organisationnel donné [1]. Nous nous plaçons pour cela dans une situation d’observation que nous pouvons qualifier de « post-adoption » en interrogeant les chefs de projet sur leur perception des pratiques mises en oeuvre dans leur organisation et au sein du (ou des) projet(s) dont ils ont la charge.

Pour mener cette étude, nous avons choisi de nous appuyer sur les bonnes pratiques diffusées par le Project Management Institute (PMI) et référencées dans le PMbok. Dans ce référentiel, sont proposées des pratiques subdivisées en deux sous-ensembles (Zwikaël et al, 2005) : les pratiques intervenant au niveau des « projets », qui présentent les livrables à fournir dans le cadre des projets, et les pratiques intervenant au niveau du « support organisationnel » qui s’intéressent au cadre global de gestion des relations entre les projets et leur environnement (portefeuille de projets, programmes et projets, structure organisationnelle et projet, PMO et projet, etc…). Ce deuxième ensemble est celui qui nous intéresse plus particulièrement dans cette recherche dans la mesure où les pratiques qu’il recouvre, sont susceptibles de mobiliser de manière variable différents vecteurs d’institutionnalisation, révélant ainsi des configurations différentes des « bonnes pratiques institutionnalisées » en gestion de projet SI.

Plus précisément, notre questionnement peut se formuler de la manière suivante : quelles sont, en gestion de projet SI, les caractéristiques des pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel du point de vue des différents vecteurs mobilisés et quel impact cela a sur les pratiques mises en oeuvre au niveau des projets ? 

Deux objectifs sont ainsi issus de ce questionnement : d’une part, identifier et caractériser (du point de vue des vecteurs mobilisés) des configurations de pratiques institutionnalisées au niveau du support aux activités de gestion de projet SI, et d’autre part, explorer le rôle exercé par ces pratiques sur les pratiques réellement mises en oeuvre par les chefs de projet au niveau des projets.

Selon le courant institutionnaliste, les pratiques des chefs de projet sont en effet enracinées dans une organisation particulière, mais en même temps, ainsi que nous l’avons souligné précédemment, il est certain que les chefs de projet possèdent une marge de liberté pour adapter, contourner, modifier leurs pratiques d’un projet à un autre (Mignerat et Rivard 2010). Dans cette perspective, on peut s’interroger sur l’influence exercée par l’organisation, au travers des supports mis en oeuvre pour encadrer les activités de gestion de projet (diffusion de méthodes, standards, normes, outils, procédures…), sur les pratiques réellement mobilisées par les chefs de projet.

Ces questions ont été traitées selon une méthodologie quantitative grâce à une enquête réalisée auprès de chefs de projet SI portant sur 127 projets différents, complétée par des verbatims et des observations, issus des entretiens lors de l’administration de l’enquête.

Notre contribution est découpée classiquement en trois parties. La première permet de situer théoriquement nos objectifs et questions de recherche. Dans cette première partie, nous revenons tout d’abord sur la notion de « best practices » en gestion de projet SI et sur la manière dont elles se sont diffusées en entreprise depuis les années 1950 (début de la gestion de projet SI) jusqu’à nos jours. Nous présentons ensuite notre cadre d’analyse avec notamment les différents vecteurs d’institutionnalisation que l’entreprise peut mobiliser pour l’adoption des pratiques. Nous présentons finalement les bonnes pratiques proposées par le PMI. La seconde partie permet de présenter notre dispositif méthodologique. Enfin, la troisième partie restitue et discute les principaux résultats identifiés.

Cadre théorique : l’institutionnalisation des best practices en gestion de projet

La gestion de projet a d’abord acquis une légitimité empirique, avant de développer une légitimité académique. Elle se basait initialement sur un modèle de gestion pratiqué selon le mode essai / erreur (Poulingue 2007). Des premiers courants académiques apparaissent dans les années 80, traduisant différentes perspectives possibles : la gestion de projet dans une perspective mécaniste (Pinto et Slevin 1988), une combinaison de facteurs « soft » et « hard » (ingénierie concourante), (Clark et Fujimoto 1991) ou une perspective contingente (Lundin et Söderholm 1995)dans laquelle Le projet n’est pas un outil, mais une organisation dans une organisation. C’est dans cette dernière perspective que se positionnent nos travaux. La gestion de projet se conduit dans un environnement incertain, complexe et contraignant (Poulingue 2007). Pour faire face à cette complexité et cette incertitude les chefs de projets mettent en oeuvre diverses activités de conduite de projet sous l’effet de différentes influences : répétition de pratiques ayant fait leurs preuves par le passé et/ou mises en oeuvre de « bonnes pratiques » légitimées par différentes forces internes ou externes à l’organisation.

L’adoption des « best practices » par les entreprises

Le CII (Construction Industry Institute) définit la notion de “best practice” en gestion de projet comme étant « un processus ou une méthode qui, lorsqu’elle est exécutée de manière efficace, tend à améliorer la performance du projet ». La diffusion des « best practices » (ou « bonnes pratiques ») en gestion de projet est assurée notamment par les associations professionnelles, et plus largement par les différentes communautés de pratiques en gestion de projet, qui contribuent collectivement au développement et à la promotion de référentiels de connaissances et/ou de méthodologies propres à la gestion de projet (Benmerikhi et Demil 2014). Parmi ces derniers le guide du PMbok (Project Management Book of Knowledge) développé par le Project Management Institute (PMI) joue un rôle important en tant que référentiel représentatif du « modèle » aujourd’hui dominant en gestion de projet qui, selon Garel (2013) s’est construit sur plusieurs siècles (sur la base d’une analyse notamment des entreprises et des projets exemplaires) et apparait aujourd’hui comme « une collection articulée de bonnes pratiques » basées majoritairement sur les projets nord-américains.

Même si l’influence des modèles de management est forte, l’adoption de ces « bonnes pratiques » par les entreprises (dans le domaine de la gestion de projet ou dans d’autres domaines du management) ne s’effectue toutefois pas de manière totalement homogène et linéaire (Paauwe et Boselie 2005), (Dang Quang, Pinatton, et Boudès 2007). Plusieurs études montrent que l’adoption des bonnes pratiques par les entreprises et les chefs de projet, s’effectue dans un contexte organisationnel donné (taille de l’entreprise, secteur d’activité, culture organisationnelle, culture nationale notamment) (Chen et Partington 2004), (Loo 2002) et un contexte projet donné (nature, taille du projet, complexité, degré d’innovation,…) (Besner et Hobbs 2013) qui conditionnent de manière importante le transfert de ces pratiques. (Lervik et al. 2005) soulignent en outre la nécessaire « re-création » (par opposition avec une simple « réplication ») des bonnes pratiques formalisées dans les référentiels de manière a contextuel, si les organisations veulent en tirer les bénéfices espérés en termes de performance.

Dans le prolongement de cette réflexion, un certain nombre de travaux ont étudié le processus d’adoption des bonnes pratiques en management en considérant celui-ci comme un processus d’institutionnalisation, mettant en évidence, à la fois, les forces externes (Di Maggio et Powell, 1983) et internes auxquelles sont soumises les organisations dans le cadre de ce processus (Pauwe et Boselie, 2005, Mignerat et Rivard, 2006, 2010).

Mignerat et Rivard (2006), s’appuyant notamment sur les travaux de (Tolbert et Zucker 1996), (Scott 2008)et (Covaleski et Dirsmith 1988), définissent la notion de « pratiques institutionnalisées » de la manière suivante : « Les pratiques institutionnalisées sont des pratiques qui en sont venues à être considérées comme appropriées – légitimes – dans un contexte donné et ont pris un statut de normes ou de quasi-règles dans la pensée et l’action sociale » (Mignerat et Rivard, 2006, p7). Une pratique sera dite « institutionnalisée » uniquement dans un champ institutionnel donné, délimité par l’identification d’un problème central commun à résoudre et d’une compréhension partagée des pratiques efficaces pour résoudre ce problème ((Hoffman 2001) cité par Mignerat et Rivard, 2006). Les pratiques institutionnalisées sont ainsi soumises à un contexte social, organisationnel particulier.

L’institutionnalisation peut donc être vue comme une propriété (une pratique est dite « institutionnalisée » ou non). Elle peut aussi être vue comme un processus (Tolbert et Zucker, 1996, Scott, 2008). Mignerat et Rivard (2006) ont ainsi mis en évidence, à partir d’une étude bibliographique et d’une enquête réalisée auprès de différents acteurs du champ institutionnel (gestionnaires de projets, membres d’association professionnelles, consultants) un processus d’institutionnalisation des pratiques en gestion de projet SI sur plus de 50 ans, comportant six étapes depuis les premières « secousses » observées dans les années 1950 lors de l’apparition des premiers ordinateurs et des projets informatiques associés jusqu’aux années 2000 dite période de « pleine institutionnalisation ». Les auteurs ont ainsi référencé une trentaine de pratiques de gestion de projet en SI qui, en 2005, pouvaient être considérées comme totalement « institutionnalisées » (Mignerat et Rivard, 2006), Dans ce processus d’institutionnalisation, les auteurs soulignent que le rôle joué par les consultants, les organismes de formation et les associations professionnelles, en tant que forces externes, est prépondérant par la promotion qu’ils réalisent d’un ensemble de pratiques auquel les acteurs sont conduits à adhérer, parfois moins par conviction que par souci de préserver une certaine légitimité (Di Maggio et Powell, 1983, Scott, 2008).

Les travaux plus récents réalisés dans le champ institutionnel montrent toutefois, que face aux pressions institutionnelles, les organisations, de même que les individus, conservent une marge d’autonomie dans leur réponse (Oliver, 1991). (Mignerat et Rivard 2010) ont notamment montré que les chefs de projet pouvaient faire preuve d’une attitude plus ou moins « attentive », « mindfull » selon (Swanson et Ramiller 2004)) lors de la mise en oeuvre des pratiques institutionnalisées et adopter différentes stratégies allant de l’acquiescement jusqu’à la manipulation, en passant par le compromis, l’évitement ou la provocation.

L’étude du processus d’institutionnalisation montre par ailleurs que les pratiques peuvent être institutionnalisées via différents types de vecteurs (Scott 2008) qui jouent sur des registres différents (relationnel, structurel, procédural ou matériel) et qui peuvent être mobilisés de manières complémentaires. Ces différents vecteurs sont présentés dans le paragraphe suivant.

Les vecteurs d’institutionnalisation

Au-delà de la mise en évidence par les travaux institutionnalistes des forces internes (Pentland et Feldman, 2008) et externes à l’entreprise (DiMaggio et Powell 1983) qui agissent sur les pratiques, tant au niveau organisationnel qu’au niveau projet, la littérature institutionnaliste identifie des vecteurs d’institutionnalisation, qui transmettent et modifient les différentes structures sociales dans une organisation (Scott 2008). Pour cet auteur, les systèmes symboliques, les systèmes relationnels ainsi que les routines et les artefacts constituent des vecteurs participant à la mise en place de pratiques institutionnalisées.

Les systèmes symboliques sont des collections de symboles pouvant être représentés par des règles, valeurs, normes, classifications, représentations, cadres d’analyse. Ce premier vecteur influence la façon dont les personnes perçoivent et analysent des situations liées à leur activité.

Les institutions peuvent être aussi transmises par des systèmes relationnels, c’est-à-dire par des systèmes de rôles. Dans le cadre d’une entreprise, les structures organisationnelles, le rôle, le nombre et les relations entre les services codifient et structurent la diffusion de l’information.

Les institutions sont aussi incarnées à travers des activités structurées, classiquement définies comme des « routines ». Les routines prennent la forme d’habitudes, de comportements, de procédures basées sur un ensemble de croyances ou de connaissances tacites, elles sont fortement en interaction avec le système relationnel dans lequel elles évoluent. Plus précisément, une routine est constituée de deux parties liées. Une première partie intègre l’idée abstraite d’une routine (structure) alors que la seconde partie consiste en la performance réelle d’une routine conduite par des personnes spécifiques, dans un temps spécifique et dans un lieu spécifique (agence) (Pentland et Feldman 2008).

Enfin, plusieurs auteurs, notamment (Suchman 2003), reconnaissent l’importance de la culture matérielle, ou artefacts, pour contribuer à la réalisation des activités. Pour cet auteur, un artefact est « un objet matériel, discret, consciemment produit ou transformé par une activité humaine, sous l’influence d’un environnement culturel et / ou physique ». (p.98). En entreprise, la plupart des activités sont médiatées via des artefacts. Selon D’adderio (D’adderio 2011) les artefacts peuvent être donc considérés comme une empreinte des interactions qui ont favorisé la création et la reproduction des routines, et peuvent permettre de mieux comprendre celles-ci. Pour cet auteur, il est très difficile, voire impossible d’envisager observer le fonctionnement d’une routine, sans l’implication d’aucun artefact. Les artefacts représentent donc, selon Scott (2008), le quatrième vecteur d’institutionnalisation. Ce vecteur peut correspondre, selon les perspectives institutionnalistes retenues, à un objet possédant des valeurs symboliques (perspective sociocognitive), réunissant des standards, des conventions (perspective normative) ou respectant des spécifications (perspective régulative) (Thornton, Ocasio, et Lounsbury 2012).

Dans le cadre de pratiques institutionnalisées, les quatre vecteurs proposés par Scott (2008) sont susceptibles d’être mobilisés, de manière complémentaire, en jouant sur des registres d’institutionnalisation différents : relationnel, symbolique, procédural (routines) et matériel (pour ce qui est des artefacts). Ces quatre vecteurs interagissent entre eux et une même pratique peut être institutionnalisée via plusieurs registres. Ces pratiques institutionnalisées, ainsi que nous l’avons déjà souligné, ne sont toutefois pas complétement déterminées. En effet, les artefacts fournis par l’organisation, les systèmes relationnels ou symboliques en place dans l’organisation en support aux routines organisationnelles, s’ils agissent sur ces dernières en permettant leur mise en oeuvre, ne les déterminent toutefois jamais complètement (Pentland et Feldman, 2008) (Orlikowski et Scott 2008). (Howard-Grenville 2005) soulignent notamment que différents éléments tels que, les intentions ou les orientations des individus ou des groupes d’individus ou le contexte organisationnel sont susceptibles d’influer sur le degré de flexibilité ou de persistance des routines.

Les pratiques en gestion de projet analysées dans le cadre de cette étude sont celles référencées par le PMI, nous les présentons dans le paragraphe suivant.

Les bonnes pratiques de gestion de projet : le cas du PMbok

Le guide du PMbok diffusé par le PMI (Project Management Institute) est classiquement structuré en neuf domaines de connaissance regroupant chacun plusieurs processus recensant un ensemble de « bonnes pratiques ». Dans ce référentiel, la première section est consacrée au cadre de la gestion de projet, c’est-à-dire aux relations entre le projet et son environnement : portefeuille de projets, programmes et projets, structure organisationnelle et projet, PMO et projet, etc… il s’agit de bonnes pratiques liées au support des activités de management de projet. Nous nous intéressons principalement à ces bonnes pratiques. Certains auteurs, dont (Zwikael, Shimizu, et Globerson 2005), définissent ce niveau comme le niveau « de support organisationnel »

Au niveau « support organisationnel » Zwikael et al. (Zwikael, Shimizu, et Globerson 2005) identifient 17 items (Institute 2013) afin de caractériser les bonnes pratiques de gestion de projet susceptibles d’être mises en oeuvre du point de vue du support organisationnel aux activités des équipes projet. Parmi ces items, nous avons retenus douze éléments (ou « bonnes pratiques »). Le tableau 1 ci-dessous propose de lister ces bonnes pratiques.

Le second groupe identifie des bonnes pratiques proposées par le PMbok et correspond aux bonnes pratiques agissant au niveau des projets (Mignerat et Rivard 2010). Ces bonnes pratiques sont listées dans le tableau ci-après (tableau 2). Elles portent sur l’identification de livrables reconnus comme importants pour mener à bien un projet. Il s’agit donc bien d’un résultat d’un processus : un document, un fichier. Par exemple, le livrable « attribution de l’équipe projet » formalise à travers un document le fait qu’un ensemble de personnes est affecté à un projet donné.

Tableau 1

Bonnes pratiques issues du PMbok agissant au niveau du support organisationnel

Bonnes pratiques issues du PMbok agissant au niveau du support organisationnel

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Tableau 2

Bonnes pratiques agissant au niveau du projet (livrables)

Bonnes pratiques agissant au niveau du projet (livrables)

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Les bonnes pratiques diffusées par le PMI contribuent donc à des pratiques institutionnalisées à deux niveaux : le niveau « support organisationnel » et le niveau « projet ».

L’observation des pratiques institutionnalisées au niveau du « support organisationnel » nous intéresse en premier lieu dans cette recherche, dans la mesure où les pratiques qu’il recouvre, sont susceptibles de mobiliser/combiner de manière variable différents vecteurs d’institutionnalisation que sont les systèmes symboliques, les systèmes relationnels, les artefacts et les routines, révélant ainsi des configurations différentes des « bonnes pratiques institutionnalisées » en gestion de projet SI. L’effet que la mise en oeuvre de ces pratiques au niveau « support organisationnel » peut avoir sur les pratiques réellement mises en oeuvre par les chefs de projet (au niveau « projet ») constitue le deuxième sujet d’intérêt de cette recherche.

Démarche méthodologique retenue

Nous présentons dans ce paragraphe la manière dont nous avons caractérisé les éléments de notre recherche, afin de constituer un questionnaire. Nous poursuivons par la présentation de la collecte des données ainsi que la caractérisation de notre échantillon. Nous terminons par la présentation des différentes analyses de données que nous avons employées.

La caractérisation des éléments de l’analyse

L’opérationnalisation des principales dimensions de notre recherche (caractéristiques du projet, support fourni par l’organisation et pratiques mises en oeuvre dans les projets) est présentée ci-après.

Les caractéristiques du projet

Les caractéristiques du projet peuvent être appréhendées au travers de différents éléments propres au projet (nature, taille, degré de priorité, constitution de l’équipe,…) qui traduisent les propriétés intrinsèques du projet, ainsi que des éléments liés au contexte dans lequel évolue le projet (contexte du projet au sein de l’entreprise et contexte de l’entreprise dans lequel se déroule le projet) qui constituent les propriétés extrinsèques du projet. Ces différents éléments déterminent globalement la complexité et l’incertitude associées au projet et sont classiquement reconnus comme susceptibles d’influer sur les pratiques de management de projet adoptées par les chefs de projet (voir notamment l’étude réalisée par Besner et Hobbs, 2013 auprès de plus de 1200 chefs de projets qui montre que les pratiques de management de projet sont très largement contextualisées).

Du point de vue de ses propriétés intrinsèques, un projet est caractérisé classiquement par son budget, sa taille (charge) et sa durée (Aladwani 2002). Au-delà de ces éléments, certaines spécificités du projet et/ou de l’équipe projet ont été identifiées comme étant susceptibles d’avoir une influence sur la complexité de celui-ci (Sauer, Gemino, et Reich 2007), (McLeod et MacDonell S.G 2011), (Rai A, Maruping L.M, et Venkatesh V 2009). Parmi ces éléments, nous avons retenu :

  • la nature du projet (projet de développement d’un nouveau système ou projet de maintenance d’un système existant, développement spécifique ou mise en oeuvre d’un ERP) et son caractère « innovant » (perception du chef de projet),

  • la couverture plus ou moins étendue, du projet (nature et nombre de domaines fonctionnels touchés par le projet, nombre de parties prenantes externes au projet) et sa complexité perçue (complexité fonctionnelle et complexité technique),

  • le degré de priorité du projet,

  • la constitution de l’équipe projet et sa répartition spatiale : localisation mono ou multi-site de l’équipe projet, équipe mono ou pluri culturelle (Bharadwaj et Saxena 2005).

L’environnement du projet a quant à lui été caractérisé par :

  • la taille de l’entreprise pour qui est réalisé le projet (effectif et chiffre d’affaires de l’année en cours),

  • le secteur d’activité de l’entreprise,

  • le contexte inter-organisationnel du projet : selon que le projet mobilise ou non différentes entreprises partenaires (sociétés de service ou de conseil intervenant à différents titres sur le projet : assistance à maitrise d’ouvrage, consultants fonctionnels, maitrise d’oeuvre,…).

Les bonnes pratiques mises en oeuvre au niveau du support organisationnel

Les chefs de projets ont été interrogés sur leur perception du support organisationnel dont ils bénéficient au travers de l’existence ou non des différentes bonnes pratiques citées en tant que soutien à leur activité (positionnement sur une échelle à 5 positions : de « Pas du tout d’accord » à « Tout à fait d’accord »). Nous nous sommes pour cela appuyés sur les bonnes pratiques référencées dans le PMbok, reprises par Zwikaël et al (2005) et dont nous avons fait une présentation dans la première partie du document (voir tableau 1).

Les bonnes pratiques mises en oeuvre au niveau des projets

Considérant la réalisation d’un projet donné, les chefs de projets ont été interrogés sur leur perception (évaluée sur une échelle à 5 positions : de « Pas du tout important » à « Très Important ») du rôle joué, dans le projet considéré, par différents livrables (planification de projet, découpage du projet en livrables, en activités, diagramme Gantt ou Pert,...) classiquement mobilisés en gestion de projet. Nous nous sommes ici aussi inspirés des bonnes pratiques référencées dans le PMbok et reprises par Zwikaël et al (2005) (voir tableau 2).

La collecte des données et les caractéristiques de l’échantillon

Notre recherche s’appuie sur une collecte de données réalisée courant 2013 sur la base de questionnaires administrés en face à face ou par téléphone (items détaillés du questionnaire présentés en annexe 1). 127 projets de SI ont ainsi pu être étudiés.

Le tableau 3 ci-dessous présente de manière synthétique la nature de notre échantillon. L’échantillon représente à la fois des projets de toutes tailles, de natures différentes (nouvelle application, ou maintenance, développement spécifique ou progiciel), dans des domaines fonctionnels variés, réalisés dans des entreprises françaises. Les projets sont constitués majoritairement d’équipes projets issues de plusieurs entreprises. Les projets interrogés étaient en très grande majorité des projets terminés ou en phase finale d’implémentation afin que les chefs de projet disposent d’un certain recul par rapport aux pratiques mises en oeuvre dans le projet et leur pertinence. Trois des projets interrogés (sur 127) sont des projets qui ont été finalement abandonnés avant leur terme. Il nous a semblé intéressant de conserver ces projets dans notre échantillon dans la mesure où ils ont été abandonnés à un stade suffisamment avancé de leur réalisation pour que les chefs de projets aient une vision sur les pratiques mises en oeuvre et sur les difficultés rencontrées. Par ailleurs, la diversité représentée dans l’échantillon en termes de taille de projets, de secteurs d’activités ou de tailles d’entreprise permet d’observer si le contexte intrinsèque et extrinsèque du projet joue différemment sur les pratiques institutionnalisées.

Tableau 3

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

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L’analyse des données

Notre démarche d’analyse est résumée dans le tableau 4 ci-dessous. Dans un premier temps, compte-tenu du nombre d’indicateurs retenus pour qualifier les bonnes pratiques mises en oeuvre par les entreprises au niveau du support organisationnel, nous avons réalisé une analyse factorielle en composantes principales afin d’identifier les dimensions principales qualifiant ces pratiques et les registres d’institutionnalisation qu’elles révèlent. Nous avons ensuite cherché à savoir si ces pratiques repérées se regroupaient de manière significative en ensembles homogènes de pratiques institutionnalisées. Nous avons pour cela utilisé une analyse typologique et une analyse discriminante qui nous ont permis de mettre en évidence des groupes de pratiques différenciés que nous avons cherchés à caractériser du point de vue des vecteurs d’institutionnalisation principalement mobilisés. Nous avons ainsi pu identifier différents types de support organisationnel apportés aux projets SI caractéristiques de configurations différentes des bonnes pratiques institutionnalisées en gestion de projet SI. Pour nous aider dans cette démarche nous nous sommes pour partie appuyés sur les verbatims collectés lors de l’administration des questionnaires (en face à face ou par téléphone).

Dans un deuxième temps, nous avons cherché à savoir si ces pratiques institutionnalisées agissant sur le support à la gestion de projet SI avaient une influence sur les pratiques mises en oeuvre au niveau des projets. De la même façon que pour les pratiques agissant sur le support, nous avons commencé par réaliser une analyse factorielle en composantes principales afin d’identifier les dimensions principales qualifiant les pratiques au niveau des projets (sur la base des livrables mobilisés par les chefs de projet). Nous avons ensuite réalisé une analyse de variance pour tester l’existence d’une relation de causalité entre le type de support organisationnel apporté aux projets (variable indépendante explicative) et les pratiques mises en oeuvre par les chefs de projets au niveau des projets (variable dépendante expliquée). Nous avons complété ces deux analyses par des verbatims contribuant à une meilleure compréhension du rôle des vecteurs d’institutionnalisation sur cette relation de causalité.

Tableau 4

Démarche d’analyse

Démarche d’analyse

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Résultats

La présentation de nos résultats est structurée en deux parties. Dans un premier temps, nous présentons et caractérisons les différents types de configurations de bonnes pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel aux projets. Dans un deuxième temps, nous montrons dans quelle mesure les configurations identifiées, selon notamment les vecteurs d’institutionnalisation privilégiés, peuvent avoir une influence sur la mise en oeuvre de bonnes pratiques au niveau des projets.

Le support organisationnel aux activités de gestion de projet SI

Les résultats montrent, d’une part, que la réalité du support organisationnel aux activités de gestion de projet n’est pas nécessairement en adéquation avec le discours des entreprises affichant une organisation essentiellement basée sur les projets, et, d’autre part, qu’il est possible d’identifier des types de support organisationnel différenciés révélant des configurations différentes des bonnes pratiques institutionnalisées en gestion de projet SI.

La réalité du support organisationnel aux activités de gestion de projet SI

L’analyse des tris à plats indique une activité relativement peu soutenue concernant la mise en oeuvre de procédures, structures organisationnelles et outils visant à appuyer les processus de gestion de projet. Si 74 % des répondants considèrent que leur organisation est basée sur les projets, seuls 37 % des projets utilisent un logiciel de gestion de projet standard, 32,3 % possèdent une procédure formalisée d’affectation des chefs de projet, 48 % n’organisent pas une mémoire des projets de manière formelle et 47,3 % seulement disent tenir à jour les procédures de gestion de projet. Nous retiendrons néanmoins que 74 % des répondants ont la possibilité de suivre des formations à la gestion de projet.

A noter enfin que 64,2 % des chefs de projet interrogés disent que leur entreprise a développé une méthodologie de gestion de projet.

Au-delà de ce premier constat concernant un support organisationnel relativement peu formalisé vis-à-vis de la gestion de projet SI, des approches différenciées des entreprises peuvent être mises en évidence.

Les principales dimensions caractérisant le support organisationnel

L’analyse factorielle a permis de mettre en évidence trois axes factoriels restituant au global 65,5 % de la variance totale (voir annexe 2).

Le premier axe, qui explique 45 % de la variance totale, caractérise la dimension « managériale » du support organisationnel proposé. Ce support managérial est structuré autour de plusieurs bonnes pratiques : des formations en gestion de projet sont disponibles au sein de l’entreprise, il existe un bureau des méthodes (PMO), des groupes de planification inter-projets sont mis en place, et les procédures de gestion de projet sont régulièrement mises à jour. Ce premier axe révèle donc un support organisationnel à la gestion de projet SI qui agit en premier lieu sur deux registres d’institutionnalisation des bonnes pratiques qui sont : le registre « relationnel », pour toutes les pratiques qui ont trait à la mise en place de structures organisationnelles (groupes de planification inter-projets notamment), et le registre « symbolique », pour ce qui est notamment de la mise en place de formations à la gestion de projet ou d’un bureau des méthodes. Les formations à la gestion de projet apparaissent en effet comme un moyen privilégié d’agir sur les représentations des chefs de projet en diffusant certaines valeurs et normes communes. De la même façon, un bureau des méthodes en exerçant un rôle de mentor et de coaching agit sur les catégories et les schémas mentaux des acteurs au sein des projets et participe ainsi à la diffusion des bonnes pratiques en mobilisant aussi le vecteur symbolique. En appui de cette analyse nous pouvons citer les propos d’un chef de projet au sein d’une grande structure qui souligne : « On a une organisation basée sur les projets, avec des méthodologies bien pensées, et des procédures mises à jour… L’entreprise accorde une grande importance à la formation à la gestion de projet ainsi qu’à l’existence d’un service PMO… » (propos recueillis auprès d’un chef de projet maitrise d’oeuvre au sein d’un grand groupe industriel du domaine de l’énergie). Parallèlement le PMO, de par son rôle au niveau de la gouvernance des projets, agit aussi sur les vecteurs relationnels en coordonnant la communication et le partage des ressources entre les projets. Ceci est notamment révélé par la mise en place de groupes de planification inter-projets. Enfin, le bureau des méthodes peut aussi jouer un rôle important vis-à-vis du développement et de la diffusion des méthodologies et des procédures de gestion de projet avec pour objet l’enracinement des approches méthodologiques au sein des routines de gestion de projet. Ceci n’est toutefois pas systématique ainsi que le révèle les propos de ce chef de projet « Chez XXX, il existe une culture du projet avec un Project Management Office mais les projets SI ne sont pas concernés par les méthodes du PMO ». Il précise que dans son organisation qui fonctionne essentiellement selon un mode « affaires », tout est géré comme un projet et les projets sont perçus comme uniques. De ce fait « les personnes ont du mal à formaliser, à instaurer des normes et des standards de travail, puisque dans leur vision tout est spécifique et doit donc être géré au cas par cas » (propos recueillis auprès d’un chef de projet d’un grand groupe industriel dans le domaine de l’hydraulique).

Le second axe, qui représente 12 % de la variance totale, caractérise la dimension « opérationnelle » du support organisationnel proposé. Ce support opérationnel se matérialise au travers de la mise en oeuvre de différents livrables mobilisables par les chefs de projet avec, parmi les éléments les plus caractéristiques, l’organisation de la mémoire de projet au sein d’outils de type « bases de données », ou la diffusion d’un logiciel de gestion de projet standard. Nous retiendrons aussi pour cet axe, la mise en place de procédures formelles de soutien à l’activité opérationnelle des chefs de projets telles que l’existence d’une communication continue entre le chef de projet et la structure à laquelle est rattachée l’équipe projet pendant le processus de planification du projet, ou encore, le fait que l’entreprise a développé une méthodologie de gestion de projet qui lui est propre. Ainsi, parmi les chefs de projet interrogés lors de cette étude, plusieurs ont indiqué que leur entreprise avait développé une méthode ou des procédures de gestion de projet propres en adaptant des méthodes classiques (méthode du cycle en V notamment), ceci afin de mieux répondre à des besoins jugés spécifiques comme, par exemple, les développements à l’offshore qui nécessitent une formalisation particulière des rôles au sein du projet (dédoublement du rôle de chef de projet présent, d’une part, en « front office » chez le client et, d’autre part, en « back office » au sein des équipes offshore) (observation réalisée auprès d’une Entreprise de Conseil et de Services du Numérique). Ce second axe se différencie donc du premier axe en mettant en lumière un support organisationnel qui a moins pour objet d’agir sur les vecteurs symboliques et relationnels que d’opérer au niveau des vecteurs artefactuels et/ou des routines organisationnelles. Ainsi l’utilisation d’un logiciel de gestion de projet ou d’une base de données pour capitaliser la mémoire des projets relèvent de bonnes pratiques portées par des artefacts. Les deux autres pratiques associées à cet axe concernent la mise en oeuvre de procédures standards (procédure de communication entre le chef de projet et la structure à laquelle il est rattaché durant le processus de planification, méthodologie de gestion de projet spécifique à la structure), qui ont pour objet d’agir sur les routines organisationnelles développées au niveau des projets.

Enfin, le troisième axe, qui représente un peu plus de 8 % de la variance totale, caractérise la dimension « ouverture » de l’organisation vis à vis de nouveaux outils et/ou techniques de gestion projet avec un renouvellement qui peut être fréquent de ces derniers (révélant une approche peu normative en ce qui concerne l’utilisation des outils et méthodes de gestion de projet). Cette ouverture s’accompagne d’une importance accordée, à la formalisation des procédures d’affectation des chefs de projet (révélant le rôle joué par le chef de projet dans la régulation des activités de gestion de projet). Cette flexibilité dans le choix des outils et/ou des méthodes les mieux adaptées au contexte et aux caractéristiques du projet est revendiquée par plusieurs répondants à notre enquête qui considèrent qu’il n’est pas souhaitable d’imposer aux chefs de projet une méthodologie unique pour la conduite de projet SI dans une organisation. Plusieurs éléments peuvent entrer en compte dans le choix d’une méthode tels que la taille, la complexité du projet, l’importance du facteur qualité et « traçabilité » dans certains domaines d’application comme le médical par exemple. Dans le cas de projets faisant appel à une maitrise d’oeuvre externe, le choix d’une méthode résulte aussi souvent de la recherche d’un équilibre entre les méthodes de travail de l’entreprise et celles proposées par le fournisseur. Ce troisième axe se distingue donc du second axe en révélant un support organisationnel à la gestion de projet qui laisse une marge de liberté aux chefs de projets dans le choix des artefacts (outils/méthodes) à mobiliser au niveau des projets. Cette « ouverture » s’appuie par ailleurs sur des routines organisationnelles formalisant les procédures d’affectation des chefs de projets.

La mise en évidence des configurations des bonnes pratiques institutionnalisées en gestion de projet SI

A partir de l’analyse factorielle réalisée sur les pratiques caractéristiques du support organisationnel (tel que perçu par les chefs de projet interrogés), une analyse typologique a été menée et confirmée par une analyse discriminante (96,8 % des observations originales sont classées correctement), (voir annexe 3). Quatre groupes de projets se différenciant du point de vue du support organisationnel dont ils bénéficient ont pu être identifiés. La taille de l’entreprise et la taille des projets permettent de caractériser les groupes de projets formés.

Le premier groupe (26 projets) est constitué de projets, qui se déroulent dans un contexte où ils ne bénéficient pas (ou très peu) d’un support organisationnel mobilisant la dimension « managériale » avec notamment pas de formation à la gestion de projet et pas de structure d’accompagnement et d’expertise telles qu’un bureau des méthodes (positionnement du groupe très nettement sur le demi-axe négatif de l’axe 1). Pour les projets situés dans ce groupe, il s’agit majoritairement d’entreprises de taille petite à moyenne. Dans ce groupe 1, il semble que les bonnes pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel soient peu intenses et ne mobilisent pas (ou très peu) les vecteurs symboliques et relationnels.

Le second groupe (45 projets) correspond à des projets de taille importante (20 projets sur les 45 ont une charge supérieure à 5 années homme) pour lesquels le chef de projet considère qu’il bénéficie d’un support organisationnel sur les deux axes « support managérial » (existence de formation à la gestion de projet, d’un bureau des méthodes, de structures de coordination inter-projets) et « support opérationnel » (existence de méthodes, outils, procédures standards) (positionnement sur les deux demi-axes positifs des axes 1 et 2). Pour ce groupe, les bonnes pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel sont relativement intenses et combinent plusieurs vecteurs agissant ainsi simultanément sur les registres relationnel, procédural et matériel. Notre échantillon de très grandes entreprises (effectif supérieur à 30000 personnes) se situe en majorité dans ce groupe 2.

Le troisième groupe (34 projets) est constitué de projets pour lesquels le chef de projet consulté a le sentiment que son entreprise est ouverte à l’expérimentation de pratiques méthodologiques et d’outils nouveaux (positionnement très marqué sur le demi-axe positif de l’axe 3). Ce groupe est simultanément caractérisé par un positionnement sur le demi-axe négatif de l’axe 2 révélant un support organisationnel très peu développé au niveau opérationnel c’est-à-dire peu ou pas d’outils ou méthodes préconisées par l’organisation (ce qui est cohérent avec la dimension ouverture notée précédemment), ainsi qu’un positionnement sur le demi-axe positif de l’axe 1 montrant un certain soutien sur le plan managérial (mise en oeuvre de formations à la gestion de projet notamment, mais aussi existence de groupes de planification inter-projets). Pour ce groupe certaines bonnes pratiques sont donc institutionnalisées au niveau du support organisationnel notamment des pratiques agissant sur les registres symboliques et relationnels mais pas du tout sur les registres matériels (pas de mise à disposition d’artefacts tels que, par exemple, un logiciel de gestion de projet standard) ou procéduraux (pas d’action spécifiques concernant le développement des routines notamment en ce qui concerne la communication du chef de projet avec sa structure).

Enfin le quatrième groupe (20 projets) correspond à des projets se déroulant dans des structures perçues comme n’offrant aucun support opérationnel aux chefs de projet dans la conduite de leurs activités de gestion de projet ni ouverture sur de nouveaux outils et/ou méthodes (positionnement très marqué simultanément sur les deux demi- axes négatifs des axes 2 et 3). Les entreprises de taille importante à très importante (effectif entre 4000 et 30000 personnes) constituent la part la plus importante dans ce groupe. La majorité des répondants dans ce groupe est issue de la maitrise d’ouvrage. Ces projets n’ont pas de support opérationnel sur les projets (pas d’outils, méthodes, procédures standards mis à leur disposition), mais bénéficient d’un support managérial minimal (positionnement neutre sur l’axe 1) propre aux entreprises d’une certaine taille possédant des normes, des représentations communes de déroulement classique d’un projet. Dans ce groupe 4, l’intensité des bonnes pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel est donc, de même que pour le groupe 1, assez faible. Le groupe 4 se distingue néanmoins du groupe 1 par un support managérial relativement plus favorable (même si celui-ci reste faible) comme le montre le schéma ci-dessous (figure 1). Une observation plus approfondie des pratiques mises en oeuvre au niveau de ce groupe montre assez nettement l’existence de formation à la gestion de projet (score moyen pour le groupe 4 sur cet item de 4,45 alors qu’il est de 3,94 sur l’ensemble de l’échantillon). La formalisation d’un bureau des méthodes (ou service PMO « Project Management Office ») est par contre peu développée (score moyen du groupe 4 sur cet item de 2,20 alors qu’il est de 3,26 sur l’ensemble de l’échantillon).

FIGURE 1

Positionnement des quatre groupes de pratiques sur les 3 axes caractérisant le support organisationnel

Positionnement des quatre groupes de pratiques sur les 3 axes caractérisant le support organisationnel

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L’analyse des données collectées montre donc qu’il est possible d’identifier, au niveau du support organisationnel à la gestion de projet SI, des groupes de pratiques différenciés correspondant à des configurations différentes de bonnes pratiques institutionnalisées (voir synthèse proposée dans le tableau 5). La question qui se pose ensuite est de savoir si, ces pratiques institutionnalisées agissant au niveau du support organisationnel ont une influence sur les pratiques mises en oeuvre au niveau des projets.

Tableau 5

Interprétation des configurations de pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel selon les différents vecteurs mobilisés

Interprétation des configurations de pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel selon les différents vecteurs mobilisés

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Des pratiques mises en oeuvre au niveau projet partiellement influencées

Les pratiques mises en oeuvre au niveau des projets

Les pratiques mises en oeuvre au niveau des projets ont été appréhendées au travers de la perception des chefs de projet de l’importance accordée à la production de différents livrables (documents, graphiques) au cours du projet. L’étude des données collectées montre, en première analyse, que les chefs de projet ont une approche pragmatique de la gestion de projet SI et concentrent assez logiquement leurs efforts sur la production de livrables essentiels liés à la maitrise des domaines de connaissances clés de la gestion de projet (planification du projet, affectation des rôles et responsabilités notamment) (Auteurs, 2013). Une analyse plus approfondie de type « multi dimensionnelle » (analyse factorielle en composantes principales) montre néanmoins que, au-delà de cette tendance de fond, il est possible d’identifier trois grandes dimensions (axes factoriels) caractérisant les pratiques des chefs de projets (analyse factorielle mettant en évidence trois facteurs restituant au global 52 % de la variance totale – voir annexe 4).

Le premier facteur identifié représente l’orientation des pratiques sur la production de livrables permettant le management des domaines de connaissances classiquement identifiés comme prioritaires à savoir le « management des délais et du contenu » du projet (planification du projet, découpage du projet en livrables, découpage du projet en activités, estimation des durées des activités et détermination des dates de début et de fin des activités). Le deuxième facteur met en évidence des pratiques tournées vers la production de livrables axés sur le « management des domaines de connaissances moins prioritaires » tels que : le plan d’assurance qualité, le plan de gestion des risques et le plan de gestion des approvisionnements. Enfin, le troisième facteur identifie des pratiques axées sur la production de livrables orientés « management des hommes » : attribution des rôles et des responsabilités, attribution de l’équipe projet et élaboration du plan de communication.

L’influence des pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel

Afin d’évaluer l’influence potentielle des pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel sur les pratiques mises en oeuvre au niveau des projets, une analyse de la variance a été réalisée entre les axes factoriels relatifs aux pratiques de gestion de projet et les groupes de pratiques identifiés au niveau du support organisationnel (groupes issus de l’analyse typologique). Celle-ci montre des corrélations significatives (cf. annexe 5a et 5b)

Les axes factoriels « management des domaines de connaissances moins prioritaires » (axe 2) et « management des hommes » (axe 3), différencient significativement le groupe 1 caractéristique d’une faible intensité des bonnes pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel, et en particulier d’une faible mobilisation des vecteurs symboliques et relationnels, du groupe 2, caractéristique d’une forte intensité des bonnes pratiques institutionnalisées avec la combinaison de différents vecteurs symboliques, relationnels, artefactuels et procéduraux (test de Bonferoni). L’analyse des diagrammes des moyennes montre que les chefs de projets bénéficiant d’un support organisationnel caractérisé par une forte intensité des bonnes pratiques institutionnalisées avec la combinaison simultanée des quatre vecteurs (groupe 2) s’intéressent au sein du projet au management de domaines de connaissance classés comme moins prioritaires tels que le management des risques, ou la management de la qualité (axe 2) ainsi qu’au management des hommes (axe 3), ce que ne font pas les projets se déroulant dans une organisation où les bonnes pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel sont peu développées et où, en particulier, les vecteurs d’institutionnalisation de type symbolique ou relationnel ne sont pas mobilisés (groupe 1) : pas de bureau des méthodes, pas de formation à la gestion de projet, pas de structure de planification inter-projet. A l’inverse un support organisationnel fort de l’entreprise (des bonnes pratiques institutionnalisées via plusieurs vecteurs différents), semble être un gage de mobilisation au niveau des projets de l’ensemble des domaines de connaissances, non seulement les domaines clés tels que la gestion des délais et des contenus du projet, mais aussi les domaines plus transverses tels que la qualité, les risques, l’approvisionnement et le management des hommes.

L’axe 3 « management des hommes » différencie par ailleurs aussi nettement le groupe 1 du groupe 4. Les deux groupes sont symptomatiques d’une faible intensité des bonnes pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel avec toutefois certaines nuances. Le groupe 1 révèle une absence totale de mobilisation des vecteurs de type symbolique et relationnel (pas de bureau des méthodes, pas de formation à la gestion de projet, pas de structure de planification inter-projet) alors que le groupe 4 est pour sa part caractérisé par une absence de mobilisation de vecteurs de type « artefactuel » ou « routines » (pas de diffusion d’outils, de techniques et/ou de procédures standards). Le positionnement du groupe 4 est par contre neutre en ce qui concerne la mobilisation des vecteurs symboliques et relationnels (pas de bureau des méthodes mais existence néanmoins de formation à la gestion de projet). On constate en outre que le groupe 4 est constitué essentiellement de projets se déroulant dans des grandes structures, contrairement au groupe 1 qui est caractéristique de petites et moyennes structures. Au sein du groupe 4, on observe aussi une proportion importante de répondants issus de la maitrise d’ouvrage. L’étude des verbatims recueillis lors des entretiens montre que les chefs de projet maitrise d’ouvrage, y compris issus de grandes structures, sont souvent moins bien formés aux méthodes, techniques et outils de gestion de projet. Ceci transparait notamment dans le fait que le vocabulaire lui-même leur est moins familier ce qui a nécessité, pour certains, une explication des termes employés lors de l’administration du questionnaire (différenciation des rôles MOA/MOE, livrables spécifiques tels que la charte WBS notamment). Les outils de gestion de projet classiques tels que MS Project leur paraissent aussi souvent trop complexes et ils leur préfèrent un outil plus simple d’utilisation tel qu’Excel. S’ils attachent souvent moins d’importance à la production des livrables classiques de la gestion de projet, les activités liées à la communication, et plus largement au management des hommes au sein du projet, leur semble par contre fondamentales pour la réussite du projet. Le plan de communication apparait ainsi comme un outil essentiel pour une bonne gestion des relations avec les différentes parties prenantes du projet. Les répondants issus de la maitrise d’ouvrage soulignent aussi fréquemment l’importance de la qualité des relations au sein de l’équipe projet pour la réussite du projet. Ceci est particulièrement mis en avant par les répondants dans le cas de projet conduits en mode « agile » mais pas uniquement.

Ainsi concernant les projets situés dans des organisations, de taille importante à très importante, bénéficiant d’un support managérial minimal et des bonnes pratiques s’appuyant pour partie sur les vecteurs symboliques et relationnel, avec notamment des formations à la gestion de projet, les chefs de projets accordent une importance relativement élevée à la production de livrables concernant le management des hommes (attribution des rôles et des responsabilités, attribution des équipes et plan de communication), et ce quelle que soit la taille du projet. Il semble donc que pour les structures d’une certaine taille bénéficiant d’une culture générale en gestion de projet, même si elles ne proposent pas de pratiques institutionnalisées via des artefacts, des méthodes ou des procédures standards (pas de logiciel de gestion de projet, pas de méthodologie de gestion propre, notamment) la formalisation concernant le management des hommes se réalise au sein même du projet, à l’initiative et sous la responsabilité du chef de projet. A l’inverse, l’observation des projets du groupe 1, permet de formuler l’hypothèse que pour des projets se déroulant dans des structures de taille modeste n’ayant pas mis en oeuvre au niveau du support organisationnel de pratiques permettant la diffusion de valeurs et normes communes (pas de formation à la gestion de projet notamment), quel que soit le support opérationnel fourni par ailleurs, le développement de bonnes pratiques dans le domaine du management des hommes n’est pas une priorité des chefs de projets.

Discussion

La perspective retenue considère que l’adoption des bonnes pratiques promues par le référentiel PMI se déroule sous l’effet de différents vecteurs d’institutionnalisation. Cette perspective permet de positionner nos résultats dans les travaux institutionnalistes, anciens ou récents, et d’identifier des contributions théoriques et managériales dans le domaine de la gestion de projet.

D’un point de vue théorique, nous avons pu développer, dans le contexte de la gestion de projet, les relations entre les différents vecteurs d’institutionnalisation que sont les systèmes relationnels, symboliques, artefactuels et les routines mis en évidence par (Scott 2008). Si plusieurs auteurs ont montré le rôle important des artefacts dans le fonctionnement d’une routine, notamment (D’adderio 2011), nos travaux semblent indiquer le rôle tout aussi important des systèmes relationnels et symboliques. Ainsi, en analysant les résultats obtenus par rapport aux vecteurs d’institutionnalisation principalement mobilisés dans la diffusion des bonnes pratiques de gestion de projet, nous pouvons différencier les influences respectives de ces différents vecteurs.

Nos résultats confortent les travaux situés dans le cadre néo-institutionnaliste. Ce cadre met l’accent sur l’importance du contexte social dans lequel les organisations opèrent (Scott 2008). Si les premiers institutionnalistes voyaient l’environnement comme une force déterministe, les travaux plus récents reconnaissent que l’organisation n’est pas une victime passive, mais qu’elle exerce des degrés d’agence différents sur l’environnement (Zucker 1987). Ces résultats convergent aussi vers des publications dans le domaine de la gestion de projet.

Dans le prolongement des travaux cités, notre étude a permis de montrer que les pratiques de gestion de projet au niveau du support organisationnel étaient liées à la taille de l’entreprise et des projets. Par ailleurs, notre étude a aussi mis en évidence le rôle joué par les pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel sur les pratiques in situ des chefs de projet. En effet, dans les projets étudiés pour lesquels les chefs de projet reconnaissent l’existence d’un support organisationnel institutionnalisé simultanément via plusieurs vecteurs (artefacts, routines, mais aussi vecteurs symboliques et relationnels), la formalisation des livrables mis en oeuvre réellement dans les projets abordent des domaines de connaissances larges tels que la gestion des risques, la gestion de la qualité, la gestion des approvisionnements, alors que ces domaines, sur la globalité de notre échantillon (c’est-à-dire tous projets confondus) sont relativement peu formalisés (entre 30 % et 40 % des projets). Il semble donc qu’un projet ne s’effectue pas sur un territoire, vierge de toutes contraintes, et facilitations. La mobilisation au niveau du support organisationnel aux projets de différentes configurations de pratiques agissant sur les vecteurs d’institutionnalisation à la fois symboliques, relationnels, procéduraux et artefactuels a des répercussions sur les structures sociales et sur les représentations des individus et contribue, au niveau des projets, à l’adoption de bonnes pratiques. Sans sens, c’est-à-dire sans des pratiques véhiculées via les systèmes symboliques et relationnels, les pratiques véhiculées via des artefacts et des procédures au niveau du support n’agissent pas de la même manière sur les pratiques mises en oeuvre au niveau du projet. Il semblerait que certaines configurations de bonnes pratiques identifiées au niveau du support institutionnalisent via la mobilisation simultanée des quatre vecteurs d’institutionnalisation, des pratiques particulières (privilégiant une diversité des livrables) mises en oeuvre au niveau du projet. Des formes d’institutionnalisation différentes des pratiques au niveau des projets seraient donc induites par des configurations différentes des pratiques mises en oeuvre au niveau du support organisationnel.

Néanmoins, nos résultats indiquent aussi que les chefs de projet formalisent des domaines de connaissances au sein de leurs projets en l’absence de support spécifique mis à leur disposition au niveau du support organisationnel. C’est le cas notamment des chefs de projet ayant mis en place au sein de leurs projets des livrables formalisant le management des hommes (attribution des rôles et des responsabilités, attribution des équipes, mis en oeuvre d’un plan de communication) alors que certains d’entre eux ne recevaient pas de soutien méthodologique opérationnel de la part de leur structure (pas de logiciel standard mis à disposition, pas de méthodologie de gestion de projet propre à la structure, ou encore pas de mise en place d’une communication continue entre le chef de projet et la structure à laquelle est rattachée l’équipe projet). L’espace de liberté possible pour les chefs de projet, qui peuvent créer leurs propres livrables, est selon (Midler 2012) essentiel : « le premier principe du management des grands projets est une responsabilité sur le résultat » (page 196). Dans cette démarche, chaque équipe a la possibilité de construire ses propres règles, et d’être autonome.

Nos résultats viennent ainsi compléter les résultats de travaux antérieurs (voir notamment Mignerat et Rivard, 2010) qui ont montré que les chefs de projets ont la possibilité d’agir selon plusieurs comportements face aux pratiques institutionnalisées. Ils peuvent agir comme des acteurs institutionnels qui adoptent et suivent les normes sociales, ou peuvent les mettre en oeuvre de façon attentive, en les contournant, les évitant. Nous avons mis en évidence de manière complémentaire que même en l’absence de pratiques institutionnalisées les chefs de projet peuvent, de leur propre initiative, mettre en oeuvre certains livrables s’ils jugent ceux-ci indispensables à la bonne conduite du projet.

D’un point de vue managérial, ces premiers résultats, qui nécessitent d’être approfondis, montrent que la mise en place de certaines activités support liées simultanément à un support managérial et opérationnel agissant à la fois sur le système relationnel (structure), sur le système symbolique (représentations) (existence de formations à la gestion de projet, existence d’un P.M.O, notamment), sur le système procédural, et sur le système artefactuel semble faciliter la diversité des bonnes pratiques dans les projets. Parallèlement, la seule formalisation d’un support opérationnel, via la mise à disposition des équipes de différents artefacts et procédures (logiciel de gestion de projet standard, méthodologie de gestion de projet propre, outils pour la gestion de la mémoire de projet), ne semble pas, à lui seul, conduire à l’adoption des bonnes pratiques dans les projets S.I., notamment s’il n’est pas accompagné d’un support managérial important, Ce support managérial permet de donner du sens au support opérationnel proposé par l’entreprise.

Conclusion et ouverture

Dans cette étude, nous avons cherché à analyser les différentes configurations au travers desquelles les bonnes pratiques de gestion de projet de SI sont institutionnalisées dans les entreprises. Considérant que ces bonnes pratiques adressent deux niveaux d’activité au sein de l’entreprise (le niveau « support organisationnel » et le niveau « projet »), nous avons pu montrer que les pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel, selon le registre d’institutionnalisation qu’elles mobilisent (relationnel, symbolique, procédural ou matériel) n’influent pas de la même manière sur les pratiques mises en oeuvre au niveau des projets. De manière spécifique, concernant le support organisationnel aux activités de gestion de projet, nous avons pu identifier des comportements différenciés des entreprises (tels que perçus par les chefs de projet) que nous avons pu caractériser au travers de trois dimensions : une dimension« managériale » cherchant à agir sur les valeurs, les normes des individus et le développement d’une certaine « culture projet » globale via des systèmes ou des structures ad-hoc de formation, de coaching et de mise en relation, une dimension « opérationnelle » caractérisée par la mise à disposition des équipes projet de différents outils, techniques, procédures standards, et enfin la dimension « ouverture » caractérisée par une ouverture sur de nouveaux outils/ méthodes et une liberté laissée au chef de projet d’adaptation des livrables au contexte spécifique du projet. Le cadre institutionnaliste nous a aussi permis d’appréhender dans quelle mesure les pratiques mises en oeuvre réellement dans les projets SI peuvent se rapprocher ou s’écarter des pratiques promues par l’organisation via les différents vecteurs d’institutionnalisation que sont les systèmes symboliques, relationnels, artefactuels et procéduraux (routines). En cherchant à analyser l’impact des pratiques institutionnalisées au niveau du support organisationnel aux activités de gestion de projet sur les pratiques réellement mises en oeuvre par les chefs de projet, nous avons pu mettre en évidence l’existence d’une relation d’influence, mais celle-ci reste néanmoins partielle. Les chefs de projet sont, en effet, nécessairement soumis à des influences diverses (autre que la pression organisationnelle), et gardent une marge de liberté dans la façon dont ils gèrent leurs projets. On peut formuler l’hypothèse qu’ils reproduisent, au moins pour partie, des modes gestion ou des pratiques qui leur sont apparues comme « performantes » au vu de leur expérience passée.

D’un point de vue méthodologique, cette étude comporte des limites. Ainsi, l’étude s’est limitée à un échantillon de chefs de projet francophones, que nous avons interrogés sur leur perception vis-à-vis d’un ensemble de bonnes pratiques. Nous avons par ailleurs choisi de nous centrer sur les bonnes pratiques identifiées par une association, le PMI, à travers son référentiel le PMbok.

Pour terminer, différents prolongements à ce travail peuvent être envisagés. Le cadre institutionnaliste semble offrir, en effet, des perspectives intéressantes pour l’étude des pratiques de gestion de projet de SI institutionnalisées dans les entreprises et des facteurs susceptibles d’influer sur ces pratiques, aussi bien au niveau organisationnel, qu’au niveau individuel (Mignerat et Rivard, 2010). Une piste intéressante (dans le prolongement des travaux conduits notamment par Loo, 2002) pourrait être d’étudier l’effet de la culture organisationnelle sur les bonnes pratiques de gestion de projet institutionnalisées. Un autre prolongement possible serait d’étudier plus spécifiquement les pratiques des projets S.I. dits « agiles », et d’explorer en quoi l’adoption des « best practices » de l’agilité diffère de ce que nous avons pu mettre en évidence dans cette étude, concernant les pratiques de gestion de projet institutionnalisée au niveau du support organisationnel et leur influence sur les pratiques effectivement mises en oeuvre au niveau des projet. En effet, les pratiques dites « agiles » évoquent peu le rôle d’un support organisationnel et prônent une autonomie au sein des équipes dans le choix des outils et méthodes mis en place, mais dans les faits, ces pratiques sont-elles libres de toute contrainte ? Une première réponse de (D. Hodgson et Briand 2013) montre que ces pratiques restent imbriquées dans des pressions institutionnelles.