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Camille Robert reprend ici les résultats d’un mémoire de maîtrise sur les débats entourant la reconnaissance et la rétribution du travail ménager que Micheline Dumont, dans sa préface, situe en histoire politique. L’ouvrage contribue bien à l’histoire du féminisme québécois, une histoire qui reste encore aujourd’hui à compléter. L’auteure justifie d’emblée son choix de parler de travail « ménager » d’abord parce qu’il s’agit des termes utilisés dans les sources consultées, mais aussi parce qu’elle considère que travail « domestique » renvoie plutôt au travail d’entretien salarié accompli par une personne extérieure au ménage. Son objectif est d’étudier les discours et les mobilisations féministes liés au travail ménager, de « (re)faire de la ménagère une actrice politique » (p. 17). Le corpus mobilisé présente les points de vue sur la question véhiculés par des collectifs féministes, des organisations féminines et gouvernementales ainsi que par certains comités syndicaux. Trois avenues de reconnaissance du travail ménager sont explorées : les réformes gouvernementales, la socialisation et la salarisation du travail ménager.

Le premier chapitre est un bref survol des premiers discours du mouvement des femmes sur cet enjeu au début du XXe siècle. Robert y présente la manière dont les féministes ont d’abord formulé leurs revendications à partir du travail des mères. Elle oppose un féminisme de la différence qui naturaliserait la maternité à un féminisme de l’égalité qui l’aborderait plutôt comme un travail. L’auteure reprend ainsi à son compte l’utilisation du concept de maternalisme pour parler de ces revendications, sans souligner toutefois qu’il ne fait pas l’unanimité en histoire du féminisme. Après une présentation de diverses mesures touchant les mères et abordées comme autant d’étapes de la reconnaissance du travail ménager, ce premier chapitre se clôt avec la commission Bird, considérée comme une rupture avec l’essentialisme ayant caractérisé jusqu’alors les discours.

Le coeur de l’analyse se retrouve dans les deux derniers chapitres, qui couvrent la période 1968-1985. Robert présente d’abord les premières analyses développées par les collectifs féministes autonomes qui dissocient l’activité ménagère de la nature féminine et la conçoivent désormais comme un travail, invisible, privé et gratuit. Elle reprend les principales publications produites pour en tirer les éléments essentiels à son analyse, ce qui donne parfois un ton un peu descriptif à l’ouvrage. L’auteure analyse dans ce chapitre la socialisation du travail ménager, qui passe par la mise en place de différents services, notamment des garderies populaires et gratuites. Elle illustre comment la figure de la ménagère devient, pour ces féministes, symbole d’une communauté de situation, d’une exploitation commune à toutes les femmes. Au contact du mouvement international pour un salaire au travail ménager, cette perspective évolue et, pour les féministes québécoises, le rôle de la ménagère passe du rôle de la subordonnée à une position de lutte. Ainsi, la salarisation du travail ménager représente une autre avenue de reconnaissance envisageable. Robert souligne bien les divisions du mouvement féministe sur ces moyens de reconnaissance, notamment entre anglophones et francophones. Elle met également en lumière la tension entre le salaire du travail ménager comme perspective politique et comme revendication matérielle. La dernière partie du chapitre est consacrée à l’analyse de deux productions culturelles portant sur le travail ménager qui diffusent les réflexions menées jusque-là essentiellement par des féministes montréalaises. Ainsi, Môman travaille pas, a trop d’ouvrage, avec ses deux versions de la fin, correspond tout à fait à la polarisation suscitée par l’idée du salaire au travail ménager.

Le dernier chapitre de l’ouvrage s’intéresse à la manière dont le travail ménager est progressivement envisagé par un ensemble d’organisations comme un problème social ayant des conséquences sur l’accès des femmes à l’emploi et à la sphère publique. Robert présente les perspectives développées sur la question par le mouvement féministe autonome, les regroupements nationaux de femmes, certains comités féminins syndicaux et des organismes gouvernementaux. La tension entre salarisation et socialisation du travail ménager présente au sein du mouvement des femmes est explorée dans ce dernier chapitre, qui présente bien la variété des perspectives sur la question. L’auteure aborde les débats qui animent les mouvements féministes autonomes, alors que la presse féministe délaisse pour un temps la question du travail ménager pour se concentrer sur l’analyse plus globale du patriarcat, dont l’assignation au travail ménager des femmes est une manifestation parmi d’autres. Elle cible ainsi les divisions entre féministes marxistes et radicales, marquées par la question des moyens de reconnaissance du travail ménager. L’analyse du travail ménager et la recherche de moyens de sa reconnaissance sont progressivement reprises aussi par les regroupements de femmes plus réformistes ou encore par de nouveaux organismes gouvernementaux créés dans le sillage de la commission Bird, témoignant ainsi de l’importance d’une question qui traverse toutes les franges du mouvement des femmes. Ainsi, l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFEAS) mène une campagne nationale sur le sujet, et se positionne en faveur d’un salaire au travail ménager. Les tensions causées par l’irruption d’organismes gouvernementaux dans le champ féministe, tout comme l’apport des comités féminins des syndicats, plus réticents à penser la condition de ménagère dans une perspective de lutte, sont analysés. Ciblant la division sexuelle du travail, ces syndicalistes ont plutôt tendance à revendiquer la socialisation du travail ménager afin de permettre l’intégration des femmes sur le marché du travail salarié. Puisqu’elles expliquent les racines historiques de l’oppression des femmes par leur confinement à la sphère privée, le salaire au travail ménager leur apparaît plutôt comme une mesure les enfermant au foyer et limitant leur participation à la sphère publique.

À la lecture de cet ouvrage, la question de la reconnaissance du travail ménager apparaît comme un enjeu central du mouvement des femmes de la seconde partie du XXe siècle, bien qu’il n’y ait pas de véritable consensus sur les moyens qui en émergent. Plusieurs avenues sont explorées, des mesures et réformes gouvernementales à la socialisation et à la salarisation du travail ménager. Robert réussit bien à situer les différentes perspectives sur la question et à analyser leurs apports. Il faut enfin souligner l’effort de vulgarisation déployé dans ce livre qui se veut grand public, l’auteure exposant clairement des perspectives théoriques moins connues.